Archives par étiquette : Ángel Gregorio Villoldo

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

On connaît tous la milonga du jour, El Porteñito, mais est-ce vraiment une milonga ? Voyons de plus près ce coquin de Porteñito et ce qu’il nous cache.

Ángel Villoldo a composé et créé les paroles de ce tango qui est un des plus anciens dont on dispose des enregistrements. Je profite donc de ce patrimoine pour vous faire toucher du doigt le tango des origines avec le risque de relancer le débat des anciens et des modernes.

Extrait musical

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.

La version du jour est intermédiaire sur tous les plans.

Elle a été enregistrée en 1943, soit environ 40 après l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or du tango.

Les deux anges se sont donc associés à un troisième, Villoldo pour nous offrir cette belle milonga… ou beau tango… Disons que c’est un tango milonga, un canyengue rapide. Ce titre évoluera depuis sa création entre les rythmes, nous en verrons quelques exemples en fin d’article.

Les paroles

Les paroles, il y a vraiment plusieurs paroles à ce tango. El porteñito est El criollito dans la plus ancienne version enregistrée. Je vais donc vous proposer trois versions.
Celle de D’Agostino et Vargas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite partie des paroles.
L’introduction musicale, nous présente un type qui se balade dans les rues, saluant les passants 1:22 plus tard, Vargas entame le chant et termine à la fin du titre. Cette version est généralement considérée comme une milonga, mais si vous la dansez en canyengue, personne ne vous dira rien.

D’Agostino Vargas 1943
 
Soy nacido en Buenos Aires,
me llaman “El Porteñito”,
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.

 
Y al bailar un tango criollo
no hay ninguno que me iguale
porque largo todo el rollo
cuando me pongo a bailar. 

 
Anda que está lindo el baile!
brindase comadre,
y el compadre…

 
Soy un taura del noventa,
tiempo bravo del tambito,
bailarín de mucha meta por más seña “El Porteñito”
y al bailar un tango bravo,
lo hago con corte y quebrada
para dejar bien sentada mi fama de bailarín.
Villoldo 1908
 
Soy hijo de Buenos Aires,
por apodo “El Porteñito”,
el criollo más compadrito
que en esta tierra nació.
Cuando un tango en la vigüela
rasguea algún compañero
no hay nadie en el mundo entero
que baile mejor que yo.

No hay ninguno que me iguale
para enamorar mujeres,
puro hablar de pareceres,
puro filo y nada más.
Y al hacerle la encarada
la fileo de cuerpo entero
asegurando el puchero
con el vento que dará.


…Recitativo…

Soy el terror del malevaje
cuando en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reunión.
Y si alguno se retoba
y viene haciéndose el guapo
lo mando de un castañazo
a buscar quien lo engrupió.

Cuando el vento ya escasea
le formo un cuento a mi mina (china)
que es la paica más ladina
que pisó el barrio del sur.
Y como caído del cielo
entra el níquel al bolsillo
y al compás de un organillo
bailo el tango a su “salú”.

 
…Recitativo…
Los Gobbi 1906
 
Él:
Soy hijo de Buenos Aires
E me llaman el criollito,
El más pierna e compadrito
Per cantar e per bailar.
De las chinas un querido
Todas me brindan amores,
Soy el que entre los mejores
Siempre se hace respetar.
 
Ella:
Este tipo extravagante
Que viene a largar el rollo,
Echándosela de criollo
Y no sabe compadrear.
Es un gringo chacarero
De afuera recién llegado
Un criollo falsificado
Que la viene aquí a contar.
 
Él:
Soy tremendo para el baile
Se me voy donde hay…
E agarrando la guitarra
La “melunga” sé cantar.
 
Ella:
No arrugués que no hay quién planche
Afeitate, volvé luego,
Que te ha conocido el juego
Gringo, podés espiantar.
 
Él:
No te hagás la compadrona
La paciencia se me acaba,
Te va´ a comé una trompada
Se me llego yo a enojar.
 
Ella:
Arrimate che italiano
Y haceme una atropellada.
 
Él:
Te la doy.
 
Ella:
Pura parada
Si ni el agua vos cortás.
 
Él:
Fijate qué firulete, qué parada
No hay ninguno que me pueda guadañar.
 
Juntos:
Porque somos para el tango
Los más piernas,
Y sabemos hacernos respetar.
Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

Les versions

El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – Dúo Los Gobbi.

Le titre est un peu différent, ainsi que les paroles. Ce sont celles de la troisième colonne. El porteñito est el criollito et il le texte comporte de nombreuses variations par rapport à la version « canonique ». Deux points sont à signaler. C’est un duo (que je trouver relativement pénible entre les époux Gobbi, Flora et Alfredo) avec des passages parlés comme c’était assez courant à l’époque.

El porteñito 1908 — Ángel Villoldo.

Cet enregistrement par l’auteur pourrait servir de référence. Ce sont les paroles de la version centrale (il y a quelques petites différences, comme mina au lien de china, mais qui ne change pas le sens).

El porteñito (La Criollita) 1909 – Andrée Vivianne con orquesta.

Une version chantée par une femme à la voix plutôt plus agréable que celle de Flora Gobbi, mais de peu. On notera qu’elle a adapté les paroles en chantant au féminin et en se faisant appeler la criollita et non pas la porteñita.

El Porteñito 1928-09-26 – Orquesta Típica Victor (Adolfo Carabelli).

On arrive ici à la première version dansable. Il est dirigé par la baguette d’Adolfo Carabelli. C’est une version instrumentale, avec de beaux dialogues instrumentaux, et des violons qui plairont à beaucoup. Une fantaisie qui pourrait passer dans une milonga, mais pas comme une milonga, c’est clairement un tango et même un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la quebrada dont parlent d’ailleurs les paroles.

El Porteñito 1937-08-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version au rythme syncopé avec un plan de violon ou bandonéon qui survole le tout. Une impression d’accélération à la fin et quelques ponctuations de Biagi au piano témoignent du style qui est en train de se mettre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une version rarement diffusée en milonga. Elle pourrait l’être, mais il y a d’autres titres plus porteurs qui prennent la place dans le temps limité donné au DJ pour faire des propositions.

El Porteñito 1941-06-06 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Canaro enregistrera deux fois avec le quinteto Pirincho ce titre. Voici la première version, assez brillante, notamment grâce à la partie de piano interprétée par Luis Riccardi.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.

C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions écoutées précédemment. Un best-seller des milongas.

El Porteñito 1959-04-09 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Je fais un petit saut dans le temps en passant diverses versions pour retrouver le Quinteto Pirincho et la flute géniale de Juvencio Física qui donne une couleur à cette version qui balance toujours entre le tango et la milonga, mais on peut en général le passer comme milonga, car son allure très enjouée le rend sympathique à danser et il est suffisamment connu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fioritures de l’orchestre puissent être mises en valeur par les danseurs.

El Porteñito 2013 – Otros Aires y Joe Powers.

Je vais vous demander de me pardonner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gagnées. Il y a aussi des tragédies, comme cette version mixant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renouveler et transformer ses premiers essais) et l’harmoniciste, Joe Powers (qui est loin d’être mon préféré). Le résultat est à la hauteur de mes espérances, inaudible, je comprends votre colère.

L’élégance au tango dans les années 1900

On a un peu de mal à imaginer que le tango ait pu paraître sulfureux au point d’être interdit à Buenos Aires. Cependant, il y avait tout de même de bonnes raisons.
Il était dansé dans des lieux dédiés au sexe et le but n’était pas d’être extrêmement élégant, mais de prendre du plaisir avec une femme compréhensive (même si cela la rendait malheureuse, comme a pu le voir hier avec Zorro gris qui parlait d’une grisette dans un établissement de luxe). On imagine que dans d’autres lieux comme Lo de Tranqueli, la réalité était bien pire.

El Cachafaz et Carmencita Calderon dans Tango de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozán dans le film de Manuel Romero Carnaval de Antaño.

Je parlerai plus abondamment le 2 juin prochain d’Ovidio José Bianquet, dit el Cachafaz, au sujet de la version du tango El Cachafaz, dans la version de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait difficilement pour élégante de nos jours, mais elle faisait l’admiration de nos aïeux et on peut regretter aujourd’hui une certaine stérilisation de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrouver les outrances de l’époque, mais plutôt de prendre des petites idées, de relancer la machine à improviser.
Je terminerai par cette image qui est un montage que j’ai réalisé à partir de photos du début du vingtième siècle où on voit des attitudes un peu surprenantes, mais qui étaient considérées comme très chic à l’époque. Cela devait toutefois être fait avec une certaine élégance et ne doit en aucun justifier les violences qu’infligent certains danseurs contemporains à leur partenaire et aux autres danseurs du bal… Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de travail 😉

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la Pepita Avellaneda
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’était les Champs-Élysées étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.
Prendre un exemple en France n’est pas une erreur, c’est ce pays qui servait essentiellement de modèle pour les mœurs de la haute société à cette époque.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocotes

La cocote n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta XXXX, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la “haute”. Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta. XXXX
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et Roberto Maida.

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.

Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)

Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article.
Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes.
C’est l’histoire de ce tango.

Extrait musical

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barullo
conductor del Nacional.

Con su tramway, sin cuarta ni cinchón,
sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur).
El cornetín, colgado de un piolín,
y en el ojal un medallón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuerno listo al arrullo
si hay percal en un zaguán.

Calá, que linda está la moza,
calá, barriendo la vereda,
Mirá, mirá que bien le queda,
mirá, la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
frená porque se queja,
si está en movimiento.
Calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, tarí,
trota la yunta,
palomas chapaleando en el barrial.

Talán, tilín,
resuena el campanín
del mayoral
picando en son de broma
y el conductor
castiga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le asoma,
cualquier moza de un portal

Qué linda esta la moza,
barriendo la vereda,
mirá que bien le queda,
la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
Frená porque se queja
si está en movimiento,
calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, Tarí.
Conduce Roque Barullo
de la línea Nacional.

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Parmi les détails amusants :

On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir letranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sur le son du cornetín.

“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a du parait re extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne nacionale pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est le premier de la série à être enregistré.

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943.
Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.

Cornetín 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.

  • Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai par si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre.
El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.

El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL)
Milonga del mayoral 1953 – Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.

Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.

Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les

On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.

Quelques sources

Quelques sources

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.
Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)

5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Reconstitution du tranvía du film “Eclipse de sol”, car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.
Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.