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Valsecito amigo 1943-03-25 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Aníbal Carmelo Troilo Letra José María Contursi

Si comme moi vous adorez les valses, vous devez avoir le titre du jour, Valsecito amigo bien au chaud dans votre cœur. Ce titre est né sous tous les bons auspices avec la musique de Troilo, les paroles de Contursi et la voix de Fiorentino. Vous en aviez rêvé, Pichuco l’a fait pour vous.

Aníbal Carmelo Troilo y Marcos

Pichuco, el Gordo, el bandoneón mayor de Buenos Aires et autres appellations témoignent de l’affection que portent les Portègnes à Troilo.

Il utilisait son nom véritable, tout comme son grand frère Marcos, également bandonéiste et qui travailla d’ailleurs dans l’orchestre de son frère de 1941 à 1947.

Le chouchou de Buenos Aires

À Buenos Aires, Troilo est littéralement adoré. C’était nettement moins le cas en Europe et je me souviens qu’en 2014, en France, pour le centenaire de sa naissance, certains danseurs faisaient la moue quand j’annonçais une tanda de Troilo. J’ai cependant insisté et je pense que désormais, Troilo est unanimement apprécié, même s’il y a quelques semaines, je recueillais les confidences d’un danseur qui m’indiquait qu’il avait du mal à danser sur Troilo.
Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le débat ici, mais Troilo a fait du tango pour la danse et du tango à écouter. Par ailleurs, il adorait les chanteurs et leur a donné un peu plus de présence. Cela a donc influé sur la dansabilité de ses titres. Il convient donc de choisir les Troilo que l’on propose en milonga et l’on peut donner énormément de bonheur aux danseurs, même en sortant de la liste d’une quinzaine de titres à laquelle se limitent la plupart des DJ.
Avec cette valse, pas de risque de déception, sauf bien sûr pour les rares danseurs qui n’aiment pas les valses (bisous, Henri et Catherine).

Les débuts de Pichuco contés par son frère, Marcos

Je vous propose cette archive datant de 1969, dans laquelle son grand frère, Marcos, parle des débuts de son fameux frère. L’entrevue est menée par Pipo Mancera (José Nicolás Mancera)

Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera

Transcription partielle, mais pas partiale.

Pipo hablando a Aníbal: Pichuco, No, no te voy a pedir nada, se lo voy a preguntar a Troilo, pero no a vos, se lo voy a preguntar a tu hermano.
Pipo a Marcos: Si usted fuera tan amable, adelante señor Troilo.
Pipo al público: Marcos Troilo, hermano mayor de Aníbal Troilo.
Pipo a Marcos: Como era su hermano cuando era chico?
Marcos: Bueno mi hermano cuando chico ya dejaba entrever que iba a ser un poquito gordito […] que estaban en una época de los 10 a los 12 años 13 años bueno.
Pipo a Marcos: Señor Troilo cuando se despierte en Pichuco su amor por la música?
Marcos: Bueno, Pichuco, hace muchísimos años, tenía la edad de 10, 11 años y nosotros frecuentábamos un club que se llamó la Fanfarria (La Fanfarria estaba en los terrenos del antiguo Hipódromo Nacional, ahora, lugar de la cancha de River Plate, el club de Aníbal…) en las cuales los socios aportaban semanalmente uno o dos pesos y todas las semanas los mismos socios hacían una pequeña jugada en la cual si se llegaba a ganar se aportaba para hacer un picnic o una fiesta o un baile.
Pipo: Qué lindo
Marcos: Entonces es ahí donde empezó la vocación de Pichu pues esa cosa que se le despertó a él. Y yo recuerdo muy bien en los picnics cuando se encontraba con los bandoneones que actuaban en esa fiesta que festejaban eso que nosotros estábamos ahí que se sentaba siempre al lado de uno de los bandoneones y lo miraba muy atentamente.
Entonces llegó un día de que esos picnics se hacían con mucha frecuencia y un día le dijo a mi madre que le comprara un bandoneón. Esta vez así que en una oportunidad yo regresaba a casa y me dijo mi madre dice mira dice lo que hay arriba de esa cama. Y era un bandoneón que le había comprado en una casa de la calle Córdoba, a un señor que lo recuerdo como si fuera ahora, se llamaba “Esteinguar” (o Estenguar, apellido a verificar)
Pipo: Si como es este mismo (El bandoneón que está usando Aníbal)
Aníbal: Cuarenta y tres años.
Pipo: El fueye que le compro su madre.
Marcos: y creo que le costó 140 pesos […]
Pipo: 140 pesos
Aníbal: A pagar 10 pesos por mes.
Hay una anécdota curiosísima. A los cuatro meses, no vinieron a cobrar. El tipo se había muerto. Así que me costó 40 pesos.
Pipo a Marcos: Pero me has dado un dato que para mí es muy importante […] (Pipo pido el fuye a Anibal, tratando de hacer tocar a Marcos…) usted aprendió a tocar el fueye porque sabía que su hermano iba a ser famoso.
Marcos: No simplemente porque me contagió el entusiasmo que él tenía y un día decidí practicar y empecé a tocar una cosita de acá otra cosita de acá agregando y empecé a tocar un valsecito con éxito.
Pipo: Cuántos años hace que no toca el bandoneón?
Marcos: Bueno en honor de la verdad creo que hace del año 48 a fines del 48 (Marcos tocó en la orquesta de su hermano hasta 1947).
Pipo: Qué es lo que mejor recuerda que tocaba en bandoneón… Un valsecito, un tanguito?
Marcos: Creo que era un tango de Charlo. Este tango precioso. No recuerdo bien el nombre ahora, pero, que Pichuco me lo puede hacer recordar. […]

Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera. En azul mis comentarios.

Traduction libre de l’entrevue avec Marcos Troilo

Pipo s’adressant à Aníbal : Pichuco, non, je ne vais rien te demander, je vais demander à Troilo, mais pas à toi, je vais demander à ton frère.
Pipo à Marcos : Si vous voulez bien le faire, venez, M. Troilo.
Pipo au public : Marcos Troilo, le frère aîné d’Aníbal Troilo.
Pipo à Marcos : Comment était ton frère quand il était enfant ?
Marcos : Eh bien, quand il était enfant, mon frère avait déjà laissé entendre qu’il allait être un peu potelé […] C’était au moment où il avait 10 à 12 ans, 13 ans.
Pipo à Marcos : M. Troilo, quand l’amour pour la musique s’éveille-t-il chez Pichuco ?
Marcos : Eh bien, Pichuco, il y a de nombreuses années, il avait 10 ou 11 ans et nous fréquentions un club appelé la Fanfarria (la Fanfare, qui était sur le terrain de l’ancien hippodrome national, aujourd’hui l’endroit où se trouve le terrain de River Plate, le club d’Aníbal…) dans lequel les membres contribuaient à hauteur d’un ou deux pesos par semaine et chaque semaine, les membres eux-mêmes faisaient une petite pièce dans laquelle s’ils gagnaient, c’était un apport pour faire un pique-nique, une fête ou une danse.
Pipo : C’est mignon.
Marcos : C’est donc là que la vocation de Pichu a commencé, cette chose qui s’est éveillée en lui. Et je me souviens très bien que lors des pique-niques, lorsqu’il rencontrait les bandonéonistes qui jouaient à cette fête. Il s’asseyait toujours à côté de l’un des bandonéonistes et le regardait très attentivement.
Puis il y a eu un jour où ces pique-niques étaient très fréquents et un jour il a dit à ma mère de lui acheter un bandonéon. Une fois que je rentrais à la maison, ma mère m’a dit, regarde ce qu’il y a sur ce lit. Et c’était un bandonéon qu’elle avait acheté dans une maison de la rue Cordoba, à un homme dont je me souviens comme si c’était maintenant, son nom était « Esteinguar » (ou Estenguar, nom de famille à vérifier)
Pipo : Oui, c’est celui-ci. (Le bandonéon qu’utilise Troilo est celui acheté par sa mère)
Hannibal : Quarante-trois ans.
Pipo : Le fueye que votre mère lui a acheté.
Marcos : Et je pense que ça lui a coûté 140 pesos […]
Pipo : 140 pesos
Aníbal : À payer 10 pesos par mois.
Il y a une anecdote très curieuse. Au bout de quatre mois, ils ne sont pas venus réclamer leur dû. Le gars était mort. Cela m’a donc coûté 40 pesos.
Pipo à Marcos : Mais tu m’as communiqué une information qui est très importante pour moi […] (Pipo emprunte le bandonéon à Anibal et essaye d’en faire jouer son frère, Marcos) tu as appris à jouer du bandonéon parce que tu savais que ton frère allait devenir célèbre ?
Marcos : Non, simplement parce que j’ai été contaminé par l’enthousiasme qu’il avait et qu’un jour j’ai décidé de m’entraîner et j’ai commencé à jouer une petite chose d’ici, une autre petite chose par-là, et j’ai commencé à jouer une valse avec succès.
Pipo : Combien d’années se sont-elles écoulées depuis que vous n’avez pas joué du bandonéon ?
Marcos : Eh bien, pour être honnête, je pense que c’était en 1948 à la fin de 1948 (Marcos a effectivement joué dans l’orchestre de son frère jusqu’en 1947).
Pipo : De quoi te souviens-tu le mieux quand tu jouais du bandonéon ? Une valse, un tango ?
Marcos : Je crois que c’était un tango de Charlo. Un beau tango. Je ne me souviens plus très bien du nom, mais Pichuco peut me le rappeler. […]

Extrait musical

Écoutons maintenant le tango du jour, qui est cette merveilleuse valse, Valcesito amigo.

Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Les paroles

Vals sentimental de nuestras viejas horas,
¡nunca te escuché tan triste como ahora!
Llegas hasta mi para aumentar mi queja,
tiene tu rondín sabor a cosa vieja…
Vals sentimental, ingenuo y ondulante,
vuelvo a recordar aquellos tiempos de antes.
Una voz lejana me acusa en tu canción,
¡valcesito!… ¡y envuelve mi emoción!

Vuelca tu nostalgia febril,
tu musiquita sensual,
se que no es posible seguir
oyéndote sin llorar.
Valcesito amigo, no ves
esta incertidumbre tenaz
que no hace más
que remover y conmover
mi soledad…
Unos ojos verdes de mar
más grandes que su ilusión,
unas ansias grandes de amar…
después… llorando una voz…
Valcesito amigo, no ves
que tu musiquita sensual
no sabe más
que atormentar y atormentar
mi corazón…

Cuando llegue el fin de mi oración postrera,
quiero imaginarla así, como ella era…
Juntaré mi voz a aquellos labios suyos,
mientras tu canción nos servirá de arrullo.
Vals sentimental de nuestras horas,
ya no me verán tan triste como ahora.
Lentamente tus notas amigas cantaré,
valsecito… ¡y entonces moriré!

Anibal Troilo Letra: José María Contursi

Traduction libre

Petite valse amicale

Valse sentimentale de nos heures anciennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine.
Tu ne viens à moi que pour me tourmenter. Tes notes ont la saveur des choses passées…
Valse sentimentale, ingénue et ondulante, de ces temps d’autrefois tu fais revenir le souvenir.
Une voix lointaine m’accuse dans ta chanson, petite valse, et enserre mon émotion.

Tu verses ta nostalgie fébrile, ta petite musique sensuelle, tu sais que je ne peux pas continuer de t’entendre sans pleurer. Petite valse amie, ne vois-tu pas cette incertitude tenace, qui ne fait rien que remuer et aviver ma solitude ?
Des yeux verts de mer, plus grands que ton illusion, une fringale immense d’aimer…
Puis… Une voix qui pleure…
Valse amicale, ne vois-tu pas que ta petite musique sensuelle ne sait rien faire d’autre que tourmenter et tourmenter mon cœur…

Quand arrivera la fin de ma dernière prière, je veux l’imaginer ainsi, comme elle était…
Je joindrai ma voix aux siennes lèvres, pendant que ta chanson nous servira de roucoulement.
Valse sentimentale de nos heures ; jamais me virent si triste comme maintenant. Lentement, je chanterai tes notes amicales, petite valse… et ensuite, je mourrai !

Pour une autre traduction en français, vous pouvez consulter celle de Fabrice Hatem, sur son site.

Les versions

Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est le tango du jour. Troilo est sur son terrain, car il en est le compositeur.
La première minute fait monter la tension afin de préparer l’intervention de Fiorentino. Le mode mineur adopté donne un peu de nostalgie à la musique, mais le rythme soutenu entraîne les danseurs dans une valse énergique. Les instruments, violons et bandonéon, mais aussi la voix relance l’énergie à chaque mesure. Le premier temps est marqué de façon sensible mais sans brutalité, toute en subtilité. Troilo a trouvé une façon de marquer les trois temps de la valse avec un style particulièrement fluide, que préserve Fiorentino. Impossible de résister à l’élan sans cesse renouvelé. Même Fiorentin ne semble pas devoir reprendre son souffle, pour ne pas couper la dynamique malgré une diction parfaite et rapide.

Valsecito amigo 1943-08-17 Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.

Enregistrée cinq mois plus tard, la version de Canaro marque bien la différence de style. Troilo a une modernité naissante bien différente de la version plus traditionnelle de Canaro. Cependant, il ne faudrait pas jeter la magnifique prestation de Canaro et l’émotion que suscite Eduardo Adrián.
Canaro qui est également à la tête d’un orchestre de jazz utilise des instruments plus rares dans les típicas de tango, comme la trompette bouchée ou la clarinette.
Les instruments se répondent, des motifs répondent à l’instrument principal qui peut être la voix. Ces petits accents sont comme des fioritures que peuvent observer les danseurs pour sortir du rythme régulier et puissant bien que d’un tempo plus modéré. Canaro donne la parole successivement à chaque instrument ce qui évite la monotonie, chaque reprise a une couleur différente.
Canaro a sa sonorité propre, facilement reconnaissable et le résultat est aussi fantastique que la version de Troilo et Fiorentino. Sur l’île déserte, il faut absolument emporter les deux.

S’il existe bien sûr d’autres enregistrements, il n’y a rien de bien passionnant qui puisse faire passer au second plan les versions de Troilo et Canaro.
On dirait que les merveilles réalisées par ces deux monstres sacrés ont fait peur aux suiveurs.
Cependant, un enregistrement moderne me semble intéressant, peut-être, car il me rappelle le Cuarteto Cedrón qui fut un des orchestres qui berça mon enfance avec la voix si particulière de Juan.

Valsecito amigo 2010-10-22 La Típica Orquesta de Tango con Juan Tata Cedrón (voz y dirección).

À voir

Pour mieux connaître Pichuco, vous pouvez consulter ce film documentaire sur ceux qui font vivre l’héritage de Pichuco. Il a été réalisé en 2014 à l’occasion du centenaire de sa naissance.

Un recorrido musical por la obra de Aníbal ¨Pichuco¨ Troilo, uno de los personajes fundamentales de la historia del Tango y la música Argentina. Director: Martín Turnes. 2014. https://play.cine.ar/INCAA/produccion/1451

Il faut un compte pour voir le film, mais c’est gratuit et cela vous ouvrira la porte des merveilleuses ressources de l’INCAA.

Adiós, los Troilos

Marcos est décédé le 7 avril 1975 et un peu plus d’un mois plus tard, Anibal l’a rejoint.
Le poète Adrián Desiderato écrivit à cette triste occasion :
« Fue un 18 de mayo, ese día al bandoneón, se le cayó Pichuco de las manos ».
Ce fut un 18 mai, ce jour du bandonéon, qu’il tomba des mains de Pichuco.
Depuis l’âge de dix ans, l’instrument n’a pas quitté Anibal. On a donc décidé de faire du 18 mai le jour du bandonéon. Le seul hic, c’est qu’il y a un doute réel sur la date de décès d’Anibal, 18 ou 19 mai  ?
Je vous laisse méditer, comme le héros de cette valse, interprété par Fiorentino, Adrián et Cedrón.