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Pimienta 1939-03-10 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (compositeur)

Fresedo est un vieux de la vieille, mais dont le style a beaucoup évolué au cours de sa longue carrière de chef d’orchestre. Pimienta, est un des fleurons de la partie la plus intéressante de ses 70 ans de tango. Il en est le compositeur et ici l’interprète.

Fresedo a commencé à jouer en public à 16 ans, en 1913. À partir de 1920, il a commencé à enregistrer, jusque dans les années 1980, environ 1200 titres.

À plus de 90 %, ce sont des tangos. Moins de deux pour cent sont des valses ou des milongas. Le reste sont différents rythmes, pasodobles, scottishs, congas, fox-trots, chansons, rancheras, rumbas, shimmys et autres. En effet, comme beaucoup d’orchestres de tango, il jouait d’autres styles, car dans les bals de l’époque se dansaient de nombreux styles et pas seulement ceux issus du tango. Dans les programmes des événements un peu plus conséquents, il y avait en général deux orchestres annoncés. Un de tango et un de « Jazz » (le reste). N’oublions pas qu’il a joué avec Dizzy Gillepsie.

S’il a enregistré avec différents chanteurs, dont Carlos Gardel et réalisé de merveilleux enregistrements avec Roberto Ray et Ricardo Ruiz, la majorité de sa production de tango sont instrumentaux.

C’est le cas de notre tango du jour, Pimienta, enregistrée le 10 mars 1939 auprès de la RCA Victor. Le numéro de matrice est 12706-1 et le disque est la référence 38682B.

Le même jour, il a enregistré avec Ricardo Ruiz, un tango magnifique, mais que peu de DJ passent en milonga, bien qu’il soit parfaitement dansable. Je vous le propose aussi à l’écoute

Extrait musical

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. L’impressionnant glissando qui est une caractéristique de plusieurs titres de Fresedo donne l’impression que quelque chose chute. Comme danseur, il est difficile de résister à l’envie de faire quelque chose pour marquer « l’atterrissage ».
Mi gitana 1939-03-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz – Juan José Guichandut Letra : Enrique Cadícamo.

Autre versions de Pimienta par Osvaldo Fresedo

De 1939 à 1962, Fresedo a enregistré quatre fois Pimienta. Cela nous donne une idée de la progression de son style sur cette période.
Voici les quatre enregistrements par ordre chronologique :

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. C’est l’enregistrement du jour. Un des grands titres pour les danseurs.
Pimienta 1945 Osvaldo Fresedo.

C’est un enregistrement public, à la radio, dans le cadre de la Ronda Musical de las Américas. Osvaldo Fresedo dirige son Gran Orquesta Argentina avec le merveilleux Elvino Vardaro comme premier violon et Emilio Barbato au piano. J’ai coupé le blabla au début pour ne garder que la musique. La musique est relativement courte, seulement 1,45 minute, sans doute à cause du format imposé par la radio et du bavardage initial (50 secondes). La qualité sonore est médiocre comme la plupart des « grabaciones radiales » (enregistrement à la radio), mais on peut remarquer un certain nombre de différences dans l’orchestration par rapport à la version originale de 1939.

Pimienta 1959-01-23 — Osvaldo Fresedo.

Vingt ans après la première version, celle-ci est d’un style très différent. Plus « symphonique », plus enrichi, avec une orchestration complètement renouvelée. On retrouve tout de même les chutes, mais il me semble que la danse n’y trouve pas son compte. C’est joli, mais je ne le propose pas en milonga, malgré quelques trouvailles intéressantes d’une meilleure superposition des plans et des chutes assez impressionnantes.

Pimienta 1962-10-04 — Osvaldo Fresedo.

Encore différent de la version de 1959, on trouve ici le « Fresedo-Sassone ». En effet, on trouve dans cette version les « glings » chers à Sassone qui fait que l’on ne retrouve pas du tout l’esprit de Fresedo tel que le conçoivent les danseurs habitués à ces titres des années 30-40. Malgré des impacts intéressants, cette version est sans doute un peu monotone pour la danse.
En résumé, hormis pour l’illustration, je reste avec la merveilleuse version de 1939.

Qui est pimienta ?

La pimienta est le poivre. Je ne pense pas que Fresedo pensa à faire l’apologie de cette épice quand il a écrit le titre. N’ayant pas trouvé d’information sur le sujet, j’ai cherché d’autres tangos parlant de pimienta. Il n’y en a pas dans ma discothèque, pourtant assez vaste. Il y a bien une milonga Azúcar, pimienta y sal d’Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) et avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar).

Azúcar, pimienta y sal 1973 – Orquesta Héctor Varela con Fernando Soler y Jorge Falcón

Le sujet est une femme, au caractère variable. Voici ce qu’en dit un des couplets, le dernier :

La quiero difícil como es,
con su mundo diferente.
Qué importa su mundo al revés,
sin que cambie fácilmente.
Tampoco lo que hablen de mi,
porque yo la quiero así.
Así, como es
rebelde y angelical.
¡Así, como es,
azúcar, pimienta y sal!

Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar)

Traduction :

Je l’aime difficile comme elle est, avec son monde différent.
Qu’importe son monde à l’envers, sans qu’il change facilement.
Ni ce qu’ils disent de moi, parce que je l’aime ainsi. Rebelle et angélique. Ainsi, comme elle est le sucre, le poivre et le sel
!

J’ai donc imaginé que Pimienta parlait d’une femme au caractère bien marqué. C’est ainsi que j’ai proposé l’image de couverture, avec une femme, disons, presque en colère…

Pour terminer, je propose cette beauté « angélique », mais avec une pointe de rébellion dans les yeux.

¿Pimienta?

Paciencia 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Qui s’intéresse un peu, même de loin, au tango connaît Paciencia, (Patience), de D’Arienzo et Gorrindo. Je vous propose de le découvrir plus précisément, à partir de la version de Canaro et Maida enregistrée il y a exactement 86 ans.

Le prétexte étant le jour d’enregistrement, cela tombe sur cette version Canaro Maida, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidèle à sa composition toute sa vie.
Je ferai donc la part belle à ses enregistrements en fin d’article.
La beauté et l’originalité des paroles de Francisco Gorrindo avec son « Paciencia », ont fait beaucoup pour le succès de ce thème qui a donné lieu à des versions chantées, des chansons et même instrumentales, ce qui est toutefois un peu dommage 😉

Extrait musical

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Il s’agit d’une version instrumentale avec estribillo réduit au minimum. Roberto Maida chante vraiment très peu. La clarinette de Vicente Merico est ici plus présente que lui. On constate dans cette interprétation le goût de Canaro pour les instruments à vent.

Les paroles

Dans cette version, les paroles sont réduites au minimum, je vous invite donc à les savourer avec les autres enregistrements de ce titre, sous le chapitre « autres versions ».

Anoche, de nuevo te vieron mis ojos ;
anoche, de nuevo te tuve a mi lado.
¡Pa qué te habré visto si, después de todo,
fuimos dos extraños mirando el pasado!
Ni vos sos la misma, ni yo soy el mismo…
¡Los años! … ¡La vida!… ¡Quién sabe lo qué!…
De una vez por todas mejor la franqueza:
yo y vos no podemos volver al ayer.

Paciencia…
La vida es así.
Quisimos juntarnos por puro egoísmo
y el mismo egoísmo nos muestra distintos.
¿Para qué fingir?
Paciencia…
La vida es así.
Ninguno es culpable, si es que hay una culpa.
Por eso, la mano que te di en silencio
no tembló al partir.

Haremos de cuenta que todo fue un sueño,
que fue una mentira habernos buscado;
así, buenamente, nos queda el consuelo
de seguir creyendo que no hemos cambiado.
Yo tengo un retrato de aquellos veinte años
cuando eras del barrio el sol familiar.
Quiero verte siempre linda como entonces:
lo que pasó anoche fue un sueño no más.

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Traduction

Hier soir, à nouveau mes yeux t’ont vue,
hier soir, à nouveau, je t’avais de nouveau à mes côtés.
Pourquoi t’ai-je revue, si au final,
nous fûmes deux étrangers regardant le passé !
Ni toi es la même, ni moi suis le même,
Les années, la vie, qui sait ce que c’est ?
Une fois pour toutes, la franchise vaut mieux ;
toi et moi ne pouvons pas revenir en arrière (à hier).

Patience…
la vie est ainsi.

Nous voulions nous rejoindre par pur égoïsme
et le même égoïsme nous révèle, différents.
Pourquoi faire semblant ?

Patience…
la vie est ainsi.
Personne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute.
C’est pourquoi la main que je t’ai tendue en silence n’a pas tremblé à la séparation.

Nous ferons comme si tout ne fut qu’un rêve,
que c’était un mensonge de nous être cherché ;
ainsi, heureusement, nous reste la consolation
de continuer de croire que nous n’avons pas changé.
J’ai un portrait de ces vingt années-là,
quand du quartier, tu étais le soleil familier,
je veux toujours te voir jolie comme alors.
Ce qui s’est passé la nuit dernière ne fut qu’un rêve, rien de plus.

Maida ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres versions où les paroles sont plus complètes.
Le même jour, Canaro enregistrait avec Maida, la Milonga del corazón.

Milonga del corazón 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Une milonga qui est toujours un succès, 86 ans après son enregistrement.

Autres versions

Paciencia 1937-10-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Enrique Carbel. C’est le plus ancien enregistrement. On pourrait le prendre comme référence. Enrique Carbel chante le premier couplet et le refrain.
Paciencia 1938-01-14 — Héctor Palacios accompagné d’une guitare et d’une mandoline. Dans cet enregistrement, Héctor Palacios chante toutes les paroles. Enregistré en Uruguay.

Héctor Palacios est accompagné par une guitare et une mandoline. Le choix de la mandoline est particulièrement intéressant, car cet instrument bien adapté à la mélodie, contrairement à la guitare qui est plus à l’aide dans les accords est le second « chant » de ce thème, comme une réponse à Magaldi. On se souvient que Gardel mentionne la mandoline pour indiquer la fin des illusions « Enfundá la mandolina, ya no estás pa’serenatas » ; Range (remettre au fourreau, comme une arme) la mandoline, ce n’est plus le temps des sérénades. Musique de Francisco Pracánico et paroles d’Horacio J. M. Zubiría Mansill. J’imagine que Palacios a choisi cet instrument pour son aspect nostalgique et pour renforcer l’idée de l’illusion perdue de la reconstruction du couple.

Paciencia 1938-01-26 — Agustín Magaldi con orquesta.

Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit également d’une chanson. L’introduction très courte (10 secondes) elle présente directement la partie chantée, sans le début habituel. Magaldi chante l’intégralité des paroles. Le rythme est très lent, Magaldi assume le fait que c’est une chanson absolument pas adaptée à la danse. On notera sa prononciation qui « mange le « d » dans certains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Palacios et d’autres de l’époque, également).

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est la version du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette version, car Maida ne chante que le refrain, aucun des couplets.
Paciencia 1938 — Orquesta Rafael Canaro con Luis Scalón.

Cette version est contemporaine de celle enregistrée par son frère. Elle a été enregistrée en France. Son style bien que proche de celui de son frère diffère par des sonorités différentes, l’absence de la clarinette et par le fait que Scalón chante en plus du refrain le premier couplet (comme l’enregistra Carbel avec D’Arienzo, l’année précédente.

Paciencia 1948 — Orquesta Típica Bachicha con Alberto Lerena.

Encore une version enregistrée en France. Lerena chante deux fois le refrain avec un très joli trait de violon entre les deux. Le dernier couplet est passé sous silence.

Paciencia 1951-09-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

14 ans plus tard, D’Arienzo réenregistre ce titre avec Echagüe. Dans cette version, Echagüe chante presque tout, sauf la première moitié du dernier couplet dont il n’utilise que « Yo tengo un retrato de aquellos veinte años […] lo que pasó anoche fue un sueño no más. Le rythme marqué de D’Arienzo est typique de cette période et c’est également une très belle version de danse, même si j’ai personnellement un faible pour la version de 1937.

Paciencia 1951-10-26 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica. Dans un style tout différent de l’enregistrement légèrement antérieur de D’Arienzo, la version de Varela et Desica est plus « décorative ». On notera toutefois que Lesica chante exactement la même partie du texte qu’Echagüe.
Paciencia 1959-03-02 — Roberto Rufino accompagné par Leo Lipesker. Dans cet enregistrement, Rufino nous livre une chanson, jolie, mais pas destinée à la danse. Toutes les paroles sont chantées et le refrain, l’est, deux fois.
Paciencia 1961-08-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Horacio Palma.

Comme dans la version enregistrée avec Echagüe, dix ans auparavant, les paroles sont presque complètes, il ne manque que la première partie du dernier couplet. Une version énergique, typique d’El Rey del compas et Palma se plie à cette cadence, ce qui en fait une version dansable, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce chanteur qui pousse plutôt du côté de la chanson.

Paciencia 1964 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin. Encore une version enregistrée en France, mais cette fois, instrumentale, ce qui est dommage, mais qui me permet de montrer une autre facette de ce titre.
Paciencia 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

D’Arienzo et Echagüe ont beaucoup interprété à la fin des années 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Paciencia dans leurs concerts. Cette version de studio est de meilleure qualité pour l’écoute, mais il est toujours sympathique de voir D’Arienzo se démener.

Vidéo enregistrée en Uruguay (Canal 4) en décembre 1969 (et pas février 1964 comme indiqué dans cette vidéo).

Après la mort de D’Arienzo, les solistas de D’Arienzo l’enregistrèrent à diverses reprises, ainsi que des dizaines d’autres orchestres, Paciencia étant un des monuments du tango.

J’ai ici une pensée pour mon ami Ruben Guerra, qui chantait Paciencia et qui nous a quittés trop tôt. Ici, à la milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires, milonga que j’ai eu l’honneur de musicaliser en doublette avec mon ami Quique Camargo.

Ruben Guerra, Paciencia, milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires.18 août 2017.