Madame Ivonne (Madame Yvonne) 1942-03-18 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivonne, est l’histoire d’une vie résumée en trois minutes. Comme Mademoiselle Yvonne, des milliers de jeunes femmes ont vécu l’illusion de l’amour et ont rêvé de la Croix du Sud, Croix sur laquelle, nombre d’entre elles ont été clouées par la tristesse. Je vous invite à découvrir la version de Tanturi et Castillo, mais aussi d’autres versions pleines d’émotion. Préparez votre mouchoir.

Le phénomène de la traite des blanches est aujourd’hui bien documenté. Des Argentins peu scrupuleux séduisaient de belles Françaises et leur faisaient miroiter les charmes de l’Argentine, qui à l’époque n’était un paradis que pour les plus riches.
Sur les ailes de l’amour, ou plus prosaïquement sur des bateaux, comme le vapeur Don Pedro qui conduisit Charles Gardes et sa mère à Buenos Aires, les belles énamourées effectuaient la traversée et on connaît la suite de l’histoire, très peu vécurent le rêve, la majorité se retrouve dans les maisons comme Lo de Laura ou sont lavandières ou femmes de peine. Les paroles nous en apprendront plus sur la destinée de Mademoiselle Yvonne, devenue Madame Ivonne.

Extrait musical

Madame Ivonne 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
que en el barrio posta del viejo Montmartre
con su pinta brava de alegre griseta,
animo las fiestas de Les Quatre Arts.

Era la papusa del Barrio Latino,
que supo a los puntos del verso inspirar,
pero fue que un día llego un argentino
y a la francesita la hizo suspirar.

Madame Ivonne…
la Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne…
fue como el sino de tu suerte.

Alondra gris,
tu dolor me conmueve ;
tu pena es de nieve,
Madame Ivonne…

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivone, version de Julio Sosa

La version chantée par Julio Sosa est légèrement différente, mais surtout plus complète, il me semble donc intéressant d’avoir les compléments de l’histoire.
Julio Sosa commence par un récitatif qui place l’histoire, puis chante la totalité des couplets.
Ce qui est en gras est chanté, le début est seulement parlé sur la musique. C’est une version qui donne la chair de poule. Je ne la proposerais pas à la danse, mais quelle émotion !

Madame Ivonne 1962-11-08 — Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa

Ivonne
Yo te conocí allá en el viejo Montmartre
Cuando el cascabel de plata de tu risa
Era un refugio para nuestra bohemia
Y tu cansancio y tu anemia
No se dibujaban aún detrás de tus ojeras violetas

Yo te conocí cuando el amor te iluminaba por dentro
Y te adore de lejos sin que lo supieras
Y sin pensar que confesándote este amor podía haberte salvado
Te conocí cuando era yo un estudiante de bolsillos flacos
Y el Paris nocturno de entonces
Lanzaba al espacio en una cascada de luces
El efímero reinado de tu nombre
Mademoiselle Ivonne

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
Que en el barrio posta del viejo Montmartre
Con su pinta brava de alegre griseta
Alegró la fiestas de aquel Boulevard
Era la papusa del barrio latino
Que supo a los puntos del verso inspirar
Hasta que un buen día cayó un argentino
Y a la francesita la hizo suspirar

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Han pasado diez años que zarpó de Francia
Mademoiselle Ivonne hoy es solo Madame
La que al ver que todo quedó en la distancia
Con ojos muy tristes bebe su champán
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzó de París

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzó de París

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Maintenant que vous connaissez parfaitement le thème, je vous propose de voir Julio Sosa chanter le thème. Les gloses initiales sont réduites et différentes. Comme elles n’apportent rien de plus à ce que nous avons déjà entendu, je vous propose de démarrer la vidéo au début de la chanson, mais si vous êtes curieux, vous pouvez voir la vidéo depuis le début.

Julio Sosa chante Madame Ivonne à la télévision.

Traduction libre et explication de texte…

Comme d’habitude, je fais une traduction destinée principalement à déceler les clefs secrètes, sans soucis de livrer une œuvre poétique de la qualité de l’original.
Pour faciliter la lecture, j’indique en bleu les commentaires au milieu du texte.
Le début est récité sur la musique, mais pas chanté.

Yvonne (Yvonne en français, Ivonne en argentin. Le titre est connu sous les deux formes du prénom, mais il s’agit bien sûr du même). Je réserve Yvonne à la partie française, quand elle est jeune et Ivonne à la partie argentine.
Je t’ai rencontrée dans le vieux Montmartre, quand la cloche d’argent de ton rire était un refuge pour notre bohème. Ta fatigue et ton anémie n’étaient pas encore apparues derrière tes cernes violets. (Premiers signes que tout ne va pas pour le mieux pour Ivonne).
Je t’ai connue quand l’amour t’illuminait de l’intérieur, et je t’adorais de loin, sans que tu le saches et sans penser qu’en te confessant cet amour, j’aurais pu te sauver. C’est la même histoire que celle de Susu contée dans Bajo el cono azul.
Je t’ai rencontrée quand j’étais étudiant aux poches plates (fauché, sans le sou) et le Paris de la nuit de l’époque envoyait dans l’espace en une cascade de lumières le règne éphémère de ton prénom, Mademoiselle Ivonne

Commence ici la partie chantée.

Mademoiselle Yvonne était une poupée (pépète, jeune femme) qui, dans le quartier dit du vieux Montmartre (quartier populaire de Paris, accueillant de nombreux artistes), de son air courageux de grisette (couturière, lavandière, femme modeste, habillée de gris. Elle se différencie de la Lorette qui elle fait plutôt profession de ses charmes) joyeuse égayait les festivités de ce boulevard (le boulevard Montmartre).
Elle était la Papusa du Quartier latin (Papusa, une jolie fille. Quartier étudiant de Paris, elle devait faire tourner les cœurs des jeunes gens) qui savait susciter des poèmes, jusqu’à ce qu’un beau jour un Argentin tombât et fit soupirer la petite Française.
Madame Ivonne
La Croix du Sud fut comme un signe.
Madame Ivonne. C’était comme le signe de ta chance.
Alouette grise (La alondra est un oiseau matinal. On donnait ce surnom à ceux qui se levaient tôt et se couchaient tôt, Yvonne était donc une travailleuse honnête).
Ta douleur m’émeut, ton chagrin est de neige (il peut s’agir d’une vision poétique, mais plus sûrement de la cocaïne qui se désigne par « nieve » en lunfardo. Ces deux indications la référence à l’alouette du passé et à la cocaïne d’aujourd’hui, content en deux phrases toute l’histoire).
Madame Ivonne
Cela fait dix ans que Mademoiselle a quitté la France. Aujourd’hui c’est seulement Madame. Comme beaucoup de Françaises dans son cas, elle a dû devenir gérante d’un bordel et acquérir le « titre » de Madame. celle à qui tout paraît lointain (elle se désintéresse de ce qui se passe autour d’elle), avec ses yeux très tristes, elle boit son champagne (cela confirme qu’elle doit être la chef de la maison close. Il ne s’agit pas de véritable Champagne, encore aujourd’hui, les Argentins nomment ainsi les vins mousseux, ce qui énerve les viticulteurs français. Ils font de même avec le Roquefort…).
Elle n’est plus la Papusa du Quartier latin, elle n’est plus la fleur de lys fauchée (Mistonga en lunfardo est pauvre. Je trouve que faucher la fleur de lys, c’est une belle image. Le lys est un symbole royal, mais aussi de pureté, de virginité, ce qui confirme discrètement que l’activité actuelle de Madame Ivonne n’est pas des plus pures). Il ne reste plus rien d’elle, pas même cet Argentin qui, entre tango et maté, l’a enlevée de Paris. Déjà les ravages du tango qui était une folie à Paris dans les années 20. Le maté est bien sûr el mate, la boisson indispensable aux Argentins.
Madame Ivonne
La Croix du Sud était comme un signe. La Croix du Sud est la constellation qui marque dans le ciel nocturne de l’hémisphère austral, le Sud.

Au rythme d’un tango

Le même jour, Tanturi et Castillo ont enregistrée Al compás de un tango.
Les deux tangos pourraient être associés. En effet, le thème est un copain qui essaye de réconforter son ami qui est désespéré à cause d’une femme. Son conseil, aller danser…

Al compás de un tango 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Alberto Suárez Villanueva Letra Oscar Rubens)
Mademoiselle Yvonne et Madame Yvonne. « Dix années » séparent ces images. Je n’ai pas forcé sur les cernes d’Ivonne fatiguée par la drogue, le champagne et le chagrin

Quelle image choisir ?

L’illustrateur d’un texte est toujours confronté à des choix. Doit-il faire une belle image ou rester fidèle au texte. C’est effectivement un dilemme.
Pour l’image de couverture, j’ai réalisé une image « entre deux ». Elle n’est plus la jeune femme insouciante de Paris, mais pas encore la tenancière droguée du bordel portègne. Cela me semblait plus convenable pour présenter l’article.
Pour la dernière image, je souhaitais faire apparaître la décennie et ses ravages. J’ai donc testé différentes options pour choisir celle ci-dessus qui ne fait pas apparaître que la différence d’âge que j’ai amplifiée, disons à 20 ans au lieu des 10 du tango.
Mais dans cette image, il est difficile de voir les ravages causés par le chagrin et la vie nocturne et sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Il me fallait donc aller plus loin.
Si vous avez l’âme sensible, arrêtez de lire le texte ici et ne regardez pas les images qui suivent.

Yvonne est la même. Par contre, j’ai beaucoup vieilli Ivonne et je lui ai donné sans doute un peu trop d’âge. Pardon, Ivonne.
Là, j’ai un peu plus fait tomber les traits d’Ivonne, tout en lui enlevant un peu d’âge pour être plus proche des paroles. Je lui ai rajouté les cernes violets et pendant que j’y étais, je lui ai rougi les yeux et agrandi les pupilles. Je crois que c’est une caractéristique provoquée par la drogue. La seule que je prends, c’est la musique de tango, celle qui a des effets euphorisants, même à forte dose.

Vous aurez peut-être remarqué le fond qui est le même pour toutes les images. Je l’ai conçu pour un article traitant du rôle de la France dans le tango.
Pour vous remercier d’avoir lu jusqu’au bout, voici le fond, tout seul…

Je vous jure que ma seule drogue, c’est la musique. C’est ainsi que je vois les mélanges culturels entre la France et l’Argentine, les deux pays rois du cambalache

Silueta porteña 1967-03-17 — Los Siete Del Tango (de Luis Stazo et Orlando Trípodi) con Gloria Velez y Lalo Martel

Nicolas Luis Cuccaro; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli
Direction et arrangements Luis Stazo et Orlando Trípodi

Silueta porteña est une superbe milonga qui fait le bonheur des danseurs. Aujourd’hui, je vais vous la proposer dans une version différente, moins dansante, mais le tango ne s’arrête pas à la porte de la milonga et le duo est superbe. Un sondage en fin d’article vous permettra de donner votre avis sur la dansabilité.

Luis Stazo (1930-2016) est un très grand monsieur du tango, tout d’abord comme bandonéoniste., mais aussi comme chef d’orchestre, arrangeur et compositeur.
Il est aussi connu pour être le fondateur du Sexteto Mayor avec José Libertella, également bandonéoniste. Cet orchestre a tourné dans le monde entier et continue de le faire avec les successeurs des créateurs.

Évolution de la composition du Sexteto Mayor. Source https://es.wikipedia.org/wiki/Sexteto_Mayor

Los siete del tango est un autre orchestre créé également par Luis Stazo, mais avec Orlando Trípodi. Ils sont les arrangeurs et les chefs de cet orchestre qui a eu une carrière plutôt réduite, entre 1965 et 1969. Cependant, on conserve des enregistrements, à la fois de compositions « classiques », comme Silueta porteña, notre tango du jour et des compositions de Stazo et Trípodi, comme Entre dos, qu’ils ont enregistré le même jour, le 17 mars 1967.
La composition de l’orchestre est la suivante :

  • Luis Stazo au bandonéon (plus arrangements et direction)
  • Orlando Trípodi au piano (plus arrangements et direction)
  • Suarez Paz au violon
  • Hector Ortega à la guitare électrique
  • Mario Monteleone à la basse
  • Les chanteurs sont Gloria Velez et Lalo Martel pour cet enregistrement, mais Roberto Echague et Olga de Grossi ont enregistré d’autres titres.
Silueta porteña n’a pas été intégrée aux quatre disques 33 tours réalisés par l’orchestre (cinq si on compte une double édition avec les mêmes titres) ni éditée en 45 tours (ce qui fut réservé à seulement deux titres, dont celui qui a été enregistrée le même jour que Silueta porteña, Entre dos. Elle a été publié sur la compilation “Al ritmo de la milongas inovidables” par Pampa – EMI – Odeon en 1968. C’est le second titre de la face B. On y trouve la date d’enregistrement, 17-3-67).

Extrait musical

Silueta porteña 1967-03-17 – Los Siete Del Tango con Gloria Velez y Lalo Martel

Les paroles

J’indique également les paroles de cette version qui sont un peu différentes, car Gloria Velez chante sa partie en jouant le rôle de la Silueta porteña, contrairement à la version habituelle ou tout le texte est dit du point de vue de l’homme.

Cuando tú pasas caminando por las tardes, (Cuando yo paso caminando por las calles)
repiqueteando tu taquito en la vereda, (repiqueteando mi taquito en la vereda)  
marcas compases de cadencias melodiosas
de una milonga juguetona y callejera.
Y en tus vaivenes pareciera la bailaras, (Y en los vaivenes pareciera lo bailara)
así te miren y te dicen lo que quieran, (así me miran y me dicen lo que quiera)
porque tú llevas en tu cuerpo la arrogancia  
y el majestuoso ondular de las porteñas.

Tardecita criolla, de límpido cielo
bordado de nubes, llevas en tu pelo.
Vinchita argentina que es todo tu orgullo...
¡Y cuánto sol tienen esos ojos tuyos!

Y los piropos que te dicen los muchachos,
como florcitas que a tu paso te ofrecieran
que las recoges y que enredas en tu pelo,
junto a la vincha con que adornas tu cabeza.
Dice tu cuerpo tu arrogancia y tu cadencia
y tus taquitos provocando en la vereda:
Soy el espíritu criollo hecho silueta
y te coronan la más guapa y más porteña.

Nicolas Luis Cuccaro ; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli

En rouge ce qui est chantée par Gloria Velez (Quand c’est un homme qui chante, c’est la partie gauche des lignes qui est chantée).
En bleu, ce qui est chanté par Lalo Martel.
En gras, ce qui est chanté par les deux en duo.
En gras et vert, la reprise finale du refrain par les deux chanteurs, Gloria et Lalo.
Le dernier couplet n’est pas chanté dans cette version
.

Une autre silhouette portègne jusqu’au bout des ongles

Traduction libre

Quand tu passes dans l’après-midi, en faisant claquer tes talons sur le trottoir, tu marques la cadence mélodieuse d’une milonga joyeuse et de la rue (il n’y a pas d’équivalent en français).
Et dans tes allers et retours, tu sembles danser, ainsi ils te regardent, te parlent ceux qui aiment, car tu portes dans ton corps, l’arrogance et la majestueuse ondulation des Portègnes.
L’après-midi criollo, au ciel limpide et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. Le ruban (bannière) argentin(e) qui est toute ta fierté… Et que de soleil contiennent tes yeux ! (Elle porte les couleurs de l’Argentine sur la tête. Le céleste et le blanc, ainsi que le soleil dans ses yeux).
Et les flatteries (piropos) que te lancent les gars, comme des petites fleurs qu’ils offrent à ton passage pour que tu les ramasses et les laces dans tes cheveux, au côté du bandeau dont tu ornes ta tête. Ton corps dit ton arrogance et ta cadence et tes talons professent sur le trottoir : je suis l’esprit criollo fait silhouette et ils te couronnent comme la plus belle et la plus portègne.

Sondage

L’après-midi criollo, au ciel limpide et brodé de nuages, tu le portes dans tes cheveux. La bannière argentine est toute ta fierté… Et que de soleil contiennent tes yeux !

Violín 1944-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina

Ricardo Malerba; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti

Ricardo Malerba était bandonéoniste et ses frères étaient violoniste (Carlos) et pianiste (Alfredo). Carlos est mort au Portugal lors d’une tournée en 1931 et il se peut que Violín, soit un hommage de Ricardo à son frère trop tôt disparu. Quoi qu’il en soit, ce titre mérite d’être le tango du jour. Il a été enregistré il y a exactement 80 ans.

On connaît Malerba, comme chef d’orchestre et compositeur. Il était un bandonéoniste, semble-t-il, assez moyen si on en croit un témoignage rapporté par Tango al Bardo qui indique qu’il laissait le gros du travail à Miguel Caló lors de la tournée en Espagne des années 30.

Les violonistes de Malerba à cette époque sont Alfredo Lattero, Ernesto Gianni, Francisco Sanmartino et José López. Il m’est impossible de dire lequel effectue les magnifiques solos de violon que l’on peut entendre dans cette œuvre.
Son frère, Alfredo avait entretemps épousé Libertad Lamarque. Cette dernière lui a permis de travailler à Radio Belgrano, à condition qu’il propose des tangos rythmés à la D’Arienzo…
Pour cela il avait un autre atout, son pianiste, Dante Smurra qui était particulièrement réputé au point qu’en 1938, il avait été sollicité pour remplacer Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo.
Dante a refusé l’offre, pour rester fidèle à Malerba. Avec ce dernier, il a composé Cuando florezcan las rosas, Embrujamiento (leur plus grand succès, repris également par D’Arienzo), La piba de los jazmines, un des hits de Malerba et bien sûr Violín, notre tango du jour.

Extrait musical

Violín 1944-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina

Les paroles

Hoy mi violín está soñando
con un amor en el atril,
sus cuerdas vibran tiritando
porque vive recordando
que hoy está lejos de mí.

Es mi violín el alma mía
y su canción es mi sentir,
mi corazón que la quería,
que la quiere y no la olvida,
va llorando en mi violín.

Violín, violín…
La quiero mucho más,
la quiero más que ayer
mi amor no tiene fin.
Violín, violín…
quisiera que mi voz,
en alas de tu voz,
llegara hasta mi amor.
Violín, violín…
me quiso igual que yo
y ha de volver a mí,
la esperaré
y tú también,
violín.

Ricardo Malerba ; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti

Les paroles ne laissent pas de doute sur le fait qu’elles ne s’adressent pas à Carlos, le frère violoniste mort en 1931, mais il se peut que Malerba ait écrit la musique en pensant à son frère. Les hommages de musicien à musicien sont très fréquents dans le tango, bien que généralement plus explicites.

Traduction libre

Aujourd’hui mon violon rêve avec un amour sur le pupitre, ses cordes vibrent en frissonnant parce qu’il vit en se souvenant qu’aujourd’hui elle est loin de moi.
Mon violon est mon âme et son chant est mon sentiment, mon cœur qui l’a aimée, qui l’aime et ne l’oublie pas, il pleure dans mon violon.
Violon, violon… Je l’aime tellement plus, je l’aime plus qu’hier mon amour n’a pas de fin.
Violon, violon… Je voudrais que ma voix, sur les ailes de ta voix, atteigne mon amour.
Violon, violon… Elle m’aimait comme moi, et elle reviendra vers moi, je l’attendrai, et toi aussi, violon.

En lunfardo, un violon (un violín) est une femme. Je suis donc parti de cette idée. Les papillons, ce sont ceux du creux du ventre quand on est amoureux.

Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta

Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)

J’ai toujours adoré Loco turbión et me suis demandé pourquoi seulement Caló l’avait enregistré. C’est sans doute que cette version est parfaite. Je vous invite donc à savourer ce tango du jour, enregistré il y a 78 ans.

Loco turbión, dès le titre, on est en appétit. Loco, fou et turbión, averse violente, mais aussi choses emportées dans un « tourbillon ».
Si on ne prête pas attention aux paroles, on peut imaginer le passage de l’averse. Au début, une marche, puis la montée de la tension, des mouvements contradictoires, comme le vent qui agite les arbres à l’approche de la tourmente. L’averse pourrait être le puissant duo d’Iriarte et Arrieta, puis le soleil réapparaît à la toute fin, jusqu’à la chute des deux dernières gouttes d’eau.

Extrait musical

Loco turbión 1946-03-15 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Iriarte y Roberto Arrieta

L’exposition semble faire référence à un temps passé, comme quelqu’un qui se souvient. Le passage en mineur aux alentours de 0:30 et qui trouve son apogée dans le solo de violon à partir de 0:40.
Roberto Arrieta commence à chanter à 1:00. À 1:30 Raúl Iriarte remplace Arrieta, puis à 1:37 ils chantent en duo, avec une émotion intense, qui se détend, puis Arrieta prend le relais, seul et ainsi de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tango.
La musique semble effectuer des aller et retour, comme pour marquer les hésitations. Les instruments, puis les chanteurs semblent apporter leur pierre à la construction musicale, jusqu’à ce qu’ils se combinent dans le final en étant sur la « même longueur d’onde ». Les paroles confirment cette impression.

Les paroles

Les paroles renforcent l’idée de tourbillon, de dialogue, d’hésitation. Les chanteurs se répondent avant de s’accorder (à la quinte) et de développer un des magnifiques duos dont nous ravit le tango.

Tengo miedo de encontrarla
Y de nuevo recordarla…
Y achicar el corazón.
Tengo miedo que en sus ojos,
Al mirar estos despojos
Yo adivine compasión.
En mis días fue un dolor,
En mis sueños, fue un rencor,
Y en mi vida no hizo más que mal…
Me tortura este recuerdo
Que me acosa y me persigue
En mis noches sin final.

En la fragua de espantos del sufrir,
Ella puso entre brasas mi ilusión.

Me ha enseñado a morir,
Porque ya no es vivir,
Escuchando en las sombras su reír.
Y esa voz que me nombra sin cesar,
Que me muerde en las noches con su mal,
¡Es un loco turbión!…
Una garra brutal,
Que me estruja el corazón.

Yo me hundo en la locura
De un turbión, al recordarla
Y quererla con pasión.
Y el pensar en olvidarla,
Es camino que conduce
¡A la desesperación!
Es tormento sin final
El fracaso de olvidar,
¡Y es plegaria que no escucha Dios!
Es tortura interminable
El recuerdo de sus ojos
Y el arrullo de su voz.

Vicente Spina Letra : Roberto Miró (Roberto Daniel Miró)

Les parties chantées par Roberto Arrieta seul, sont en rouge.
Celles qui sont chantées par Raúl Iriarte seul sont en bleu.
Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras.
Au final, ils reprennent en duo le refrain à partir de Y esa voz que me nombra sin cesar, qui était chanté par Iriarte seul la première fois.
Le dernier couplet n’est pas chanté. C’est la partie où il souhaite l’oublier.

La météo du tango

Plusieurs tangos parlent d’averses soudaines et violentes, que ce soit de façon objective, comme el aguacero ou de façon figurée, comme Tormenta.
El aguacero de Cátulo Castillo Letra : José González Castillo (Juan de León).
Chaparrón 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe, nous en reparlerons le 26 août à l’occasion de l’anniversaire de cet enregistrement.
Lluvia au moins une quarantaine de tangos parlent de pluie (lluvia), toujours au sens propre ou figuré.
Pour rester dans les aléas climatiques, le vent a aussi sa voix, par exemple dans les tangos suivants.
Cuando bronca el temporal de Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Marsili, que nous avons évoqué à propos de la version de Di Sarli de 1929. XXXX
Tormenta d’Enrique Santos Discépolo, mais il y a d’autres tangos incluant tormenta (Antonio Bonavena, P. Montanelli, José De Cicco, José Luis Padula) qui parlent de tormenta, au réel comme au figuré.
Huracán, une incroyable composition de Donato d’une puissance titanesque.
Ventaval, plusieurs tangos de ce nom, comme Ventaval de Rodolfo Sciammarella par Mercedes Simone dans le film de 1939, qui se passe à Paris (le titre a pour fond d’écran, le Panthéon), mais qui est argentin, ou cruento vendaval de Miguel Martino et Jacinto Alí (MyL).

Les illustrations

Pour les illustrations, je suis parti de deux pistes. L’idée de tourbillon pour la première, tourbillon que m’évoque le mot turbión, et la musique qui semble circuler d’un côté à l’autre, rebondissant d’un instrument à l’autre, d’un chanteur à l’autre et l’idée de la femme perdue, inaccessible, qui s’en va.
En résumé, n’arrivant pas à choisir, je vous propose les quatre images. N’hésitez pas à indiquer en commentaire celle qui vous plaît le plus, peut-être que je changerai la photo de couverture en fonction de vos avis.

L’image de couverture

Je souhaitais garder l’ambiguïté entre l’averse, le tourbillon et la belle. J’ai hésité entre deux styles, un abstrait à la Arcimboldo, ou les fleurs et nuages colorés remplacent les légumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finalement opté pour la femme fleur tourbillonnante, mais comme j’aime bien les autres aussi, je vous présente le lot.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Tengo miedo de encontrarla y de nuevo recordarla….
J’ai peur de la rencontrer et d’à nouveau me souvenir d’elle.

L’image de fin

En général, je souhaite proposer une image d’un style différent pour l’image de fin. C’est donc la version orageuse qui clôture l’article, mais j’aime bien aussi celle de la belle qui s’évapore dans les nuées tourbillonnantes.

Es tortura interminable el recuerdo de sus ojos y el arrullo de su voz. C’est une torture interminable, le souvenir de ses yeux et le roucoulement de sa voix.

Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des éclairs, semblant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volé avant de rejoindre l’Olympe. Elle est devenue inaccessible, divine et cruelle.

Pitch & speed – Vitesse et tonalité

Certains puristes affirment que l’on doit passer les disques à la vitesse exacte à laquelle ils ont été enregistrés, qu’ils ont été enregistrés ainsi et que donc ce serait un sacrilège de changer cela.
Je saisis cette affirmation pour apporter quelques éléments de réflexion.

Toutes les éditions ne sont pas à la même vitesse.

On peut trouver une édition ou la musique est plus rapide et aiguë qu’une autre, ou au contraire plus grave et lente. À moins d’avoir l’oreille absolue, peu de danseurs se rendent compte de la différence.
Pour s’en convaincre, allez sur un site comme l’excellent https://tango-dj.at/database et comparez la durée des morceaux. Par exemple, Milonga de mis amores a des durées comprises entre 1:38 et 3:53.

Sur l’excellent site www.tango-dj.at, vous trouvez toutes les informations utiles pour gérer une grande partie de votre collection de musique. Pour ma part, c’est ma référence. Si j’ai une information différente, j’écris et Bernhardt adapte la notice pour ajouter l’information. C’est très agréable d’avoir un site qui accepte les remarques et en tient compte. Cela change des sites qui te répondent que je me trompe et qui change ensuite l’information sans rien dire. C’est désormais le seul site avec lequel je collabore régulièrement. Sur cette photo, il manque des colonnes et de lignes que j’ai supprimé pour me concentrer sur ce qui m’intéressait.

Pour un orchestre donné, par exemple, la version de Canaro enregistrée le 26 mai 1937 (matrice 9026) et bien que la source de ces différents enregistrements soit des exemplaires du même disque (Odeon 5028 face A), on trouve des variations de 2:58 chez TangoTunes (9026 – 5028 A TangoTunes) à 3:05 chez Danza y Movimiento (DZ020234).
À l’écoute, la version de TangoTunes est clairement plus aiguë et rapide. Cela correspond à une différence de 4 %.

À l’écoute, la version de TangoTunes est clairement plus aiguë et rapide. Cela correspond à une différence de 4 %.

Dans les années 40, les orchestres jouaient en vivo.

Ils pouvaient donc jouer avec les danseurs, accélérer ou ralentir. Aujourd’hui, le disque a figé la vitesse. Les danseurs vont toujours écouter le même morceau à la même vitesse, avec les mêmes « surprises ». Le DJ peut recréer des « effets », comme le font les orchestres live, en faisant une reprise, en augmentant les breaks, en modifiant la vitesse, en proposant des versions moins courantes du même orchestre ou en proposant un orchestre dans un registre inhabituel (par exemple Troilo qui imite Calo).

On connait tous les prestations tardives de D’Arienzo. Plusieurs orchestres contemporains, imitent ses mouvements pour mettre de l’ambiance. Certains DJ battent la mesure, mais même sans ces extrêmes, le DJ a la possibilité d’influer très fortement sur l’ambiance.

Deux orchestres peuvent jouer le même thème avec des vitesses très différentes.

Des extrêmes comme Milonga de mis amores par exemple qui peut être un canyengue ou une milonga selon les interprétations.

Milonga de mis amores 1937-05-26 — Franciso Canaro — 86 BPM — C’est plutôt du canyengue, non ?
Milonga de mis amores — Hyperion Ensemble — 120 BPM — Ça dépote, non ?

Je considère que le travail du DJ est de mettre de l’ambiance, pas de dire la messe.

Je m’arroge donc le droit de varier le rythme des morceaux, parfois la tonalité en fonction de l’effet que je veux obtenir. Je fais cela depuis plus de vingt ans, dès que j’ai eu un magnétophone à cassettes avec un variateur de vitesse. L’avantage de l’ordinateur est que je peux le faire en cours de morceau, sans changement de tonalité, ce qui rend l’opération discrète pour les danseurs.
J’ai réglé mes logiciels pour limiter la variation à 10 % et je n’utilise de telles valeurs que pour accélérer le final d’une valse ou d’une milonga, par exemple afin de faire rire les danseurs, lorsqu’en fin de tanda ils ont réussi à tenir le rythme d’une tanda « infernale ».
Dans la pratique courante, je peux modifier la vitesse d’un morceau pour pouvoir le placer à un moment différent dans une tanda.
Cela ne m’empêche pas de toujours chercher de meilleures copies, même si maintenant la majorité de ma musique a été numérisée à partir de disques Schellac.
Je pense qu’il faut distinguer l’aspect collectionneur, musicologue, de celui de DJ. On peut être les deux, je dirai même qu’on devrait être les deux, mais pas au même moment.

Le DJ est un élément essentiel pour l’animation du bal. Faites-lui confiance, s’il le mérite 😉

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Le tango du jour, Deja el mundo como está, (Laisse le monde comme il est) a été enregistré par Biagi avec la voix d’Andrés Falgás il y a exactement 84 ans. Il faut s’intéresser aux paroles, relativement originales, pour comprendre pourquoi ne pas changer le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut épargnée par la seconde guerre mondiale, tout n’y était pas rose en 1940.

La Década Infame (la década infame)

La década infame se situe entre deux coups d’État qui ont secoué l’Argentine (1930-1943). Entre les deux différentes élections truquées et les manipulations politiques douteuses.
Les causes de la década infame sont en grande partie issues du crash du 1929, la chute du commerce international ayant durement touché les possibilités d’exportations de l’Argentine, engendrant un chômage massif. Le rôle de l’Angleterre, sa mainmise sur l’économie argentine, n’est pas sans rappeler l’actualité de l’Argentine d’aujourd’hui, il suffit de remplacer Royaume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idée du problème. L’Argentine revit de façon cyclique le même phénomène en alternance à chaque décade.
En résumé, la situation sociale était plutôt morose et la répression des mouvements populaires féroce durant toute la période. Il fallait bien se changer les idées avec le tango pour voir la vie en rose.

La Década de Oro (L’Âge d’or)

À l’opposé de la situation politique, la situation artistique était bouillonnante.
L’Argentine était tournée vers l’Europe et en littérature, le groupe de Florida avait pour modèle les écrivains européens. Ils étaient plutôt issus des hautes classes de la société, celles où on parlait couramment le français et où on était attentif à toutes les modes européennes. Ces écrivains soignaient la forme de leurs écrits, sans doute plus que le contenu. On trouve parmi eux, Jorge Luis Borges.
Le bipartisme argentin fait que le principal groupe concurrent, celui de Boedo avait pour sa part des préoccupations plus sociales et avait tendance à passer la forme au second plan. Une de ses figures de proue était Roberto Emilio Arlt.

On retrouve la même dichotomie en peinture, avec d’un côté le groupe de Paris, lié au surréalisme, alors en vogue en France et de l’autre, des peintres plus préoccupés des questions sociales dont le plus connu est sans doute Quinquela Martin, celui qui a donné à la Boca l’image qui plaît tant aux touristes en mettant de la couleur sur les tristes tôles des maisons de l’époque. Je l’avais évoqué au sujet du tango « El Flete ».

 Je pense que vous m’avez vu venir, cette période est également une década de oro pour la musique et notamment le tango. Le tango de cette époque fait le lien entre l’Europe et notamment la France, beaucoup de musiciens argentins s’étant installés ou ayant fait le voyage en Europe et notamment à Paris avant de rentrer d’urgence en 1939 à cause de la Seconde Guerre mondiale. Ceci fait qu’à Buenos Aires s’est retrouvé tout ce qui comptait en matière de musique de tango. Là encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intellectuelle et destinée au concert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournés vers le bal.
Cette période est donc à la fois tragique pour la population et extrêmement riche pour la création artistique.
Je vais m’intéresser, enfin, au tango du jour et voir pourquoi il ne faut pas changer le Monde.

Extrait musical

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Les changements chromatiques, du grave vers l’aigu à chaque début du couplet, font monter l’intensité dramatique. Inconsciemment on associe ces montées chromatiques à une accélération du rythme, comme si le disque tournait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tempo reste content sur toute la durée du morceau.

Les paroles

Hoy sos un hombre descontento y amargado
después que has derrochado tu bienestar.
Te has convertido en enemigo de la vida
porque ella te convida a trabajar.
Por eso mismo es que todo te molesta
y se oye tu protesta por los demás.
Con el tono llorón de un agorero
decís que el mundo entero lo deben transformar.

Deja el mundo como está,
que está hecho a la medida… (aunque parezca mentira)
Deja el mundo como está
vos debes cambiar de vida… (No has muerto viejo)
Le quieres poner rueditas…
¿Dónde lo quieres llevar?
Sólo vos lo ves cuadrado
y redondo los demás.
Deja el mundo como está,
con sus malas y sus buenas,
con sus dichas y sus penas…
¡Deja el mundo como está!


Qué cosa buena has de encontrar a la deriva
o es que esperas de arriba tu porvenir.
Sólo se logran con trabajo y sacrificios
los grandes beneficios para vivir.
Al fin, tu queja es el clamor de un fracasado,
ya me tienes cansado de oírte gritar…
Que anda el mundo al revés y está deshecho
y vos… ¿Con qué derecho lo pretendes cambiar?

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Dans la version de Biagi, Falgás chante ce qui est en gras et le chœur insiste en chantant la partie en rouge.
Dans la version de Canaro, ce qui est chanté par Famá est la partie en gras et Canaro fait un dialogue en chantant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, contrairement à Biagi.
Pour sa part, dans la version de Donato, Lagos chante les mêmes couplets que Falgás, mais sans la reprise de la fin du refrain.

Traduction libre :

Aujourd’hui, tu es un homme mécontent et amer après avoir dilapidé ton bien-être. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite à travailler. C’est pourquoi tout te dérange et que ta protestation est entendue par-dessus tout. Avec le ton pleurnichard du pessimiste, tu dis que le monde entier doit être transformé.

Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure… (crois-le ou pas)
Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois changer de vie… (Tu n’es pas mort, mon vieux)
Tu veux y mettre des roulettes… Où veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois carré et tous les autres le voient rond.
Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mauvais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines… Laisse le monde tel qu’il est !

Le passage suivant n’est pas chanté dans aucune des trois versions, mais il est intéressant à saisir :
Ce qu’il y a de bon à se laisser aller à la dérive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un travail acharné et de sacrifices que l’on peut obtenir les grands avantages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un échec, là, tu me fatigues de t’entendre crier… Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est défait, et toi… de quel droit prétends-tu le changer ?

Autres versions

Ce tango a rencontré l’air du temps et en quelques mois, il a été enregistré trois fois.
Par son auteur, Biagi, puis par Canaro et enfin Donato.
Il me semble intéressant de comparer les trois versions.
Les trois ont des caractères communs, mais les versions de Canaro et de Donato sont plus traditionnelles. Elles ont le même dynamisme et l’impression de marche haletante que dans la version de Biagi, mais ce dernier propose des enrichissements convaincants et un étagement des plans musicaux plus riches, plus variés que ceux de ses collègues qui sont totalement dans la marche et moins dans la subtilité.

Deja el mundo como está 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con Andrés Falgás y coro

Le rythme est d’environ 139 BPM et est régulier tout au long de l’interprétation, même si on a une impression d’accélération suggérée par les montées chromatiques.          

Deja el mundo como está 1940-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y contracanto por Francisco Canaro

On note dans cette version, des variations de rythme (145 à 135). Les parties chantées sont plus lentes. Canaro a également choisi de faire un dialogue où il répond à Famá, jouant donc le rôle de celui qui l’encourage à travailler. La clarinette, le piano et les violons semblent aussi se lancer dans la discussion pour finalement « parler » en même temps, comme le fait le chœur dans la version de Biagi.

Deja el mundo como está 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

C’est le tempo le plus lent des trois versions, avec environ 135 BPM sur la partie instrumentale et 133 sur la partie chantée. Les montées chromatiques sont présentes, mais moins marquées que chez Biagi.

La fin du Monde

Pardonnez ce titre racoleur. Je veux juste vous parler de comment se terminent ces titres et comment els agencer dans une tanda.
La terminaison des trois versions. On a vu que dans la version de Biagi, il y a une accélération simulée avec en apothéose la reprise finale du couplet par le chœur. L’intensité est donc maximale à la fin.
Dans la version de Canaro, le mélange des voix des instruments à la fin suggère également un apogée, un paroxysme.
Pour Donato, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mélodique du violon qui devient plus expressive et présente, mais d’impression d’explosion finale, contrairement aux deux autres versions.
Cette caractéristique, avec le fait qu’elle est d’un tempo plus lent, me pousserait à ne pas terminer une tanda avec ce titre, mais plutôt de le mettre en début de tanda. Les versions de Canaro et Biagi, avec leur apothéose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tanda.
Bien sûr, ce qui compte est également ce qu’on met avant dans le cas de Biagi et Canaro et après dans celui de Donato.
Par exemple, in on termine une tanda de Donato par ce titre, cela veut dire que les précédents sont sans doute moins dynamiques. La tanda sera donc plutôt calme, voire peut-être un peu plate, mais cela peut convenir, par exemple après des milongas, pour que les danseurs reprennent leur respiration. Comme toujours en la matière, il n’y a pas de règle qui résiste à l’observation de la milonga. C’est l’ambiance du moment qui décide.

Ce titre me fait penser à la chanson de Ralph Zachary Richard reprise notamment par Julien Clerc et Alpha Blondy

Ventarrón 1933-03-13 Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez (y Elvino Vardaro)

Pedro Maffia Letra : José Horacio Staffolan

Le tango du jour a été enregistré il y a exactement 91 ans par Adolfo Carabelli à la tête de l’Orquesta Típica Victor. Le chanteur d’estribillo est Alberto Gómez, mais un autre soliste fait de ce titre une merveille, le violoniste Elvino Vardaro.

Nous avons largement parlé de la Victor et de ses orchestres. Carabelli est son premier chef d’orchestre. Alberto Gómez a enregistré deux fois ce titre en mars 1933. Le 6, comme chanteur de la version « chanson » et le 13, pour une version de danse. Il est intéressant de comparer les deux versions pour encore plus se familiariser entre les deux types de tangos que certains danseurs, voire DJ n’assimilent pas toujours.

Elvino Vardaro (Buenos Aires le 18 juin 1905 – Argüello 5 août 1971)

Elvino Vardaro. Enfant, dans les années 40 et dans les années 60. Sur la dernière image, on remarque que son pouce droit a perdu une phalange, à la suite d’un accident quand il avait cinq ans.

Le 10 de julio 1919, il donne son premier concert. Au programme de la musique classique. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il commence alors à jouer au cinéma pour accompagner les films muets. Rodolfo Biagi puis Luis Visca l’y remarquent et finalement, Juan Maglio (Pacho) en 1922 vient le chercher au cinéma pour l’intégrer dans on orchestre. Il a alors 17 ans.
Son professeur de violon, Doro Gorgatti lui aurait dit : « Quel dommage que vous jouiez des tangos, vous pourriez jouer très bien du violon ! ».
Une chance pour nous qu’il ait poursuivi dans sa voie.
Il travaille en effet avec différents orchestres et intègrera les prestigieux orchestres de la Victor où il fera merveille, comme vous pourrez l’entendre dans le tango du jour.
Il montera à diverses reprises des orchestres de tailles différentes quintette, sextette, septuor et même típica, mais sans réel succès et peu d’enregistrements. En revanche, il a participé quasiment à tous les orchestres, Canaro, Di Sali, do Reyes, Firpo, Fresedo, Maffia, Piazzolla, Pugliese et a terminé sa carrière dans l’orchestre symphonique de l’orchestre de Cordoba.
Sa virtuosité a inspiré à Argentino Galván une composition musicale « Violinomanía », qu’il a heureusement enregistrée avec le Brighton Jazz Orquesta, un orchestre qu’il dirigeait dans les années 1940. Ce n’est pas du tango, mais je le placerai en fin de cet article pour que vous puissiez juger de sa virtuosité.
Je ne vous donne pas d’autre indication pour l’écoute du tango du jour. Si vous ne détectez pas immédiatement le violon de Vardaro, arrêtez le tango, mettez-vous au reggaeton.

Extraits musicaux

En premier, je vous propose la version de danse. Elle a été enregistrée une semaine après la version en chanson.

Ventarrón 1933-03-13 — Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez

Dans cette version, le deuxième soliste, c’est le violoniste Elvino Vardaro. Je vous laisse l’écouter et avoir la chair de poule en l’entendant. Fabuleux.

Ventarrón 1933-03-06 Alberto Gómez accompagné par un orchestre

Il n’est pas certain que l’orchestre soit la Típica Victor. C’est une version chantée et donc, l’important, c’est le chanteur, l’orchestre est au second plan.
Cette version n’est pas pour le bal et est à mon avis musicalement moins intéressante. Je reste donc avec ma version chérie, celle du 13 mars que je propose de temps à autre en milonga, notamment en Europe où la Típica Victor a plutôt la cote.

Les paroles

Por tu fama, por tu estampa,
sos el malevo mentado del hampa;
sos el más taura entre todos los tauras,
sos el mismo Ventarrón.

¿Quién te iguala por tu rango
en las canyengues quebradas del tango,
en la conquista de los corazones,
si se da la ocasión?

Entre el malevaje,
Ventarrón a vos te llaman…
Ventarrón, por tu coraje,
por tus hazañas todos te aclaman…

A pesar de todo,
Ventarrón dejó Pompeya
y se fue tras de la estrella
que su destino le señaló.

Muchos años han pasado
y sus guapezas y sus berretines
los fue dejando por los cafetines
como un castigo de Dios.

Solo y triste, casi enfermo,
con sus derrotas mordiéndole el alma,
volvió el malevo buscando su fama
que otro ya conquistó.

Ya no sos el mismo,
Ventarrón, de aquellos tiempos.
Sos cartón para el amigo
y para el maula un pobre cristo.

Y al sentir un tango
compadrón y retobado,
recordás aquel pasado,
las glorias guapas de Ventarrón.

Pedro Maffia Letra : José Horacio Staffolan

Dans la version de danse du 13 mars, Gomez ne chante que deux couplets (en gras dans le texte). En revanche le violon chante tout le reste, c’est lui la vedette de ce tango.  
Dans la version chanson, Gomez chante la totalité des couplets, dans l’ordre indiqué, sans reprise. De brefs moments instrumentaux donnent une petite respiration, mais la voix est quasiment toujours présente et on peut avoir une impression de monotonie qui fait que ce tango ne pourrait pas porter de façon satisfaisante à l’improvisation.
Il convient donc dans cette version de porter attention aux paroles. Heureusement, elles ne posent pas de problème particulier.
En voici une traduction libre :
Par ta renommée, par ton image, tu es le méchant attitré du gang ; tu es le plus caïd parmi tous les caïds, tu es le Ventarrón même (vent furieux).
Qui t’égale pour ton rang dans les brisées du tango canyengue (façon de danser du canyengue, inspirée de la posture du combat à l’arme blanche), dans la conquête des cœurs, si l’occasion s’en présente ?
Dans l’assemblée des voyous, ils t’appellent Ventarrón… Ventarrón, pour ton courage. Pour tes exploits tout le monde t’acclame…
Malgré tout, Ventarrón a délaissé Pompeya (quartier de Buenos Aires) et a suivi l’étoile que son destin lui a indiquée.
De nombreuses années ont passé et ses témérités et ses faussetés, il les a abandonnées pour les cafés, comme un châtiment de Dieu.
Seul et triste, presque malade, avec ses défaites mordant son âme, le bagarreur est revenu cherchant sa renommée qu’un autre a déjà conquise.
Tu n’es plus le même, Ventarrón, de cette époque. Tu es un cave pour l’ami (le footballeur Messi dirait bobo plutôt que cave) et pour le lâche un pauvre hère.
Et quand tu sens un tango amical et passé de mode, tu te souviens de ce passé, des gloires téméraires de Ventarrón.

Là où on revient à mon violoniste adoré

Je vous l’avais promis, on termine avec d’Elvino Vararo, le meilleur violoniste de tango du 20e siècle.
Argentino Galván a écrit Violinomanía en l’honneur de la virtuosité d’Elvino Vararo. Celui-ci l’a enregistré à la tête du Brighton Jazz Orquesta en 1941 à Buenos Aires. Elvino dirigeait cet orchestre à la radio « El Mundo » et pour des concerts dans différents lieux, cabarets,confiterias, bals…

Violinomanía 1941 — Brighton Jazz Orquesta, direction et violon, Elvino Vararo (Argentino Galván)

Pour être complet, je devrais sans doute citer qu’il a enregistré le même jour Frenesi, un morceau de « Rumba fox-trot », toujours avec le Brighton Jazz et les chanteurs Nito et Roland. C’est moins virtuose, mais représentatif d’un orchestre de Jazz à l’âge d’or du tango.

Frenesi 1941, Brighton Jazz Orquesta, direction et violon, Elvino Vararo, con Nito y Roland (Alberto Domingez)

Pour clore le chapitre en revenant au tango, même si c’est du tango à écouter et pas à danser, voici Pico de oro qu’Elvino a enregistré avec son orchestre en 1953.

Pico de oro 1953 – Elvino Vardaro y su Orquesta Típica (Juan Carlos Cobián Letra: Enrique Cadícamo).
De nombreuses années ont passé et ses témérités et ses faussetés, il les a abandonnées pour les cafés, comme un châtiment de Dieu.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Cette milonga, enregistrée il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas évoque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des débuts du tango. Celui qui était tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes à la fin du XIXe, début du XXe siècle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, à la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai évoqué les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquête, plus au cœur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse…

Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora
Milonga provocadora
que me dio cartel de taura…
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura

Amigos de antes, cuando chiquilín,
fui bailarín compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalón a cuadritos…
¡Que baile solo el Morocho
! — me solía gritar
la barra «
e los Balmaceda…
Viejos tangos que empezó a cantar
la Pepita Avellaneda
¡Eso ya no vuelve más!

Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo).

Une brève et caricaturale histoire du tango

On lit beaucoup de bêtises sur les prémices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces âneries. Ce que l’on peut en dire de façon à peu près certaine est qu’il n’est pas né dans les salons huppés de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne société, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sûr, les filles de bonne famille ne pouvaient pas décemment se rendre dans les mêmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituées, plus ou moins raffinées. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon généralisée et souhaitée…
Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusé dans les hautes sphères. Il n’était plus nécessaire de fréquenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne société pouvaient alors s’adonner à cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outrancières comme celles de Villodo ont été réécrites, la danse s’est raffinée en adoptant une attitude plus droite, plus élégante, le tango était prêt à entrer dans son âge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque où l’enregistrement électrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualité de cette époque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenancière) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nécessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siècle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en était sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituée, plus ou moins occasionnelle qui a réussi à se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maîtresse pour un homme très riche n’était pas mal vu à l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait été choquant. On aurait pensé qu’il était pingre ou ruiné, ce qui n’aurait pas été bon pour les affaires.

L’hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées à Paris, France,

L’hôtel de la Païva est le seul hôtel particulier restant de l’époque où on affirmait que c’était les Champs-Élysées étaient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien à voir avec le charme de tous ces hôtels qui rivalisaient sur les « Champs ». Même ce survivant est mis à mal, car désormais masqué par la devanture d’un bistrot.
Prendre un exemple en France n’est pas une erreur, c’est ce pays qui servait essentiellement de modèle pour les mœurs de la haute société à cette époque.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocotes

La cocote n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « réguliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou généreux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hôtel particulier.
Notons que les économies qu’arrivent à faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mêmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mécène.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal à boucler son budget, se livre à l’exercice moyennant finance. Elle peut être une lingère, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment régulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela à temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

Là encore il y a différents étages. Je ne rentrerai pas dans les détails, car cela n’aurait pas trop d’intérêt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux où on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinité (et finances). En général, cela commençait avec un café, café qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portègnes…
Ces établissements étaient contrôlés, notamment pour limiter la syphilis et gérés par une ancienne prostituée, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de très nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues à Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvées dans ces établissements avec des fortunes très diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, Manón, Margot, María, Mimí, Mireya Ninón et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette dernière toutefois était une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employé différemment ses économies.
Les différentes « écoles de danse » étaient donc des lieux où la danse n’était pas la seule activité.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus réputés pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons déjà décrit à propos de Sacale punta XXXX, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui était un bar-restaurant créé par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est à la fois douteux que ce fût un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intéresse, le nom vient du 3 février 1852, date de la bataille de Caseros entre les armées de Rosas et Urquiza et qui marque le début de la période nommée « organización nacional » (organisation nationale…) de l’histoire politique mouvementée de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprès de la commission du parc d’ouvrir un café-restaurant dans une construction du parc (probablement antérieure à la création du parc en 1875, car elle était en mauvais état. Il avait déjà un établissement depuis 1869, également à Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera différents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenêtres existantes et la construction d’un salon supplémentaire.

Le café de Hansen, ici nommé « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intérieure ». On voit sur ces deux photos les aménagements proposés à la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le café restaurant ouvre donc, mais se livrerait à d’autres activités, comme l’avancent « José Sebastian Tallón dans El tango en su etapa de música prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen à Palermo, était un mélange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de précurseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres fréquentes, le cabaret tumultueux qui a précédé les actuels. Ce fut la cour de récréation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se définissent eux-mêmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problèmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent élégamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la déguisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient été propices à ces activités, notamment la nuit.
En effet, le café de Hansen avait deux visages. Il était ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraîchir et manger et de nuit, les fêtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient écouter, car il était interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs témoignages indiquent que l’on dansait tout de même au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le témoignage de Félix Lima :

« Se bailaba? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserón de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacían la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no había invadido los salones de la “haute”. Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il était interdit de faire du bailongo, mais à l’arrière de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (était bébé). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes légères (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succès à tout rompre

C’est dans cet établissement qu’a eu lieu l’incroyable succès de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du Café Tarana qui était le nom de l’époque du Café de Hansen (qui était mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriétaire le 8 mai 1903, adopté le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients à domicile, ce qui témoigne bien du succès.
La composition de Villoldo a été un triomphe […]. L’accueil du public fut tel que, soir après soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionné commença à rendre peu à peu tout le monde fou. Pour avoir une idée de comment c’était joué à l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagné la musique de « El Esquinazo » en tapant légèrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croître.
Les clients du Café Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentèrent peu à peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrêté là […] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, où se produisit ce que le propriétaire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exécution du tango déjà consacré de Villoldo, une certaine nervosité était perceptible dans le public nombreux […] l’orchestre a commencé le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continué à suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriétaire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du démon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La répétition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a été exécuté un, deux, trois, cinq, sept… Finalement, de nombreuses fois et à chaque interprétation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassées […] Cette nuit inoubliable a coûté au propriétaire plusieurs centaines de pesos, irrécouvrables. Mais le problème le plus grave […] n’était pas ce qui s’était passé, mais ce qui allait continuer à se produire dans les nuits suivantes.
Après mûre réflexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisées » prit une résolution héroïque. Le lendemain, les clients du café Tarana ont eu la désagréable surprise de lire une pancarte qui, près de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exécution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise à cet égard. »

Lo de María la Vasca

Cette maison était située en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait à Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, María Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituée, devenue Courtisane la gérait.
C’est là que Rosendo Mendizábal a lancé « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom était Matasiete (tue sept en référence à son imposante stature) veillait à ce que les dames de la maison soient respectées.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — María Aldaz. Il y a beaucoup à lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense générique, ou un livre à défilement automatique, mais ce travail est intéressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par María Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possédait un autre lieu, plus modeste qui était situé à Chile au 1567 à la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus réputée était « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplément, il était possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcément bien vue par Maria, qui était à juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a été écrite la milonga du jour.
Elle était située en Paraguay 2512. J’en ai parlé à propos de Sacale punta. XXXX
Cette maison était beaucoup plus grande que celle de María la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojés (Pedro Maffia et Sebastián Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de María la Vasca

 « Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojés 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; Sebastián Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe où on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistré à de multiples reprises, mais seulement à partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada Falcón.

Tiempos viejos (Te acordás hermano) 1931-12-17 — Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai à l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrée en 1937 par Francisco Canaro et Roberto Maida.

¿Te acordás, hermano ? ¡Qué tiempos aquéllos!
Eran otros hombres más hombres los nuestros.
No se conocían cocó ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordás, hermano? ¡Qué tiempos aquéllos!
¡Veinticinco abriles que no volverán!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

¿Dónde están los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ¿dónde está?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde están las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazón,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

¿Te acordás, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
¿Te acordás, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs éléments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaïne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prétend représenter cette époque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frérot, de la blonde Mireya, que j’ai piqué à Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piqué la copine française, Mireille, à Cepeda, le poète Andrés Cepeda [surnommé le Loco ou le mauvais, il était de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos Bazán]

Lo de María la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : Héctor Marcó]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est cité dans « El fueye de Arolas » [Le bandonéon d’Arolas] écrit à la mémoire d’Arolas par Héctor Marcó en 1951, à l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris à Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas étant mort à Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc très sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasé en 1912 restait dans les mémoires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas été enregistré.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

Noté par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet établissement de bas étage était situé à l’angle sud-est des rues Suárez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour très longtemps, il est désaffecté. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles à comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en récoltant ce tango) a essayé de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins compréhensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative à la suite…

Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estriló,
Que una vez en los Corrales
En un cafetín que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversó.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la même eau…

Hier soir à lo de Tranqueli, j’ai dansé avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulâtresse ayant travaillé à Lo de Laura et danseuse réputée). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colère, car aux Corrales dans un café où elle était, j’avais dû lui donner une branlée, car j’étais à l’envers (retourné, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la même a un parcours très similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la dernière manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situé à Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrée des salons parisiens, ni même dans celle de Lo de Laura…

Selon le poète Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arrière.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels où on danse, mais de bas étages. Rien à voir avec les établissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gérait un bordel en Montevideo où il y avait régulièrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¡Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit détendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire…

Il est étonnant et intéressant de voir comment le tango s’est frayé un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas étage, jusqu’aux plus hautes classes de la société. Nous avons développé aujourd’hui la première étape, celle où le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des établissements déguisés sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passé sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes où on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manèges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va être dansé dans de nouveaux lieux, comme ici au Théâtre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en général la photo de droite associée à Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie réalisée en 1905 au Teatro de la Victoria qui était situé au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre…

Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Felicia 1966-03-11 – Orquesta Florindo Sassone

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

Felicia est un tango abondamment enregistré. La version d’aujourd’hui est un peu plus rare en milonga, car la sonorité particulière de Sassone n’est pas recherchée par tous les danseurs. Il a réalisé cet enregistrement le 11 mars 1966, il y a 58 ans.

Florindo Sassone (12 janvier 1912 – 31 janvier 1982) était violoniste. Il a commencé à monter son orchestre dans les années 1930.
Le succès a été particulièrement long à venir, mais il a progressivement créé son propre style en s’inspirant de Fresedo et Di Sarli. D’ailleurs, comme nous l’avons vu avant-hier avec Pimienta de Fresedo, les correspondances musicales sont nettes au point que l’on peut confondre dans certains passages Fresedo et Sassone dans les années 60. À Di Sarli, il a emprunté des éléments de sa la ligne mélodique et du dialogue entre le piano et le chant des violons.
Il gère son orchestre par bloc, sans mettre en valeur un instrument particulier avec des solos.
Pourtant, il a des musiciens de grand talent dans son orchestre :

  • Piano : Osvaldo Requena (puis Norberto Ramos)
  • Bandonéons : Pastor Cores, Carlos Pazo, Jesús Méndez et Daniel Lomuto (puis Orlando Calautti et Oscar Carbone avec le premier bandonéon Pasto Cores)
  • Violons : Roberto Guisado, Claudio González, Carlos Arnaiz, Domingo Mancuso, Juan Scafino et José Amatriali (Eduardo Matarucco, Enrique Mario Francini, José Amatriain, José Votti, Mario Abramovich et Romano Di Paola autour de Carlos Arnaiz, Claudio González et Domingo Mancuso).
  • Contrebasse : Enrique Marcheto (puis Mario Monteleone et Victor Osvaldo Monteleone)

Autre élément de son originalité, ses ponctuations qui terminent une bonne part de ses phrases musicales et des instruments plus rares en tango comme :

  • La harpe : Etelvina Cinicci
  • Le vibraphone et les percussions : Salvador Molé

Écoutez le style très particulier de Sassone avec ce très court extrait de La canción de los pescadores de perlas (version de 1974).

Les dix premières secondes de la canción de los pescadores de perlas 1974. Remarquez la harpe et le vibraphone.

Extrait musical

Felicia 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone.

Les paroles

Il s’agit ici d’un tango instrumental. Felicia peut être un prénom qui fait penser à la joie (feliz en espagnol, félicité en français). Cependant, Carlos Mauricio Pacheco a créé des paroles pour ce tango et elles sont loin de respirer l’allégresse. Il exprime la nostalgie pour sa terre natale (l’Uruguay) en regardant la mer. Il peut s’agir du Rio de la Plata qui est tellement large qu’il est difficile de ne pas le prendre pour une mer quand on le voit depuis Buenos Aires.

Allá en la casta apartada
donde cantan las espumas
el misterio de las brumas
y los secretos del mar,
yo miraba los caprichos
ondulantes de las olas
llorando mi pena a solas:
mi consuelo era el mirar.

Desde entonces en mi frente
como un insondable enigma
llevo patente el estigma
de este infinito pesar.
Desde entonces en mis ojos
está la sombra grabada
de mi tarde desolada:
en mis ojos está el mar.

Ya no tendré nunca aquellos
tintes suaves de mi aurora
aunque quizás se atesora
toda su luz en mis ojos.
Ya nunca veré mis playas
ni aspiraré de las lomas
los voluptuosos aromas
de mis flores uruguayas.

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

J’ai 65 versions différentes de ce titre et pas une n’est chantée. On se demande donc pourquoi il y a des paroles. C’est sans doute qu’elles ont été jugées un peu trop tristes et nostalgiques et pas en adéquation avec la musique qui est plutôt entraînante dans la plupart des versions.

Le vibraphone et la harpe dans le tango

Sassone a utilisé assez systématiquement la harpe et le vibraphone dans ses enregistrements des années postérieures à 1960. C’est un peu sa signature, mais il n’est pas le seul. Je vous invite à identifier ces instruments dans les titres suivants. Amis danseurs, imaginez comment mettre en valeur ces « dings » et « bloings ».

Vida mía 1934-07-11 — Tito Schipa con Orquesta Osvaldo Fresedo (Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo).

Il peut s’agir d’un autre orchestre, mais on entend clairement le vibraphone dans ce titre et pas dans la version de danse chantée par Roberto Ray enregistrée moins d’un an avant, le 13 septembre 1939. Je présente cette version pour illustrer mon propos, mais la voix criée de Schipa n’est pas des plus agréables, contrairement à la version formidable de Ray.

Orquesta Osvaldo Fresedo. À gauche, on voit bien le vibraphone. À droite, on voit bien la harpe. Le vibraphone est caché à l’arrière.
El vals soñador 1942-04-29 — Orquesta Miguel Caló con Raúl Berón (Armando Pontier Letra Oscar Rubens). On entend par exemple le vibraphone à 6 et 22 secondes.

Nina 1955 — Florindo Sassone (compositeur Abraham).

Le vibraphone puis la harpe débutent ce thème (Nina 1955 Florindo Sassone. Extrait de « 100 años de vibráfono y su desarrollo en el Tango » de Gerardo Verdun (vibraphoniste que je vous recommande si vous vous intéressez à cet instrument).

Nina 1971 — Florindo Sassone (compositeur Abraham), le même thème enregistré en 1971.

Pour en savoir plus sur les instruments de musique du tango, vous pouvez consulter l’excellent site : Milongaophelia. Il manque quelques instruments comme la scie musicale, l’orgue Hammond, les ondes Martenot et éventuellement l’accordéon, mais leur panorama est déjà assez complet.
Comme danseur, vous pouvez vous entraîner à les reconnaître et les choisir pour dynamiser votre improvisation en passant d’un instrument à l’autre au fur et à mesure de leurs jeux de réponse.
Voici Florindo Sassone en représentation au Teatro Colón à Buenos Aires, le 21 juillet 1972. Vous pourrez entendre (difficilement, car le son n’est pas génial) :

  • (00:00) Organito de la Tarde (Castillo Cátulo (Ovidio Cátulo Castillo González) Letra : José González Castillo (Juan de León). On retrouve l’inspiration de Di Sarli dans cette interprétation.
  • (02:26) Champagne tango (Manuel Aróztegui Letra: Pascual Contursi)
  • (05:45) La cumparsita (Gerardo Matos Rodríguez Letra: Pascual Contursi)
  • (08:53) Re Fa si (Enrique Delfino). On y entend bien la harpe et le vibraphone.

Sur la vidéo on peut remarquer la harpe, le vibraphone, mais aussi les timbales, pas si courantes dans un orchestre de tango.

Et pour en terminer avec le tango du jour, un tango assez original, car il s’agit en fait d’un morceau de musique classique française, de Georges Bizet (Les pêcheurs de perles) qui a donné lieu à différentes versions par Sassone, donc celle que je vous offre ici, enregistrée en 1974. Vous y entendrez la harpe et le vibraphone, nos héros du jour.

La canción de los pescadores de perlas 1974 — Orquesta Florindo Sassone.

Nous sommes à présent au bord de la mer, partageant les pensées de Carlos Mauricio Pacheco, songeant à son pays natal.

Carlos Mauricio Pacheco, pensant à son Uruguay natal en regardant les vagues.

Sondage

Ce titre peut être considéré comme un particulier à danser. Vous pouvez donner votre avis en répondant à ce sondage.

Pimienta 1939-03-10 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (compositeur)

Fresedo est un vieux de la vieille, mais dont le style a beaucoup évolué au cours de sa longue carrière de chef d’orchestre. Pimienta, est un des fleurons de la partie la plus intéressante de ses 70 ans de tango. Il en est le compositeur et ici l’interprète.

Fresedo a commencé à jouer en public à 16 ans, en 1913. À partir de 1920, il a commencé à enregistrer, jusque dans les années 1980, environ 1200 titres.

À plus de 90 %, ce sont des tangos. Moins de deux pour cent sont des valses ou des milongas. Le reste sont différents rythmes, pasodobles, scottishs, congas, fox-trots, chansons, rancheras, rumbas, shimmys et autres. En effet, comme beaucoup d’orchestres de tango, il jouait d’autres styles, car dans les bals de l’époque se dansaient de nombreux styles et pas seulement ceux issus du tango. Dans les programmes des événements un peu plus conséquents, il y avait en général deux orchestres annoncés. Un de tango et un de « Jazz » (le reste). N’oublions pas qu’il a joué avec Dizzy Gillepsie.

S’il a enregistré avec différents chanteurs, dont Carlos Gardel et réalisé de merveilleux enregistrements avec Roberto Ray et Ricardo Ruiz, la majorité de sa production de tango sont instrumentaux.

C’est le cas de notre tango du jour, Pimienta, enregistrée le 10 mars 1939 auprès de la RCA Victor. Le numéro de matrice est 12706-1 et le disque est la référence 38682B.

Le même jour, il a enregistré avec Ricardo Ruiz, un tango magnifique, mais que peu de DJ passent en milonga, bien qu’il soit parfaitement dansable. Je vous le propose aussi à l’écoute

Extrait musical

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. L’impressionnant glissando qui est une caractéristique de plusieurs titres de Fresedo donne l’impression que quelque chose chute. Comme danseur, il est difficile de résister à l’envie de faire quelque chose pour marquer « l’atterrissage ».
Mi gitana 1939-03-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz – Juan José Guichandut Letra : Enrique Cadícamo.

Autre versions de Pimienta par Osvaldo Fresedo

De 1939 à 1962, Fresedo a enregistré quatre fois Pimienta. Cela nous donne une idée de la progression de son style sur cette période.
Voici les quatre enregistrements par ordre chronologique :

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. C’est l’enregistrement du jour. Un des grands titres pour les danseurs.
Pimienta 1945 Osvaldo Fresedo.

C’est un enregistrement public, à la radio, dans le cadre de la Ronda Musical de las Américas. Osvaldo Fresedo dirige son Gran Orquesta Argentina avec le merveilleux Elvino Vardaro comme premier violon et Emilio Barbato au piano. J’ai coupé le blabla au début pour ne garder que la musique. La musique est relativement courte, seulement 1,45 minute, sans doute à cause du format imposé par la radio et du bavardage initial (50 secondes). La qualité sonore est médiocre comme la plupart des « grabaciones radiales » (enregistrement à la radio), mais on peut remarquer un certain nombre de différences dans l’orchestration par rapport à la version originale de 1939.

Pimienta 1959-01-23 — Osvaldo Fresedo.

Vingt ans après la première version, celle-ci est d’un style très différent. Plus « symphonique », plus enrichi, avec une orchestration complètement renouvelée. On retrouve tout de même les chutes, mais il me semble que la danse n’y trouve pas son compte. C’est joli, mais je ne le propose pas en milonga, malgré quelques trouvailles intéressantes d’une meilleure superposition des plans et des chutes assez impressionnantes.

Pimienta 1962-10-04 — Osvaldo Fresedo.

Encore différent de la version de 1959, on trouve ici le « Fresedo-Sassone ». En effet, on trouve dans cette version les « glings » chers à Sassone qui fait que l’on ne retrouve pas du tout l’esprit de Fresedo tel que le conçoivent les danseurs habitués à ces titres des années 30-40. Malgré des impacts intéressants, cette version est sans doute un peu monotone pour la danse.
En résumé, hormis pour l’illustration, je reste avec la merveilleuse version de 1939.

Qui est pimienta ?

La pimienta est le poivre. Je ne pense pas que Fresedo pensa à faire l’apologie de cette épice quand il a écrit le titre. N’ayant pas trouvé d’information sur le sujet, j’ai cherché d’autres tangos parlant de pimienta. Il n’y en a pas dans ma discothèque, pourtant assez vaste. Il y a bien une milonga Azúcar, pimienta y sal d’Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) et avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar).

Azúcar, pimienta y sal 1973 – Orquesta Héctor Varela con Fernando Soler y Jorge Falcón

Le sujet est une femme, au caractère variable. Voici ce qu’en dit un des couplets, le dernier :

La quiero difícil como es,
con su mundo diferente.
Qué importa su mundo al revés,
sin que cambie fácilmente.
Tampoco lo que hablen de mi,
porque yo la quiero así.
Así, como es
rebelde y angelical.
¡Así, como es,
azúcar, pimienta y sal!

Héctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; Tití Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar)

Traduction :

Je l’aime difficile comme elle est, avec son monde différent.
Qu’importe son monde à l’envers, sans qu’il change facilement.
Ni ce qu’ils disent de moi, parce que je l’aime ainsi. Rebelle et angélique. Ainsi, comme elle est le sucre, le poivre et le sel
!

J’ai donc imaginé que Pimienta parlait d’une femme au caractère bien marqué. C’est ainsi que j’ai proposé l’image de couverture, avec une femme, disons, presque en colère…

Pour terminer, je propose cette beauté « angélique », mais avec une pointe de rébellion dans les yeux.

¿Pimienta?

Sacale punta 1938-03-09 (Milonga tangueada) – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Cette milonga du jour a été enregistrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enregistrée par Donato et est toujours un succès dans les milongas. Cependant, son titre prête à interprétations et je choisis ce prétexte pour vous faire entrer dans le monde du tango du début du 20e siècle.

Edgardo Donato interprète ici une milonga écrite par son frère, pianiste, Osvaldo. Deux chanteurs interviennent, Horacio Lagos et Randona (Armando Julio Piovani). Ils ne chantent que deux couplets, comme il est d’usage pour le tango de danse.

Le disque

Sacale punta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Victor 38397.

Sur l’étiquette on trouve plusieurs mentions. Le nom de l’orchestre, Edgardo Donato y sus Muchachos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Horacio Lagos. Randona n’est pas mentionné.
On trouve le nom des auteurs et compositeurs. L’auteur des paroles est en premier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pourrez écouter cette valse en fin d’article.
Sur le disque, on peut remarquer sur l’étiquette l’encadré suivant…

Exécution publique et radio-transmission réservées à RCA Victor Argentina INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milonga 😉

Extrait musical

Sacale punta 1938-03-09 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Les paroles

Sacale punta a esta milonga
Que ya empezó.
Sentí que esos fueyes que rezongan
De corazón.
Y las pebetas se han venido
De « true Vuitton ». (De truco y flor)
El tango requiebra la vida (El tango es rey que da la vida)
Y en su nota desparrama,
Su amor.

Tango lindo de arrabal
Que yo,
No lo he visto desmayar
¡ Triunfó!.
Tango lindo que al cantar
Volcó,
Su fe, su amor
Varón tenés que ser.

Nada hay que hacer cuando rezongan
El bandoneón
Oreja a oreja las parejas
Bailan al son,
De un tango lleno de recuerdos
Que no cayó.
Si desde los tiempos de Laura
Se ha sentido primera agua
y brilló.

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez. Seuls les deux premiers couplets sont chantés dans cette version.

Pourquoi un crayon à la milonga ?

Les paroles de cette chanson parlent donc de la milonga, du point de vue de l’homme qui se prépare à danser joue contre joue (oreille contre oreille) avec des jeunes femmes.
« Saca punta » se dit pour tailler les crayons, faire sortir, la pointe, la mine. Cela se dit couramment dans les écoles.

Sacale punta. J’ai représenté le crayon bien taillé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite partie de l’énigme.

Ici, Sandalio a écrit « Sacale punta a esta milonga », sors-lui la pointe à cette milonga…
Pour ceux qui pourraient s’interroger, sur l’intérêt d’apporter un crayon à la milonga. Une petite investigation qui je l’espère ne sera pas trop décevante :

Les autres textes de Sandalio Gómez

Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par Sandalio Gómez on trouve :
Deux tangos : « Cumbrera » et « El mundo está loco ». Le premier est un hommage à Carlos Gardel et le second s’inscrit dans la tradition de « Cambalache » ou de « Al mundo le falta un tornillo », ces tangos qui parlent de la dégénérescence du Monde.
Deux milongas : « De punta a punta » et « Mis piernas » qui est une milonga qui incite à se reposer, car les paroles commencent ainsi : « Sentate, cuerpo sentate, que las piernas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peuvent plus.
Un paso doble : « Embrujo » parle d’un « envoutement » amoureux.
Du grand classique et si ce n’était ce « Sacale punta », les paroles ne prêteraient pas à interprétation. On n’est pas en présence de textes de Villoldo qu’il a souvent fallu remanier pour respecter les bonnes mœurs.

D’autres musiques utilisant « Sacale punta »

Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale punta ». Par exemple, la milonga écrite par José Basso : « Sacale punta al lápiz » 1955-09-16 écrite par José Basso, mais qui n’a pas de paroles.

Sacale punta al lápiz 1955-09-16 – José Basso (Musique José Basso)

Si on reste en Argentine, on trouve plus récemment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont souvent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milonga de Basso et qui est interprétée par Neni y su banda. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous donnerai pas les paroles, mais sachez que le possesseur du lápiz (crayon) se vante de pouvoir en faire quelque chose au lit.
Le groupe cubain Vieja Trova Santiaguera chante également « Sacale punta al lápiz ». Ce son est avec des paroles relativement explicites, la muñequa (poupée) faisant référence au même crayon que la cumbia susmentionnée.

Sácale la punta al lápiz – Vieja Trova Santiaguera

Le chanteur portoricain de Salsa, Adalberto Santiago, chante dans une salsa du même titre, « Sacale punta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa compagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit préparer la mine de son crayon pour pouvoir tout noter. On est donc ici, dans la lignée scolaire, du crayon dont on doit affuter la mine.

Sácale punta 1982-12-31 – Adalberto Santiago

Dans l’esprit du crayon pour écrire, on pourrait penser au carnet de bal pour inscrire les partenaires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le carnet et le crayon seront pour noter les coordonnées de la belle…

Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?

Comme vous l’imaginez, les pistes précédentes ne me satisfont pas. Je vais vous donner ma version, ou plutôt mes versions, mais qui se rejoignent. Pour cela, interrogeons le lunfardo, l’argot portègne.
En lunfardo se dit : « de punta en blanco » qui signifie élégant. Il est donc logique de penser que le narrateur souhaite sortir ses meilleurs vêtements pour aller à la milonga.
Toujours en lunfardo, « hacer punta » est aller de l’avant. On peut donc imaginer qu’il faut aller de l’avant pour aller à la milonga.
Continuons avec le lunfardo : La punta est aussi un couteau, une arme blanche. Quand on connaît la réputation des compadritos, on se dit qu’ils peuvent être prêts à sortir le couteau à la moindre occasion à la milonga.
Pour résumer, il se prépare avec ses beaux habits, éventuellement avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milonga qui a déjà commencé, pour danser joue contre joue et discuter ce qui se doit avec ceux qui se mettent en travers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un double sens à la Villoldo, surtout si on se réfère au fait que cette milonga se réfère au début du XXe siècle, époque où les paroles étaient beaucoup plus « libres ».

Lo de Laura

En effet, le dernier couplet, qui n’est pas chanté ici, parle du temps de Laura. Il s’agit de la casa de Laura (Laurentina Monserrat). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milonga était de bonne fréquentation au début du vingtième siècle.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » était située en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite…

Les danseurs pouvaient danser avec les « femmes » de la maison moyennant le paiement de quelques pesos. Je ne connais pas le prix pour cette maison, mais dans une maison comparable, Lo de Maria (La Vasca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la propriétaire, « El Ingles » (Carlos Kern) veillait à ce que les protégées soient respectées. On est toujours à l’époque du tango de prostibulo, mais avec classe.
Il indique que dès l’époque de Laura, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milonga « En lo de Laura » (musique d’Antonio Polito et paroles d’Enrique Cadícamo). En effet, dans cette milonga, Cadícamo a écrit : « Milonga provocadora que me dio cartel de taura… », Milonga provocante qui me donna le titre de champion (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, compadrito, courageux, qui se montre…).

En lo de Laura 1943-03-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas – Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo (Domingo Enrique Cadícamo)

Pour vous donner une idée de l’ambiance de Lo de Laura, vous pouvez regarder cet extrait du film argentin « La Parda Flora » de León Klimovsky et qui est sorti le 11 juillet 1952. C’est bien sûr une reconstitution, avec les limites que ce genre impose.

Reconstitution de l’ambiance en Lo de Laura. Extrait du film argentin « La Parda Flora » de León Klimovsky sorti le 11 juillet 1952

Dans cette partie du film se joue “El Entrerriano” d’Anselmo Rosendo Mendizábal. En effet, une tradition veut que Mendizábal ait écrit ce tango en Lo de Laura. Il était en effet pianiste dans cet établissement et c’est donc fort possible. Il intervenait aussi à Lo de Maria la Vasca et certains affirment que cet dans ce dernier établissement qu’il a inauguré le tango.
Notons que les deux affirmations ne sont pas contradictoires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose.
Il décrit cela dans une lettre envoyée en 1934 à Héctor et Luis Bates et qui la publièrent en 1936 dans « Las historias del tango: sus autores » :

“Existía una casa de baile que era conocida por “María la Vasca”. Allí se bailaba todas y toda la noche, a tres pesos hora por persona. Encontraba en esos bailes a estudiantes, cuidadores y jockeys y en general, gente bien. El pianista oficial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó “El entrerriano”. […] así se bailó hasta las 6 a.m. Al retirarnos lo saludé a Rosendo, de quien era amigo, y lo felicité por su tango inédito y sin nombre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a usted, póngale nombre”. Le agradecí pero no acepté, y debo decir la verdad, no lo acepté porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al tener que retribuir la atención. Pero le sugerí la idea que se lo dedicase a Segovia, un muchacho que paseaba con nosotros, amigo también de Rosendo y admirador; así fue; Segovia aceptó el ofrecimiento de Rosendo. Y se le puso “El entrerriano” porque Segovia era oriundo de Entre Ríos.”.

José Guidobono

Traduction :

Il y avait une maison de danse connue sous le nom de « María la Vasca ». On y dansait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par personne. À ces bals, j’ai croisé des étudiants, des médecins et des jockeys [c’était une soirée spéciale du Z Club, club auquel Rosendo Mendizábal a d’ailleurs dédié un tango (Z Club)] et en général, de bonnes personnes.
Le pianiste officiel était Rosendo et c’est là que « El entrerriano » a été joué pour la première fois. […] c’est ainsi qu’on a dansé jusqu’à 6 heures du matin.
En partant, j’ai salué Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai félicité pour son tango inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédicacer, donne-lui un nom ». Je l’ai remercié, mais je n’ai pas accepté, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accepté parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remercier de l’attention. Mais j’ai suggéré l’idée qu’il le dédicace à Segovia, un garçon qui marchait avec nous, également ami et admirateur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accepté l’offre de Rosendo. Et il l’a intitulé « El Entrerriano » parce que Segovia était originaire d’Entre Ríos. […] Rosendo a ainsi gagné cent mangos (pesos en lunfardo). »

La face A du disque Victor 38397

Sur la face A du même disque Victor a gravé une valse. Elle a été enregistrée le même jour par Donato et Lagos, comme c’est souvent le cas.
Cette valse est sublime, je vous la propose donc ici :

Qué será ? 1938-03-09 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos — Pepe Guízar (MyL)

Ne pas confondre cette valse avec une au titre qui ne diffère que par deux lettres…

Quién será ? 1941-10-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos — Luis Rubistein (MyL)

Un clin d’œil pour les DJ

Felix Picherna, un célèbre DJ de l’époque des cassettes Philips, utilisait un crayon pour rembobiner ses cassettes. Il devait donc sacar la punta antes de la milonga.
J’en parle dans mon article sur les tandas.
Maintenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Laura ou dans votre milonga favorite.

Felix Pincherna utilisant un crayon pour rembobiner sa cassette de cortina. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04-9/

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Juan Antonio Collazo Letra : Roberto Fontaina ; Víctor Soliño

Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, élégant et un peu précieux. Cependant, le tango du jour parle d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invitent à découvrir le personnage avec une caricature légère et entraînante. C’est aussi pour moi, l’occasion de vous faire souvenir d’un orchestre un peu oublié.

Même dans le monde du tango, il y a des personnes qui aiment paraître, qui ont la « nariz parada » (le nez relevé par la fierté), qui souhaitent péter plus haut que leur cul. Ce tango, dont les paroles qui sont de Roberto Fontaina et Víctor Soliño, parlent d’un de ces personnages de banlieue qui joue à être de la haute (société).
Ce tango a été enregistré diverses reprises, en deux vagues.
La plus ancienne version est une version chantée par Alberto Vila, accompagné à la guitare en 1927. L’année suivante, la Típica Victor enregistre une version instrumentale et en 1930 Irusta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (violon).
Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous écouterons en fin d’article, certains des enregistrements de cette renaissance.

À propos de Niño bien

 Niño bien a donné son nom à une milonga du jeudi à Buenos Aires qui était fameuse mais qui a malheureusement disparu, comme tant d’autres.

La Leonesa, le salon où se déroulait la milonga Niño bien. Je pense que vous reconnaissez le DJ 😉

Cette milonga était suffisamment fameuse pour que Brian Winter donne son nom à un de ses livres (Bien après minuit à la Niño bien). Une autre milonga fameuse qui elle aussi a disparu, Thunderland est l’autre héroïne parmi les milongas citées dans ce livre.

La captivante quête d’une Américaine dans les milongas portègnes pour retrouver le bel Argentin dont elle est tombée amoureuse dans une milonga aux USA. Pour le retrouver, elle devra découvrir tous les aspects du tango. Ce livre permet de se remémorer des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milonga Niño Bien évoquée ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gâcher le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.

Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Enrique (Fausta) Mora (8 février 1915 – 14 juillet 2003) est sans doute injustement oublié, Il était un brillant pianiste, chef d’orchestre et compositeur de tangos comme Este es tu tango, connu par les enregistrements de Ricardo Tanturi avec Roberto Videla ou Enrique Rodriguez avec Armando Moreno.
J’imagine que son oubli vient en particulier du fait qu’il n’a enregistré que dans les années 50, un moment où le tango de danse était en régression. Il n’a donc pas été réédité aussi rapidement que les monstres sacrés. Je suis donc content de lui redonner justice, comme j’avais ressorti de l’oubli Donato Racciatti il y a une vingtaine d’années (en France). D’ailleurs, à l’écoute, on retrouvera une similitude entre Mora, Racciatti et Firpo, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut évoquer Nina Miranda ou Olga Delgrossi, voire Tita Merello qui a aussi chanté ce titre.
Elsa Moreno a enregistré une douzaine de titres avec le cuarteto d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le premier de la série.

Extrait musical

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno

Les paroles

Niño bien, pretencioso y engrupido,
que tenés berretín de figurar;
niño bien que llevás dos apellidos
y que usás de escritorio el Petit Bar;
pelandrún que la vas de distinguido
y siempre hablás de la estancia de papá,
mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero,
todos los días sale a vender fainá.

Vos te creés que porque hablás de ti,
fumás tabaco inglés
paseás por Sarandí,
y te cortás las patillas a lo Rodolfo
sos un fifí.
Porque usás la corbata carmín
y allá en el Chantecler
la vas de bailarín,
y te mandás la biaba de gomina,
te creés que sos un rana
y sos un pobre gil.

Niño bien, que naciste en el suburbio
de un bulín alumbrao a querosén,
que tenés pedigrée bastante turbio
y decís que sos de familia bien,
no manyás que estás mostrando la hilacha
y al caminar con aire triunfador
se ve bien claro que tenés mucha clase
para lucirte detrás de un mostrador.

Juan Antonio Collazo Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

La photo de couverture

Pour cette image, je ne suis pas parti de photos. Je vais vous expliquer la démarche, à la lueur des paroles du tango.

Siempre hablás de la estancia de papá, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los días sale a vender fainá. [Tu parles toujours du domaine de ton papa, cependant ton vieux, pour gagner la pitance, sort tous les jours pour vendre des fainás (Galettes à base de farine de pois chiches)].

Au couplet suivant : « te cortás las patillas a lo Rodolfo, sos un fifí. » Tu te tailles les pattes à la Rudoph (Valentino), tu es un efféminé.

Pour l’image, je suis parti de l’idée d’avoir le Niño Bien au premier plan et à l’arrière-plan, son vieux père qui vend des fainás. Pour le le niño bien, j’ai choisi de partir de son modèle, à savoir Rudolph Valentino, cet acteur de l’époque du cinéma muet qui était considéré comme particulièrement beau. Pour le père, j’ai décidé de mettre en avant (ou plutôt à l’arrière dans le cas présent) un véritable vendeur de fainás. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chiches, cuites au four à pizza, à la poêle, ou sur des installations plus sommaires, comme on peut le voir sur la photo.
Voici les images originales :

À gauche, Rudolph Valentino. Il y a un logo en bas à droite, mais je n’ai pas identifié le studio (photo ou cinéma). À droite, le « père » est en fait Ricardo Ravadero, un vendeur ambulant de Buenos Aires dans les années 20 sur cette photo).

D’autres enregistrements des années 50 de ce tango

Après la première vague des années 20-30, la relance du titre vient de la sortie du film d’Homero Manzi e Ralph Pappier « Pobre mi madre querida », le 28 avril 1948. Hugo del Carril y chante le titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se terminer en bagarre…

Nino bien 1948-04-28 (sortie du film) — Hugo del Carril. Extrait du film « Pobre mi madre querida » de Homero Manzi y Ralph Pappier
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto Típico con Elsa Moreno. C’est le tango du jour.
Niño bien 1953 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Date précise non-disponible. La matrice est le numéro OPT 225-1 et le disque 6007A.
Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan Sánchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la réverbération. On peut préférer la version de 1953…
Niño bien 1956-06-14 — Tita Merello accompagnée par Francisco Canaro. La gouaille incroyable de Tita Merello, fait de cette version un morceau d’anthologie. Pas garanti pour le bal, c’est d’ailleurs présenté comme une chanson, mais à ne pas rater.
Le Niño Bien semble détonner dans le magasin et les clients le regardent avec un air étonné.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

Agustín Bardi (compositeur)

Peut-être vous êtes-vous demandé pourquoi ce sublime tango s’appelait « Tinta Verde » (Encre verte). La version de ce tango du jour a été enregistrée par Anibal Troilo le 7 mars 1938, il y a exactement 86 ans, mais la musique a été écrite par Bardi en 1914. Une histoire d’amitié comme il en existe tant en Argentine.

Jetez l’encre

Agustín Bardi (13 août 1884 – 21 avril 1941) a écrit ce très beau tango en 1914. Il n’en existe pas à ma connaissance de versions chantées, toutes les versions sont instrumentales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idée du thème. Je me suis intéressé à d’autres tangos qui parlaient d’encre (tinta).
Tinta roja (Sebastián Piana Letra: Cátulo Castillo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin teinté (les hispanophones disent vino tinto pour parler du vin rouge). Tinta roja (1942) a sans doute été écrit en réponse à tinta verde qui avait toujours du succès comme en témoignent les enregistrements de D’Arienzo 1935 et Troilo 1938, celui dont on parle aujourd’hui).
Tinta china (Antonio Polito Letra : Héctor Polito). Encre de Chine. Peut-être pour les mêmes raisons, mais sans le même succès, ce tango écrit en 1942 parle des personnes à la peau noire. Tinta china se réfère donc à la couleur de la peau.
Tinta verde. J’ai gardé le suspens, mais je vous rassure, c’est impossible de deviner pourquoi ce tango s’appelle Tinta verde (encre verte). Ce n’est pas une histoire de couleur de peau (pas de petits Martiens à la peau verte), d’autant plus que la célèbre émission d’Orson Welles mettant en scène la Guerre des Mondes d’Herbert George Wells (le plus grand pionnier de la science-fiction) n’a été diffusée que le 30 octobre 1938 et ce tango écrit en 1914.
Je lève le suspens, il s’agit tout simplement de l’encre verte, celle que l’on peut mettre dans les stylos.

1 Je suis parti d’une photo de Octopus Fluids, le fabricant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espère que le collègue photographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trouvé sa photo si belle que je n’ai pas eu d’idée pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Fluids pour ceux que ça intéresse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car le tango étant instrumental, c’est difficile à vérifier.
La preuve, la voici ; Agustín Bardi avait pour voisin et ami, Eduardo Arolas (24 février 1892 – 29 septembre 1924). Ce dernier était illustrateur en plus d’être bandonéoniste, compositeur et chef d’orchestre. Il était donc coutumier de l’usage des encres. Curieuse coïncidence, à la même époque, Agustín Bardi travaillait pour une entreprise de transport, « La Cargadora » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet établissement, Agustín écrivait les étiquettes des expéditions à l’encre verte. Cela lui a donné d’écrire le tango pour son jeune ami (il avait 22 ans et Agustín 30), compagnon d’usage des encres.

Eduardo, qui était donc également illustrateur a réalisé la couverture de la partition qui lui était dédiée, à l’encre verte… La boucle est bouclée.

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu diverses versions du titre. Vous pourrez entendre la plupart en fin de cet article. Mais le tango du jour est l’excellente version de Troilo de 1938. Il l’a réenregistré, avec moins de bonheur à mon sens en 1970.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.

Je trouve amusant de proposer en réponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chantées par Fiorentino. Nous en reparlerons sans doute en octobre…

Tinta roja 1941-10-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino / Sebastián Piana Letra : Cátulo Castillo

Je vous laisse apprécier le contraste. Ces titres peuvent être compatibles, pour les DJ qui mélangent les tangos chantés et instrumentaux.

D’autres enregistrements

Cette histoire d’amitié, trop vite interrompue par la mort d’Eduardo Arolas (en 1924, à 32 ans), a donné lieu à de nombreuses et belles versions. Agustín Bardi aura le bonheur d’entendre les versions de D’Arienzo et Troilo, mais probablement pas l’intéressante interprétation de Demare. Ce dernier l’a enregistré plus d’un an après la mort de Bardi, mais il se peut qu’il l’ait joué en sa présence avant avril 1941.

Tinta verde 1916 — Quinteto Criollo Atlanta. Une version acoustique, mais plutôt mélodique. Pas pour nos milongas, mais à découvrir, tout de même.
Tinta verde 1927-10-17 — Osvaldo Fresedo. Une version un peu canyengue, moyennement intéressante, même pour l’époque. À réserver aux fans absolus de Fresedo et de la vieille garde.
Tinta verde 1929-10-03 — Orquesta Pedro Maffia. Une version tranquille qui aura une sœur 30 ans plus tard.
Tinta verde 1935-08-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typique de sa première période, avant l’arrivée de Biagi dans l’orchestre.
Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo. C’est le tango du jour.
Tinta verde 1942-12-09 — Orquesta Lucio Demare. J’aime bien l’entrée du piano au début de cette version.
Tinta verde 1945-10-30 — Orquesta Carlos Di Sarli. Magnifique solo de violon.
Tinta verde 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli. Une version lente et majestueuse, comme sait en produire El Señor del Tango.
Tinta verde 1957-06-19 — Orquesta Juan Cambareri. Une version un peu précipitée. Amusante, quasiment dansable en milonga. Elle sera sans doute déroutante pour les danseurs et donc à éviter, sauf occasion très particulière.
Tinta verde 1959 — Orquesta Pedro Maffia. 30 ans après le premier enregistrement, Maffia joue avec une sonorité différente, mais un rythme proche.
Tinta verde 1966-12-23 — Orquesta Armando Pontier. Une version assez originale. Pas forcément géniale à danser, mais agréable à écouter.
Tinta verde 1967-11-14 Orquesta Juan D’Arienzo. Ce n’est clairement pas la meilleure version. Je ne proposerai pas en milonga, même si cela reste dansable.
Tinta verde 1970-11-23 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tango de danse. C’est magnifique, mais sans doute insatisfaisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres versions, les thèmes appréciés par Troilo ou D’Arienzo ont beaucoup de succès avec les orchestres contemporains. N’hésitez pas à donner votre avis sur votre version préférée en commentaire (il faut créer un compte pour éviter les spams, mais ce n’est pas très contraignant).

Agustin Bardi (à droite), a écrit ce tango pour son ami, Eduardo Arolas, à gauche.

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

Le tango du jour, Lágrimas a été enregistré il y a exactement 85 ans par Donato et Lagos.
Maruja Pacheco Huergo, l’auteure des paroles a su trouver les mots pour parler de la détresse de l’abandon. Je vous invite donc, au-delà de ce thème, à découvrir cette femme exceptionnelle, auteure de tangos sublimes comme
El adiós.

Le tango du jour

L’association Donato et Lagos a donné un grand nombre de tangos magnifiques. Celui d’aujourd’hui, qui fête son anniversaire aujourd’hui, parle de tristesse, mais la musique dynamique de Donato se démarque de la plupart des tangos portant ce titre « Lagrimas » en abandonnant la tristesse généralement de mise.
On compatit aux larmes, mais on se laisse emporter dans la musique pour danser sur la piste ce tango entraînant.
Notons que Donato a également enregistré une valse de ce titre écrite par Vicente Vilardi ; J. Pastene Letra : Juan De la Calle (Federico Saniez).
Je reviendrai sur ce point dans quelques jours, au sujet de Lágrimas y sonrisas ; la tristesse et les valses.

L’orchestre de Donato

Edgardo Donato

Edgardo Donato était violoniste et au début de son orchestre, en 1930, il jouait en plus de diriger l’orchestre.
Dans l’orchestre on retrouve deux des ses huit frères Osvaldo au piano et Ascanio au violoncelle.
Petit cadeau, la composition de son orchestre en 1930 et en 1936. Dans l’orchestre de 1936, on remarque trois chanteurs qui ont produit plusieurs titres ensemble, leurs voix se mariant parfaitement.

Instrumentistes Orchestre de 1930 Orchestre de 1936
Bandonéonistes José Roque Turturiello
Vicente Vilardi
Miguel Bonano
José Roque Turturiello
Vicente Vilardi
Eliseo Marchesse
José Budano
Violonistes Edgardo Donato
Armando Julio Piovani
Pascual Humberto Martínez
Armando Julio Piovani
Domingo Mirillo
José Pollicita
Pianiste Osvaldo Donato Osvaldo Donato
Violoncelliste Ascanio Donato Ascanio Donato
Contrebassiste José Campesi José Campesi
Accordéoniste   Washington Bertolini
(pseudo de Osvaldo Bertoni)
qui était aussi pianiste.
Chanteurs Luis Díaz
Antonio Rodríguez Lesende
Carlos Viván
Teófilo Ibáñez
Horacio Lagos
Lita Morales
Romeo Gavio
L’orchestre d’Edgardo Donato en 1930 et 1936. Remarquez la présence de ses frères Osvaldo (Piano) et Ascanio (violonceliste)

L’orchestre d’Edgardo Donato en 1933 (ce n’est pas la composition du 6 mars 1939, mais il y a les trois frères Donato, Edgardo, Osvaldo et Ascanio.

Maruja Pacheco Huergo

Sous ses allures discrètes et modestes se cachait un génie. Maruja, Pacheco Huergo.

Maruja Pacheco Huergo de son véritable nom, María Esther Pacheco Huergo était une femme remarquable. Je vous propose donc quelques éléments sur Maruja (surnom hypocoristique de Maria).
Si on se limite à sa production de tango, on pourrait citer El adiós, Don Naides, Milonga del aguatero, Sinfonía de arrabal, ou Vuelves et quelques autres dont elle est la compositrice et parfois aussi l’auteure, comme pour le tango du jour dont elle n’a écrit que les paroles. Mais elle a écrit aussi environ 600 titres dans tous les rythmes. C’était donc une compositrice particulièrement prolifique.
Mais Maruja était aussi pianiste, chanteuse, auteure et actrice, voire professeur de piano et de chant. Le meilleur est qu’elle a fait tous ces métiers avec succès. Elle était l’épouse de Manuel Ferradás Campos, lui-même écrivain de tangos et journaliste, mais avec nettement moins de rayonnement que son épouse.

Extrait musical

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Les paroles

Ansias de hundir en las sombras
la angustia infinita que quiero ocultar.
Ansias de llorar tu llanto,
pena de quererte tanto,
voy por un camino largo
llevando en mi alma buena
mi propio desencanto…
arrastrando en mi agonía
la cruz de mi resignación.

Lágrimas…
En la amargura de mi vida son,
bálsamo…
Que cicatrizan mi dolor.
Benditas una y mil veces estas lágrimas,
sinceras, que brotaron
de mi pobre corazón.

Lágrimas…
Que enmudeciendo mis tristezas van,
lágrimas…
tibia llovizna de pesar.
Hoy llegan hasta el cáliz de mi vida,
suavizando la nostalgia
de esta inmensa soledad.

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

D’autres enregistrements

Lágrimas n’a été enregistré que par Donato. Avec Horacio Lagos en 1939 et Oscar Peralta en 1956.

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. Tango du jour.

C’est le tango du jour. J’ai eu la chance de le danser hier à la milonga Nuevo Chique avec l’excellent DJ Dany Borelli. Je confirme que malgré les paroles, le plaisir de le danser est total.

Lágrimas 1956-06-21 – Orquesta Edgardo Donato con Oscar Peralta

Cette dernière version va sans doute surprendre les fans de Donato qui oublient trop souvent que beaucoup de chefs d’orchestres ont eu une carrière très longue et que par conséquent, ils ont évolué pour rester dans l’air du temps. En 1956, on est plus en direction de l’écoute que du tango de bal, par exemple.
Signalons que le même jour, Donato et Lagos ont enregistré De punta a punta une milonga écrite par Osvaldo Donato avec des paroles de Sandalio Gómez.

De punta a punta 1939-03-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos / Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Des rires aux larmes et des larmes aux rires

Nous reviendrons prochainement sur ce thème (le 26 mars), mais en attendant, deux titres.

Risas y lágrimas 1927-04-08 (valse) — Roberto Firpo con Jazz Band / F. Caso (rires et larmes)

Lágrimas y sonrisas 1950 Roberto Firpo (Hijo) y su Cuarteto (valse) / Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (larmes et rires) où Pascual De Gullo a merveilleusement joué des passages des modes mineurs à majeurs pour moduler les variations d’émotion.

Nous terminons donc sur des rires, mais avec moi, vous le savez, le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Ce tango a aussi été chanté avec sensibilité par deux hommes, Horacio Lagos et Oscar Peralta. Les hommes aussi peuvent pleurer les tristesses de la vie.

Cornetín 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tango du jour, Cornetín, évoque le cornet autrefois utilisé par les « conductors» del tranvía a motor de sangre (les chargés de clientèle des tramways à moteur de sang, c’est-à-dire à traction animale). Il a été enregistré il y a exactement 81 ans.

Éléments d’histoire du tranvía, le tramway de Buenos Aires)

Les premiers tramways étaient donc à traction animale. Vous aurez noté que les Argentins disent à moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraître étrange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvías de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)

En effet, à Buenos Aires, les chevaux étaient durement exploités et avaient une durée d’utilisation d’environ deux ans avant d’être hors d’usage contre une dizaine d’années en Europe, région où le cheval coûtait cher et était donc un peu plus préservé.
Nous avons déjà vu les calesitas qui étaient animées par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que très peu d’années, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrêt de l’utilisation des chevaux a été édicté pour éviter la cruauté envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont récupéré dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale à la traction électrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies résistantes à ce changement et qui ont continué jusqu’à la fin des années 20.
Il faut aussi noter que la réticence des passagers à la traction électrique, avec la peur d’être électrocuté, est aussi allée dans ce sens. Il faut dire que les étincelles et le tintement des roues de métal sur les rails pouvaient paraître inquiétants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du métro, fasciné par les nuées d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens également d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel équipement électrique, situé à la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de métro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetín

Celui qui tenait le cornetín, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mène l’attelage ou qui conduit les tramways électriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter à confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve également, héros de différents tangos que je présenterai en fin d’article.
Le cornetín servait à la communication entre le mayoral (à l’avant) et le conductor à l’arrière). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le départ et le second un cornet qui servait à avertir le conducteur qu’il devait s’arrêter à la suite d’un problème de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour présenter ses hommages à de jolies passantes.
C’est l’histoire de ce tango.

Extrait musical

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Les paroles

Tarí, Tarí.
Lo apelan Roque Barullo
conductor del Nacional.

Con su tramway, sin cuarta ni cinchón,
sabe cruzar el barrancón de Cuyo (al sur).
El cornetín, colgado de un piolín,
y en el ojal un medallón de yuyo.

Tarí, tarí.
y el cuerno listo al arrullo
si hay percal en un zaguán.

Calá, que linda está la moza,
calá, barriendo la vereda,
Mirá, mirá que bien le queda,
mirá, la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
frená porque se queja,
si está en movimiento.
Calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, tarí,
trota la yunta,
palomas chapaleando en el barrial.

Talán, tilín,
resuena el campanín
del mayoral
picando en son de broma
y el conductor
castiga sin parar
para pasar
sin papelón la loma
Tarí, tarí,
que a lo mejor se le asoma,
cualquier moza de un portal

Qué linda esta la moza,
barriendo la vereda,
mirá que bien le queda,
la pollerita rosa.
Frená, que va a subir la vieja,
Frená porque se queja
si está en movimiento,
calá, calá que sopla el viento,
calá, calá calamidad.

Tarí, Tarí.
Conduce Roque Barullo
de la línea Nacional.

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Parmi les détails amusants :

On notera le nom du conducteur du tranvía, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opérette. Celui-ci fait ralentir letranvía pour faciliter la montée d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.

Le Tarí, Tarí, ou Tará, Tarí est bien sur le son du cornetín.

“sabe cruzar el barrancón de Cuyo” – El barrancón de Cuyo est un ravin, comme si le tranvía allait s’y risquer. Cela a du parait re extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacé par el sur (dans le même sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs écrite par le même Homero Manzi. D’ailleurs la ligne nacionale pouvait s’adresser à celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.

Tangos sur le tranvía

Cornetín (le thème du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cátulo Castillo)

El cornetín (Cornetín) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán. C’est le premier de la série à être enregistré.

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cette chanson a été enregistrée un mois, jour pour jour, après la version de Di Sarli. Cette version, plutôt chanson est tout de même dansée dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’après un scénario d’Homero Manzi tiré de l’œuvre d’Enrique García Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943.
Cet extrait nous permet de voir comment était organisé un tranvía a motor de sangre, avec son mayoral à l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, à l’arrière, armé de son cornetín.

Cornetín 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.

Après une courte intro sur un rythme à trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le résultat est très sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agréable.

  • Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976…

Autres titres parlant du tranvía

El cochero del tranvía 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).

Le son est pénible à écouter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intérêt historique, je ne vous en voudrai par si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre.
El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/José Vázquez Vigo Letra: Joaquín Gómez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théâtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.

El mayoral del tranvía (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL)
Milonga del mayoral 1953 – Orquesta Aníbal Troilo con Jorge Casal y Raúl Berón arrangements d’Astor Piazzolla/Aníbal Troilo Letra: Cátulo Castillo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvías

En effet, les tranvías ont terminé leur carrière à Buenos Aires en 1962, soit environ un siècle après le début de l’aventure.

Tiempo de tranvías 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel Córdoba / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Un truc qui peut plaire à certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflée, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas présent, c’est un tranvía, pas un train qui passe.

Tiempo de tranvías 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto Néstor Vaz / Raúl Miguel Garello Letra : Héctor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serán castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se hará efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les

On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brésilien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvía perdu.

Quelques sources

Quelques sources

Tranvías a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
Un des premiers tramways électriques à avoir une grille pour sauver les piétons qui seraient percutés par le tramway. Cette grille pouvait se relever à l’aide d’une chaîne dont l’extrémité est dans la cabine de conduite.
Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)

5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Reconstitution du tranvía du film “Eclipse de sol”, car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scène est trop petite.
À l’époque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.
Trafic compliqué sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arrière-plan, les colonnes de la cathédrale. Trois tranvías électriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinée à éviter aux piétons de passer sous le tramway en cas de collision.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

Vicente Greco Letra : Pascual Contursi/Juan Sarcino/Jerónimo Gradito (trois versions des paroles)

Le tango du jour, el Flete a été enregistré il y a exactement 88 ans par Juan d’Arienzo. Je vous propose d’en voir un peu plus de ce tango qui est des premiers à avoir bénéficié de la collaboration avec Rodolfo Biagi.

Ceux qui parcourent les rues de Buenos Aires ont sans doute été surpris par l’abondance de ces camions antédiluviens et porteurs de charges parfois extravagantes.

Des camions de « Fletes » dans une rue de Buenos Aires.

Sur leurs flancs, l’indication « Fletes ». Ce sont des véhicules destinés aux livraisons. Si vous avez un canapé à vous faire livrer, ou tout un déménagement, vous ferez sans doute appel à un de ces services de fletes.
El flete, c’est donc la charge, la livraison, le transport, le colis Le mot « flete » vient du français « Fret ». On pense aux merveilleuses toiles et splendides émaux sur métal de Quinquela Martin où on voit les porteurs plier sous le poids des paquets qu’ils chargent et déchargent des bateaux dans le port de la Boca.

Quinquela Martin — Motivo de puerto. Émail sur fer (1946). 0,88×0,98 m. Au centre, on voit la traversée d’une passerelle. La musique m’évoque la marche de ces hommes.

Si vous allez à la Boca le quartier qui doit tant à Benito Quinquela Martin, n’oubliez pas de voir son joyau, le musée maison de ce peintre.

Ceux qui n’ont pas l’occasion de venir à Buenos Aires pourront avoir une idée de ce musée en regardant cette vidéo.

Anecdote : Víctor Fernández, directeur du Musée Benito Quinquela Martín est également DJ de tango, ce qui limite ma culpabilité dans mon excursion dans ce superbe musée.

Là, où on revient à notre tango du jour, El Flete

Le tango du jour est instrumental, on pourrait donc penser que l’on évoque le transport, le travail difficile de ceux qui l’effectuent, les véhicules lourdement chargés.
D’ailleurs, la musique encourage à cette interprétation. Quelques pas rapides et un pas plus pesant, comme un homme qui porterait une lourde charge en descendant du bateau et qui ferait de temps à autre une pause. Cette interprétation est pour moi renforcée par l’enregistrement par Firpo, surtout celui du 16 février 1916.
C’est un enregistrement acoustique, donc, avec les limites que cela implique. Dans cet enregistrement, je retrouve les pas alternés compatible avec le travail d’un flete, mais si on se souvent que Firpo aimait les tangos descriptifs (où la musique évoque les éléments réels), cela renforce l’hypothèse que le tango est en lien avec cette activité. Vous pourrez l’écouter à la fin de cet article.

Je te donne ma parole

Ou plutôt, mes paroles. En effet, pas moins de trois versions des paroles existent pour ce tango, bien que celui-ci soit quasiment toujours enregistré sans le chant. Il convient donc de les interroger et cela va donner des surprises par rapport à notre interprétation primitive.

Les paroles originales de Contursi (1914)

Pascual Contursi a écrit des paroles pour El Flete. Ce sont sans doute les paroles originales, celle d’une époque où le tango n’avait pas encore trouvé ses lettres de noblesse en France, Pays où Contursi terminera sa carrière.
Dans les paroles de Contursi, un peu confuses, car très chargées de sous-entendus et de lunfardo, on comprend que le climat de crainte qu’inspiraient certains malfrats n’encourageait pas les compadrons à faire les fiers quand ils les croisaient. Ils dégonflaient la poitrine et faisaient profil bas pour éviter de paraître celui qui a le plus d’oseille (flouze, argent), car celui-ci, ils l’envoyaient dans l’autre monde

Le dan flete pa’ la otra población.

Les paroles renouvelées, de Gradito

En lunfardo, El Flete désigne un cheval léger de monte, brillant et léger. Rien à voir avec les chevaux devant tirer les lourds chariots des fletes de l’époque.
Dans une des rares versions chantées dont on a l’enregistrement, Ernesto Fama chante le refrain des paroles de Gerónimo Gradito qui parlent d’un cheval de course, autre leitmotiv du tango.
Le cheval de couleur noisette, vainqueur de la course, permet d’attirer l’attention d’une jeune paysanne sur son lad, ce qui le rend amoureux.

Il existe également des paroles écrites par Juan Sarcino et qui font également référence à un cheval, mais à ma connaissance, nous n’avons pas d’enregistrement de cette version et je ne les possède pas. Si vous avez une version enregistrée et les paroles, je suis preneur.

Extrait musical

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est notre tango du jour. Il est le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments. À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.

Les paroles

Je propose ici les paroles par ordre chronologique. D’abord celles de Contursi, puis celles de Gradito. Elles nous content deux histoires très différentes, ce qui témoigne de la polysémie du mot Flete en espagnol argentin, mais aussi de l’évolution du tango qui des mauvais quartiers est passé dans la société plus aisée, où il était plus facile de parler d’un lad amoureux et de son cheval que de dangereux assassins rodant pour dépouiller les frimeurs.

Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Se acabaron los pesados,
patoteros y mentaos
de coraje y decisión.
Se acabaron los malos
de taleros y de palos,
fariñeras y facón.
Se acabaron los de faca
y todos la van de araca
cuando llega la ocasión.
Porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Esos taitas que tenían
la mujer de prepotencia,
la van de pura decencia
y no ganan pa’l bullón.
Nadie se hace el pata ancha
ni su pecho ensancha
de puro compadrón,
porque al de más copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra población.

Version de 1916 – Música : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Ici, on décrit un monde assez noir avec des hommes armés (taleros, palos, fariñeras, facón). En fait, il s’agit de se moquer des compadritos qui jouent les durs et qui n’en mènent pas large, il retrouvent une attitude décente, ne gonflent plus la poitrine, car ici, celui qui a le plus de pépètes (argent),, ils le goûtent (tâtent pour trouver ses richesses) et lui donnent une expédition (Flete) dans l’autre monde (ils le tuent).
Cette version des paroles peut également être compatible avec la musique, les alternances de la musique pouvant être les mouvements respectifs des assassins et de la victime.

Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

On peut imaginer que ces paroles violentes ont incité Fama à adopter des paroles plus légères à une époque où le tango était en train d’entrer dans la bonne société.

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difícil de empardar !
En las canchas no tenés rival,
y en una ocasión
que has de recordar
ganaste a un pangaré
y, al jinetearte, así
decía para mí:

¡Zaino,
mi viejo amigo,
de punta a punta, ganale!
¡Flete,
todo he jugado,
y en vos está mi esperanza!
¡Zaino!
¡Solo en la cancha !
¡Correlo al galope,
que atrás lo dejás !
¡Flete,
zaino de mi alma,
tuya es la carrera
que en ley la ganás !

Y al llegar vos triunfador
el pueblo te aplaudió,
y una paisanita
flores te tiraba
que después se acercó
y tu cabeza palmeó.
Y ella, desde entonces,
¡es mi único querer!…

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor…
¡Porque es tu corazón
difícil de empardar !
En los pueblos no tenés rival
como yo pa’el amor,
y al correrla los dos
siempre tenemos que ser:
¡Yo todo un buen varón
y un bravo flete vos !

Version de 1930 – Música : Vicente Greco — Letra : Gerónimo Gradito

Ici, il s’agit d’un lad qui tombe amoureux d’une jeune paysanne qui a envoyé des fleurs au cheval dont il s’occupe et qui lui a caressé la tête. Cependant, le lad ne peut pas s’empêcher de faire le fanfaron, disant qu’il n’a pas de rival pour l’amour, tout comme « Châtaigne », son cheval, n’a pas de rival dans la course. Je suis un bon homme et toi un brave flete.

À mon avis, qui en vaut sans doute un autre, sans être une référence, ces paroles ne conviennent pas totalement à la musique. On a du mal à y voir la fièvre de la course, l’exaltation du vainqueur et l’amour naissant. Je pense que c’est juste le fait que El Flete peut aussi bien considérer l’expédition que le cheval de course qui est à l’origine de cette fusion.

Comme j’aime bien faire des hypothèses, je me dis que le cheval de course est en fait l’héritier du cheval qui passait les messages et qui était donc rapide. C’est un peu ce que sous-entend ce tango, Zaino est le messager de l’amour.

Quelques versions

À titre de comparaison, quelques versions de ce tango qui n’est vraiment célèbre que sous la baguette de Juan d’Arienzo.

Les versions de Roberto Firpo. Il y a plusieurs versions, instrumentales et au piano. Je vous propose ma préférée, celle de 1916.

El Flete 1916-02-16 — Roberto Firpo.

Malgré les limites de l’enregistrement acoustique, la musique est agréable à écouter. Cela nous permet de rappeler qu’à cette époque, Firpo était un chef d’orchestre de tout premier plan.

El flete 1928-03-07 Orquesta Francisco Canaro

Un des premiers enregistrements électriques du thème. Une version encore empreinte du canyengue et probablement bien adaptée aux paroles sombres de Contursi. On retrouvera Canaro 11 ans plus tard dans une versión bien différente.

El flete 1930-09-16 — Orquesta Típica Porteña dir. Adolfo Carabelli con Ernesto Famá.

C’est un bon Carabelli et le plus ancien enregistrement en ma possession avec une partie chantée. Les paroles, comme nous l’avons vu ci-dessus sont celles de Gradito. La musique est désormais intermédiaire entre le planplan du canyengue et les versions futures plus dynamiques.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

C’est notre tango du jour. Le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur génial, Rodoflo Biagi. Cette version hérite du dynamisme de D’Arienzo et des facéties au piano de Biagi qui répondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurément un de plus plaisants à danser dans les milongas de Buenos Aires, grâce à ces jeux de réponses entre les instruments.
À noter que les premières rééditions sur CD, toutes tirées d’une même édition effectuée dans les années 50 sur disque vinyle comportaient un défaut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigées.

El Flete 1939-03-30

XXXX El Flete 1939-03-30 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. On retrouve Canaro dans une version avec un de ses quintettes, le Don Pancho (Pancho est un surnom pour le prénom Francisco, mais aussi quelqu’un qui fait l’andouille en lunfardo…). Contrairement à la version de 1928, cette version est bien plus allègre et d’une grande richesse musicale, notamment dans sa seconde partie. C’est un très beau Canaro, avec les interventions magnifiques de la flûte de José Ranieri Virdo (qui était aussi trompettiste de Canaro, mais pas dans cet enregistrement).

Je ne citerai pas d’autres versions, car elles n’apportent rien à notre propos. Voir, pour ceux que ça intéresse,

  • Héctor Varela (1950 et 1952),
  • Donato Racciatti y sus Tangueros del 900 (1959), où on retrouve la flûte, ici avec des guitares, mais le résultat est monotone.
  • Osvaldo Fresedo (1966), dans son style « Varela »…
  • La Tubatango (2006), une version amusante, joueuse comme une milonga et avec le retour de la flûte farceuse.

Je vais terminer cet article avec la Tubatango, mais dans une représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay.

La Tubatango, El flete, représentation théâtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay

Vous remarquerez l’apparition d’un riche ivrogne qui se fera jeter de scène. La Tuba Tango s’est donc inspirée des paroles originales de Contursi, ce qui est logique, puisqu’ils ont adopté un style canyengue.

Sur scène, ils expulsent l’ivrogne, ils le ne le tuent pas, mais je reste sur mes positions…

Photomontage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malandrins et qui risque de le payer très cher. Mais que faisait-il dans cette galère, dans le port de la Boca ? Dans le fond des détails de la toile Día luminoso de « Benito Quinquela Martín.

Paciencia 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Qui s’intéresse un peu, même de loin, au tango connaît Paciencia, (Patience), de D’Arienzo et Gorrindo. Je vous propose de le découvrir plus précisément, à partir de la version de Canaro et Maida enregistrée il y a exactement 86 ans.

Le prétexte étant le jour d’enregistrement, cela tombe sur cette version Canaro Maida, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidèle à sa composition toute sa vie.
Je ferai donc la part belle à ses enregistrements en fin d’article.
La beauté et l’originalité des paroles de Francisco Gorrindo avec son « Paciencia », ont fait beaucoup pour le succès de ce thème qui a donné lieu à des versions chantées, des chansons et même instrumentales, ce qui est toutefois un peu dommage 😉

Extrait musical

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Il s’agit d’une version instrumentale avec estribillo réduit au minimum. Roberto Maida chante vraiment très peu. La clarinette de Vicente Merico est ici plus présente que lui. On constate dans cette interprétation le goût de Canaro pour les instruments à vent.

Les paroles

Dans cette version, les paroles sont réduites au minimum, je vous invite donc à les savourer avec les autres enregistrements de ce titre, sous le chapitre « autres versions ».

Anoche, de nuevo te vieron mis ojos ;
anoche, de nuevo te tuve a mi lado.
¡Pa qué te habré visto si, después de todo,
fuimos dos extraños mirando el pasado!
Ni vos sos la misma, ni yo soy el mismo…
¡Los años! … ¡La vida!… ¡Quién sabe lo qué!…
De una vez por todas mejor la franqueza:
yo y vos no podemos volver al ayer.

Paciencia…
La vida es así.
Quisimos juntarnos por puro egoísmo
y el mismo egoísmo nos muestra distintos.
¿Para qué fingir?
Paciencia…
La vida es así.
Ninguno es culpable, si es que hay una culpa.
Por eso, la mano que te di en silencio
no tembló al partir.

Haremos de cuenta que todo fue un sueño,
que fue una mentira habernos buscado;
así, buenamente, nos queda el consuelo
de seguir creyendo que no hemos cambiado.
Yo tengo un retrato de aquellos veinte años
cuando eras del barrio el sol familiar.
Quiero verte siempre linda como entonces:
lo que pasó anoche fue un sueño no más.

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Traduction

Hier soir, à nouveau mes yeux t’ont vue,
hier soir, à nouveau, je t’avais de nouveau à mes côtés.
Pourquoi t’ai-je revue, si au final,
nous fûmes deux étrangers regardant le passé !
Ni toi es la même, ni moi suis le même,
Les années, la vie, qui sait ce que c’est ?
Une fois pour toutes, la franchise vaut mieux ;
toi et moi ne pouvons pas revenir en arrière (à hier).

Patience…
la vie est ainsi.

Nous voulions nous rejoindre par pur égoïsme
et le même égoïsme nous révèle, différents.
Pourquoi faire semblant ?

Patience…
la vie est ainsi.
Personne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute.
C’est pourquoi la main que je t’ai tendue en silence n’a pas tremblé à la séparation.

Nous ferons comme si tout ne fut qu’un rêve,
que c’était un mensonge de nous être cherché ;
ainsi, heureusement, nous reste la consolation
de continuer de croire que nous n’avons pas changé.
J’ai un portrait de ces vingt années-là,
quand du quartier, tu étais le soleil familier,
je veux toujours te voir jolie comme alors.
Ce qui s’est passé la nuit dernière ne fut qu’un rêve, rien de plus.

Maida ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres versions où les paroles sont plus complètes.
Le même jour, Canaro enregistrait avec Maida, la Milonga del corazón.

Milonga del corazón 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Une milonga qui est toujours un succès, 86 ans après son enregistrement.

Autres versions

Paciencia 1937-10-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Enrique Carbel. C’est le plus ancien enregistrement. On pourrait le prendre comme référence. Enrique Carbel chante le premier couplet et le refrain.
Paciencia 1938-01-14 — Héctor Palacios accompagné d’une guitare et d’une mandoline. Dans cet enregistrement, Héctor Palacios chante toutes les paroles. Enregistré en Uruguay.

Héctor Palacios est accompagné par une guitare et une mandoline. Le choix de la mandoline est particulièrement intéressant, car cet instrument bien adapté à la mélodie, contrairement à la guitare qui est plus à l’aide dans les accords est le second « chant » de ce thème, comme une réponse à Magaldi. On se souvient que Gardel mentionne la mandoline pour indiquer la fin des illusions « Enfundá la mandolina, ya no estás pa’serenatas » ; Range (remettre au fourreau, comme une arme) la mandoline, ce n’est plus le temps des sérénades. Musique de Francisco Pracánico et paroles d’Horacio J. M. Zubiría Mansill. J’imagine que Palacios a choisi cet instrument pour son aspect nostalgique et pour renforcer l’idée de l’illusion perdue de la reconstruction du couple.

Paciencia 1938-01-26 — Agustín Magaldi con orquesta.

Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit également d’une chanson. L’introduction très courte (10 secondes) elle présente directement la partie chantée, sans le début habituel. Magaldi chante l’intégralité des paroles. Le rythme est très lent, Magaldi assume le fait que c’est une chanson absolument pas adaptée à la danse. On notera sa prononciation qui « mange le « d » dans certains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Palacios et d’autres de l’époque, également).

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est la version du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette version, car Maida ne chante que le refrain, aucun des couplets.
Paciencia 1938 — Orquesta Rafael Canaro con Luis Scalón.

Cette version est contemporaine de celle enregistrée par son frère. Elle a été enregistrée en France. Son style bien que proche de celui de son frère diffère par des sonorités différentes, l’absence de la clarinette et par le fait que Scalón chante en plus du refrain le premier couplet (comme l’enregistra Carbel avec D’Arienzo, l’année précédente.

Paciencia 1948 — Orquesta Típica Bachicha con Alberto Lerena.

Encore une version enregistrée en France. Lerena chante deux fois le refrain avec un très joli trait de violon entre les deux. Le dernier couplet est passé sous silence.

Paciencia 1951-09-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

14 ans plus tard, D’Arienzo réenregistre ce titre avec Echagüe. Dans cette version, Echagüe chante presque tout, sauf la première moitié du dernier couplet dont il n’utilise que « Yo tengo un retrato de aquellos veinte años […] lo que pasó anoche fue un sueño no más. Le rythme marqué de D’Arienzo est typique de cette période et c’est également une très belle version de danse, même si j’ai personnellement un faible pour la version de 1937.

Paciencia 1951-10-26 — Orquesta Héctor Varela con Rodolfo Lesica. Dans un style tout différent de l’enregistrement légèrement antérieur de D’Arienzo, la version de Varela et Desica est plus « décorative ». On notera toutefois que Lesica chante exactement la même partie du texte qu’Echagüe.
Paciencia 1959-03-02 — Roberto Rufino accompagné par Leo Lipesker. Dans cet enregistrement, Rufino nous livre une chanson, jolie, mais pas destinée à la danse. Toutes les paroles sont chantées et le refrain, l’est, deux fois.
Paciencia 1961-08-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Horacio Palma.

Comme dans la version enregistrée avec Echagüe, dix ans auparavant, les paroles sont presque complètes, il ne manque que la première partie du dernier couplet. Une version énergique, typique d’El Rey del compas et Palma se plie à cette cadence, ce qui en fait une version dansable, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce chanteur qui pousse plutôt du côté de la chanson.

Paciencia 1964 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin. Encore une version enregistrée en France, mais cette fois, instrumentale, ce qui est dommage, mais qui me permet de montrer une autre facette de ce titre.
Paciencia 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Echagüe.

D’Arienzo et Echagüe ont beaucoup interprété à la fin des années 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Paciencia dans leurs concerts. Cette version de studio est de meilleure qualité pour l’écoute, mais il est toujours sympathique de voir D’Arienzo se démener.

Vidéo enregistrée en Uruguay (Canal 4) en décembre 1969 (et pas février 1964 comme indiqué dans cette vidéo).

Après la mort de D’Arienzo, les solistas de D’Arienzo l’enregistrèrent à diverses reprises, ainsi que des dizaines d’autres orchestres, Paciencia étant un des monuments du tango.

J’ai ici une pensée pour mon ami Ruben Guerra, qui chantait Paciencia et qui nous a quittés trop tôt. Ici, à la milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires, milonga que j’ai eu l’honneur de musicaliser en doublette avec mon ami Quique Camargo.

Ruben Guerra, Paciencia, milonga d’El Puchu à Obelisco Tango à Buenos Aires.18 août 2017.

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Carlos Gardel et José Razzano (paroles et musique)

Con los amigos (a mi madre) est un thème écrit par Carlos Gardel et José Razzano. Mais la version que j’ai choisie pour le tango du jour a été enregistrée le 2 mars de 1943 par Tanturi et Castillo. La particularité est que la chanson originale s’est commuée en valse, mais ce n’est pas la seule surprise…

On connaît, un peu l’histoire de Carlos Gardel, je devrais dire les histoires pour ne pas fâcher mes amis Uruguayens et Argentins. Que Gardel soit enfant de France, ou de quelque qu’autre endroit, il a eu une relation particulière avec sa mère.
Pas forcément celle qu’elle espérait, dans la mesure où il a fait les 400 coups et même des coups plutôt pendables.
On sait cependant que Gardel avait un bon cœur et qu’il chérissait sa mère, même s’il ne l’a pas toujours entouré de toute l’affection qu’elle aurait pu attendre.
Cette chanson doit sans doute être prise pour un regret, un remords, un hommage à sa mère qui a élevé seule ce chenapan de Gardel.

Extrait musical

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Valse)

Les paroles

Con los amigos que el oro me produjo
Pasaba con afán las horas yo
Y de mi bolsa el poderoso influjo
Todos gozaban de esplendente lujo
Pero mi madre, no

¡Pobre madre!, yo de ella me olvidaba
Cuando en los brasosdel vicio me dormí
Un inmenso cortejo me rodeaba
Yo a nadie mi afecto le faltaba
Pero a mi madre, sí

¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
Pero mi madre, no

Y cerca ya del último suspiro
Nadie se acuerda por mi mal, de mí
La vista en torno de mi lecho giro
Y en mi triste en derredor a nadie miro
Pero a mi madre, sí

¡Hoy moribundo en lágrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabó
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
¡Pero mi madre, no!

Carlos Gardel et José Razzano (musique et paroles)

Je propose ici les deux premiers couplets et le dernier, pour vous donner une idée du thème de ce tango.
Avec les amis que l’or me procurait, moi, je trompais les heures, et de ma poche, le pouvoir influait. Tous jouissaient d’un luxe splendide, mais ma mère, non !
Pauvre mère ! Moi, je l’oubliais quand dans les bras (emprise, mais j’aime mieux le changement de parole de la version de Canaro) du vice je m’endormis.
Une immense cour m’entourait. Personne ne manquait de mon affection. Mais ma mère, si.

[…]
Aujourd’hui, moribond, en larmes, défait, je crie de douleur, tout est fini et à voir ma poitrine oppressée gémir, tous quittent mon pauvre lit, mais ma mère, non.
La morale de ce tango pourrait être que les amis faits par l’argent ne valent pas l’amour d’une mère.

Autres versions

Tout d’abord, un exemple de la chanson originale par Carlos Gardel, celle qu’il chantait pour exprimer ses regrets à sa mère.
Il existe plusieurs enregistrements, 1919,192 0, 1930, 1933. J’ai choisi celui-ci où l’on ressent bien l’émotion dans la voix de Gardel.

A mi madre (Con los amigos) 1930-05-22 Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, José María Aguilar, Domingo Riverol (guitares).

Version en chanson, avec de jolies guitares. Bien sûr, pas pour la danse. D’ailleurs Gardel ne se danse pas, même si on danse sur plusieurs de ses titres quand ils sont joués par d’autres orchestres, comme celui de Tanturi ou celui de Canaro dans ce cas (voir ci-dessous).

Con los amigos (A mi madre) 1943-05-12 — Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.
Gardel à Nice en 1931. Il est au centre avec Charlie Chaplin. Pensait-il à ce moment à sa mère ?
Charlie Chaplin, c’est Charlot, à ne pas confondre avec le chanteur Charlo 😉

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 – Carlos di Sarli (Sexteto)

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra: Ernesto Marsili

Le tango du jour, Cuando bronca el temporal, a été enregistré par Di Sarli avec son sexteto, le premier mars 1929, il y a exactement 95 ans. Il a été écrit par l’auteur de la Cumparsita.

Un temporal, c’est une tempête. Une bronca, c’est une colère. Cependant, la tempête dont nous parlons aujourd’hui est autant dans les crânes que dans la ville. Une fois de plus, les paroles d’un tango jouent sur les mots. Ernesto Marsili a fait le parallèle entre la tempête qui se déchaîne à l’extérieur et les sentiments qui s’entrechoquent dans la tête de l’homme abandonné.

Il y a quelques semaines, en Argentine, il y a eu des tempêtes violentes. On déplore des morts, notamment à Mar del Plata, la ville natale d’Astor Piazzolla. À Buenos Aires, des centaines d’arbres ont été abattus et une fleur a perdu un de ses pétales.

Le ciel juste avant le début du temporal, à Buenos Aires.
Floralis Genérica después del temporal. Un des pétales est au sol. Trois mois après, elle n’a toujours pas été réparée. En revanche, le parc a été réouvert quelques semaines plus tard, lorsque les arbres dangereux ont été sécurisés.

Extrait musical

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 — Carlos Di Sarli (Sexteto)

Extrait musical

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 — Carlos Di Sarli (Sexteto)

On a un peu de mal à imaginer la tempête ou les tempêtes. Pour les danseurs qui ne connaissent pas le titre, comme cette version est instrumentale, ce n’est pas forcément gênant.
Carlos Di Sarli nous propose un tango plan-plan, bien canyengue.
Je sais que certains adorent ce qu’il a enregistré à l’époque de son sexteto, mais pour ma part, je préfère ces années 40 et 50 pour la richesse des arrangements et la qualité de l’interprétation.

Bien sûr, comme DJ, je peux être amené à passer du canyengue, justement, car certains aiment cela.

Les paroles

La version de Di Sarli avec son sexteto est instrumentale. Cependant, Ernesto Marsili a écrit un texte qui fait le parallèle entre la tempête et les sentiments de l’homme abandonné. Peut-être temporairement. Elle est sortie se passer les nerfs (Pa´ sacarte el berretín).

Mina, mina desalmada
Que de puro empecinada,
Una noche ´e tempestad
Te piantaste del bulín…
Me dijiste: “Está lloviendo
voy a descolgar la ropa”,
Y rajaste hecha una sopa
Pa´ sacarte el berretín.

Desde entonces en la noche,
Con su estrépito infernal
Me despierta el temporal…
Me parece que en el patio
Otra vez vuelvo a escuchar,
Tu nervioso taconear…

Me parece que estás cerca
¡Pero qué vas a ser vos!,
Es el ruido de la lluvia
Que lo engrupe al corazón,
Que lo engrupe al corazón.

Cuando fría y despiadada
Como pilcha abandonada,
Me dejaste en la catrera
No pensaste en mi dolor.
Y olvidaste aquel cariño
Que te contentó, es perfecto,
De un rezongo, con un beso
De un desdén con una flor.

Olvidaste aquel cariño
Que yo no puedo olvidar,
Aunque lo quiero lograr…
Ni los ecos de tus pasos
Cuando bronca el temporal,
Con su estrépito infernal…

Me parece que estás cerca
¡Pero qué vas a ser vos!,
Es el ruido de la lluvia
Que lo engrupe al corazón,
Que lo engrupe al corazón.

Gerardo Hernán Matos Rodríguez Letra : Ernesto Marsili.

Bref résumé de l’intrigue

Les paroles, qui ne sont pas utilisées par Di Sarli, nous apprennent qu’elle est partie rentrer le linge à cause de la pluie qui arrivait (assurément un prétexte), puis est allée passer sa colère. Lui s’est endormi et l’orage l’a réveillé. Le bruit des gouttes d’eau évoquait les talons de la belle qui n’était toujours pas revenue. La fin n’est pas dite. Faut-il croire en son espoir de réunir le cœur ? Pas sûr.
Je vous propose également une version chantée. La plus ancienne enregistrée dont je dispose dans ma collection (on peut toujours espérer trouver d’autres enregistrements. Le milieu de la recherche en tango est très actif) est celle de Francisco Lomuto. Elle est chantée par Charlo (Carlos José Pérez). Cette version est un eu antérieure à celle du jour, elle est du 10 décembre 1928.

Cuando bronca el temporal 1928-12-10 — Orquesta Francisco Lomuto con Charlo.

Seule la partie en rouge et gras des paroles est chantée par Charlo. Il se contente d’un couplet et du refrain. La musique est également empreinte de canyengue. C’était dans l’air du temps. J’aime bien la prestation de Charlo, dans ce titre.

Desde entonces en la noche, con su estrépito infernal me despierta el temporal… (Plus tard, dans la nuit, avec ses rugissements infernaux, l’orage me réveilla)

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi

Alfredo De Angelis Letra : Carmelo Volpe

Le cono azul cache une histoire triste, mais vécue par des milliers de jeunes Françaises. Le tango du jour Bajo et cono azul a été enregistré par De Angelis et Floreal Ruiz, il y a exactement 80 ans, le 29 février 1944.

Comme il y a peu de 29 février, seulement les années bissextiles, on pouvait craindre qu’il soit difficile de trouver un enregistrement du jour. La richesse des enregistrements de tango, même si ce n’est qu’un faible pourcentage de ce qui a été joué permet de vous présenter cette perle.

Dedico esta nota a mi querida cuñada Marta cuyo cumpleaños es hoy.
Ella tiene suerte (o mala suerte) de cumplir solo cada cuatro años).

La triste histoire de Susú et autres grisettes

La France, et notamment Paris, a été un réservoir inépuisable de femmes pour l’Argentine et notamment Buenos Aires. De beaux Argentins faisaient de belles promesses aux belles Françaises. Ces dernières, à la recherche du soleil (celui du drapeau de Manuel Belgrano ou tout simplement celui du ciel austral), font leur maigre bagage et se retrouvent au sein du rêve portègne.
Las, là, les promesses se changent en trahison et les belles, dans le meilleur des cas deviennent « grisettes », à faire des œuvres de couture, mais beaucoup se retrouvent dans les bordels, à danser et à se livrer à d’autres activités usuelles dans ce genre d’endroit.
On imagine leur détresse. C’est ce qui est arrivé à la Susú de ce tango, comme à tant d’autres qui ont inspiré des dizaines de tangos émouvants.
Le point original de ce tango est que le narrateur connaissait et probablement aimait (il s’interroge sur ce point) Susú à Paris et qu’il l’a suivie quand elle est partie avec son « amour ».
Aujourd’hui, vingt ans et « un amour » plus tard, elle continue de danser, mais elle qui se rêvait papillon, s’est brûlé les ailes à la chaleur de la lumière du projecteur et pleure dans l’ombre du salon où s’écrit jour après jour son malheur.
Écoutons à présent ce thème qui unit Paris et le Cono sur (le cône du Sud), partie inférieure et triangulaire de l’Amérique latine.

Extrait musical

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) – Orquesta Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi.
L’introduction parlée dure 13 secondes…

Un certain nombre de tangos ont été enregistrés avec des paroles dites, généralement en début de musique. C’est le cas de ce tango ou ces glosas dites par Néstor Rodi dévoilent la tristesse du thème.
La musique de De Angelis est rythmée et tonique et la voix de Floreal Ruiz, est également bien marquée. Je ne sais pas si c’est pour cela qu’il a pris le surnom de Carlos Martel. C’était peut-être aussi en hommage au plus fameux des Carlos du tango.

Les paroles

Bajo el cono azul de luz
bailando está Susú
su danza nocturnal…
Sola, en medio del salón
se oprime el corazón
cansada de su mal…
Veinte años y un amor,
y luego la traición
de aquel que amó en París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz azul de un reflector!…

Bajo el cono azul
envuelta en el tul
gira tu silueta en el salón.
Y yo, desde aquí
como allá, en París,
Sueño igual que ayer, otra ilusión…
No sé si te amé…
Acaso lloré
cuando te alejaste con tu amor…
¡Triste recordar!
¡Sigue tu danzar!…
Yo era sólo un pobre soñador…

Bajo el cono azul de luz
no baila ya Susú
su danza nocturnal…
En las sombras del salón
solloza un corazón
su mal sentimental…
Veinte años y un amor,
que en alas de ilusión
la trajo de París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz de un reflector! …

Alfredo De Angelis Letra: Carmelo Volpe. La partie en italique n’est pas chantée par Floreal Ruiz. Il reprend pour terminer le refrain à partir de No sé si te amé…

La traduction des paroles

Les paroles sont intéressantes, mais sujettes à erreurs d’interprétation. J’ai donc décidé de faire une traduction en français. Avec la traduction automatique du site, vous l’aurez dans une éventuelle autre langue parmi les 50 possibles.

Sous le cône de lumière bleu, Susu danse sa danse nocturne…
Seule au milieu du salon, le cœur oppressé, fatiguée de son mal…
Vingt ans et un amour, et puis la trahison de celui qu’elle aimait à Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne trouve que la lumière bleue d’un projecteur !
(réflecteur, mais pour faire un cône de lumière il vaut mieux un projecteur…)

Sous le cône bleu, enveloppée de tulle, virevolte ta silhouette dans le salon.
Et moi, depuis ici comme là-bas, à Paris, je rêve comme hier, une autre illusion…
Je ne sais pas si je t’aimais…
J’ai peut-être pleuré quand tu es partie avec ton amour…
Triste souvenir !
Continue de danser ! …
Je n’étais qu’un pauvre rêveur…
 
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…
Vingt ans et un amour, que sur les ailes de l’illusion il l’a amenée de Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne rencontre que la lumière d’un projecteur ! …

Autres tangos enregistrés un 29 février

De Angelis a enregistré le même jour Ya sé que siguen hablando avec le chanteur Julio Martel. Le même jour, Floreal ne pouvait donc pas prendre son pseudonyme de Carlos Martel, hein ?

Ya sé que siguen hablando 1944-02-29 – Alfredo De Angelis con Julio Martel. Enregistré le même jour que Bajo el Cono Azul.
Canaro 1956-02-29 – Florindo Sasone. Une version curieuse, à la fois pour le thème, enregistré pour la première par Canaro en 1915 (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). C’est un mélange d’un des styles de Canaro et de Sasone, assez étonnant.
Lagrimas 1956-02-29 Florinda Sasone. Enregistré le même jour, ce tango est plus dans l’esprit pur Sasone avec les dings si caractéristiques qui ponctuent ses interprétations.
De qué podemos hablar 1956-02-29 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma. Ledesma, une des grandes voix du tango. Mais est-ce sa meilleure interprétation, je ne suis pas sûr.
Mala yerba 1956-02-29 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con Rodolfo Galé. Enregistré le même jour que De qué podemos hablar. Cette valse n’est pas la plus entraînante, notamment à cause de la prestation de Galé, qui chante magnifiquement, mais pas forcément idéalement pour la danse.
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…

Ahora voy a tomar mate con yerba que no sea mala y con yuyos de sierras, y después a bailar el chamame qué estoy en la provincia de Corrientes. Qué la tristeza se va.

Et maintenant, je vais prendre un mate avec de la yerba qui ne soit pas mauvaise et des herbes de montagne. Ensuite, je vais danser le chamamé, car je suis dans la province de Corrientes, pour que la tristesse s’en aille.

El chamamé ya es Patrimonio Cultural Inmaterial de la Humanidad [Le chamame est désormais au Patrimoine Immatériel de l’Humanité (Unesco)]

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Le tango du jour, Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945, il y a 79 ans par Aníbal Troilo et Floreal Ruiz. C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Les paroles

Callejón… callejón…
lejano… lejano…
íbamos perdidos de la mano
bajo un cielo de verano
soñando en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tango-
y los dos perdidos de la mano
bajo el cielo de verano
que partió…

Déjame que llore crudamente
con el llanto viejo adiós…
adonde el callejón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-trenzas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emoción de haber vivido
y aquel cariño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tango-
y este llanto mío entre mis manos
y ese cielo de verano
que partió…

Domingo Federico Letra: Homero Expósito

Autres versions

Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.
Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le tango du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.
Yuyo verde 1945-05-08 — Tania y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’enregistrement de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.

Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son Trío Saludos et les chanteurs Rubén Maciel et Rubén Sánchez. Je vous fais grâce de cette version kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à Rosario avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con Héctor Gatáneo. J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur.
Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec Roberto Minondi. Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 – Orquesta Romantica Milonguera con Roberto Minondi.

Clin d’œil

Un cuarteto organisé autour du guitariste Diego Trosman et du bandéoniste Fernando Maguna avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la milonga La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.

La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)

Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite histoire, ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…

Por vos… Yo me rompo todo 1939-02-27 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Francisco Canaro (Francisco Canarozzo) musique et paroles

Le tango d’aujourd’hui a été enregistré par Francisco Canaro avec le chanteur Ernesto Famá, le 27 février 1939, il y a exactement 85 ans. Mais je vous parlerai aussi de la version de son frère, Rafael, enregistrée la même année, en France et avec lui-même comme chanteur.

J’ai déjà cité deux Canaros, il s’agit en fait d’une famille de musiciens de tango que je vous invite à découvrir.

Les Canaros

De cette famille uruguayenne de musiciens, Francisco Canaro (Canarozzo) est sans doute le plus connu, mais il avait quatre frères musiciens de tango, Rafael, Humberto, Juan et Mario.

  • Francisco, l’aîné (26 novembre 1888 – 14 décembre 1964) était compositeur, chef d’orchestre et violoniste.
  • Rafael (22 juin 1890 – 28 janvier 1972) était compositeur, chef d’orchestre, contrebassiste et joueur de scie musicale. Il a passé une douzaine d’années en France avant la Seconde Guerre mondiale. Il a enregistré des tangos chantés en français, notamment avec Toussaint.
  • Juan (23 juin 1892 – 16 mars 1977) était compositeur, chef d’orchestre et bandonéoniste. Il est également passé par Paris, mais a beaucoup voyagé et ne s’y est pas fixé.
  • Humberto (16 août 1896 – 26 août 1952) était compositeur, chef d’orchestre et pianiste. Il n’est venu en France qu’après la Seconde Guerre mondiale.
  • Mario (14 mai 1903 – 19 juin 1974) est le seul à être né en Argentine, à Buenos Aires et ne pas avoir été chef d’orchestre. En revanche, il était compositeur, violoniste, bandonéiste et contrebassiste. Il termina sa formation musicale en France et en Belgique et resta à Paris, jusqu’en 1939, chassé, comme Rafael, par la guerre.

On constatera que les frères Canaro pouvaient à eux seuls faire un quintette de qualité. L’histoire des Canaro est également liée à la France. Ils ont permis au tango de se développer en remportant un immense succès en Europe. Tous les frères y sont passés. Francisco y a fait plusieurs séjours et Rafael et Juan s’y sont établis et n’en sont partis qu’à cause de la Seconde Guerre mondiale.

Le titre du jour nous donne une preuve de l’internationalisme du tango, peut-être le même jour (il y a un petit doute entre le 26 et le 27 février 1939, Francisco et Rafael enregistraient Por vos… yo me rompo todo.

Le dialogue transatlantique

La version de Francisco a été enregistrée à Buenos Aires (matrice 9814-1) et diffusée par Odéon en Argentine et en Angleterre. Le chanteur en est Ernesto Famá dont la voix gouailleuse et un peu ironique convient bien au thème.

Rafael a, pour sa part, enregistré chez Columbia, en France (matrice CL 7130-1). C’est lui qui chante, ainsi que le chœur de ses instrumentistes qui remprennent les “ma china” et le final, comme cela se faisait assez fréquemment à l’époque. À ce sujet, il y a deux jours, j’étais dans une milonga animée par un quatuor (qui va prochainement faire un tour en Europe) et où les musiciens faisaient le chœur. Le résultat était mitigé, car les voix étaient trop proches et désaccordées. Pour moi, cela gâchait leur prestation musicale, car les quatre étaient d’excellents musiciens. Espérons que pour leur tournée en Europe ils vont abandonner cette idée ou a minima ne laisser qu’un seul chanter ces brefs estribillos pour ne pas atténuer le plaisir des danseurs.

Version Francisco diffusée en Argentine, au centre, version Francisco éditée en Angleterre et à droite, la version de Rafael, éditée en France.

Extrait musical

Vous aurez le droit à deux pour le prix d’un.

Por vos… yo me rompo todo 1939-02-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá
Por vos… yo me rompo todo 1939 – Orquesta Rafael Canaro con Rafael Canaro y coro

Les paroles

Yo soy como el ave que canta y no llora
Como la calandria, igual que un zorzal
Cuando canto, canto, cuando rio, rio
Cuando quiero, quiero con todo el corazón
Yo soy como el ave que canta y no llora
Y busco un cariño para mi pasión
Por vos yo me rompo todo
Mi china
Por vos yo me juego entero
Mi vida
Por vos yo seré doctor, todo un gran señor
Rico y distinguido
Por vos yo seré ladrón, guapo y con padrón
Malo y atrevido
Por vos yo me rompo todo
Mi china
Porque sos mi «metegol»

Francisco Canaro (Francisco Canarozzo) musique et paroles

Les paroles sont assez simples et sans trop de sous-entendus qui les compliquent.
Voici, cependant, quelques indications :

Je suis comme l’oiseau qui chante et ne pleure pas
La calendria (Mimus saturninus, espèce d’alouette) est un oiseau chanteur, très commun à Buenos Aires.
Le zorzal (turdus rufiventris, merle à ventre roux) est un autre oiseau chanteur. C’était aussi le surnom de Carlos Gardel, référence en matière d e chant en Argentine…

Por vos yo me rompo todo […] Por vos yo me juego entero
Plusieurs interprétations sont possibles, mais on pourrait traduire par il se met en quatre, en risque, en jeu.

Mi china
La china est une femme de condition modeste, de la campagne, ou d’origine indienne, mais c’est aussi un terme affectueux. Cela peut aussi être un canif qui se dit « cortaplumas » selon le dictionnaire lunfardo de Dellepiane, ce qui prend sa saveur quand il se désigne comme étant un oiseau. Dans le cas présent, il est probable que ma chérie serait une traduction valable, comme le confirme l’expression Mi vida utilisée ensuite.

Il est vraiment prêt à tout, docteur, grand seigneur ou voleur, courageux, avec un casier judiciaire. Riche et distingué dans le premier cas, mauvais et audacieux dans le second.

Sos mi «metegol»

Un métegol, c’est un baby-foot (marquer un but). Le fait qu’il compare sa china (chérie) à un baby-foot peut sembler étrange. Peut-être est-ce la preuve de la passion des Argentins pour le foot et ce jeu. S’il aime cette femme autant que le baby-foot, c’est que c’est du sérieux. C’est peut-être moins glorieux s’il se réfère qu’il l’a à sa main et qu’il peut la manipuler comme les personnages du jeu.
La preuve que cet engouement continue, en 2013, ils ont réalisé un film d’animation en 3D qui s’appelle Metegol… Le héros du film, Amadeo, est un passionné de football. Au point qu’il passe la ses journées, à jouer au baby-foot. Mais après qu’il eut battu le caïd du coin, ce dernier le met au défi de jouer dans un véritable match de football. Les personnages du babyfoot viendront prêter main-forte à Amadeo. Au-delà, cet argument se joue la lutte du passé et du futur. Le caïd, Grosso, veut raser la ville pour construire un immense stade de football. Tous les ingrédients de l’Argentine actuelle sont dans ce scénario, non ?

Metegol est un film argentin et espagnol d’animation en 3D. Il a été dirigé par Juan José Campanella et est inspiré du conte « Memorias de un wing derecho » de l’écrivain argentin Roberto Fontanarrosa

GOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOLLLLL
(BUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUTTTT)

Tu es mon baby-foot…

Fuegos artificiales 1941-02-26 (Tango) – Orquesta Juan D’Arienzo

Roberto Firpo ; Eduardo Arolas

Le tango d’aujourd’hui a été enregistré par Juan D’Arienzo, le 26 février 1941, il y a exactement 83 ans. Los fuegos artificiales sont les feux d’artifice. Nous verrons dans cet article qu’on peut les voir réellement dans la musique.

Ceux qui connaissent un peu l’Argentine savent qu’ils sont fans d’expériences pyrotechniques. Cependant, contrairement à la France, ce ne sont pas les communes qui les proposent, ce sont les Argentins eux-mêmes qui rivalisent avec leurs voisins pour proposer le plus beau spectacle. Roberto Firpo et Eduardo Arolas se sont donc inspirés de ces feux d’artifice pour proposer un tango descriptif où se voient et s’entendent les fusées.

Roberto Firpo

Roberto Firpo, un des auteurs de cette musique, a souvent composé des tangos imagés, c’est-à-dire où la musique cherche à imiter des sons de la vie réelle. On connaît, par exemple :
El amanecer (l’aube) avec ses oiseaux qui accueillent le soleil ; El burrito (l’âne) un pasodoble où on entend quelques facéties d’un âne ; El rápido (tango) imitation du train avec dans certaines versions des annonces du type (second service du restaurant). Biagi et Piazzolla par exemple, reprend ce thème de façon plus musicale, pour la danse dans le cas de Biagi et pour l’écoute en ce qui concerne Piazzolla, mais dans tous les cas on reconnaît bien le train ; La carcajada le rire.

Fuegos artificiales est donc dans cette lignée et il n’est pas difficile d’imaginer la trajectoire des cohetes (fusées) en écoutant les différentes versions de cette œuvre.

Roberto Firpo a composé énormément. Il n’est pas un chef d’orchestre de premier plan, mais tous les danseurs de tango ont dansé, parfois sans le savoir, bon nombre de ses créations interprétées par d’autres orchestres.
En plus d’El amanecer, on pourrait citer, Alma de bohemio dont il existe des dizaines de versions, dont celle très exceptionnelle de Pedro Laurenz chantée par Alberto Podestá qui tient la note pendant une durée incroyable, Argañaraz (Aquellas farras), Didi, El apronte ou Viviani.

Extrait musical

Fuegos artificiales 1941-02-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.mp3. C’est le premier enregistrement de ce thème par D’Arienzo et celui qui fait l’objet de cet article.

Les paroles… la musique en images

Comme il s’agit d’un tango instrumental et que personne n’a eu l’idée d’y mettre des paroles. Je vous propose de voir les fusées du feu d’artifice dans la musique.
En effet, pour travailler la musique, les logiciels spécialisés proposent différents outils. Un que j’aime bien est la représentation de la fréquence spectrale.
Le principe est simple. Plus un son est grave et plus il est représenté en bas du spectrogramme. Mais ici, ce n’est pas la technique qui nous intéresse, mais ce qu’on peut voir avec cet outil. Nous allons voir trois versions. Celle de Firpo (le compositeur) en 1927, puis en 1928 et enfin celle qui fait l’objet de la composition du jour, celle de D’Arienzo de 1941.

Spectrogramme de la version de 1927 de Firpo. Observez les lignes obliques qui indiquent, de gauche à droite, une descente chromatique, une remontée chromatique (on dirait un V, visible dans la première moitié) puis une descente vers le spectre grave vibrée dans la seconde moitié. Ce sont les fusées du feu d’artifice qui montent et descendent.
Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 28 et 1 h 36.
Version de 1928 de Firpo. Elle est sensiblement différente de celle de 1927. La montée chromatique est effectuée par tout l’orchestre et la descente par les seuls violons. Le motif en V de la version de 1927 a disparu, certains éléments de la descente chromatique qui précédait se retrouvent désormais dans la montée, beaucoup plus puissante et par conséquent presque invisibles.
Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 25 et 1 h 35. C’est la même que dans la version 1927.
La même partie de la musique, mais d’un aspect totalement différent. Les montées et descentes se font en escalier. Les glissandos de violons ont disparu.
Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo. Dans le même passage (1 : 29, à 1 : 36) les glissandos des violons ont disparu. Les notes en marche d’escalier sont typiques de D’Arienzo.
Tout l’orchestre et notamment les bandonéons et le piano montent chromatiquement par saccades, puis le piano en solo entame une descente chromatique qu’il enchaîne avec une remontée, accompagné par l’orchestre.

Le motif est donc très différent de celui de Firpo et ne suggère que lointainement le feu d’artifice.

Pour le retrouver, il faut choisir un autre passage.

Ici, c’est le début de la version de D’Arienzo, dans une partie différente. À gauche, une montée chromatique saccadée au piano, suivi d’un silence (zone sombre au milieu). Ce silence accueille des coups fermes du bandonéon, puis enfin, une nouvelle montée chromatique, cette fois en glissando par les violons. C’est une évocation de la montée des fusées.

Mais là, on est loin de la description des versions de Firpo. Même la montée chromatique des cordes est courte et peu expressive, comme si D’Arienzo voulait faire oublier qu’il s’agissait d’un feu d’artifice. En effet, il en fait une pièce instrumentale, beaucoup moins imagée.
Cependant, D’Arienzo n’a pas hésité à faire quelques tangos imagés, comme El Hipo où Echagüe a le hoquet (hipo), accompagné par de courts glissandos de violon, mais ce n’est pas le meilleur de sa production…

En observant les spectrogrammes, on peut tirer des idées sur la façon dont le musicien organise sa musique et sa composition.

Les enregistrements de Fuegos artificiales

Par Juan D’Arienzo

D’Arienzo a enregistré à deux reprises ce titre. . C’est la version proposée d’aujourd’hui.

Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Fuegos artificiales 1946 — Orquesta Juan D’Arienzo. Une version plus rare. La prise de son un peu brouillonne rend la danse moins intéressante. Cette version ne manquera donc pas en milonga.

On trouve deux ou trois autres enregistrements souvent attribués à d’Arienzo, mais ils ont été réalisés après la mort de celui-ci. Ce sont les mêmes musiciens qui ont repris les thèmes sous la direction du bandéoniste arrangeur de D’Arienzo, Carlos Lazzari. On peut donc presque considérer que c’est du D’Arienzo tardif. Le plus ancien est de 1977, un autre a été enregistré au Japon, mais est quasiment identique à celui de 1987 que je propose ici :

Fuegos Artificiales 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. Carlos Lazzari.

Par d’autres orchestres

Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. C’est le plus ancien enregistrement, par l’auteur de la partition. Une version bien canyengue, mais très expressive et descriptive. On aimerait sans doute un peu plus de vitesse pour rendre le spectacle plus dynamique. Nous en avons parlé ci-dessus.
Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. Firpo s’est rendu compte qu’il pouvait accélérer son titre. Elle a également été présentée visuellement ci-dessus.
Fuegos artificiales 1945-05-29 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme dans la version de 1941 de DArienzo, la partie descriptive est atténuée. Contrairement à D’Arienzo, la musique est plus coulée, sans les saccades et on a un peu l’impression de voir les explosions de lumière au loin, les instruments se mêlant comme se mêlent les étoiles d’un feu d’artifice. C’est une très belle version alternant les moments de tension et ceux de relâchement, mais avec un enchaînement, sans rupture. La musique est plus coulée. Pour la danse, cela peut manquer un peu de clarté pour des danseurs qui ne maîtrisent pas les subtilités de Troilo, mais ils pourront se raccrocher à la marcation la plupart du temps bien présente.

En 1952, Troilo enregistrera une autre version bien plus spectaculaire et évoquant les prémices du tango nuevo.

Fuegos artificiales 1952 — Orquesta Aníbal Troilo. Version plus spectaculaire que celle de 1945, annonçant les futurs succès de Troilo vers le tango dit nuevo.

On pourrait multiplier les exemples, mais maintenant vous saurez être attentifs aux éléments de feu d’artifice, par exemple chez Donato, Varela ou De Angelis qui en ont tiré également des versions intéressantes.

Feux d’artifice et pauvreté, misère et artifices.

Percal 1943-02-25 (Tango) – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.

Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe.
Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.

Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Les paroles

Percal…
¿Te acuerdas del percal?
Tenías quince abriles,
Anhelos de sufrir y amar,
De ir al centro, triunfar
Y olvidar el percal.
Percal…
Camino del percal,
Te fuiste de tu casa…
Tal vez nos enteramos mal.
Solo sé que al final
Te olvidaste el percal.

La juventud se fue…
Tu casa ya no está…
Y en el ayer tirados
Se han quedado
Acobardados
Tu percal y mi pasado.
La juventud se fue…
Yo ya no espero más…
Mejor dejar perdidos
Los anhelos que no han sido
Y el vestido de percal.

Llorar…
¿Por qué vas a llorar?…
¿Acaso no has vivido,
Acaso no aprendiste a amar,
A sufrir, a esperar,
Y también a callar?
Percal…
Son cosas del percal…
Saber que estás sufriendo
Saber que sufrirás aún más
Y saber que al final
No olvidaste el percal.
Percal…
Tristezas del percal.

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Parlons chiffons

Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot.
Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ».
Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lunfardo, l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre.
En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère.
En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité.
Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :

Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?

Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo

Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris.
Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.

Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté.
Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années.
Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.

El vals de los quince años pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango.
Milonga Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. .
Parole et musique Agustín Carlos Minotti.
Grabación DJ BYC Bernardo

Les enregistrements de Percal

Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.
Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero. Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.
Percal 1947 ou 1948 — Francisco González et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.
Je n’ai pas cette musique dans ma collection. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (Notice FRBNF38023941) l’indique de 1948 sous la bonne référence du disque : Selmer ST3003. La bible Tango l’indique de 1947 et avec le numéro de matrice 3728.
Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno et récitatif por Julia de Alba. Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.
Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.
Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) Oscar Brondel (guitare) con Rubén Maciel. La particularité de cet enregistrement est qu’il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.
Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con Héctor Gatáneo. Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).

Autre titre enregistré un 25 février

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Qué tiempo aquel 1938-02-24 (Milonga) – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores

Francisco Lomuto et Jorge Omar vous proposent la milonga du jour. Ce titre agréable à danser nous permet de nous intéresser à la mode masculine et au billard. Des souvenirs du bon vieux temps disparu (Qué tiempo aquel que no podremos ver más).

Cette milonga, une de plus, décrit un individu amateur de billard, sa tenue et sa façon de déambuler. C’est en somme un portrait qui peut se danser de façon amusante. Tous les instruments jouent en appuyant la rythmique, ce qui est bien dans le style de Lomuto, la plupart du temps inspiré du canyengue. Jorge Omar s’inscrit dans cette puissante présence du rythme, tout en en usant de sa diction parfaite pour mettre en valeur les syncopes de la partition. Quelques excursions du piano illuminent la musique C’est le seul instrument qui semble s’échapper de la machine pour proposer quelques fioritures qui allègent le résultat et offrent aux danseurs qui savent les saisir, des éléments ludiques.

Vous reprendrez bien un peu de homard Omar ?

s reprendrez bien un peu de homard Omar ?

Hier, j’évoquais, Nelly Omar, la muse d’Homero (encore Omar) et aujourd’hui, le chanteur en vedette est Jorge Omar. Seraient-ils de la même famille, frère et sœur, mari et femme ?

Que nenni. Mais ils sont d’autres points communs. Ils sont nés tous les deux en 1911, le 10 d’un mois, à Buenos Aires ou dans la province éponyme, sont chanteurs de tango et ont été au firmament dans les années 30-40. Mais leurs identités réelles lèvent les doutes :

  • Nilda Elvira Vattuone = Nelly Omar 1911-09-10
  • Juan Manuel Ormaechea = Jorge Omar 1911-03-10

Je vais donc me contenter de parler de Jorge, le chanteur héros du jour.

Sa carrière est essentiellement associée à Francisco Lomuto. Lorsqu’il a quitté cet orchestre, en 1943, il a repris une carrière de chanteur soliste, mais sans le succès qu’il méritait. Pour moi, il a donné un peu d’âme à l’orchestre de Lomuto avec sa diction parfaite et son expressivité.

Francisco Lomuto

Né en 1893, Francico Lomuto est un ancien du tango. Il fait partie d’une famille de musiciens. Son père, Víctor Lomuto était violoniste et sa mère Rosalía Narducci, pianiste. Parmi ses 9 frères et sœurs, plusieurs contribuèrent au tango.
Victor, qu’il ne faut pas confondre avec son père qui porte le même prénom était bandonéiste et a passé une partie importante de sa vie en France, notamment avec l’orchestre de Manuel Pizarro.
Héctor Antonio, pianiste (jazz) et compositeur. Il est l’auteur de rancheras, pasodobles et foxtrots, mais aussi du tango Yo seré como tú quieras et de la superbe valse El día que te fuiste.
Enrique, pianiste (tango), chef d’orchestre et compositeur. Parmi ses compositions, les très beaux tangos Bésame mi amor ou Éramos tres.
Oscar (Pascual Tomás) était pour sa part écrivain et journaliste et a écrit les paroles de quelques tangos comme Nunca más dont l’interprétation par Maure avec l’orchestre de D’Arienzo est une merveille.

Francisco himself

Pour revenir à Francisco, l’auteur de la musique et le chef d’orchestre du tango du jour, la milonga Qué tiempo aquel, il est un des éléments de ce qu’il est convenu d’appeler la Guardia Vieja (La vieille garde).
La rencontre de Francisco Lomuto et Jorge Omar a marqué un tournant dans le style de l’orchestre. Progressivement en 1935 et surtout en 1936, avec l’arrivée de Martín Darré en remplacement de Daniel Alvarez comme premier primer bandonéon et arrangeur, son style se modernise avec des chefs d’œuvres comme Nostalgias ou Otra vez.
Sur la fin de sa carrière, son style s’est encore adapté, notamment avec la participation d’Angel Vargas. On notera toutefois que la majorité de ses ultimes enregistrements concernent du jazz argentin. Encore un témoignage du déclin du tango de danse dans les années 50.
Mais dans l’ensemble, il restera fidèle à son esprit « vieille garde » comme en témoigne Callecita de mi novia enregistré le même jour que la milonga dont nous parlons aujourd’hui.

Nostalgias 1936-10-28 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Un titre superbe dans un style relativement différent du Lomuto habituel.
Callecita de mi novia 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Le style très imprégné de canyengue persiste dans cet enregistrement.

Ce style au rythme très marqué plait beaucoup aux amateurs d’encuentro, sans doute moins aux danseurs qui aiment improviser. Il faut de tout pour faire un monde et un DJ avisé saura sortir en temps utile un bon Lomuto.

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Les paroles

Un « taco » va con sombrero
Requintado de ala corta,
Un gesto de “qué me importa”
Sobrador y pendenciero.

Pantalón “a la francesa”
A cuadritos de fragacha,
Que iba pidiéndole cancha
Al barro del arrabal.

Qué tiempo aquel que no podremos ver más
Que si se fue, no volverá,
Qué tiempo aquel de nuestra vieja ciudad
El del matón del arrabal,
Que la biaba del progreso,
Igual que a cinco de queso
Me lo han dejado,
Y hoy se pierde lentamente,
Como el sol en el poniente
Triste y derrotado.

Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores

Les paroles sont assez simples à comprendre. Il y a toutefois quelques éléments qui peuvent mériter une explication.
Taco : C’est à la fois la queue du billard et un bon joueur de billard. Rien à voir avec les talons dans le cas présent, si ce n’est le « tac », le son du talon au sol ou des boules qui s’entrechoquent.

Pantalón « a la francesa » : on retrouve ce pantalon à la française dans au moins trois milongas. Celle qui nous occupe aujourd’hui, mais aussi dans De antaño une milonga écrite par Luis Rubistein (Juan D’Arienzo avec Alberto Echagüe, 1939-09-27) et dans Pantalon « a la francesa » écrite par Luisa Rosa González sur une musique de Severo Vietri.
Vous n’avez sans doute pas entendu parler de Vietri. Je vous invite à consulter le blog du regretté Aldo Caseros pour mieux connaître ce bandonéoniste et compositeur.
Le pantalon à la française est un pantalon large (plus confortable avec les tissus rigides, sans élasthanne, de l’époque) et resserré à la cheville. C’est un peu le type bombacha campesina, le modèle moins exagéré que la bombacha des danseurs professionnels de malambo et qui se vend toujours comme vêtement de travail.
Beaucoup de danseurs de tango actuels adoptent ce type de pantalons amples avec cinq pinces, mais qui sont différents à la base.
Je n’ai en revanche pas d’explication pour les cuadritos de fragacha. Sans doute un motif de tissus quadrillé (espagnol ?) ou des pièces destinées à réparer les accrocs.
Que iba pidiéndole cancha/Al barro del arrabal. Marcher en se frayant un passage avec autorité, ici à la fange des faubourgs. On imagine bien le type marcher, chargé de son « importance ».
Que la biaba del progreso. Qui l’assomme avec le progrès. Biaba est pour moi au sens figuré, le tueur évoqué au vers précédent est également figuré.
Igual que a cinco de queso. L’expression usuelle est dejar chato como cinco de queso. C’est-à-dire qu’il laisse l’autre interdit, sans voix. Mon interprétation de ce passage est que le passage et le verbiage de cet individu devaient estomaquer les gens, les laisser comme « deux ronds de flan ».

Les enregistrements de Qué tiempo aquel

Il n’y en a pas d’autres à ma connaissance. C’est une milonga orpheline.
En revanche, Lomuto a enregistré quelques autres milongas comme :

  • Aquí me pongo a cantar 1945-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera
  • No hay tierra como la mía 1939-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
  • Parque Patricios 1941-06-27 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
  • Et des milongas candombe. Lomuto est un assez bon choix pour une tanda de milonga.

Autres titres enregistrés un 24 février

Il y plusieurs autres titres enregistrés un 24 février de Gloria de Canaro 1927-02-24, bien canyengue à Y te parece todavía 1959-02-24 — Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde. Ce sera pour des 24 février des années à venir, mais en attendant, écoutez ces deux titres, extrêmes qui témoignent de la richesse du tango, aux limites de son répertoire traditionnel.

Gloria 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro
Y te parece todavía 1959-02-24 – Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde
Un « taco » pensant au temps qui a disparu…

Sur 1948-02-23 – Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero

Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi

Il y a 76 ans, Aníbal Troilo enregistrait avec Edmundo Rivero, un des tangos avec le titre le plus court, « Sur ». Sur, en espagnol, c’est le Sud. Pour ceux qui sont nés dans l’hémisphère Nord, le Sud, c’est la chaleur. En Argentine, c’est l’inverse, mais le Sud chanté par Rivero n’est ni l’un ni l’autre. C’est ce Sud, que je vous invite à découvrir avec ce tango du jour aux paroles écrites par Homero Manzi.

<- Aníbal Troilo et Homero Manzi par Sabat.

Ce tango n’est pas un tango de bal, mais c’est un monument du tango. La musique est d’Anibal Troilo et les paroles, celles qui marquent le cœur de tous les tangueros sont d’Homero Manzi.
Ernesto Sabato aurait déclaré qu’il donnerait toute la littérature qu’il avait écrite en échange d’être l’auteur de « Sur ». Intéressons-nous donc à ces deux monstres sacrés du tango, Homero et Sur.

Homero

Les deux se prénomment Homero, les deux sont fans de Buenos Aires, mais un seul est Manzi. Saurez-vous découvrir lequel ?

Homero Manzi est un provincial, arrivé à Buenos Aires à l’âge de neuf ans. Il a vécu enfant et adolescent dans le quartier de Pompeya, au sud de Boedo, donc, dans le Sud de Buenos Aires.
Les paroles nostalgiques de ce tango évoquent les souvenirs de cette enfance et les regrets des points de repère évanouis, mais en parallèle de sa vie amoureuse avec un baiser échangé et qui ne s’est transformé qu’en souvenir.
Les lieux qu’il indique peuvent être partiellement retrouvés. Le plus facile est l’angle de Boedo et San Juan. C’est l’endroit où Homero Manzi a écrit Sur. Il abrite désormais l’Esquina Manzi, un lieu prisé par les touristes.

L’angle entre Boedo et San Juan où se trouve désormais l’Esquina Manzi. À gauche en 1948, à droite en 2015, avec les caricatures de Sabat, enlevées depuis et remplacées par des écrans qui les diffusent. La modernité. À l’intérieur, elles sont encore visibles.

« Pompeya y más allá la inundación ». Buenos Aires est régulièrement victime d’inondations. Cette année encore, mais la pire fut sans doute celle de 1912, celle qui toucha Pompeya, le quartier de Manzi.

En 1912, une voiture hippomobile transporte des rescapés sur l’Avenida Sáenz, recouverte d’eau. Ils viennent de zones encore plus inondées, le Riachuelo avait débordé.

On imagine l’impact de cet événement chez un enfant de 5 ans qui venait juste de quitter sa province de Santiago del Estero pour arriver avec sa mère à Buenos Aires. Parmi ces autres souvenirs, ce tango mentionne La esquina del herrero, barro y pampa. Certains y voient l’angle de Del Barco Centenera et de Tabaré, deux avenues que Manzi cite dans son tango, Mano Blanca, un autre de ses tangos emblématiques.

Mano Blanca (letra de Homero Manzi) par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas.(1944)

D’ailleurs un « musée » a été installé sur cet emplacement, en l’honneur de ce titre immortalisé par D’Agostino et Vargas.

Le petit chariot de Portenito et Mano Blanca avec les initiales peintes à la main et qui font que ce tango est le tango des fileteadores.
Sur le trottoir d’en face le musée Mano Blanca, le bar el Buzón nommé ainsi à cause de la boîte aux lettres rouge qui occupe le trottoir devant l’établissement.

Extrait musical

Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero

Les paroles

Vous trouverez tous les enregistrements à écouter, en fin d’article.

San Juan y Boedo antigua, y todo el cielo,
Pompeya y más allá la inundación.
Tu melena de novia en el recuerdo
Y tu nombre florando en el adiós.
La esquina del herrero, barro y pampa,
Tú casa, tu vereda y el zanjón,
Y un perfume de yuyos y de alfalfa
Que me llena de nuevo el corazón.

Sur,
Paredón y después…
Sur,
Una luz de almacén…
Ya nunca me verás como me vieras,
Recostado en la vidriera
Y esperándote.
Ya nunca alumbraré con las estrellas
Nuestra marcha sin querellas
Por las noches de Pompeya…
Las calles y las lunas suburbanas,
Y mi amor y tu ventana
Todo ha muerto, ya lo sé…


San Juan y Boedo antiguo, cielo perdido,
Pompeya y al llegar al terraplén,
Tus veinte años temblando de cariño
Bajo el beso que entonces te robé.
Nostalgias de las cosas que han pasado,
Arena que la vida se llevó
Pesadumbre de barrios que han cambiado
Y amargura del sueño que murió.

Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi

Les enregistrements de Sur

Les enregistrements Sur, par Troilo

Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero, l’enregistrement, objet de cet article. Le plus ancien, à moins qu’un petit Français, lui ait brûlé la politesse. Voir le chapitre suivant…
Sur 1953-09-21 (En vivo) — Ranko Fujisawa con Aníbal Troilo y Roberto Grela. Enregistrement par Radio Tokio d’un concert au Teatro Discépolo de Buenos Aires. Bandonéon (Troilo), Guitare (Grela) et voix (Omar).
Sur 1956-08-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero arr. de Argentino Glaván. À comparer par la version de 1948 par les mêmes.
Sur 1971-04-26 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Encore un qui a sa place au panthéon du tango. La partie instrumentale est particulièrement expressive, notamment, grâce aux pleurs du bandonéon de Troilo.
Sur 1974-05 — Orquesta Aníbal Troilo con Susana Rinaldi. Le dernier enregistrement de Sur par Troilo a été effectué en public avec Susana Rinaldi dans un programme en hommage à Homero Manzi effectué par Antonio Carrizo, el caballero de la radio.

Cette version est pleine d’émotion. Impossible de ne pas essuyer une larme à son écoute notamment, lorsqu’elle chante pour la seconde fois, la fin du refrain. « Ya lo sé ».

Autres enregistrements de Sur

Là, il faut discuter un peu, Nelly Omar serait la première à avoir chanté ce tango.
C’est ce qu’indique la Bible du Tango, qui a souvent d’excellentes informations. Malheureusement, sans référence précise et probablement sans enregistrement, cela reste difficile à confirmer.
Cependant, si on se souvient que Nelly fut la muse d’Homero, celle qui lui inspira la chanson Malena lors de son exil au Mexique et qu’ils ont eu une relation mouvementée, cela n’a rien d’impossible.
Comme Sur est un tango à écouter, je vous invite à voir Nelly Omar le chanter. J’ai choisi cette version, car c’est une de ses dernières versions enregistrées. Elle a parcouru toutes les époques du tango, depuis les années 1920 jusqu’au 21e siècle. La « Gardel en jupe » est une des étoiles indéboulonnables au firmament du tango.

Je ne peux pas confirmer la date, de cet enregistrement. La voix semble plus assurée que dans son dernier concert au Luna Park, à près de 100 ans. Je daterai donc cette vidéo de la première décennie des années 2000.

Plus étonnant, serait un enregistrement par Quintin Verdu en 1947, soit plusieurs mois avant Troilo. On peut facilement imaginer qu’un tango soit chanté avant d’être enregistré, car c’est le processus normal. En revanche, qu’il soit enregistré en France avant d’avoir été joué en Argentine alors qu’il est créé par deux Argentins qui étaient à Buenos Aires à l’époque est plus étonnant.
En revanche, il existe bien un enregistrement de Sur par Quintin Verdu, avec le chanteur Agustín Duarte. C’est un enregistrement Pathé, malheureusement pas daté et ses références ne m’ont pas permis d’en valider la date : PA 2617 — CPT 7021.
Cependant, comme tout ce qu’a réalisé Verdu, la musique est excellente et vaut la peine d’être écoutée. Duarte chante uniquement le refrain, dont il reprend la seconde partie comme final.

Sur 1947 ? – Orchestre Quintin Verdú con Agustín Duarte. Superbe, non ?
Sur 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. La même année que Troilo, Julio Sosa enregistre Sur, dans une des rares versions qui peuvent se danser de façon agréable en tango.

C’est le moment de dire un petit mot sur ce chef d’orchestre, Luis Caruso, né à Buenos Aires en 1916, mais qui à l’âge de vingt ans s’est installé à Montevideo où il continuera sa carrière artistique. C’est pour cela qu’il est un peu moins connu aujourd’hui, mais il lui reste le titre de gloire d’avoir enregistré les cinq premiers titres avec Julio Sosa qui était au début de sa carrière (il venait de gagner un concours dont un lot était d’enregistrer 5 titres avec Sondor).
Les cinq titres étaient : Sur 1948, Una y mil noches 1948, Mascarita 1949-01-31, La última copa 1948 (Valse) et un candombe (nous sommes en Uruguay…) San Domingo 1948.
À cette époque, le cuarteto de Caruo comprenait, en plus de lui qui dirigeait et jouait le bandonéon, Rubén Pocho Pérez au piano, Roberto Smith à la contrebasse et Mirabello Dondi au violon.

Pour terminer cette liste qui pourrait être bien plus longue, je vous propose un extrait du film franco-argentin Sur qui débute par cette chanson interprétée par Roberto Goyeneche qui joue le rôle d’Amado. Ce film de 1988 a été dirigé par Fernando “Pino” Solanas qui a obtenu le premier pour cela au Festival de Cannes. Il a pour sujet, la dictature militaire qui s’est achevée 5 ans plus tôt.
La musique qui a été enregistrée au studio Ion de Buenos Aires est jouée par un quatuor composé de Nestor Marconi au bandonéon, Raul Luzzi à la guitare, Carlos Gaivironsky au violon et Humberto Ridolfi à la contrebasse et chantée par Roberto Goyeneche. Plusieurs notice indiquent que la musique est de Piazzolla, vous aurez compris que c’est une erreur et on voit parfaitement dans le film qu’il ne joue pas le bandonéon dans cette interprétation et s’il a éventuellement arrangé la musique, il n’en est ni l’auteur ni l’interprête.
Je vous propose donc cet extrait du film qui sera également la fin du chapitre sur les enregistrements de Sur…

Au début du film Sur, on voit les musiciens arriver et s’installer, puis arrive Goyeneche.
Les musiciens sont : Nestor Marconi au bandonéon, Raul Luzzi à la guitare, Carlos Gaivironsky au violon et Humberto Ridolfi à la contrebasse.
Le café Sur qui accueille le quatuor au début du film existe toujours. C’est l’Almacen Sur, à l’angle de Juan Darquier y Villarino, juste en face de la station Hipólito Yrigoyen de la ligne ferroviaire Roca.

Autres titres enregistrés un 23 février

Il y avait beaucoup de perles à piocher pour le 23 février. En voici quelques-unes qui pourront faire l’objet d’articles dans les années à venir…

El rebelde 1932-02-23 — Osvaldo Fresedo C Roberto Ray. On a évoqué cet orchestre hier avec le merveilleux Sollozos. Ce titre de 5 ans exactement antérieur n’a pas la même maturité.
De todo te olvidas (Cabeza de novia) 1948-02-23 — Anibal Troilo C Floreal Ruiz. Le même jour, Troilo a aussi enregistré avec un autre chanteur, Floreal Ruiz. Ce titre est entré dans le langage commun, cabeza de novia), pour parler d’étourderies, d’oublis.
El jagüel 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli. Comme DJ, j’aurais sans doute dû choisir ce titre ou Rodriguez Peña (président argentin), qui sont deux titres éminemment dansables par le seigneur du tango, Carlos Di Sarli. Ce sera pour une prochaine année 😉
Rodriguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli. Enregistré le même jour que El Jagüel, un best of du tango dansé.
Homero Manzi dans Pompeya, entre le souvenir lumineux de l’enfance et la désespération de l’avenir. Inspiré du style de Benito Quinquela Martín, le voisin de la Boca. Manzi semble marcher dans l’eau, souvenir des inondations qui l’ont accueilli à son arrivée à Buenos Aires en 1912.

Sollozos 1937-02-22 (Tango) – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo)  Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo

Le 22 février 1937, Osvaldo Fresedo enregistre Sollozos (soupirs) avec Roberto Ray et le même jour Siempre es carnaval. Fresedo en a composé la musique et son frère Emilio, les paroles. Le premier enregistrement par Fresedo date de 1922, année de l’écriture de ce titre qui fut rapidement un succès et fût repris par divers orchestre. Fresedo le réenregistrera en 1937, la version qui nous occupe aujourd’hui, puis en 1952 et 1957.

SOS femme triste

Sollozos = sanglots. Les sanglots d’une jeune femme triste, qui se cache au milieu d’une foule de gens qui font la fête. Un homme (ou une femme) vient sécher ses pleurs provoqués par l’homme qui l’a trompée.
Pour la consoler, il (elle) lui dit : « Olvide su pasado, olvide todo lo de ayer. No llore si él no ha llorado, ni pensó que sufre una mujer » (Oublie votre passé, oublie tout ce qui est d’hier. Ne pleure pas s’il n’a pas pleuré ni pensé qu’une femme souffre).

Extrait musical

Sollozos 1937-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Les paroles

Osvaldo Fresedo a donc enregistré quatre fois ce titre, dont trois versions chantées. Les trois n’utilisent que la moitié des paroles écrites par son frère, Emilio.
En revanche, en 1923, Rosita Quiroga chante l’intégralité des paroles. C’est bien sûr un tango à écouter, dans cette version.
On apprend dans les paroles intégrales, celles chantées par Rosita Quiroga, que l’infidèle est présent, car elle porte son portrait dans un médaillon.
Le fait qu’un femme chante la chanson ne gêne pas, car consoler peut aussi bien être le fait d’un homme que d’une femme. Pour l’image en fin d’article, j’ai représenté un homme consolateur, car la version de Fresedo et Ray m’a toujours fait penser à un homme. J’imagine que je me voyais en consolateur…

Vous trouverez tous les enregistrements à écouter, en fin d’article.

En un mundo de alegrías,
entre el humo y copas de champagne,
hay una almita afligida
que se esconde por llorar.
Atraído por su pena
mi pañuelo lágrimas secó,
mientras dijó: “Estoy enferma,
sufro y lloro por mi amor”.
 
Volvió su cara hacia mi lado,
acariciando su dolor.
Oí sollozos y cortados,
bajo habló: “Un hombre me engañó”.
Le dije : « Olvide su pasado,
olvide todo lo de ayer.
No llore si él no ha llorado,
ni pensó que sufre una mujer ».
Algo habría en su mirada
que no fue preciso adivinar,
ilusiones apagadas,
odio y ganas de vengar.
Dijo entonces que su vida
de pasión en pena se tornó.
Recordó felices días
a su vieja y su honor.
 
Pobre, su quebranto mi alma hirió,
que sin fuerzas me sentí,
cuando vi su relicario
y enseñó que el falso estaba allí.
Pobre, con cuanta tristeza vio
que por ella yo sufrí.
El pintar de sus labios,
la sonrisa para mí.
Osvaldo Fresedo – Osvaldo Nicolás Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Les enregistrements de Sollozos

Les quatre enregistrements de Fresedo

Sollozos 1922-08-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Cet enregistrement acoustique est d’une qualité musicale incroyable. Tout Fresedo est déjà dans cette musique. Un des rares titres antérieurs à 1926 que je pourrais, un jour de folie, passer en milonga.
Sollozos 1937-02-22 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est celui dont on parle aujourd’hui.
Sollozos 1952-09-18 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco. Cette version est clairement moins dansante, mais est jolie.
Sollozos 1957-09-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Carlos Barrios. Fresedo a clairement abandonné les danseurs dans cette version. Je la trouve trop maniérée. À vouloir la rendre plus expressive, Fresedo et Barrios sont, pour moi aller un peu trop loin. Si la partie instrumentale peut à la limite passer en milonga, la partie chantée fait que ce titre devrait être réservé à l’écoute.

Autres enregistrements de Sollozos

Je commence par la première version enregistrée avec les paroles complètes d’Emilio Fresedo, celle de Rosita Quiroga accompagnée par une guitare et un harmonium [armonio]. La présence d’un harmonium n’est pas si étonnante que cela pour l’époque qui a vu de nombreux instruments plus ou moins hétéroclites rejoindre les orchestres de tango, comme la scie musicale ou les Ondes Martenot [assez proches comme sonorité et parfois indiqué l’un pour l’autre dans les années 30]. Il faudrait plusieurs articles pour traiter de l’évolution des instruments de musique, de la guitare et la flûte aux instruments du tango actuels. Ce sera pour une autre fois ; —)

Sollozos 1923 — Rosita Quiroga accompagnée par une guitare et un harmonium (armonio). Elle chante les paroles en entier.
Sollozos 1928-04-30 — Orquesta Julio De Caro. De Caro a choisi de personnaliser son interprétation avec des changements de rythmes un peu surprenants qui confirment qu’il ne travaille pas pour les danseurs.
Sollozos 1944-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba. Cette versión instrumentale est dans l’esprit de Fresedo. Le rythme est plus marqué, ce qui pourrait en faire un bon titre de danse, si la version de Fresedo n’avait pas tant de présence. Certains danseurs pourraient reprocher le choix au DJ de les priver de la version de 1937 par Fresedo et Ray.
Sollozos 1967-08-21 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo, fidèle à lui-même propose une version énergique avec des éléments d’orchestration originales, rappelant un peu la version de De Caro. Pour moi, c’est plus du domaine du concert que de la danse, mais si un DJ le passe en milonga, il ne se fera sans doute pas écharper.

Autres titres enregistrés un 22 février

Il y avait beaucoup de choix. Parmi les titres qui auraient pu être les tangos du jour, voici quelques exemples :

Si supieras 1927-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo. On retrouve Fresedo et un titre associé à la Cumparsita. En effet, des paroles ont été accolées à l’air le plus célèbre du tango « Si supieras, que aún dentro de mi alma, conservo aquel cariño que tuve para ti… » (Si tu savais que même au creux de mon âme, je conserve cette affection que j’avais pour toi… ». Cet enregistrement étant instrumental, difficile de dire s’il y a un lien, cet air composé par José María Rizzuti n’a pas d’enregistrement avec paroles.
Recuerdo malevo 1933-02-22 — Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, Domingo Riverol et Domingo Julio Vivas. Pas de danse, mais l’inoubliable Gardel dans un de ses grands succès. En attendant un tango du jour sur un de ses titres, vous pouvez toujours consulter « Gardel enfant de France ».
Siempre es carnaval 1937-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray, l’autre titre enregistré le même jour par Fresedo et Ray.
Senda Florida 1945-02-22 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. C’est un tango de danse, malgré son introduction chantée. Toutefois, ce n’est pas ce qui est le plus agréable à danser. Disons que c’est un tango qui hésite entre la danse et l’écoute.

On voit que ces quelques titres pourraient donner lieu à d’autres articles. Peut-être qu’ils auront leur chance un autre 22 février.

Atraído por su pena mi pañuelo lágrimas secó, mientras dijó: “Estoy enferma, sufro y lloro por mi amor”.

Diez años 1934-02-21 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Cayetano Puglisi; Pascual De Gregorio Letra: Manuel Enrique Ferradás Campos

Le 21 février 1934, il y a 90 ans, Francisco Canaro enregistrait Diez años avec Ernesto Famá, seulement 4 jours après l’avoir enregistré avec Ada Falcón. Je saisis cette occasion pour parler des chanteurs d’estribillo et rappeler la différence entre le tango chanson et le tango chanté.

Les deux enregistrements de Diez años par Canaro

Tout d’abord, nous n’avons aujourd’hui la trace sonore que des versions enregistrées. Il ne faut pas oublier que les orchestres se produisaient plusieurs fois par semaine et que seuls leurs « tubes » avaient les honneurs de la gravure. Nous avons ainsi perdu la grande majorité du répertoire de l’époque. Ce n’est pas l’absence d’enregistrement qui peut prouver que l’orchestre ne jouait pas tel ou tel air.
Comme je l’indiquais en introduction, Canaro a enregistré deux fois ce thème en 1934. Le 17 février avec sa « chérie » Ada Falcón, et le 21 février avec Ernesto Famá.
On pourrait penser qu’avec un si court intervalle, les enregistrements sont proches. Que nenni. Ils appartiennent en fait à deux genres différents. Le tango chanson et le tango chanté.
Mais avant d’écouter les différences, faisons le point.

Il y a tango et tango…

Le tango fait partie d’un ensemble culturel qui est tout autant littéraire que musical, audiophile que danseur. Ces directions peuvent être réparties de façon différente chez chacune des personnes qui entre en contact avec un tango.
S’il est danseur, il va souhaiter une musique qui porte à l’improvisation, sans surprises indécelables (variations de rythme arbitraires, par exemple) et avec un support rythmique suffisant pour que les deux partenaires du couple puissent se synchroniser.
S’il est audiophile, il va se concentrer sur l’orchestration, les réponses des instruments, la virtuosité de tel ou tel trait et ainsi de suite. Il pourra le faire en restant dans son fauteuil, sans que la musique l’oblige à se mouvoir. Il va comparer les versions, pinailler sur des différences de tonalité d’un enregistrement à l’autre, sur l’accord du bandonéon et ainsi de suite.
S’il est littéraire, il va savourer les paroles. Cependant, comme en cuisine, tous les plats ne se valent pas et il lui faudra des mets délicieux, écrits par de grands auteurs. Par chance, cela ne manque pas dans la culture tango.

Le danseur de tango « idéal »

Le danseur, celui qui m’intéresse, vu que je suis DJ peut et doit, avoir un peu des autres aspects pour mieux danser.
Un danseur qui ne danserait que le rythme, sans écouter les phrases musicales, les réponses d’instruments et tous les développements qui font la richesse du tango serait bien à plaindre. Ce manque de sensibilité lui permettrait de danser sur Gotan Project et autres orchestres répétitifs, mais ce sera au détriment de l’improvisation et de la richesse de la danse. Certains débutants se contentent de reproduire des chorégraphies apprises en cours, sans chercher à les insérer dans le flux musical, ou mieux, à les déconstruire pour n’utiliser que les briques, au service de l’interprétation dansée de la musique.
Sur l’aspect littéraire, la chose est moins claire. En effet, d’excellents DJ et d’excellents danseurs disent prêter peu d’attention aux paroles. Il est clair que pour un danseur qui improvise, les paroles sont de peu d’utilité. Il ne va pas se mettre à pleurer, se mettre à genoux ou autre fantaisie qui seraient dites dans le texte.
Cela était bien clair à l’âge d’or du tango. Les orchestres proposaient des musiques adaptées à la danse. Qu’elles soient instrumentales ou avec chanteurs, mais il est temps de revenir à la distinction entre tango chanson et tango chanté.

Tango chanson et tango chanté

Un tango chanson est un tango destiné à l’écoute. Il est destiné à satisfaire les audiophiles et les littéraires. C’est un genre qui va se développer plus rapidement à partir des années 50, à cause de l’arrivée du microsillon (33 tours) et surtout du rock qui va remplacer le tango dans les activités des danseurs de l’époque. Les orchestres de tango se reconvertissent alors vers le concert, la télévision et la radio pour pouvoir continuer à jouer et vivre de leur art.
Mais il ne faut pas limiter le phénomène aux années 50 et suivantes. En effet, même à l’âge d’or, il y a les deux types de musique.
Pour faciliter le choix, les disques indiquent clairement si c’est destiné à danser ou à écouter.
Il suffit de regarder l’étiquette…

Ada Falcón, avec accompagnement de l’orchestre Francisco Canaro
Francisco Canaro et son orchestre typique (Estribillo par Ernesto Famá)

Vous avez compris. Si le chanteur est indiqué en premier, c’est pour écouter. S’il est indiqué en second, c’est pour danser. C’est plutôt simple, non ?
On trouve aujourd’hui des DJ et danseurs qui ne tiennent pas compte de cette différence et qui considèrent que l’on peut tout danser.
Dans le cas d’Ada Falcón, c’est plutôt envisageable. En général, les voix de femmes, même pour des chansons, laissent plus de place à l’orchestre, notamment dans le registre grave, là où se trouve la rythmique. Ainsi, elles ne la masquent pas et il est possible de continuer à la suivre.
Pour les chanteurs, surtout pour ceux qui en font des tonnes, c’est impossible. On pourrait mentionner la distinction que font certain entre cantor et cantante. Le premier chantant au service de la musique et le second se mettant en valeur, en jouant de tous les artifices possibles pour masquer l’orchestre qui de fait n’est qu’un accompagnement.
Progressivement à partir des années 50, le cantante (avec une jolie voix de chanteur d’opéra) prend le dessus et on ne compte plus le nombre de chansons plus ou moins mièvres et désespérées qui en a résulté. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas bien, pas beau. Je dis juste que très peu de danseurs vont à la milonga pour se trancher les veines.

Comment distinguer les tangos chansons à l’écoute ?

Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos. En gros, c’est le refrain (estribillo).
C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance.
Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est dans ce cas un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose.
Dans les années 50, sous l’impulsion de chefs d’orchestre comme Troilo, la partie chantée va prendre de l’ampleur, même pour le tango de danse. Ainsi, le même titre chanté par Valdez avec l’orchestre de Juan d’Arienzo est présenté comme un tango de danse, mais Valdez chante plus que le seul refrain. Voir ci-dessous, le chapitre sur les paroles.

Même si Valdez chante plus que les chanteurs de la génération précédente, il est encore présenté comme chanteur d’estribillo.

C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance.
Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est pareillement un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose.
Je termine -là ce sujet. Comme DJ, je mets du tango de danse, sauf si on me demande gentiment de mettre une tanda chanson. Après tout, il faut bien que le bar fasse son chiffre d’affaires.

Les paroles

Le refrain (estribillo)

Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos, le refrain (estribillo).

Diez años transcurrieron desde entonces
cuando temblando llegué hasta ti,
diez años que sirvieron para hundirme
y quitarme hasta las ganas de vivir…
Entonces, buenamente yo soñaba
un mundo nuevo, para los dos.
Y Dios, allá en el cielo solo sabe,
hasta dónde yo he llegado por tu amor.

Estribillo (refrain) Manuel Enrique Ferradás Campos. C’est la seule partie que chante Fama

Les différentes parties chantées, selon les versions

Seule Ada Falcón chante tout. Elle termine en reprenant le refrain (Cuántas veces en mi pecho […] por tu cruel ingratitud.)

Ernesto Famá ne chante que l’estribillo, ce qui est en rouge.
Jorge Valdez chante le premier couplet, le refrain et reprend la fin du refrain (Otra boca […] por tu cruel ingratitud.)
Le dernier couplet, chanté uniquement par Ada Falcon
Ici, une version pour homme du dernier couplet. Elle n’est pas utilisée dans les trois enregistrements présentés.

Autres enregistrements de Diez años

Je vous propose trois enregistrements de ce titre. Les deux avec Canaro et une version de 1958 par Juan d’Arienzo avec Jorge Valdez au chant.
Vous avez vu les étiquettes, deux sont pour la danse (Fama et Valdez) et un pour l’écoute (Falcon).

Diez años 1934-02-17 Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Diez años 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá
Diez años 1958-12-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

Autres titres enregistrés un 21 février

Unión Civica 1933-02-21 – Juan Maglio (Pacho) y su orquesta de la guardia vieja
Te quiero mucho más 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá (Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda). Il a été enregistré le même jour que Diez años.
Murió la vecinita 1935-02-21 — Típica Victor C Alberto Gómez Dir Adolfo Carabelli (Guillermo Rivero; Juan Carlos Ghio Letra: Nolo López)
Jalisco nunca pierde 1938-02-21 (Marcha) – Enrique Rodríguez C El « Chato » Roberto Flores (Lorenzo Barcelata ; T. Guizar). C’est une marche en l’honneur du territoire de Jalisco, au Mexique (le film Jalisco nunca pierde est sorti en 1937). Le fait que ce soit une marche rappelle qu’à l’époque, les bals n’étaient pas que tango, mais toutes danses, avec en général deux orchestres.
Mi noche triste 1949-02-21 – Francisco Rotundo C Floreal Ruíz
Diez años que sirvieron para hundirme y quitarme hasta las ganas de vivir…

El Ingeniero 1945-02-20 – Carlos di Sarli (Tango)

Orquesta Carlos Di Sarli

Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)

Le tango du jour, El Ingeniero, est indubitablement associé à Carlos Di Sarli. C’est assez logique, car il est le seul à l’avoir enregistré à la belle époque du tango. Il a enregistré le titre à trois reprises. En 1945, le 20 février, le 22 juillet 1952 et le 31 janvier 1955.
Le titre est assez clair et pour une fois, il ne s’agit pas d’un surnom, d’un mot d’argot (lunfardo), mais bien de la fonction, du métier d’ingénieur.
L’auteur de la musique, Alejandro Junnissi, dédicace sa composition « a todos los ingenieros egresados de las universidades argentinas » (À tous les ingénieurs diplômés des universités argentines). On retrouve dans cette dédicace, la fierté d’un âge d’or de l’Argentine, le début du vingtième siècle.
Cet âge d’or se dévoile dans l’architecture, mais aussi par les créations industrielles. À la fin des années 20, l’Argentine était considérée comme un important pays industriel.

L’ingénieur

Un des héros discrets de ce succès est l’ingénieur que l’Argentine célèbre deux fois en juin, le 6 juin avec el Día del Ingeniero et indirectement le 16 juin avec el Día de la Ingeniería Argentina.
La première date est en souvenir du premier ingénieur civil d’Argentine, Luis Augusto Huergo, diplômé le 6 juin 1870.
Rien ne prouve que celui qui a inspiré Junnissi soit Huergo. Disons que c’est le métier qui est illustré ici.

Un pays à bonne école

Les efforts consentis en matière d’éducation par l’Argentine qui devait accueillir et « argentiniser » des millions de migrants donnaient leurs fruits et bientôt l’Argentine disposait de nombreuses universités, qui aujourd’hui encore restent prestigieuses.

Citons les Ingenierías de Córdoba y de La Plata ou l’Escuela de Ingenieros de Minas de San Juan.

Les pays étrangers, notamment européens, ont également investi en Argentine. Par exemple, lÉcole Centrale des Arts et Manufactures de Paris qui a ouvert une école d’ingénieurs à Buenos Aires.

Ces nouveaux ingénieurs ont permis le développement du pays, des ponts, du chemin de fer, de l’architecture et la découverte de pétrole a accentué le développement industriel du pays.

Les montagnes russes

L’essor industriel a été soutenu par une immigration extrêmement forte. La main-d’œuvre était abondante et déjà concentrée dans les villes, car les campagnes appartenaient à quelques propriétaires terriens et n’offraient que peu de débouchés aux nouveaux arrivants.
Cette concentration explique aussi les problèmes politiques récurrents de l’Argentine, problèmes donnant lieu à des crises graves et des émeutes.
À peine écrit ce tango, en 1930 que, la même année, en septembre, les militaires prenaient le pouvoir en destituant Hipólito Yrigoyen. Ce président au double visage a assumé deux fois la présidence. Double visage, car il prône une Argentine aux mains des ouvriers, mais commandite une répression sanglante contre des grévistes, réalisant par la même le premier pogrom d’Amérique du Sud (Semaine tragique, du 7 au 14 janvier 1919).
Ceux qui suivent l’actualité de l’Argentine constateront que les événements actuels rappellent ceux des années passées, 2001, 1976, 1930, et autres.
Bon, j’ai un peu oublié mon ingénieur dans tout cela. Revenons donc à la musique.
Lorsqu’Alejandro Junnissi écrit sa musique, l’Argentine est encore dans une période relativement optimiste, malgré les contrecoups de la crise de 1929.

L’ingénieur mérite son tango ; le voici.

Extrait musical

El Ingeniero 1945-02-20 – Carlos di Sarli

La version est plus sèche, les violons moins lyriques que dans les versions des années 50. Même si Di Sarli a continué dans les années 50 à proposer du tango de danse, on sent dans cette évolution la transition que d’autres orchestres ont opéré de façon plus drastique.
Le Di Sarli des années 50 est souvent le plus utilisé dans les milongas, car il tranche plus avec les autres orchestres de référence, les quatre piliers par son aspect plus romantique. Cela permet de donner du contraste à la milonga.
Vous pourrez les entendre en fin d’article.

Les paroles

Vous m’attendiez au tournant. Toutes les versions enregistrées par de grands orchestres de tango sont instrumentales. Cependant, il existe au moins une version des paroles que je reproduis ici. Je n’imagine pas très bien le résultat, tant on est habitué à l’entendre avec les violons de Di Sarli.
D’une façon plus générale, de nombreux tangos sont sans paroles, d’autres ont changé de paroles au cours du temps et certains textes de tango n’ont pas encore trouvé leurs musiques. Il reste du pain sur la planche pour les auteurs et compositeurs…
Celui qui a écrit les paroles est Juan Manuel Guerrera. Sa création est récente, 2020, soit 90 ans après la musique. Si vous enregistrez une version d’El Ingeniero avec les paroles, je vous promets de la placer ici et si elle est dansable, je la diffuserai en milonga…

Y allá va el ingeniero
Por las calles del dolor
Camina solo
Llorando
Se va derrumbando
Es pura desolación
Tanto quiere
Olvidar
Que ha vivido sin quererlo para los demás
Que ha dejado sus pasiones demasiado atrás
Que ha olvidado entre sus cuentas animarse a más
Tanto quiere
Abandonar
Un destino que sabe a nada
El que eligió
Y no cambió
Y allá va el ingeniero
Hundido en la frustración
Su penar suena a nostalgia
Con dejos de bandoneón
Y allá va el ingeniero
Con su arte en un cajón
Ahora no juega, no apuesta
Sus miedos no enfrenta
Y gana su perdición
“Soy un cobarde”
Se dice tarde
Y vuelve a reflexionar:
“No es buena elección, la resignación
Renunciar a un sueño, es como morir
Sin resolución, no hay realización,
Sin un ideal, tan triste es vivir”
Y encuentra en lo que siente
Respuestas que su mente
Buscaba desde siempre
Con científica obsesión
Y allá va el ingeniero
Se le muere el corazón
Acompañan los violines
Su dramática canción
Y allá va el ingeniero
Se desangra en su razón
Pierde su tiempo, pensando
En vez de arriesgando
Y entierra su vocación
Tanto quiere
Regresar
A un pasado irremediable que ha quedado atrás
A un presente esperanzado que no volverá
A un futuro imaginado que ya no será
Tanto quiere
Escapar
De su vida equivocada
La que él mismo eligió
Y, sin valor, jamás cambió

Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)

Autres enregistrements

Signalons que le même jour, le 20 février 1945, Di Sarli enregistrera avec Jorge Durán, Porteño y bailarín, un tango composé par Carlos Di Sarli avec des paroles d’Héctor Marcó. Ce titre enregistré sur la matrice 80553-1 sera publié sur le même disque 60-0639, sur la face A et el Ingeniero, sur la face B. Ce dernier a été enregistré sur la matrice 80554-1.

Porteño y bailarín 1945-02-20 Carlos Di Sarli con Jorge Durán (Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó)

Les principaux enregistrements d’El Ingeniero sont ceux de Di Sarli. Il faut dire qu’il a mis la barre très haute et qu’il était difficile de proposer des versions surpassant les trois enregistrements du maître de Bahia Blanca.

El Ingeniero, 1945-02-20 – Carlos Di Sarli
El Ingeniero 1952-07-22 – Carlos Di Sarli
El Ingeniero 1955-01-31 – Carlos Di Sarli

Pour terminer, un enregistrement du 21e siècle. J’aime bien. Cependant, il est peu probable que je le propose en milonga, car le manque de franchise dans la marcacion fait que les versions originales sont à mon avis préférables pour danser.

El Ingenierro – Orquesta Típica de la Guardia Vieja 2002

Sources

José María Otero ; Alejandro Junnissi ; Tangos al bardo
https://tangosalbardo.blogspot.com/2016/08/alejandro-junnissi.html

Juan Manuel Guerrera ; Letra para el tango ‘El ingeniero’
https://jmguerrera.medium.com/letra-para-el-tango-el-ingeniero-b8beb02152b8

Les autres sources consultées concernent surtout le développement industriel de l’Argentine et son histoire.

D’après les documents de Christian de Pescara ; Pionnier de l’aviation > Les Hélicoptères du marquis Pateras-Pescara (1890-1966) ; latitud-argentina
https://www.latitud-argentina.com/blog/pionnier-aviation-helicopteres-marquis-pateras-pescara

Bernardo Kosacoff y Daniel Azpiazu; La industria argentina, desarrollo y cambios estructurales
https://repositorio.cepal.org/server/api/core/bitstreams/fc7cb237-a9cd-4627-8634-b1e2d8d5502c/content#:~:text=La%20industrialización%20de%20la%20Argentina,industrial%20en%20ei%20escenario%20latinoamericano.

Peyrú Pablo y Verna Etcheber Roberto;  La industria y la Argentina; Monografias
https://www.monografias.com/trabajos14/industarg/industarg

Juan Pablo Pekarek ; Engineers, between being architects and entrepreneurs Constructeurs from the École Centrale de Paris in Buenos Aires, 1890–1920
http://portal.amelica.org/ameli/journal/219/2193563002/

Sylvie Sureda-Cagliani ; Chapitre II. Panorama de l’histoire de l’Argentine de 1930 à 1974 in Victimes et bourreaux dans le théâtre de Griselda Gambaro ; Presses universitaires de Perpignan
http://books.openedition.org/pupvd/32217

Felipe Pigna ; Argentine — La Semaine tragique (7-14 janvier 1919) ; Alterinfos
https://www.alterinfos.org/spip.php?article6016

Décennie infâme ; Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cennie_inf%C3%A2me

Andrés H. Reggiani, Hernán González Bollo ; Dénatalité, «crise de la race» et politiques démographiques en Argentine (1920-1940) ; Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2007/3 (n° 95), pages 29 à 44

El Ingienero

Mozo guapo 1941-02-19 (Milonga) – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Ricardo Tanturi Letra : Eusebio Francisco López – RCA Victor  39228B, matrice 39813-1

Le tango du jour est une milonga, Mozo guapo, que l’on pourrait traduire par beau gosse, mais ce serait enlever la note de frime et de matuvu du compadrito, querelleur et armé de son couteau qu’il est prompt à sortir lorsque l’honneur est en jeu. Aujourd’hui, nous allons donc parler lunfardo, l’argot des faubourgs de Buenos Aires.

Même s’il n’a pas les cheveux en bataille et sales, Gardel, dans Melodía de arrabal (film du réalisateur Français Louis J. Gasnier, sorti le 4 avril 1933) est représentatif des mozos guapos

Les habitués de Buenos Aires savent qu’on y appelle les serveurs « mozo », de la même façon que se dit « garçon » en France. Il ne faut cependant pas penser que cette milonga chante les mérites d’un serveur de bar ou de restaurant…

En lunfardo (argot de Buenos Aires), mozo peut aussi signifier l’amant ou celui qui fait le beau, et guapo, le beau, le vaillant, le querelleur, mais avec un bon fond. Le célèbre tango « Don Juan » est parfois sous-titré « Don Juan (Mozos guapos) », ce qui confirme que notre héros du jour en est un.
Voici dressé le tableau de notre mozo et si une mina vous dit : « sos buen mozo, que churro que sos », c’est probablement que vous avez une touche.

Extrait musical

Mozo guapo 1941-02-19 — Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Paroles

Un compadrito, con su mina. Un Don Juan avec sa poule.

Le lunfardo peut provoquer de nombreuses erreurs d’interprétation. Je vous propose donc, non pas une traduction, mais plutôt une explication des termes employés par Eusebio Francisco López. Ne regardez pas la qualité littéraire de la colonne de droite, ce ne sont pas des paroles en français ; pour cela il faudrait un poète, que je ne suis pas.

Beaucoup de termes de lunfardo sont sibyllins. C’est une caractéristique de tous les argots, dont le but est de parler de façon discrète pour ne pas être entendus des caves et des flics. J’ai donc fait des choix qui me semblaient correspondre aux termes de la chanson, mais il aurait été possible de prendre des voies légèrement différentes, pour noircir plus le personnage, ou le rendre romantique. Je vous laisse vous créer votre image.

Avec une cibiche (cigarette) arrogante
caressant ses lèvres,
le feutre taupé aux bords levés (chapeau mou, type Gardel)
Avec une démarche très portègne ;
Le regard suffisant,
La crinière noire et ébouriffée,
beau gosse des faubourgs
avec sa touche (son allure), sans pareille.

Champion entouré de filles
pour son verbe tant fleuri,
terreur parmi les mauvais garçons
pour son couteau vibrant ; (il doit le tenir de manière fébrile pour intimider)
homme du pavé
connu des balcons
Droit dans ses bottes (sans discussion, n’acceptant pas le compromis)
avec une âme de payador (chanteur improvisateur)

Quand la nuit enrobe (entoure)
les ruelles du quartier
passe l’estampe du bellâtre,
pareil à un roi de la banlieue ;
bientôt une ombre s’approche,
il y a un frémissement des lèvres
et un baiser vibre dans l’âme
du Don Juan (guapo) du lieu.

La vie est courte

Le même jour, Castillo et Tanturi ont enregistré un tango, La vida es corta 1941-02-19. C’est également Ricardo Tanturi qui en a composé la musique, mais les paroles sont de Francisco Gorrindo.
Malgré cette petite différence, les deux titres vont bien ensemble (pas dans une tanda, bien sûr), mais car le tango pourrait être le dit du Mozo, du Don Juan, du Taita, ce Shusheta (El aristócrata de Di Sarli). Il dévoile à ses confrères de fiesta, sa philosophie de la vie, philosophie que de nombreux tangueros dans le monde ont adoptée…

La vida es corta 1941-02-19 – Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

A ver muchachos, quiero alegría,
quiero aturdirme, para no pensar.
La vida es corta y hay que vivirla,
dejando a un lado la realidad.
Hay que olvidarse del sacrificio,
que tanto cuesta ser, tener el pan.
Y en estas noches de farra y risa,
ponerle al alma nuevo disfraz.

La vida es corta y hay que vivirla,
en el mañana no hay que confiar.
Si hoy la mentira se llama sueño,
tal vez mañana sea la verdad.
La vida es corta y hay que vivirla,
feliz al lado de una mujer,
que, aunque nos mienta, frente a sus ojos,
razón de sobra hay para querer.

Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo

Traduction libre

Voyez les gars, je veux de la joie,
je veux être étourdi pour ne pas penser.
La vie est courte et il faut la vivre,
en laissant la réalité de côté.
Il faut oublier le sacrifice,
Que c’est si dur d’avoir du pain.
Et dans ces nuits de réjouissance (danse, musique) et de rires,
se déguiser l’âme.

La vie est courte et il faut la vivre,
il ne faut pas faire confiance à demain.
Si aujourd’hui le mensonge s’appelle rêve,
peut-être que demain ce sera la vérité.
La vie est courte et il faut la vivre,
heureux aux côtés d’une femme,
qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux),
il y a plein de raisons d’aimer.

Autres enregistrements

Le 19 février, une date fétiche pour Tanturi ?

À la même date, une milonga et un tango, ce que nous venons de voir, mais l’année suivante, peut-être à la même date (19 février 1942) ou le 20 juillet 1942 (la documentation varie sur la date de cette session), deux autres titres enregistrés par Tanturi et Castillo

Tango (Voz de tango) 1942-02-19 ou 1942-07-20 avec Castillo

Tango (Voz de tango) 1942-02-19 ou 1942-07-20 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

La copa del olvido 1942-02-19 ou 1942-07-20 avec Castillo)

La copa del olvido 1942-02-19- -Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Pour renforcer cette idée de date fétiche, il a encore enregistré un 19 février, mais cette fois en 1945 et avec le chanteur Enrique Campos :

Me besó y se fue 1945-02-19 (valse), avec Enrique Campos 

Me besó y se fué 1945-02-19 – Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Qué será de ti 1945-02-19 avec Enrique Campos

Qué será de ti 1945-02-19 – Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Pour ce qui est de mozo guapo, on en trouve une version plus lente, dans le style limite canyengue-milonga de Villasoboas.
En effet, Miguel Villasboas a enregistré en 1959 ce titre dans son style si particulier. J’aime l’interprétation au piano par Villasboas, pleine de petites surprises.
Cette version est intéressante, car elle présente le dialogue des deux faces du mozo décrite dans les paroles, le romantique (violons) et le compadrito (piano), utilisation de l’alternance de milonga lisa et traspie pour servir l’histoire.

La voici, pour terminer mon service. Soy tu mozo (serviteur). No te olvides de la propina (n’oublie pas le pourboire, un commentaire fera l’affaire).

Mozo guapo 1959 — Miguel Villasboas
DJ BYC, d’après la gravure sur bois, Los Compadritos de Juan Antonio Spotorno

Hotel Victoria (Gran Hotel Victoria) 1948-02-18 (Tango)- Orquesta Juan D’Arienzo

Feliciano Latasa ? Luis Negrón ? H.D. ? Alfredo Barone ? Midori Tagami ? Un compositeur anonyme en Andalousie ? Letra : Carlos Pesce

Vieil hôtel de mes rêves et de mes joies qui berçait l’idylle d’un amour fou.

Le tango du jour, Gran Hotel Victoria a été enregistré le 18 février 1948 par Juan D’Arienzo. Mais de plusieurs mystères tournent autour de cet hôtel ; sur l’hôtel lui-même, sur l’auteur ou plutôt les auteurs supposés, pas moins de sept.
Pour en savoir plus, je dois vous convier à une véritable enquête policière.

Extrait musical

Mais auparavant, mettons-nous dans l’oreille ce titre, dans la version enregistré par Juan D’Arienzo le 18 février 1948, il y a exactement 76 ans.

Gran Hotel Victoria (Hotel Victoria) 1948-02-18 – Juan D’Arienzo

Il y a plusieurs autres versions à écouter dans l’enquête, après les paroles. N’hésitez pas à y jeter une oreille.

Les paroles

Encore une version instrumentale, mais il existe quelques versions chantées, notamment la magnifique version par D’Agostino et Vargas de 1945. En voici donc les paroles qui peuvent également aider à mieux comprendre la musique.

Partition de Gran Hotel Victoria – Partie du second Bandoneón

En bleu le refrain, seule partie chantée par Vargas
En vert, les couplets chantés par Tita Merelo. Elle chante aussi le refrain en bleu avec une petite variante, el ingrato (l’ingrat) au lieu de mi amor (mon amour).

Viejo hotel de mis ensueños y alegrías
que acunó el idilio de un loco amar,
hoy recuerdo aquellos días que vos eras
el fiel testigo de mi cantar.

Hotel Victoria, vos que supiste
lo que he llorado en mi soledad,
verás mañana, cuando te olviden,
que sólo el tango te recordará.
Hotel Victoria, fue el año veinte,
que de tus puertas partió mi amor
(el ingrato)
Y desde entonces llevo una pena
que va matando a mi pobre corazón.

Hoy que a golpes de piqueta te voltearon,
como aquella ingrata mi amor tronchó.
Los recuerdos son ahora muy amargos,
ilusión que el tiempo se la llevó.

Feliciano Latasa ? Luis Negrón ? H.D. ? Alfredo Barone ? Midori Tagami ? Un compositeur anonyme en Andalousie ? Letra : Carlos Pesce

Mais où est l’Hôtel Victoria ?

Même sans les paroles, on peut être certain que la chanson évoque un hôtel. De nombreux hôtels dans le Monde s’appellent Victoria. Mais plusieurs indices permettent de remonter la piste.

  • Le plus ancien enregistrement de ce titre en ma possession est de 1908, un enregistrement par la Banda de la Policia de Buenos Aires. La musique est donc antérieure.
  • L’auteur supposé de la musique Feliciano Latasa est mort le 18 septembre 1906, à un peu moins de 36 ans. Il faut donc trouver un hôtel plus ancien si c’est lui le compositeur. Voir le paragraphe suivant pour le quilombo des compositeurs…
  • Dans les paroles chantées par Tita Merelo en 1968, il est indiqué que l’hôtel a été détruit. Il faut donc se tourner vers la date d’écriture des paroles pour en savoir plus.
  • L’auteur des paroles est Carlos Pesce. Selon les sources, on trouve trois dates pour le texte, 1931, 1932 et 1935. Le tango était donc probablement chanté dès cette époque. La référence à la destruction de l’hôtel est plus discrète : « Hotel Victoria, vos que supiste
    lo que he llorado en mi soledad, verás mañana, cuando te olviden, que sólo el tango te recordará.
     » (Hôtel Victoria, toi qui savais ce que j’ai pleuré dans ma solitude, tu verras demain, quand ils t’auront oublié, que seulement le tango se souviendra de toi).
    Si on considère que le tango, ce tango est celui-ci, on peut donc penser que l’hôtel a disparu, ce qui confirme que les paroles ne concernent pas le Gran Hotel Victoria de Córdoba.

Pour gérer ces informations et en tirer, sinon des certitudes, mais des possibilités, il convient de manier quelques hypothèses.

Le Gran Hotel Victoria au début du 20e siècle. 1906 ou 1914, mystère.

L’auteur le plus couramment cité est Feliciano Latasa. Ce jeune homme est mort à Córdoba en 1906, était musicien et a été contracté par un hôtel de Córdoba appartenant à un certain Pascual Andruet. Ce dernier avait appelé son hôtel, Hotel Victoria (construit en 1893) et il a décidé d’en créer un nouveau qu’il a appelé Gran Hotel Victoria. En 1906 (le 4 janvier), il inaugurait un nouvel établissement. On peut donc penser que, comme l’affirme, Efraín Bischoff dans Historia de los Barrios de Córdoba, sus leyendas, instituciones y gentes (1986), Feliciano Latasa aurait proposé cette œuvre pour l’inauguration.

Cependant, sur le site de l’hôtel, on indique qu’il a été inauguré le 24 janvier 1914. Cela exclut donc totalement Feliciano Latasa de l’histoire, mais nous y reviendrons dans le prochain chapitre.

Plaque commémorative du premier passage de Carlos Gardel et José Razzano à Córdoba . Elle est fixée au Studio Theatre, sur l’emplacement du théâtre de l’époque

Ce qui va dans le sens de cette interprétation est que la musique est vive, sans la nostalgie des versions ultérieures et chantées, de D’Agostino et Vargas, ou de Tita Merello. Elle est tout à fait adaptée à une fête d’inauguration. Que ce soit par Latasa ou un autre, l’hôtel de Córdoba reste plausible, d’autant plus que cet établissement s’enorgueillit de la visite de Gardel et Libertad Lamarque.
Gardel y a en effet séjourné pour la première fois pour un récital donné avec José Razzano le samedi 11 juillet 1914.

L’hôtel était alors le plus moderne de la ville avec l’eau courante, des salles de bain privées et des ascenseurs. Son propriétaire, le fameux Andruet, avait passé des annonces dans les journaux de la ville.
Comme il subsiste des doutes, on peut essayer de chercher du côté de l’auteur des paroles.
Elles sont clairement attribuées à Carlos Pesce et datent probablement des années 30. Elles peuvent faire référence à des souvenirs. L’hôtel démoli peut être l’ancien établissement de Pascual Andruet, celui de 1893.
On peut tout à fait imaginer que si l’hôtel de la musique est celui de Córdoba, celui des paroles est un autre hôtel ou une simple invention de Pesce. Ce qui est sûr, c’est que l’hôtel de 1906 (ou 1914) existe toujours et que donc ce texte ne peut pas parler de cet hôtel.
Pour trouver un autre hôtel candidat, je propose de nous rendre à Buenos Aires ou un hôtel Victoria a été démoli dans les années 30.

L’hôtel Victoria de Buenos Aires vers 1930 et ce qui a été construit à la place, à l’angle des rues Cerrito et Lavalle. On voit clairement sur la photo de l’hôtel Victoria les travaux en cours. Démolition ou restructuration. Pas sûr, mais suffisant pour faire écrire le texte de ce tango à Pesce.

Deux hôtels pour le prix d’un

Je pense que vous avez compris où je voulais en venir. Le tango original peut très bien avoir été utilisé pour l’inauguration de l’hôtel de Córdoba, puis Pesce lui adjoint des paroles pour parler de l’hôtel Victoria de Buenos Aires qui était en cours de démolition.
Un indice me conforte dans cette idée, le fait que le tango s’appelle parfois « Hotel Victoria » ou « Gran Hotel Victoria ». Il est peu probable que cela fasse référence au premier, puis au second établissement d’Andruet. Pesce n’avait aucune raison d’être nostalgique d’un petit hôtel de Córdoba.
En revanche, l’Hotel Victoria, sans « gran » de Buenos Aires, est un parfait candidat, même s’il peut y en avoir d’autres.

Voici donc ma proposition

Une musique allègre a été utilisée pour fêter l’inauguration de l’hôtel de Córdoba. Les versions de D’Arienzo qui sont énergique s’inscrivent dans la même veine.

C1908 Banda De La Policia De Buenos Aires. Véritable musique avec flonflons pour une inauguration

Dans les années 30, Pesce écrit des paroles pour ce tango, des paroles nostalgiques où il ajoute une histoire d’amour qui se termine et peut-être la démolition de l’hôtel, probablement celui de Buenos Aires puisque celui de Córdoba est toujours debout. Ceci explique que les versions chantées soient plus tristes. Par exemple, celle de D’Agostino et Vargas.

1945-05-21 Orchestre Ángel D’Agostino, con Ángel Vargas. Nostalgique et superbe

Mais cette histoire rocambolesque ne se termine pas si rapidement. Je vous invite à un autre rebondissement…

Le quilombo des compositeurs

Couverture des partitions. À gauche, une signée Feliciano Latasa et à droite une signée Luis Negrón (c1932).

J’ai évoqué Feliciano Latasa comme étant le compositeur « officiel », mais rien n’est moins sûr. En effet, si l’inauguration a eu lieu en 1914, il était mort depuis 8 ans. Ceci pourrait expliquer les diverses revendications, notamment par Alfredo Barone (un violoniste de Córdoba) et Luis Negrón.

Coup de théâtre

Pour rajouter à l’énigme, dans une œuvre théâtrale nommée « La borrachera del tango » (l’ivresse du tango), il y a une chanson nommée la « La payasa » (qui n’est pas le féminin du clown [payaso], mais la drogue en lunfardo) et dont l’air est celui d’Hotel Victoria). Le curieux, c’est que la musique est attribuée à un certain « H.D. ». Les paroles sont celles des auteurs de la pièce de théâtre et n’ont donc rien à voir avec un quelconque hôtel comme on peut l’entendre dans cette version chantée par Ignacio Corsini en 1922.

La Payasa – Ignacio Corsini – Tango (C1922)

On se retrouve donc avec plusieurs compositeurs potentiels ; Feliciano Latasa, Luis Negrón, H.D., et Alfredo Barone.

L’excellent site Todo Tango rajoute des compositeurs japonais, mais c’est juste une histoire de récupération de droits d’auteur et d’arrangements musicaux. En effet, la chanson de Mari Amachi, « Mizuiro no Koi » est enregistrée, de la façon suivante :

  • Mizuiro no Koi 水色の恋
  • Year: 1971
  • singer Amachi Mari
  • lyrics Pesce Carlos
  • lyrics Tagami Eri
  • composer Latasa Feliciano
  • composer Tagami Midori

On retrouve donc les classiques Pesce pour les paroles et Latasa pour la musique. Les Japonais (oncle et nièce) ne sont que les arrangeurs et auteurs des paroles japonaises.

Je vous propose cette vidéo sous-titrée en espagnol. Elle est honnêtement, difficilement supportable, mais elle a fait un tabac immense au Japon, pays regorgeant de fanatiques du tango.

Mari Amachi — « Mizuiro no Koi » 1971 – Avec sous-titres en espagnol.

On se retrouve donc avec beaucoup de compositeurs, même si on peut bien sûr enlever les Japonais et probablement H.D. de l’affaire.

Inutile de tirer au sort pour savoir qui est le gagnant, car Todo Tango fait une hypothèse que je trouve excellente. Si vous avez déjà suivi le lien ci-dessus, vous êtes au courant. En effet, dans son article, «Gran Hotel Victoria», un tango anónimo, Roberto Selles cite une anecdote où la chanteuse andalouse, Lola Hisado indique que cet air est un air espagnol.

C’est loin d’être impossible dans la mesure où Latasa est né en Espagne et que si cette œuvre est traditionnelle, il peut l’avoir connue dans son pays d’origine.

Todo Tango s’arrête là. Pour ma part, je laisse la porte ouverte en me disant qu’il se peut que Lola Hisado ait entendu cet air en Espagne, mais, car il avait entre-temps circulé en Espagne, peut-être véhiculé par les orchestres argentins dans les années 20.

Existe-t-il un compositeur anonyme en Andalousie, Latasa a-t-il copié ou réellement inventé ?

N’hésitez pas à donner votre opinion dans les commentaires…

Autres enregistrements

La version que je propose a été enregistrée le 18 février 1948 par l’orchestre de Juan D’Arienzo qui l’a enregistré également en 1935, 1966 et après sa mort, en 1987. Non, ce n’est pas le fantôme de D’Arienzo, c’est juste que de nombreux DJ utilisent des enregistrements des solistes de D’Arienzo, sous la direction du bandonéiste et arrangeur des dernières années de D’Arienzo, Carlos Lazzari.

Comme indiqué précédemment, il y a deux branches pour ce tango. Une plutôt gaie et une autre, celle des tangos chantés par Vargas et Merello, plutôt nostalgique, voire triste.

Tous ces tangos ne sont pas pour la danse, mais en ce qui concerne D’Arienzo, ce sont tous des valeurs sûres qui permettent de s’adapter au public présent.

Voici quelques versions parmi une centaine, au moins, car le 21e siècle l’a beaucoup enregistré). En rouge, les versions plutôt gaies et en bleu, les versions plutôt nostalgiques.

C1908 Banda De La Policia De Buenos Aires. (Gai. Véritable musique avec flonflons pour une inauguration)

C1910 Estudiantina Centenario Direction : Vicente Abad (Gai un peu plus lent, mais avec jolie mandoline).
C1911 Orchestre Vicente Greco (Gai, mais confuse)

C1922 Ignacio Corsini (Nostalgique, mais avec des paroles et sous un autre nom (Payasa).

C 1925 Orchestre Roberto Firpo (Nostalgique, bien qu’instrumentale). Il peut s’agir d’une référence à la version de Corsini.
1929 Trío Odeón avec les guitaristes Iriarte-Pesoa-Pages (Gai)
1935-06-18 Orchestre Francisco Canaro (Version très lente, plutôt canyengue, disons nostalgique, mais en fait, plutôt neutre).
1935-07-02 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, le D’Arienzo d’avant Biagi)
1945-05-21 Orchestre Ángel D’Agostino, con Ángel Vargas (Nostalgique et superbe).
1948-02-18 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, mais avec des passages plus doux (contraste)
1948-08-13 Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto (Gai, contrairement à la version de 1925)
1949-10 Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy » (Gai et même énervée. Si l’idée est de rappeler le départ, celui s’effectue avec une locomotive à vapeur à plein régime. Pas question de proposer ce titre à danser).

1951-10-30 Orchestre Joaquín Do Reyes (Nostalgique, mais pas très intéressant)
1959 Miguel Villasboas y su Quinteto Típico (Gai, qui rappelle les airs des premiers flonflons ou de la mandoline, mais en pizzicati)
1959-04-09 Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro (Gai, avec des passages un peu plus nostalgiques. La flûte rappelle les flonflons des premières versions.

1959-10-08 Orchestre Florindo Sassone (Nostalgique et bien dans l’esprit de Sassone, pas pour tous les danseurs…)
1963-07-11 Quinteto Real (Gai, avec beaucoup de trilles. Suffisamment décousu pour ne pas être dansable)
1966-08-03 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, et puissant comme un D’Arienzo des années 60, logique, c’en est un, avec ses fameux breaks)

1968 Conjunto Carlos Figari, con Tita Merello (Nostalgique, mais à la façon de Tita Merello, pas pour la danse de toute façon)
1970, 1976 et 1981-03-07 (En vivo) Horacio Salgán y Ubaldo De Lio (Gai, mais très décousu, absolument pas pour la danse, le piano est très présent. La version de 1976 est en public à l’Hôtel Sheraton de Buenos Aires et celle de 1981 au Japon).
1976-12-08 (En vivo) Los Reyes Del Compás. Enregistré en public au Japon (Tokyo at the Shiba Yuubinchokkin hall) en mémoire de Juan D’Arienzo. La version est plutôt gaie malgré la mort de leur modèle.

1977 Sexteto Mayor Une version nostalgique, absolument pas pour la danse.
1990-02-09 Yasushi Ozawa y su Orquesta Típica Corrientes Plutôt nostalgique, mais en fait assez moyenne. Sans doute pas le titre à retenir pour une milonga réussie.

2007—08 (En vivo) La Tubatango (Gai, retour des flonflons, la boucle est bouclée avec la Banda de la Policia de Buenos Aires, un siècle plus tôt. Même si dansée dans la vidéo, ce n’est sans doute pas la version la plus dansante.

Il y a bien sûr des dizaines d’autres versions. J’en ai plus de cinquante dans ma discothèque, même si seulement deux ou trois passeront spontanément dans les milongas que j’anime.

La Tubatango, un orchestre atypique, faisant revivre des modes musicaux des premiers temps. Ici, Gran Hotel Victoria, un enregistrement public à Sao Paulo, Brasil, en août 2007.

Sources

Plusieurs sources m’ont servi pour écrire cet article. En dehors des sources écrites, des musiques de ma discothèque, j’ai utilisé les sites suivants :

The life of a frustrated Milonguero (en): Gran Hotel Victoria
https://tangogales.wordpress.com/2020/11/30/gran-hotel-victoria/

Hôtel Victoria, toi qui savais ce que j’ai pleuré dans ma solitude.