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Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Alberto Hilarion Acuña Letra : Charrúa (Gualberto Márquez)

Qui ne s’est jamais laissé emporter dans le tourbillon de cette valse chantée par Francisco Fiorentino et le bandonéon d’Anibal Troilo. Mais peut-être n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dévoilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troilo et Fiorentino ont enregistré 73 titres, dont 4 en duo avec Alberto Marino.
Ce sont quasiment tous des succès au point que certains DJ ne passent pour les Troilo chantés, que des versions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anecdotes de tango de ces derniers jours, vous avez pu lire les articles ayant pour thème :
Sur 1948-02-23 — Anibal Troilo C Edmundo Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a été enregistré par Troilo et Fiorentino, cinq jours plus tôt que celle-ci, Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Alberto Hilarion Acuña et Charrúa (Gualberto Márquez)

Alberto Hilarion Acuña est né en 1896 à Lomas de Zamora, ou plus précisément à Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village à l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobé au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutôt rural à l’époque et cela a sans doute influencé ses choix musicaux, souvent orientés vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a écrit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chanté avec Razzano, mais aussi des candombés comme Serafín enregistré par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos Cáceres.
En 1924, il forme un duo avec René Ruiz. Ce duo sera fameux et à l’époque, on le comparait à celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est désagrégé le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interpréter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant à l’auteur des paroles, Charrúa (Gualberto Gregorio Márquez), il est né uruguayen. Son surnom, Charrúa, vient du peuple Charrúa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontalière avec l’Uruguay) et au Brésil.
Ses penchants pour la ruralité peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activité dans le « civil », il était administrateur d’établissements agricoles du côté de General Las Heras (zone à l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses origines uruguayennes par son père (sa mère était portègne) ne l’empêchent pas de revendiquer d’être Argentin comme il l’a écrit dans un de ses poèmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mère étant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de côté ce sol divin, je défends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement à être le meilleur Argentin. »
Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montré par ses sujets de poésie, par le fait qu’il a écrit des Estilo (chansons folkloriques typiques de la pampa, ce qui explique le poncho dont il sera question dans la valse du jour) et bien sûr les paroles champêtres de la valse du jour.

Extrait musical

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.

Le bandonéon lance le début de l’introduction comme un démarrage difficile. Puis à 0 : 15 commence le thème par les violons, puis à 0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance à 1 : 05 à la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thème. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure ½ en plus de sa durée normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit ½ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour démarrer le moteur. C’est le même principe que le démarrage initial du bandonéon en introduction. Cet élément stylistique s’apparente dans une certaine mesure à la valse viennoise, mais aussi au vals criolo où le ralentissement est encore plus marqué et le rythme sort complètement de la régularité des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).

Les paroles

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando
y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Estaba como nunca la había visto,
vestido livianito de zaraza,
con el pelo volcado sobre los hombros
era una virgen que encontré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus ojazos me siguió quemando,
dejó la escoba que tenía en la mano,
me quiso hablar y se quedó temblando.

Era el recuerdo del amor primero,
amor nacido en una edad temprana,
como esas flores rústicas del campo
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que está oculto en los adobes
de su rancho paterno tan sencillo
y en la corteza del ombú del patio
escrito con la punta del cuchillo.

Me di vuelta pisando despacito,
como quien desconfía de una trampa,
envolviendo recuerdos y emociones
entre las listas de mi poncho pampa.

No sé qué me pasó, monté a caballo
y me fui (sali) galopeando a rienda suelta,
con todos los recuerdos y emociones
que en las listas del poncho saqué envueltas.

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando.
Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentía, (y aunque guapo muy guapo me sentía)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Alberto Hilarion Acuña Letra: Charrúa (Gualberto Márquez)

Fiorentino et Bermúdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intégralité des paroles.

Traduction libre et indications

L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Elle était comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe légère de zaraza, les cheveux retombant sur les épaules, c’était une vierge que j’avais rencontrée dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donné une des meilleures versions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a également chanté en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlé, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brûlant, elle a délaissé le balai qu’elle tenait à la main, elle voulait me parler et elle est restée tremblante.
C’était le souvenir du premier amour, amour né dans notre jeune âge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin).
Amour qui était caché dans les adobes du ranch de son père, tout simple et grâce à la courtoisie d’un ombú de la cour, j’ai écrit à la pointe d’un couteau. (l’ombú, c’est le belombra ou raisinier dioïque, un arbre d’Amérique du Sud faisant une belle ombre, d’où son nom de bel ombra)
Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se méfie d’un piège, enveloppant souvenirs et émotions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses émotions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, je suis monté à cheval et j’ai galopé à bride abattue, avec tous les souvenirs et les émotions que j’avais enveloppés dans les listes de ponchos.
L’après-midi où je l’ai vue était belle, la cour de son ranch bien ordonnée et même si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas à lui parler et je restais tremblant.
Un documentaire intéressant pour connaître le poncho.

Autres versions

Temblando 1933-09-28 — Ignacio Corsini con guitarras de Pagés-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprétation pour ce type de valses folkloriques.
Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.

Une jolie version, chantée et presque dansable. Il est à noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertés pour mieux coller à leur diction, à l’arrangement de la musique, à leur style ou pour actualiser un texte.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos Bermúdez.

Comme la version de Troilo, celle de Lorenzo commence par un bandonéon qui « démarre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence Bermúdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompée, à mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supérieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de tonalité et même de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique à propos de Lágrimas y sonrisas).

Par la suite, le thème a été repris à différentes reprises, par des chanteurs plutôt versés du côté folklore, ou par d’autres du côté chanson, mais l’aspect dans n’a plus été mis en valeur par des versions équivalentes à celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intéressantes par différents aspects.

Temblando 1976 Rubén Juárez.

Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprétation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Temblando 1976 — Rubén Juárez (a Capela).

Le mêmechanteur, mais cette fois dans le périlleux exercice du chant a capela. Là, pas du tout question de danser…

Temblando 1995 — Canta Luis Cardei.

Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. Malgré sa très courte carrière (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chanté dans le film La Nube (1998) de Fernando Solanas, basé sur la pièce de théâtre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film débute sur des vues de Buenos Aires où tout va à l’envers (les voitures et les piétons, sauf un, reculent, la suite est peut-être moins intéressante, à tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas…).

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coïncidence de date fait que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siècle, les musiciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment à Paris, les portes du succès. Un détail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo Hernán Matos Rodríguez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva Valdès…

Ce titre peut ouvrir la piste à de très nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’histoire contée dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc décidé de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine. « Adios Argentina ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaît la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia écrit par Carlos Mauricio Pacheco).
Dans le cas présent, j’ai préféré imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect différent sur les deux drapeaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le début du vingtième siècle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe.
Parmi eux, en vrac :
Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Angel Vidollo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, Juan Bautista Deambroggio (Bachicha) et son fils Tito, les frères Canaro, Carlos Gardel, Vicente Loduca, Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, Mario Melfi, Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi…
La liste est interminable, je vous en fais grâce, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que selon l’excellent site « La Bible tango », 345 orchestres ont été répertoriés, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. Même si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donné dans la mode « Tango ». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango »)

Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vêtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France à l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes étrangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On connaît tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommée bombacha.  Ce vêtement est particulièrement pratique pour travailler, car il laisse de la liberté de mouvement, même s’il est réalisé avec une étoffe qui n’est pas élastique.
Cependant, ce qui est peut-être moins connu c’est que l’origine de ce vêtement est probablement française, du moins indirectement.
En France métropolitaine, se portaient, dans certaines régions comme la Bretagne, des braies très larges (bragou-braz en breton).Dans les pays du sud et de l’est de la Méditerranée, ce pantalon était aussi très utilisé. Par exemple par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armée française d’Algérie.

La désastreuse Guerre de Crimée en provoquant la mort de 800 000 soldats a également libéré des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armée de la France d’Algérie dont quatre régiments furent envoyés en Crimée) ou de Turcs qui étaient alliés de la France dans l’affaire.

Napoléon III s’est alors retrouvé à la tête d’un stock de près de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il décida de les offrir à Urquiza, alors président de la fédération argentine. Les Argentins ont alors adopté les babuchas qu’ils réformeront en bombachas.
En guise de conclusion et pour être complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicéleste d’Obélix, ce fameux personnage René Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vécu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (à 1 an) à 1945. Il a donc certainement croisé des bombachas, même s’il a étudié au lycée français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternées de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau à son équipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscinny ait influencé Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’Obélix. En revanche pour moi, la forme ample est plus causée par les formes d’Obélix que par la volonté de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton… Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considérer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrés à la cheville…

Extrait musical

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.

Les paroles

Tierra generosa,
en mi despedida
te dejo la vida
temblando en mi adiós.
Me voy para siempre
como un emigrante
buscando otras tierras,
buscando otro sol.
Es hondo y es triste
y es cosa que mata
dejar en la planta
marchita la flor.
Pamperos sucios
ajaron mi china,
adiós, Argentina,
te dejo mi amor.

Mi alma
prendida estaba a la de ella
por lazos
que mi cariño puro trenzó,
y el gaucho,
que es varón y es altanero,
de un tirón los reventó.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hombre
su perfume ya dejó?

Llevo la guitarra
hembra como ella;
como ella tiene
cintas de color,
y al pasar mis manos
rozando sus curvas
cerraré los ojos
pensando en mi amor.
Adiós, viejo rancho,
que nos cobijaste
cuando por las tardes
a verla iba yo.
Ya nada queda
de tanta alegría.
Adiós Argentina,
vencido me voy.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Traduction libre

Terre généreuse, dans mes adieux je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un émigré à la recherche d’autres terres, à la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanée. Les sales pamperos ont sali ma chérie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour.
Mon âme était attachée à la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a déjà laissé son parfum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorés, et quand mes mains frôleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant à mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.

J’ai laissé le terme « Pamperos » dans sa forme originale, car il peut y avoir différents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pampa, vu ce qu’ils ont fait à sa china (chérie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal à une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composé par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.

¡Pampero!
¡Viento macho y altanero
que le enseñaste al gaucho
golpeándole en la cara
a levantarse el ala del sombrero!

Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)

Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant à la face à lever les ailes de son chapeau (à saluer).

Le terme de Pampero était donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothèse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de Patoruzú, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno (1928), puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans après la création de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.

Autres versions

D’autre versions, notamment chantées, pour vous permettre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enregistré ce titre dans les années 1930 étaient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que le tango s’est acheté une « conduite » et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure société argentine, puis d’une importante partie de sa communauté de danseurs, de la fin des années 30 jusqu’au milieu des années 50 du XXe siècle.

Adiós Argentina 1930-03-20 – Orquesta Típica Victor.
Adiós Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnée par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte très élogieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
Adiós Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjunto
Adiós Argentina 1930-12-03 – Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine après l’enregistrement du titre avec Ada Falcón, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.
Adiós Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du même disque que le précédent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque… La comparaison est moins nette car pour être mis en place sur ce site, les fichiers sont environ réduit à 40 % de leur taille, mais on entend tout de même la différence.
Adiós Argentina 2001-06 – Orquesta Matos Rodríguez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versión par cet orchestre à la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.

Le succès d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons connue à l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique.
Elle s’est imposée maintenant dans la pléiade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incomparable, elle est habitée d’une passion frémissante, qu’elle sait courber à sa fantaisie en ondes douces et poignantes à la fois.
Sur elle, notre confrère Louis-Léon Martin a écrit, ce nous semble, des phrases définitives :
“Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naît des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possède cette vertu extraordinaire de paraître toute proche, comme penchée vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impérieuse, capiteuse, passionnée, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pâmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins émouvants et flexibles. Elle subjugue…”
Deux ans ont suffi à Mlle Alina de Silva pour conquérir ce Paris qu’elle adore el qui le lui rend bien, depuis le jour où elle pénétra dans la capitale.
La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » étoile » digne de figurer à côté des plus éclatantes.
Il est des émotions qui ne trompent pas. Celles que continue à nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux réservé à cette artiste de haute race. »
A. B.

A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929

Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France à la belle époque des années folles.

Ainsi s’achève mon vol

Mon avion va bientôt atterrir à Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectué en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournée européenne, de faire sentir l’âme de notre tango à tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales.
À très bientôt les amis !

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Carlos Gardel et José Razzano (paroles et musique)

Con los amigos (a mi madre) est un thème écrit par Carlos Gardel et José Razzano. Mais la version que j’ai choisie pour le tango du jour a été enregistrée le 2 mars de 1943 par Tanturi et Castillo. La particularité est que la chanson originale s’est commuée en valse, mais ce n’est pas la seule surprise…

On connaît, un peu l’histoire de Carlos Gardel, je devrais dire les histoires pour ne pas fâcher mes amis Uruguayens et Argentins. Que Gardel soit enfant de France, ou de quelque qu’autre endroit, il a eu une relation particulière avec sa mère.
Pas forcément celle qu’elle espérait, dans la mesure où il a fait les 400 coups et même des coups plutôt pendables.
On sait cependant que Gardel avait un bon cœur et qu’il chérissait sa mère, même s’il ne l’a pas toujours entouré de toute l’affection qu’elle aurait pu attendre.
Cette chanson doit sans doute être prise pour un regret, un remords, un hommage à sa mère qui a élevé seule ce chenapan de Gardel.

Extrait musical

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Valse)

Les paroles

Con los amigos que el oro me produjo
Pasaba con afán las horas yo
Y de mi bolsa el poderoso influjo
Todos gozaban de esplendente lujo
Pero mi madre, no

¡Pobre madre!, yo de ella me olvidaba
Cuando en los brasosdel vicio me dormí
Un inmenso cortejo me rodeaba
Yo a nadie mi afecto le faltaba
Pero a mi madre, sí

¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
Pero mi madre, no

Y cerca ya del último suspiro
Nadie se acuerda por mi mal, de mí
La vista en torno de mi lecho giro
Y en mi triste en derredor a nadie miro
Pero a mi madre, sí

¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
¡Pero mi madre, no!

Carlos Gardel et José Razzano (musique et paroles)

Je propose ici les deux premiers couplets et le dernier, pour vous donner une idée du thème de ce tango.
Avec les amis que l’or me procurait, moi, je trompais les heures, et de ma poche, le pouvoir influait. Tous jouissaient d’un luxe splendide, mais ma mère, non !
Pauvre mère ! Moi, je l’oubliais quand dans les bras (emprise, mais j’aime mieux le changement de parole de la version de Canaro) du vice je m’endormis.
Une immense cour m’entourait. Personne ne manquait de mon affection. Mais ma mère, si.

[…]
Aujourd’hui, moribond, en larmes, défait, je crie de douleur, tout est fini et à voir ma poitrine oppressée gémir, tous quittent mon pauvre lit, mais ma mère, non.
La morale de ce tango pourrait être que les amis faits par l’argent ne valent pas l’amour d’une mère.

Autres versions

Tout d’abord, un exemple de la chanson originale par Carlos Gardel, celle qu’il chantait pour exprimer ses regrets à sa mère.
Il existe plusieurs enregistrements, 1919,192 0, 1930, 1933. J’ai choisi celui-ci où l’on ressent bien l’émotion dans la voix de Gardel.

A mi madre (Con los amigos) 1930-05-22 Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, José María Aguilar, Domingo Riverol (guitares).

Version en chanson, avec de jolies guitares. Bien sûr, pas pour la danse. D’ailleurs Gardel ne se danse pas, même si on danse sur plusieurs de ses titres quand ils sont joués par d’autres orchestres, comme celui de Tanturi ou celui de Canaro dans ce cas (voir ci-dessous).

Con los amigos (A mi madre) 1943-05-12 — Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.
Gardel à Nice en 1931. Il est au centre avec Charlie Chaplin. Pensait-il à ce moment à sa mère ?
Charlie Chaplin, c’est Charlot, à ne pas confondre avec le chanteur Charlo 😉