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Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi

Alfredo De Angelis Letra : Carmelo Volpe

Le cono azul cache une histoire triste, mais vécue par des milliers de jeunes Françaises. Le tango du jour Bajo et cono azul a été enregistré par De Angelis et Floreal Ruiz, il y a exactement 80 ans, le 29 février 1944.

Comme il y a peu de 29 février, seulement les années bissextiles, on pouvait craindre qu’il soit difficile de trouver un enregistrement du jour. La richesse des enregistrements de tango, même si ce n’est qu’un faible pourcentage de ce qui a été joué permet de vous présenter cette perle.

Dedico esta nota a mi querida cuñada Marta cuyo cumpleaños es hoy.
Ella tiene suerte (o mala suerte) de cumplir solo cada cuatro años).

La triste histoire de Susú et autres grisettes

La France, et notamment Paris, a été un réservoir inépuisable de femmes pour l’Argentine et notamment Buenos Aires. De beaux Argentins faisaient de belles promesses aux belles Françaises. Ces dernières, à la recherche du soleil (celui du drapeau de Manuel Belgrano ou tout simplement celui du ciel austral), font leur maigre bagage et se retrouvent au sein du rêve portègne.
Las, là, les promesses se changent en trahison et les belles, dans le meilleur des cas deviennent « grisettes », à faire des œuvres de couture, mais beaucoup se retrouvent dans les bordels, à danser et à se livrer à d’autres activités usuelles dans ce genre d’endroit.
On imagine leur détresse. C’est ce qui est arrivé à la Susú de ce tango, comme à tant d’autres qui ont inspiré des dizaines de tangos émouvants.
Le point original de ce tango est que le narrateur connaissait et probablement aimait (il s’interroge sur ce point) Susú à Paris et qu’il l’a suivie quand elle est partie avec son « amour ».
Aujourd’hui, vingt ans et « un amour » plus tard, elle continue de danser, mais elle qui se rêvait papillon, s’est brûlé les ailes à la chaleur de la lumière du projecteur et pleure dans l’ombre du salon où s’écrit jour après jour son malheur.
Écoutons à présent ce thème qui unit Paris et le Cono sur (le cône du Sud), partie inférieure et triangulaire de l’Amérique latine.

Extrait musical

Bajo el cono azul 1944-02-29 (Tango) – Orquesta Alfredo De Angelis con Floreal Ruiz y glosas de Néstor Rodi.
L’introduction parlée dure 13 secondes…

Un certain nombre de tangos ont été enregistrés avec des paroles dites, généralement en début de musique. C’est le cas de ce tango ou ces glosas dites par Néstor Rodi dévoilent la tristesse du thème.
La musique de De Angelis est rythmée et tonique et la voix de Floreal Ruiz, est également bien marquée. Je ne sais pas si c’est pour cela qu’il a pris le surnom de Carlos Martel. C’était peut-être aussi en hommage au plus fameux des Carlos du tango.

Les paroles

Bajo el cono azul de luz
bailando está Susú
su danza nocturnal…
Sola, en medio del salón
se oprime el corazón
cansada de su mal…
Veinte años y un amor,
y luego la traición
de aquel que amó en París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz azul de un reflector!…

Bajo el cono azul
envuelta en el tul
gira tu silueta en el salón.
Y yo, desde aquí
como allá, en París,
Sueño igual que ayer, otra ilusión…
No sé si te amé…
Acaso lloré
cuando te alejaste con tu amor…
¡Triste recordar!
¡Sigue tu danzar!…
Yo era sólo un pobre soñador…

Bajo el cono azul de luz
no baila ya Susú
su danza nocturnal…
En las sombras del salón
solloza un corazón
su mal sentimental…
Veinte años y un amor,
que en alas de ilusión
la trajo de París…
¡Mariposa que al querer llegar al sol
sólo encontró
la luz de un reflector! …

Alfredo De Angelis Letra: Carmelo Volpe. La partie en italique n’est pas chantée par Floreal Ruiz. Il reprend pour terminer le refrain à partir de No sé si te amé…

La traduction des paroles

Les paroles sont intéressantes, mais sujettes à erreurs d’interprétation. J’ai donc décidé de faire une traduction en français. Avec la traduction automatique du site, vous l’aurez dans une éventuelle autre langue parmi les 50 possibles.

Sous le cône de lumière bleu, Susu danse sa danse nocturne…
Seule au milieu du salon, le cœur oppressé, fatiguée de son mal…
Vingt ans et un amour, et puis la trahison de celui qu’elle aimait à Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne trouve que la lumière bleue d’un projecteur !
(réflecteur, mais pour faire un cône de lumière il vaut mieux un projecteur…)

Sous le cône bleu, enveloppée de tulle, virevolte ta silhouette dans le salon.
Et moi, depuis ici comme là-bas, à Paris, je rêve comme hier, une autre illusion…
Je ne sais pas si je t’aimais…
J’ai peut-être pleuré quand tu es partie avec ton amour…
Triste souvenir !
Continue de danser ! …
Je n’étais qu’un pauvre rêveur…
 
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…
Vingt ans et un amour, que sur les ailes de l’illusion il l’a amenée de Paris…
Papillon qui veut atteindre le soleil ne rencontre que la lumière d’un projecteur ! …

Autres tangos enregistrés un 29 février

De Angelis a enregistré le même jour Ya sé que siguen hablando avec le chanteur Julio Martel. Le même jour, Floreal ne pouvait donc pas prendre son pseudonyme de Carlos Martel, hein ?

Ya sé que siguen hablando 1944-02-29 – Alfredo De Angelis con Julio Martel. Enregistré le même jour que Bajo el Cono Azul.
Canaro 1956-02-29 – Florindo Sasone. Une version curieuse, à la fois pour le thème, enregistré pour la première par Canaro en 1915 (on n’est jamais si bien servi que par soi-même). C’est un mélange d’un des styles de Canaro et de Sasone, assez étonnant.
Lagrimas 1956-02-29 Florinda Sasone. Enregistré le même jour, ce tango est plus dans l’esprit pur Sasone avec les dings si caractéristiques qui ponctuent ses interprétations.
De qué podemos hablar 1956-02-29 – Orquesta Carlos Di Sarli con Argentino Ledesma. Ledesma, une des grandes voix du tango. Mais est-ce sa meilleure interprétation, je ne suis pas sûr.
Mala yerba 1956-02-29 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con Rodolfo Galé. Enregistré le même jour que De qué podemos hablar. Cette valse n’est pas la plus entraînante, notamment à cause de la prestation de Galé, qui chante magnifiquement, mais pas forcément idéalement pour la danse.
Sous le cône de lumière bleu, Susu ne danse plus sa danse nocturne…
Dans l’ombre du salon un cœur sanglote son mal d’amour…

Ahora voy a tomar mate con yerba que no sea mala y con yuyos de sierras, y después a bailar el chamame qué estoy en la provincia de Corrientes. Qué la tristeza se va.

Et maintenant, je vais prendre un mate avec de la yerba qui ne soit pas mauvaise et des herbes de montagne. Ensuite, je vais danser le chamamé, car je suis dans la province de Corrientes, pour que la tristesse s’en aille.

El chamamé ya es Patrimonio Cultural Inmaterial de la Humanidad [Le chamame est désormais au Patrimoine Immatériel de l’Humanité (Unesco)]

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Le tango du jour, Yuyo verde, a été enregistré le 28 février 1945, il y a 79 ans par Aníbal Troilo et Floreal Ruiz. C’est encore un magnifique thème écrit par l’équipe Federico et Expósito, les auteurs de Percal. Le yuyo verde est une herbe verte qui peut être soit une mauvaise herbe, soit une herbe médicinale. Je vous laisse forger votre interprétation à la lecture de cet article.

Extrait musical

Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz

Les paroles

Callejón… callejón…
lejano… lejano…
íbamos perdidos de la mano
bajo un cielo de verano
soñando en vano…
Un farol… un portón…
-igual que en un tango-
y los dos perdidos de la mano
bajo el cielo de verano
que partió…

Déjame que llore crudamente
con el llanto viejo adiós…
adonde el callejón se pierde
brotó ese yuyo verde
del perdón…
Déjame que llore y te recuerde
-trenzas que me anudan al portón-
De tu país ya no se vuelve
ni con el yuyo verde
del perdón…

¿Dónde estás?… ¿Dónde estás?…
¿Adónde te has ido?…
¿Dónde están las plumas de mi nido,
la emoción de haber vivido
y aquel cariño?…
Un farol… un portón…
-igual que un tango-
y este llanto mío entre mis manos
y ese cielo de verano
que partió…

Domingo Federico Letra: Homero Expósito

Autres versions

Ce tango, magnifique a donné lieu à des centaines de versions.

Yuyo verde 1944-09-12 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. La version originale par l’auteur de la musique. C’est une jolie version.
Yuyo verde (Callejón) 1945-01-24 — Orquesta Rodolfo Biagi con Jorge Ortiz. Un biagi typique, bien énergique. À noter le sous-titre, Callejón, la ruelle, qui commence les paroles en étant chantée deux fois.
Yuyo verde 1945-01-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Alberto Morán. Une interprétation de Morán un peu larmoyante. Rien à voir avec la version enregistrée la veille par Biagi et Ortiz. La merveilleuse diversité des orchestres de l’âge d’or du tango.
Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta Aníbal Troilo con Floreal Ruiz. C’est le tango du jour. Pour moi, c’est un des meilleurs équilibres entre dansabilité et sensibilité.
Yuyo verde 1945-05-08 — Tania y su Orquesta Típica dir. Miguel Nijenson. Si l’enregistrement de Troilo et Morán faisait un peu chanson, cette interprétation par Tania est clairement une chanson. L’indication que c’est Tania et son orchestre, dirigé par Miguel Mijenson confirme que l’intention de Tania était bien d’en faire une chanson.

Avec ces cinq versions, on a donc une vision intéressante du potentiel de ce titre. En 1958, Federico a enregistré de nouveau ce titre, avec son Trío Saludos et les chanteurs Rubén Maciel et Rubén Sánchez. Je vous fais grâce de cette version kitch.
Comme il est l’auteur de la musique, je citerai aussi son enregistrement réalisé à Rosario avec la Orquesta Juvenil De La Universidad Nacional De Rosario con Héctor Gatáneo. J’ai déjà évoqué ce chanteur et cet orchestre à propos de Percal dont Federico est également l’auteur.
Il y a des centaines d’interprétations par la suite, mais relativement peu pour la danse. Les aspects chanson ou musique classique ont plutôt été les sources d’inspiration.
Pour terminer cet article sur une note sympathique, une version en vidéo par un orchestre qui a cherché son style propre, la Romántica Milonguera. Ici avec Roberto Minondi. Un enregistrement effectué en Uruguay, un des trois pays du tango ; en mars 2019.

Yuyo verde 2019-03 – Orquesta Romantica Milonguera con Roberto Minondi.

Clin d’œil

Un cuarteto organisé autour du guitariste Diego Trosman et du bandéoniste Fernando Maguna avait pris le nom de Yuyo Verde en 2003. Ce cuarteto avait d’ailleurs participé en 2004 au festival que j’organisais alors à Saint-Geniez d’Olt (Aveyron, France). Ils nous avaient fait parvenir une maquette dont je tire cette superbe interprétation de la milonga La Trampera. Ce n’est pas Yuyo Verde, mais c’est une composition d’Anibal Troilo, on reste dans le thème du jour.

La trampera 2004 — Yuyo Verde (Maquette)

Deux des affiches que j’avais réalisées pour mon festival de tango. Le site internet était hébergé par mon site perso de l’époque (byc.ch) et sur l’affiche de droite, les plus observateurs pourront remarquer mon logo de l’époque. C’était il y a 20 ans…

Petite histoire, ce festival de tango qui existe toujours, avec d’autres organisateurs, avait au départ une partie salsa, car mon coorganisateur croyait plutôt en cette danse. C’est la raison pour laquelle j’avais donné le nom de Tango latino (tango y latino), pour faire apparaître ces deux facettes. La milonga du samedi soir était animée par Yuyo Verde et Corine d’Alès, une pionnière du DJing de tango que je salue ici…

Por vos… Yo me rompo todo 1939-02-27 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Francisco Canaro (Francisco Canarozzo) musique et paroles

Le tango d’aujourd’hui a été enregistré par Francisco Canaro avec le chanteur Ernesto Famá, le 27 février 1939, il y a exactement 85 ans. Mais je vous parlerai aussi de la version de son frère, Rafael, enregistrée la même année, en France et avec lui-même comme chanteur.

J’ai déjà cité deux Canaros, il s’agit en fait d’une famille de musiciens de tango que je vous invite à découvrir.

Les Canaros

De cette famille uruguayenne de musiciens, Francisco Canaro (Canarozzo) est sans doute le plus connu, mais il avait quatre frères musiciens de tango, Rafael, Humberto, Juan et Mario.

  • Francisco, l’aîné (26 novembre 1888 – 14 décembre 1964) était compositeur, chef d’orchestre et violoniste.
  • Rafael (22 juin 1890 – 28 janvier 1972) était compositeur, chef d’orchestre, contrebassiste et joueur de scie musicale. Il a passé une douzaine d’années en France avant la Seconde Guerre mondiale. Il a enregistré des tangos chantés en français, notamment avec Toussaint.
  • Juan (23 juin 1892 – 16 mars 1977) était compositeur, chef d’orchestre et bandonéoniste. Il est également passé par Paris, mais a beaucoup voyagé et ne s’y est pas fixé.
  • Humberto (16 août 1896 – 26 août 1952) était compositeur, chef d’orchestre et pianiste. Il n’est venu en France qu’après la Seconde Guerre mondiale.
  • Mario (14 mai 1903 – 19 juin 1974) est le seul à être né en Argentine, à Buenos Aires et ne pas avoir été chef d’orchestre. En revanche, il était compositeur, violoniste, bandonéiste et contrebassiste. Il termina sa formation musicale en France et en Belgique et resta à Paris, jusqu’en 1939, chassé, comme Rafael, par la guerre.

On constatera que les frères Canaro pouvaient à eux seuls faire un quintette de qualité. L’histoire des Canaro est également liée à la France. Ils ont permis au tango de se développer en remportant un immense succès en Europe. Tous les frères y sont passés. Francisco y a fait plusieurs séjours et Rafael et Juan s’y sont établis et n’en sont partis qu’à cause de la Seconde Guerre mondiale.

Le titre du jour nous donne une preuve de l’internationalisme du tango, peut-être le même jour (il y a un petit doute entre le 26 et le 27 février 1939, Francisco et Rafael enregistraient Por vos… yo me rompo todo.

Le dialogue transatlantique

La version de Francisco a été enregistrée à Buenos Aires (matrice 9814-1) et diffusée par Odéon en Argentine et en Angleterre. Le chanteur en est Ernesto Famá dont la voix gouailleuse et un peu ironique convient bien au thème.

Rafael a, pour sa part, enregistré chez Columbia, en France (matrice CL 7130-1). C’est lui qui chante, ainsi que le chœur de ses instrumentistes qui remprennent les “ma china” et le final, comme cela se faisait assez fréquemment à l’époque. À ce sujet, il y a deux jours, j’étais dans une milonga animée par un quatuor (qui va prochainement faire un tour en Europe) et où les musiciens faisaient le chœur. Le résultat était mitigé, car les voix étaient trop proches et désaccordées. Pour moi, cela gâchait leur prestation musicale, car les quatre étaient d’excellents musiciens. Espérons que pour leur tournée en Europe ils vont abandonner cette idée ou a minima ne laisser qu’un seul chanter ces brefs estribillos pour ne pas atténuer le plaisir des danseurs.

Version Francisco diffusée en Argentine, au centre, version Francisco éditée en Angleterre et à droite, la version de Rafael, éditée en France.

Extrait musical

Vous aurez le droit à deux pour le prix d’un.

Por vos… yo me rompo todo 1939-02-27 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá
Por vos… yo me rompo todo 1939 – Orquesta Rafael Canaro con Rafael Canaro y coro

Les paroles

Yo soy como el ave que canta y no llora
Como la calandria, igual que un zorzal
Cuando canto, canto, cuando rio, rio
Cuando quiero, quiero con todo el corazón
Yo soy como el ave que canta y no llora
Y busco un cariño para mi pasión
Por vos yo me rompo todo
Mi china
Por vos yo me juego entero
Mi vida
Por vos yo seré doctor, todo un gran señor
Rico y distinguido
Por vos yo seré ladrón, guapo y con padrón
Malo y atrevido
Por vos yo me rompo todo
Mi china
Porque sos mi «metegol»

Francisco Canaro (Francisco Canarozzo) musique et paroles

Les paroles sont assez simples et sans trop de sous-entendus qui les compliquent.
Voici, cependant, quelques indications :

Je suis comme l’oiseau qui chante et ne pleure pas
La calendria (Mimus saturninus, espèce d’alouette) est un oiseau chanteur, très commun à Buenos Aires.
Le zorzal (turdus rufiventris, merle à ventre roux) est un autre oiseau chanteur. C’était aussi le surnom de Carlos Gardel, référence en matière d e chant en Argentine…

Por vos yo me rompo todo […] Por vos yo me juego entero
Plusieurs interprétations sont possibles, mais on pourrait traduire par il se met en quatre, en risque, en jeu.

Mi china
La china est une femme de condition modeste, de la campagne, ou d’origine indienne, mais c’est aussi un terme affectueux. Cela peut aussi être un canif qui se dit « cortaplumas » selon le dictionnaire lunfardo de Dellepiane, ce qui prend sa saveur quand il se désigne comme étant un oiseau. Dans le cas présent, il est probable que ma chérie serait une traduction valable, comme le confirme l’expression Mi vida utilisée ensuite.

Il est vraiment prêt à tout, docteur, grand seigneur ou voleur, courageux, avec un casier judiciaire. Riche et distingué dans le premier cas, mauvais et audacieux dans le second.

Sos mi «metegol»

Un métegol, c’est un baby-foot (marquer un but). Le fait qu’il compare sa china (chérie) à un baby-foot peut sembler étrange. Peut-être est-ce la preuve de la passion des Argentins pour le foot et ce jeu. S’il aime cette femme autant que le baby-foot, c’est que c’est du sérieux. C’est peut-être moins glorieux s’il se réfère qu’il l’a à sa main et qu’il peut la manipuler comme les personnages du jeu.
La preuve que cet engouement continue, en 2013, ils ont réalisé un film d’animation en 3D qui s’appelle Metegol… Le héros du film, Amadeo, est un passionné de football. Au point qu’il passe la ses journées, à jouer au baby-foot. Mais après qu’il eut battu le caïd du coin, ce dernier le met au défi de jouer dans un véritable match de football. Les personnages du babyfoot viendront prêter main-forte à Amadeo. Au-delà, cet argument se joue la lutte du passé et du futur. Le caïd, Grosso, veut raser la ville pour construire un immense stade de football. Tous les ingrédients de l’Argentine actuelle sont dans ce scénario, non ?

Metegol est un film argentin et espagnol d’animation en 3D. Il a été dirigé par Juan José Campanella et est inspiré du conte « Memorias de un wing derecho » de l’écrivain argentin Roberto Fontanarrosa

GOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOLLLLL
(BUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUTTTT)

Tu es mon baby-foot…

Fuegos artificiales 1941-02-26 (Tango) – Orquesta Juan D’Arienzo

Roberto Firpo ; Eduardo Arolas

Le tango d’aujourd’hui a été enregistré par Juan D’Arienzo, le 26 février 1941, il y a exactement 83 ans. Los fuegos artificiales sont les feux d’artifice. Nous verrons dans cet article qu’on peut les voir réellement dans la musique.

Ceux qui connaissent un peu l’Argentine savent qu’ils sont fans d’expériences pyrotechniques. Cependant, contrairement à la France, ce ne sont pas les communes qui les proposent, ce sont les Argentins eux-mêmes qui rivalisent avec leurs voisins pour proposer le plus beau spectacle. Roberto Firpo et Eduardo Arolas se sont donc inspirés de ces feux d’artifice pour proposer un tango descriptif où se voient et s’entendent les fusées.

Roberto Firpo

Roberto Firpo, un des auteurs de cette musique, a souvent composé des tangos imagés, c’est-à-dire où la musique cherche à imiter des sons de la vie réelle. On connaît, par exemple :
El amanecer (l’aube) avec ses oiseaux qui accueillent le soleil ; El burrito (l’âne) un pasodoble où on entend quelques facéties d’un âne ; El rápido (tango) imitation du train avec dans certaines versions des annonces du type (second service du restaurant). Biagi et Piazzolla par exemple, reprend ce thème de façon plus musicale, pour la danse dans le cas de Biagi et pour l’écoute en ce qui concerne Piazzolla, mais dans tous les cas on reconnaît bien le train ; La carcajada le rire.

Fuegos artificiales est donc dans cette lignée et il n’est pas difficile d’imaginer la trajectoire des cohetes (fusées) en écoutant les différentes versions de cette œuvre.

Roberto Firpo a composé énormément. Il n’est pas un chef d’orchestre de premier plan, mais tous les danseurs de tango ont dansé, parfois sans le savoir, bon nombre de ses créations interprétées par d’autres orchestres.
En plus d’El amanecer, on pourrait citer, Alma de bohemio dont il existe des dizaines de versions, dont celle très exceptionnelle de Pedro Laurenz chantée par Alberto Podestá qui tient la note pendant une durée incroyable, Argañaraz (Aquellas farras), Didi, El apronte ou Viviani.

Extrait musical

Fuegos artificiales 1941-02-26 – Orquesta Juan D’Arienzo.mp3. C’est le premier enregistrement de ce thème par D’Arienzo et celui qui fait l’objet de cet article.

Les paroles… la musique en images

Comme il s’agit d’un tango instrumental et que personne n’a eu l’idée d’y mettre des paroles. Je vous propose de voir les fusées du feu d’artifice dans la musique.
En effet, pour travailler la musique, les logiciels spécialisés proposent différents outils. Un que j’aime bien est la représentation de la fréquence spectrale.
Le principe est simple. Plus un son est grave et plus il est représenté en bas du spectrogramme. Mais ici, ce n’est pas la technique qui nous intéresse, mais ce qu’on peut voir avec cet outil. Nous allons voir trois versions. Celle de Firpo (le compositeur) en 1927, puis en 1928 et enfin celle qui fait l’objet de la composition du jour, celle de D’Arienzo de 1941.

Spectrogramme de la version de 1927 de Firpo. Observez les lignes obliques qui indiquent, de gauche à droite, une descente chromatique, une remontée chromatique (on dirait un V, visible dans la première moitié) puis une descente vers le spectre grave vibrée dans la seconde moitié. Ce sont les fusées du feu d’artifice qui montent et descendent.
Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 28 et 1 h 36.
Version de 1928 de Firpo. Elle est sensiblement différente de celle de 1927. La montée chromatique est effectuée par tout l’orchestre et la descente par les seuls violons. Le motif en V de la version de 1927 a disparu, certains éléments de la descente chromatique qui précédait se retrouvent désormais dans la montée, beaucoup plus puissante et par conséquent presque invisibles.
Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. La partie correspondant à l’image ci-dessus se trouve entre 1 h 25 et 1 h 35. C’est la même que dans la version 1927.
La même partie de la musique, mais d’un aspect totalement différent. Les montées et descentes se font en escalier. Les glissandos de violons ont disparu.
Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo. Dans le même passage (1 : 29, à 1 : 36) les glissandos des violons ont disparu. Les notes en marche d’escalier sont typiques de D’Arienzo.
Tout l’orchestre et notamment les bandonéons et le piano montent chromatiquement par saccades, puis le piano en solo entame une descente chromatique qu’il enchaîne avec une remontée, accompagné par l’orchestre.

Le motif est donc très différent de celui de Firpo et ne suggère que lointainement le feu d’artifice.

Pour le retrouver, il faut choisir un autre passage.

Ici, c’est le début de la version de D’Arienzo, dans une partie différente. À gauche, une montée chromatique saccadée au piano, suivi d’un silence (zone sombre au milieu). Ce silence accueille des coups fermes du bandonéon, puis enfin, une nouvelle montée chromatique, cette fois en glissando par les violons. C’est une évocation de la montée des fusées.

Mais là, on est loin de la description des versions de Firpo. Même la montée chromatique des cordes est courte et peu expressive, comme si D’Arienzo voulait faire oublier qu’il s’agissait d’un feu d’artifice. En effet, il en fait une pièce instrumentale, beaucoup moins imagée.
Cependant, D’Arienzo n’a pas hésité à faire quelques tangos imagés, comme El Hipo où Echagüe a le hoquet (hipo), accompagné par de courts glissandos de violon, mais ce n’est pas le meilleur de sa production…

En observant les spectrogrammes, on peut tirer des idées sur la façon dont le musicien organise sa musique et sa composition.

Les enregistrements de Fuegos artificiales

Par Juan D’Arienzo

D’Arienzo a enregistré à deux reprises ce titre. . C’est la version proposée d’aujourd’hui.

Fuegos artificiales 1941-02-26 — Orquesta Juan D’Arienzo.
Fuegos artificiales 1946 — Orquesta Juan D’Arienzo. Une version plus rare. La prise de son un peu brouillonne rend la danse moins intéressante. Cette version ne manquera donc pas en milonga.

On trouve deux ou trois autres enregistrements souvent attribués à d’Arienzo, mais ils ont été réalisés après la mort de celui-ci. Ce sont les mêmes musiciens qui ont repris les thèmes sous la direction du bandéoniste arrangeur de D’Arienzo, Carlos Lazzari. On peut donc presque considérer que c’est du D’Arienzo tardif. Le plus ancien est de 1977, un autre a été enregistré au Japon, mais est quasiment identique à celui de 1987 que je propose ici :

Fuegos Artificiales 1987 — Los Solistas de D’Arienzo dir. Carlos Lazzari.

Par d’autres orchestres

Fuegos artificiales 1927-11-04 — Orquesta Roberto Firpo. C’est le plus ancien enregistrement, par l’auteur de la partition. Une version bien canyengue, mais très expressive et descriptive. On aimerait sans doute un peu plus de vitesse pour rendre le spectacle plus dynamique. Nous en avons parlé ci-dessus.
Fuegos artificiales 1928-05-28 — Orquesta Roberto Firpo. Firpo s’est rendu compte qu’il pouvait accélérer son titre. Elle a également été présentée visuellement ci-dessus.
Fuegos artificiales 1945-05-29 — Orquesta Aníbal Troilo. Comme dans la version de 1941 de DArienzo, la partie descriptive est atténuée. Contrairement à D’Arienzo, la musique est plus coulée, sans les saccades et on a un peu l’impression de voir les explosions de lumière au loin, les instruments se mêlant comme se mêlent les étoiles d’un feu d’artifice. C’est une très belle version alternant les moments de tension et ceux de relâchement, mais avec un enchaînement, sans rupture. La musique est plus coulée. Pour la danse, cela peut manquer un peu de clarté pour des danseurs qui ne maîtrisent pas les subtilités de Troilo, mais ils pourront se raccrocher à la marcation la plupart du temps bien présente.

En 1952, Troilo enregistrera une autre version bien plus spectaculaire et évoquant les prémices du tango nuevo.

Fuegos artificiales 1952 — Orquesta Aníbal Troilo. Version plus spectaculaire que celle de 1945, annonçant les futurs succès de Troilo vers le tango dit nuevo.

On pourrait multiplier les exemples, mais maintenant vous saurez être attentifs aux éléments de feu d’artifice, par exemple chez Donato, Varela ou De Angelis qui en ont tiré également des versions intéressantes.

Feux d’artifice et pauvreté, misère et artifices.

Percal 1943-02-25 (Tango) – Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Ne me dites pas que la voix chaude d’Alberto Podestá quand il lance le premier « Percal » ne vous émeut pas, je ne vous croirais pas. Mais avant le thème créé par Domingo Federico et magistralement proposé par l’orchestre de Caló a instauré une ambiance de mystère.

Je ne sais pas pourquoi, mais les premières notes m’ont toujours fait penser aux mille et une nuit. L’évocation de la percale qui est un tissu de qualité en France pourrait renforcer cette impression de luxe.
Cependant, le percal qui est masculin en espagnol, est une étoffe modeste destinée aux femmes pauvres. Vous le découvrirez plus largement avec les paroles, ci-dessous.

Podestá a commencé à chanter pour Caló à 15 ans. Il a passé une audition dans l’après-midi et le soir-même il commençait avec l’orchestre. Miguel Caló savait déceler les talents…

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Les paroles

Percal…
¿Te acuerdas del percal?
Tenías quince abriles,
Anhelos de sufrir y amar,
De ir al centro, triunfar
Y olvidar el percal.
Percal…
Camino del percal,
Te fuiste de tu casa…
Tal vez nos enteramos mal.
Solo sé que al final
Te olvidaste el percal.

La juventud se fue…
Tu casa ya no está…
Y en el ayer tirados
Se han quedado
Acobardados
Tu percal y mi pasado.
La juventud se fue…
Yo ya no espero más…
Mejor dejar perdidos
Los anhelos que no han sido
Y el vestido de percal.

Llorar…
¿Por qué vas a llorar?…
¿Acaso no has vivido,
Acaso no aprendiste a amar,
A sufrir, a esperar,
Y también a callar?
Percal…
Son cosas del percal…
Saber que estás sufriendo
Saber que sufrirás aún más
Y saber que al final
No olvidaste el percal.
Percal…
Tristezas del percal.

Domingo Federico (Domingo Serafín Federico) Letra: Homero Aldo Expósito

Parlons chiffons

Percal est mentionné sept fois dans les paroles de ce tango d’Homero Expósito. Il est donc très important de ne pas faire un contresens sur la signification de ce mot.
Wikipédia nous dit que : « La percale est un tissu de coton de qualité supérieure fait de fil fin serré à plat. Elle est appréciée en literie pour son toucher lisse, doux, et sa résistance ».
Vous aurez compris qu’il ne faut pas en rester là, car une fois de plus, c’est le lunfardo, l’argot argentin qu’il faut interroger pour comprendre.
En lunfardo, il s’agit d’un tissu de coton utilisé pour les robes des femmes de condition modeste. On retrouve dans cette dérivation du mot en lunfardo, la dérision de la mode de la haute société qui se piquait d’être à la française. Nommer une toile modeste du nom d’une toile prestigieuse était une façon de se moquer de sa condition de misère.
En français, on dirait donc plutôt « calicot » que percale pour ce type de tissu de basse qualité.
Voici ce qu’a écrit Athos Espíndola dans son « Diccionario del lunfardo » :

Percal. l. p. Tela de modesta calidad que se empleaba para vestidos de mujer, la más común entre la gente humilde. Fue llevada por el canto, la poesía y el teatro populares a convertirse en símbolo de sencillez y pureza que representaba a la mujer de barrio entregada a su hogar y a la obrera que sucumbía doce horas diarias en el taller de planchado o en la fábrica para llevar unos míseros pesos a la pobreza de su familia. A esa que luego, a la tardecita, salía con su vestido de percal a la puerta de su casa a echar a volar sueños e ilusiones. Pero también fue símbolo discriminatorio propicio para que las grandes señoras de seda y de petit-gris tuvieran otro motivo descalificatorio para esa pobreza ofensiva e insultante que, afortunadamente, estaba tan allá, en aquellos barrios adonde no alcanzaban sus miradas. ¿Cómo iba a detenerse a conversar con una mujer que viste de percal?

Athos Espíndola, Diccionario del lunfardo

Ce tango évoque donc la malédiction de celles qui sont nées pauvres et qui ne sortiront pas de l’univers des tissus de basse qualité, contrairement à celles qui vivent dans la soie et le petit-gris.
Pour information, le petit-gris est apparenté au vair des chaussures de Cendrillon, le vair étant une fourrure à base de peaux d’écureuils. Le petit-gris, c’est pire dans le domaine de la cruauté, car il faut le double d’écureuils. Au lieu d’utiliser le dos et le ventre, on n’utilise que le dos des écureuils pour avoir une fourrure de couleur unie et non pas en damier comme le vair.

Tenías quince abriles, en français on emploi souvent l’expression avoir quinze printemps pour dire quinze ans. En Argentine, les quinze ans sont un âge tout particulier pour les femmes. Les familles modestes s’endettent pour offrir une robe de fête pour leur fille, pour cet anniversaire le plus spectaculaire de leur vie. Le fait que la robe de la chanson soit dans un tissus humble, accentue l’idée de pauvreté.
Il existe d’ailleurs des valses de quinzième anniversaire et pas pour les autres années.
Dans les milongas, la tradition de fêter les anniversaires en valse vient de là.

El vals de los quince años pour l’anniversaire de Quique Camargo par Los Reyes del Tango.
Milonga Camargo Tango – El Beso – Buenos Aires – 2024-02-17. .
Parole et musique Agustín Carlos Minotti.
Grabación DJ BYC Bernardo

Les enregistrements de Percal

Percal 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Alberto Podestá. C’est le tango du jour.
Percal 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. Enregistrée un mois, jour pour jour après celle de Calo, cette version est superbe. Cependant, il me semble que la voix de Fiorentino et en particulier sa première attaque de « Percal » sont en deçà de ce qu’ont proposé Caló et Podestá. Mais bien sûr, ce titre est également merveilleux à danser.
Percal 1943-05-13 Hugo Del Carril accompagné par Tito Ribero. Cette chanson, ce n’est pas un tango de danse, commence avec une musique très particulière et Hugo Del Carril démarre très rapidement (normal, c’est une chanson) le thème d’une voix très chaude et vibrante.
Percal 1947 ou 1948 — Francisco González et son Orchestre typique argentin con Roberto Rodríguez.
Je n’ai pas cette musique dans ma collection. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (Notice FRBNF38023941) l’indique de 1948 sous la bonne référence du disque : Selmer ST3003. La bible Tango l’indique de 1947 et avec le numéro de matrice 3728.
Percal 1952-08-25 — Orquesta Domingo Federico con Armando Moreno et récitatif por Julia de Alba. Il est intéressant d’écouter cette version enregistrée par l’auteur de la musique, même si c’est plus tardif. En plus des paroles chantées par Armando Moreno, il y a un récitatif dit par Julia de Alba, une célébrité de la radio. Son intervention renforce le thème du tango en évoquant le chemin de percale, la destinée que lui prédisait sa mère et qui s’est avérée la réalité. Elle l’a compris plus tard, pleurant les baisers de sa mère qui ne peut plus l’embrasser.
Percal 1969 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal.
Percal 1969-09-24 — Domingo Federico (bandonéon) Oscar Brondel (guitare) con Rubén Maciel. La particularité de cet enregistrement est qu’il est chanté en esperanto par Rubén Maciel. Federico était un militant de l’esperanto, ce langage destiner à unir les hommes dans une grande fraternité. Le même jour, ils ont aussi enregistré une version de la cumparsita, toujours en esperanto.
Percal 1990-12 — Orquesta Juvenil de Tango de la U.N.R. dir Domingo Federico con Héctor Gatáneo. Vous pouvez acheter ce titre ou tout l’album sur BandCamp, y compris dans des formats sans perte (ALAC, FLAC…). Pour mémoire, les fichiers que je propose ici sont en très basse qualité pour être autorisé sur le serveur (limite 1 Mo par fichier).

Autre titre enregistré un 25 février

Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.
Ya sale el tren 1943-02-25 — Orquesta Miguel Caló con Jorge Ortiz. Musique et paroles de Luis Rubistein. Ce tango a été enregistré le même jour que Percal, mais avec un chanteur différent, Jorge Ortiz. On entend la cloche du train au début.

Qué tiempo aquel 1938-02-24 (Milonga) – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores

Francisco Lomuto et Jorge Omar vous proposent la milonga du jour. Ce titre agréable à danser nous permet de nous intéresser à la mode masculine et au billard. Des souvenirs du bon vieux temps disparu (Qué tiempo aquel que no podremos ver más).

Cette milonga, une de plus, décrit un individu amateur de billard, sa tenue et sa façon de déambuler. C’est en somme un portrait qui peut se danser de façon amusante. Tous les instruments jouent en appuyant la rythmique, ce qui est bien dans le style de Lomuto, la plupart du temps inspiré du canyengue. Jorge Omar s’inscrit dans cette puissante présence du rythme, tout en en usant de sa diction parfaite pour mettre en valeur les syncopes de la partition. Quelques excursions du piano illuminent la musique C’est le seul instrument qui semble s’échapper de la machine pour proposer quelques fioritures qui allègent le résultat et offrent aux danseurs qui savent les saisir, des éléments ludiques.

Vous reprendrez bien un peu de homard Omar ?

s reprendrez bien un peu de homard Omar ?

Hier, j’évoquais, Nelly Omar, la muse d’Homero (encore Omar) et aujourd’hui, le chanteur en vedette est Jorge Omar. Seraient-ils de la même famille, frère et sœur, mari et femme ?

Que nenni. Mais ils sont d’autres points communs. Ils sont nés tous les deux en 1911, le 10 d’un mois, à Buenos Aires ou dans la province éponyme, sont chanteurs de tango et ont été au firmament dans les années 30-40. Mais leurs identités réelles lèvent les doutes :

  • Nilda Elvira Vattuone = Nelly Omar 1911-09-10
  • Juan Manuel Ormaechea = Jorge Omar 1911-03-10

Je vais donc me contenter de parler de Jorge, le chanteur héros du jour.

Sa carrière est essentiellement associée à Francisco Lomuto. Lorsqu’il a quitté cet orchestre, en 1943, il a repris une carrière de chanteur soliste, mais sans le succès qu’il méritait. Pour moi, il a donné un peu d’âme à l’orchestre de Lomuto avec sa diction parfaite et son expressivité.

Francisco Lomuto

Né en 1893, Francico Lomuto est un ancien du tango. Il fait partie d’une famille de musiciens. Son père, Víctor Lomuto était violoniste et sa mère Rosalía Narducci, pianiste. Parmi ses 9 frères et sœurs, plusieurs contribuèrent au tango.
Victor, qu’il ne faut pas confondre avec son père qui porte le même prénom était bandonéiste et a passé une partie importante de sa vie en France, notamment avec l’orchestre de Manuel Pizarro.
Héctor Antonio, pianiste (jazz) et compositeur. Il est l’auteur de rancheras, pasodobles et foxtrots, mais aussi du tango Yo seré como tú quieras et de la superbe valse El día que te fuiste.
Enrique, pianiste (tango), chef d’orchestre et compositeur. Parmi ses compositions, les très beaux tangos Bésame mi amor ou Éramos tres.
Oscar (Pascual Tomás) était pour sa part écrivain et journaliste et a écrit les paroles de quelques tangos comme Nunca más dont l’interprétation par Maure avec l’orchestre de D’Arienzo est une merveille.

Francisco himself

Pour revenir à Francisco, l’auteur de la musique et le chef d’orchestre du tango du jour, la milonga Qué tiempo aquel, il est un des éléments de ce qu’il est convenu d’appeler la Guardia Vieja (La vieille garde).
La rencontre de Francisco Lomuto et Jorge Omar a marqué un tournant dans le style de l’orchestre. Progressivement en 1935 et surtout en 1936, avec l’arrivée de Martín Darré en remplacement de Daniel Alvarez comme premier primer bandonéon et arrangeur, son style se modernise avec des chefs d’œuvres comme Nostalgias ou Otra vez.
Sur la fin de sa carrière, son style s’est encore adapté, notamment avec la participation d’Angel Vargas. On notera toutefois que la majorité de ses ultimes enregistrements concernent du jazz argentin. Encore un témoignage du déclin du tango de danse dans les années 50.
Mais dans l’ensemble, il restera fidèle à son esprit « vieille garde » comme en témoigne Callecita de mi novia enregistré le même jour que la milonga dont nous parlons aujourd’hui.

Nostalgias 1936-10-28 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Un titre superbe dans un style relativement différent du Lomuto habituel.
Callecita de mi novia 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Le style très imprégné de canyengue persiste dans cet enregistrement.

Ce style au rythme très marqué plait beaucoup aux amateurs d’encuentro, sans doute moins aux danseurs qui aiment improviser. Il faut de tout pour faire un monde et un DJ avisé saura sortir en temps utile un bon Lomuto.

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Les paroles

Un « taco » va con sombrero
Requintado de ala corta,
Un gesto de “qué me importa”
Sobrador y pendenciero.

Pantalón “a la francesa”
A cuadritos de fragacha,
Que iba pidiéndole cancha
Al barro del arrabal.

Qué tiempo aquel que no podremos ver más
Que si se fue, no volverá,
Qué tiempo aquel de nuestra vieja ciudad
El del matón del arrabal,
Que la biaba del progreso,
Igual que a cinco de queso
Me lo han dejado,
Y hoy se pierde lentamente,
Como el sol en el poniente
Triste y derrotado.

Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores

Les paroles sont assez simples à comprendre. Il y a toutefois quelques éléments qui peuvent mériter une explication.
Taco : C’est à la fois la queue du billard et un bon joueur de billard. Rien à voir avec les talons dans le cas présent, si ce n’est le « tac », le son du talon au sol ou des boules qui s’entrechoquent.

Pantalón « a la francesa » : on retrouve ce pantalon à la française dans au moins trois milongas. Celle qui nous occupe aujourd’hui, mais aussi dans De antaño une milonga écrite par Luis Rubistein (Juan D’Arienzo avec Alberto Echagüe, 1939-09-27) et dans Pantalon « a la francesa » écrite par Luisa Rosa González sur une musique de Severo Vietri.
Vous n’avez sans doute pas entendu parler de Vietri. Je vous invite à consulter le blog du regretté Aldo Caseros pour mieux connaître ce bandonéoniste et compositeur.
Le pantalon à la française est un pantalon large (plus confortable avec les tissus rigides, sans élasthanne, de l’époque) et resserré à la cheville. C’est un peu le type bombacha campesina, le modèle moins exagéré que la bombacha des danseurs professionnels de malambo et qui se vend toujours comme vêtement de travail.
Beaucoup de danseurs de tango actuels adoptent ce type de pantalons amples avec cinq pinces, mais qui sont différents à la base.
Je n’ai en revanche pas d’explication pour les cuadritos de fragacha. Sans doute un motif de tissus quadrillé (espagnol ?) ou des pièces destinées à réparer les accrocs.
Que iba pidiéndole cancha/Al barro del arrabal. Marcher en se frayant un passage avec autorité, ici à la fange des faubourgs. On imagine bien le type marcher, chargé de son « importance ».
Que la biaba del progreso. Qui l’assomme avec le progrès. Biaba est pour moi au sens figuré, le tueur évoqué au vers précédent est également figuré.
Igual que a cinco de queso. L’expression usuelle est dejar chato como cinco de queso. C’est-à-dire qu’il laisse l’autre interdit, sans voix. Mon interprétation de ce passage est que le passage et le verbiage de cet individu devaient estomaquer les gens, les laisser comme « deux ronds de flan ».

Les enregistrements de Qué tiempo aquel

Il n’y en a pas d’autres à ma connaissance. C’est une milonga orpheline.
En revanche, Lomuto a enregistré quelques autres milongas comme :

  • Aquí me pongo a cantar 1945-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera
  • No hay tierra como la mía 1939-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
  • Parque Patricios 1941-06-27 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
  • Et des milongas candombe. Lomuto est un assez bon choix pour une tanda de milonga.

Autres titres enregistrés un 24 février

Il y plusieurs autres titres enregistrés un 24 février de Gloria de Canaro 1927-02-24, bien canyengue à Y te parece todavía 1959-02-24 — Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde. Ce sera pour des 24 février des années à venir, mais en attendant, écoutez ces deux titres, extrêmes qui témoignent de la richesse du tango, aux limites de son répertoire traditionnel.

Gloria 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro
Y te parece todavía 1959-02-24 – Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde
Un « taco » pensant au temps qui a disparu…

Sur 1948-02-23 – Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero

Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi

Il y a 76 ans, Aníbal Troilo enregistrait avec Edmundo Rivero, un des tangos avec le titre le plus court, « Sur ». Sur, en espagnol, c’est le Sud. Pour ceux qui sont nés dans l’hémisphère Nord, le Sud, c’est la chaleur. En Argentine, c’est l’inverse, mais le Sud chanté par Rivero n’est ni l’un ni l’autre. C’est ce Sud, que je vous invite à découvrir avec ce tango du jour aux paroles écrites par Homero Manzi.

<- Aníbal Troilo et Homero Manzi par Sabat.

Ce tango n’est pas un tango de bal, mais c’est un monument du tango. La musique est d’Anibal Troilo et les paroles, celles qui marquent le cœur de tous les tangueros sont d’Homero Manzi.
Ernesto Sabato aurait déclaré qu’il donnerait toute la littérature qu’il avait écrite en échange d’être l’auteur de « Sur ». Intéressons-nous donc à ces deux monstres sacrés du tango, Homero et Sur.

Homero

Les deux se prénomment Homero, les deux sont fans de Buenos Aires, mais un seul est Manzi. Saurez-vous découvrir lequel ?

Homero Manzi est un provincial, arrivé à Buenos Aires à l’âge de neuf ans. Il a vécu enfant et adolescent dans le quartier de Pompeya, au sud de Boedo, donc, dans le Sud de Buenos Aires.
Les paroles nostalgiques de ce tango évoquent les souvenirs de cette enfance et les regrets des points de repère évanouis, mais en parallèle de sa vie amoureuse avec un baiser échangé et qui ne s’est transformé qu’en souvenir.
Les lieux qu’il indique peuvent être partiellement retrouvés. Le plus facile est l’angle de Boedo et San Juan. C’est l’endroit où Homero Manzi a écrit Sur. Il abrite désormais l’Esquina Manzi, un lieu prisé par les touristes.

L’angle entre Boedo et San Juan où se trouve désormais l’Esquina Manzi. À gauche en 1948, à droite en 2015, avec les caricatures de Sabat, enlevées depuis et remplacées par des écrans qui les diffusent. La modernité. À l’intérieur, elles sont encore visibles.

« Pompeya y más allá la inundación ». Buenos Aires est régulièrement victime d’inondations. Cette année encore, mais la pire fut sans doute celle de 1912, celle qui toucha Pompeya, le quartier de Manzi.

En 1912, une voiture hippomobile transporte des rescapés sur l’Avenida Sáenz, recouverte d’eau. Ils viennent de zones encore plus inondées, le Riachuelo avait débordé.

On imagine l’impact de cet événement chez un enfant de 5 ans qui venait juste de quitter sa province de Santiago del Estero pour arriver avec sa mère à Buenos Aires. Parmi ces autres souvenirs, ce tango mentionne La esquina del herrero, barro y pampa. Certains y voient l’angle de Del Barco Centenera et de Tabaré, deux avenues que Manzi cite dans son tango, Mano Blanca, un autre de ses tangos emblématiques.

Mano Blanca (letra de Homero Manzi) par Ángel D’Agostino et Ángel Vargas.(1944)

D’ailleurs un « musée » a été installé sur cet emplacement, en l’honneur de ce titre immortalisé par D’Agostino et Vargas.

Le petit chariot de Portenito et Mano Blanca avec les initiales peintes à la main et qui font que ce tango est le tango des fileteadores.
Sur le trottoir d’en face le musée Mano Blanca, le bar el Buzón nommé ainsi à cause de la boîte aux lettres rouge qui occupe le trottoir devant l’établissement.

Extrait musical

Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero

Les paroles

Vous trouverez tous les enregistrements à écouter, en fin d’article.

San Juan y Boedo antigua, y todo el cielo,
Pompeya y más allá la inundación.
Tu melena de novia en el recuerdo
Y tu nombre florando en el adiós.
La esquina del herrero, barro y pampa,
Tú casa, tu vereda y el zanjón,
Y un perfume de yuyos y de alfalfa
Que me llena de nuevo el corazón.

Sur,
Paredón y después…
Sur,
Una luz de almacén…
Ya nunca me verás como me vieras,
Recostado en la vidriera
Y esperándote.
Ya nunca alumbraré con las estrellas
Nuestra marcha sin querellas
Por las noches de Pompeya…
Las calles y las lunas suburbanas,
Y mi amor y tu ventana
Todo ha muerto, ya lo sé…


San Juan y Boedo antiguo, cielo perdido,
Pompeya y al llegar al terraplén,
Tus veinte años temblando de cariño
Bajo el beso que entonces te robé.
Nostalgias de las cosas que han pasado,
Arena que la vida se llevó
Pesadumbre de barrios que han cambiado
Y amargura del sueño que murió.

Aníbal Troilo (arrangement de Argentino Glaván) Letra : Homero Manzi

Les enregistrements de Sur

Les enregistrements Sur, par Troilo

Sur 1948-02-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero, l’enregistrement, objet de cet article. Le plus ancien, à moins qu’un petit Français, lui ait brûlé la politesse. Voir le chapitre suivant…
Sur 1953-09-21 (En vivo) — Ranko Fujisawa con Aníbal Troilo y Roberto Grela. Enregistrement par Radio Tokio d’un concert au Teatro Discépolo de Buenos Aires. Bandonéon (Troilo), Guitare (Grela) et voix (Omar).
Sur 1956-08-08 — Orquesta Aníbal Troilo con Edmundo Rivero arr. de Argentino Glaván. À comparer par la version de 1948 par les mêmes.
Sur 1971-04-26 — Orquesta Aníbal Troilo con Roberto Goyeneche. Encore un qui a sa place au panthéon du tango. La partie instrumentale est particulièrement expressive, notamment, grâce aux pleurs du bandonéon de Troilo.
Sur 1974-05 — Orquesta Aníbal Troilo con Susana Rinaldi. Le dernier enregistrement de Sur par Troilo a été effectué en public avec Susana Rinaldi dans un programme en hommage à Homero Manzi effectué par Antonio Carrizo, el caballero de la radio.

Cette version est pleine d’émotion. Impossible de ne pas essuyer une larme à son écoute notamment, lorsqu’elle chante pour la seconde fois, la fin du refrain. « Ya lo sé ».

Autres enregistrements de Sur

Là, il faut discuter un peu, Nelly Omar serait la première à avoir chanté ce tango.
C’est ce qu’indique la Bible du Tango, qui a souvent d’excellentes informations. Malheureusement, sans référence précise et probablement sans enregistrement, cela reste difficile à confirmer.
Cependant, si on se souvient que Nelly fut la muse d’Homero, celle qui lui inspira la chanson Malena lors de son exil au Mexique et qu’ils ont eu une relation mouvementée, cela n’a rien d’impossible.
Comme Sur est un tango à écouter, je vous invite à voir Nelly Omar le chanter. J’ai choisi cette version, car c’est une de ses dernières versions enregistrées. Elle a parcouru toutes les époques du tango, depuis les années 1920 jusqu’au 21e siècle. La « Gardel en jupe » est une des étoiles indéboulonnables au firmament du tango.

Je ne peux pas confirmer la date, de cet enregistrement. La voix semble plus assurée que dans son dernier concert au Luna Park, à près de 100 ans. Je daterai donc cette vidéo de la première décennie des années 2000.

Plus étonnant, serait un enregistrement par Quintin Verdu en 1947, soit plusieurs mois avant Troilo. On peut facilement imaginer qu’un tango soit chanté avant d’être enregistré, car c’est le processus normal. En revanche, qu’il soit enregistré en France avant d’avoir été joué en Argentine alors qu’il est créé par deux Argentins qui étaient à Buenos Aires à l’époque est plus étonnant.
En revanche, il existe bien un enregistrement de Sur par Quintin Verdu, avec le chanteur Agustín Duarte. C’est un enregistrement Pathé, malheureusement pas daté et ses références ne m’ont pas permis d’en valider la date : PA 2617 — CPT 7021.
Cependant, comme tout ce qu’a réalisé Verdu, la musique est excellente et vaut la peine d’être écoutée. Duarte chante uniquement le refrain, dont il reprend la seconde partie comme final.

Sur 1947 ? – Orchestre Quintin Verdú con Agustín Duarte. Superbe, non ?
Sur 1948 — Orquesta Luis Rafael Caruso con Julio Sosa. La même année que Troilo, Julio Sosa enregistre Sur, dans une des rares versions qui peuvent se danser de façon agréable en tango.

C’est le moment de dire un petit mot sur ce chef d’orchestre, Luis Caruso, né à Buenos Aires en 1916, mais qui à l’âge de vingt ans s’est installé à Montevideo où il continuera sa carrière artistique. C’est pour cela qu’il est un peu moins connu aujourd’hui, mais il lui reste le titre de gloire d’avoir enregistré les cinq premiers titres avec Julio Sosa qui était au début de sa carrière (il venait de gagner un concours dont un lot était d’enregistrer 5 titres avec Sondor).
Les cinq titres étaient : Sur 1948, Una y mil noches 1948, Mascarita 1949-01-31, La última copa 1948 (Valse) et un candombe (nous sommes en Uruguay…) San Domingo 1948.
À cette époque, le cuarteto de Caruo comprenait, en plus de lui qui dirigeait et jouait le bandonéon, Rubén Pocho Pérez au piano, Roberto Smith à la contrebasse et Mirabello Dondi au violon.

Pour terminer cette liste qui pourrait être bien plus longue, je vous propose un extrait du film franco-argentin Sur qui débute par cette chanson interprétée par Roberto Goyeneche qui joue le rôle d’Amado. Ce film de 1988 a été dirigé par Fernando “Pino” Solanas qui a obtenu le premier pour cela au Festival de Cannes. Il a pour sujet, la dictature militaire qui s’est achevée 5 ans plus tôt.
La musique qui a été enregistrée au studio Ion de Buenos Aires est jouée par un quatuor composé de Nestor Marconi au bandonéon, Raul Luzzi à la guitare, Carlos Gaivironsky au violon et Humberto Ridolfi à la contrebasse et chantée par Roberto Goyeneche. Plusieurs notice indiquent que la musique est de Piazzolla, vous aurez compris que c’est une erreur et on voit parfaitement dans le film qu’il ne joue pas le bandonéon dans cette interprétation et s’il a éventuellement arrangé la musique, il n’en est ni l’auteur ni l’interprête.
Je vous propose donc cet extrait du film qui sera également la fin du chapitre sur les enregistrements de Sur…

Au début du film Sur, on voit les musiciens arriver et s’installer, puis arrive Goyeneche.
Les musiciens sont : Nestor Marconi au bandonéon, Raul Luzzi à la guitare, Carlos Gaivironsky au violon et Humberto Ridolfi à la contrebasse.
Le café Sur qui accueille le quatuor au début du film existe toujours. C’est l’Almacen Sur, à l’angle de Juan Darquier y Villarino, juste en face de la station Hipólito Yrigoyen de la ligne ferroviaire Roca.

Autres titres enregistrés un 23 février

Il y avait beaucoup de perles à piocher pour le 23 février. En voici quelques-unes qui pourront faire l’objet d’articles dans les années à venir…

El rebelde 1932-02-23 — Osvaldo Fresedo C Roberto Ray. On a évoqué cet orchestre hier avec le merveilleux Sollozos. Ce titre de 5 ans exactement antérieur n’a pas la même maturité.
De todo te olvidas (Cabeza de novia) 1948-02-23 — Anibal Troilo C Floreal Ruiz. Le même jour, Troilo a aussi enregistré avec un autre chanteur, Floreal Ruiz. Ce titre est entré dans le langage commun, cabeza de novia), pour parler d’étourderies, d’oublis.
El jagüel 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli. Comme DJ, j’aurais sans doute dû choisir ce titre ou Rodriguez Peña (président argentin), qui sont deux titres éminemment dansables par le seigneur du tango, Carlos Di Sarli. Ce sera pour une prochaine année 😉
Rodriguez Peña 1956-02-23 — Orquesta Carlos Di Sarli. Enregistré le même jour que El Jagüel, un best of du tango dansé.
Homero Manzi dans Pompeya, entre le souvenir lumineux de l’enfance et la désespération de l’avenir. Inspiré du style de Benito Quinquela Martín, le voisin de la Boca. Manzi semble marcher dans l’eau, souvenir des inondations qui l’ont accueilli à son arrivée à Buenos Aires en 1912.

Sollozos 1937-02-22 (Tango) – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Osvaldo Fresedo (Osvaldo Nicolás Fresedo)  Letra : Emilio Augusto Oscar Fresedo

Le 22 février 1937, Osvaldo Fresedo enregistre Sollozos (soupirs) avec Roberto Ray et le même jour Siempre es carnaval. Fresedo en a composé la musique et son frère Emilio, les paroles. Le premier enregistrement par Fresedo date de 1922, année de l’écriture de ce titre qui fut rapidement un succès et fût repris par divers orchestre. Fresedo le réenregistrera en 1937, la version qui nous occupe aujourd’hui, puis en 1952 et 1957.

SOS femme triste

Sollozos = sanglots. Les sanglots d’une jeune femme triste, qui se cache au milieu d’une foule de gens qui font la fête. Un homme (ou une femme) vient sécher ses pleurs provoqués par l’homme qui l’a trompée.
Pour la consoler, il (elle) lui dit : « Olvide su pasado, olvide todo lo de ayer. No llore si él no ha llorado, ni pensó que sufre una mujer » (Oublie votre passé, oublie tout ce qui est d’hier. Ne pleure pas s’il n’a pas pleuré ni pensé qu’une femme souffre).

Extrait musical

Sollozos 1937-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray

Les paroles

Osvaldo Fresedo a donc enregistré quatre fois ce titre, dont trois versions chantées. Les trois n’utilisent que la moitié des paroles écrites par son frère, Emilio.
En revanche, en 1923, Rosita Quiroga chante l’intégralité des paroles. C’est bien sûr un tango à écouter, dans cette version.
On apprend dans les paroles intégrales, celles chantées par Rosita Quiroga, que l’infidèle est présent, car elle porte son portrait dans un médaillon.
Le fait qu’un femme chante la chanson ne gêne pas, car consoler peut aussi bien être le fait d’un homme que d’une femme. Pour l’image en fin d’article, j’ai représenté un homme consolateur, car la version de Fresedo et Ray m’a toujours fait penser à un homme. J’imagine que je me voyais en consolateur…

Vous trouverez tous les enregistrements à écouter, en fin d’article.

En un mundo de alegrías,
entre el humo y copas de champagne,
hay una almita afligida
que se esconde por llorar.
Atraído por su pena
mi pañuelo lágrimas secó,
mientras dijó: “Estoy enferma,
sufro y lloro por mi amor”.
 
Volvió su cara hacia mi lado,
acariciando su dolor.
Oí sollozos y cortados,
bajo habló: “Un hombre me engañó”.
Le dije : « Olvide su pasado,
olvide todo lo de ayer.
No llore si él no ha llorado,
ni pensó que sufre una mujer ».
Algo habría en su mirada
que no fue preciso adivinar,
ilusiones apagadas,
odio y ganas de vengar.
Dijo entonces que su vida
de pasión en pena se tornó.
Recordó felices días
a su vieja y su honor.
 
Pobre, su quebranto mi alma hirió,
que sin fuerzas me sentí,
cuando vi su relicario
y enseñó que el falso estaba allí.
Pobre, con cuanta tristeza vio
que por ella yo sufrí.
El pintar de sus labios,
la sonrisa para mí.
Osvaldo Fresedo – Osvaldo Nicolás Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo

Les enregistrements de Sollozos

Les quatre enregistrements de Fresedo

Sollozos 1922-08-28 – Orquesta Osvaldo Fresedo. Cet enregistrement acoustique est d’une qualité musicale incroyable. Tout Fresedo est déjà dans cette musique. Un des rares titres antérieurs à 1926 que je pourrais, un jour de folie, passer en milonga.
Sollozos 1937-02-22 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray. C’est celui dont on parle aujourd’hui.
Sollozos 1952-09-18 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Héctor Pacheco. Cette version est clairement moins dansante, mais est jolie.
Sollozos 1957-09-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Carlos Barrios. Fresedo a clairement abandonné les danseurs dans cette version. Je la trouve trop maniérée. À vouloir la rendre plus expressive, Fresedo et Barrios sont, pour moi aller un peu trop loin. Si la partie instrumentale peut à la limite passer en milonga, la partie chantée fait que ce titre devrait être réservé à l’écoute.

Autres enregistrements de Sollozos

Je commence par la première version enregistrée avec les paroles complètes d’Emilio Fresedo, celle de Rosita Quiroga accompagnée par une guitare et un harmonium [armonio]. La présence d’un harmonium n’est pas si étonnante que cela pour l’époque qui a vu de nombreux instruments plus ou moins hétéroclites rejoindre les orchestres de tango, comme la scie musicale ou les Ondes Martenot [assez proches comme sonorité et parfois indiqué l’un pour l’autre dans les années 30]. Il faudrait plusieurs articles pour traiter de l’évolution des instruments de musique, de la guitare et la flûte aux instruments du tango actuels. Ce sera pour une autre fois ; —)

Sollozos 1923 — Rosita Quiroga accompagnée par une guitare et un harmonium (armonio). Elle chante les paroles en entier.
Sollozos 1928-04-30 — Orquesta Julio De Caro. De Caro a choisi de personnaliser son interprétation avec des changements de rythmes un peu surprenants qui confirment qu’il ne travaille pas pour les danseurs.
Sollozos 1944-03-16 — Orquesta Ricardo Malerba. Cette versión instrumentale est dans l’esprit de Fresedo. Le rythme est plus marqué, ce qui pourrait en faire un bon titre de danse, si la version de Fresedo n’avait pas tant de présence. Certains danseurs pourraient reprocher le choix au DJ de les priver de la version de 1937 par Fresedo et Ray.
Sollozos 1967-08-21 — Orquesta Juan D’Arienzo. D’Arienzo, fidèle à lui-même propose une version énergique avec des éléments d’orchestration originales, rappelant un peu la version de De Caro. Pour moi, c’est plus du domaine du concert que de la danse, mais si un DJ le passe en milonga, il ne se fera sans doute pas écharper.

Autres titres enregistrés un 22 février

Il y avait beaucoup de choix. Parmi les titres qui auraient pu être les tangos du jour, voici quelques exemples :

Si supieras 1927-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo. On retrouve Fresedo et un titre associé à la Cumparsita. En effet, des paroles ont été accolées à l’air le plus célèbre du tango « Si supieras, que aún dentro de mi alma, conservo aquel cariño que tuve para ti… » (Si tu savais que même au creux de mon âme, je conserve cette affection que j’avais pour toi… ». Cet enregistrement étant instrumental, difficile de dire s’il y a un lien, cet air composé par José María Rizzuti n’a pas d’enregistrement avec paroles.
Recuerdo malevo 1933-02-22 — Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, Domingo Riverol et Domingo Julio Vivas. Pas de danse, mais l’inoubliable Gardel dans un de ses grands succès. En attendant un tango du jour sur un de ses titres, vous pouvez toujours consulter « Gardel enfant de France ».
Siempre es carnaval 1937-02-22 — Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray, l’autre titre enregistré le même jour par Fresedo et Ray.
Senda Florida 1945-02-22 — Orquesta Domingo Federico con Carlos Vidal. C’est un tango de danse, malgré son introduction chantée. Toutefois, ce n’est pas ce qui est le plus agréable à danser. Disons que c’est un tango qui hésite entre la danse et l’écoute.

On voit que ces quelques titres pourraient donner lieu à d’autres articles. Peut-être qu’ils auront leur chance un autre 22 février.

Atraído por su pena mi pañuelo lágrimas secó, mientras dijó: “Estoy enferma, sufro y lloro por mi amor”.

Diez años 1934-02-21 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Cayetano Puglisi; Pascual De Gregorio Letra: Manuel Enrique Ferradás Campos

Le 21 février 1934, il y a 90 ans, Francisco Canaro enregistrait Diez años avec Ernesto Famá, seulement 4 jours après l’avoir enregistré avec Ada Falcón. Je saisis cette occasion pour parler des chanteurs d’estribillo et rappeler la différence entre le tango chanson et le tango chanté.

Les deux enregistrements de Diez años par Canaro

Tout d’abord, nous n’avons aujourd’hui la trace sonore que des versions enregistrées. Il ne faut pas oublier que les orchestres se produisaient plusieurs fois par semaine et que seuls leurs « tubes » avaient les honneurs de la gravure. Nous avons ainsi perdu la grande majorité du répertoire de l’époque. Ce n’est pas l’absence d’enregistrement qui peut prouver que l’orchestre ne jouait pas tel ou tel air.
Comme je l’indiquais en introduction, Canaro a enregistré deux fois ce thème en 1934. Le 17 février avec sa « chérie » Ada Falcón, et le 21 février avec Ernesto Famá.
On pourrait penser qu’avec un si court intervalle, les enregistrements sont proches. Que nenni. Ils appartiennent en fait à deux genres différents. Le tango chanson et le tango chanté.
Mais avant d’écouter les différences, faisons le point.

Il y a tango et tango…

Le tango fait partie d’un ensemble culturel qui est tout autant littéraire que musical, audiophile que danseur. Ces directions peuvent être réparties de façon différente chez chacune des personnes qui entre en contact avec un tango.
S’il est danseur, il va souhaiter une musique qui porte à l’improvisation, sans surprises indécelables (variations de rythme arbitraires, par exemple) et avec un support rythmique suffisant pour que les deux partenaires du couple puissent se synchroniser.
S’il est audiophile, il va se concentrer sur l’orchestration, les réponses des instruments, la virtuosité de tel ou tel trait et ainsi de suite. Il pourra le faire en restant dans son fauteuil, sans que la musique l’oblige à se mouvoir. Il va comparer les versions, pinailler sur des différences de tonalité d’un enregistrement à l’autre, sur l’accord du bandonéon et ainsi de suite.
S’il est littéraire, il va savourer les paroles. Cependant, comme en cuisine, tous les plats ne se valent pas et il lui faudra des mets délicieux, écrits par de grands auteurs. Par chance, cela ne manque pas dans la culture tango.

Le danseur de tango « idéal »

Le danseur, celui qui m’intéresse, vu que je suis DJ peut et doit, avoir un peu des autres aspects pour mieux danser.
Un danseur qui ne danserait que le rythme, sans écouter les phrases musicales, les réponses d’instruments et tous les développements qui font la richesse du tango serait bien à plaindre. Ce manque de sensibilité lui permettrait de danser sur Gotan Project et autres orchestres répétitifs, mais ce sera au détriment de l’improvisation et de la richesse de la danse. Certains débutants se contentent de reproduire des chorégraphies apprises en cours, sans chercher à les insérer dans le flux musical, ou mieux, à les déconstruire pour n’utiliser que les briques, au service de l’interprétation dansée de la musique.
Sur l’aspect littéraire, la chose est moins claire. En effet, d’excellents DJ et d’excellents danseurs disent prêter peu d’attention aux paroles. Il est clair que pour un danseur qui improvise, les paroles sont de peu d’utilité. Il ne va pas se mettre à pleurer, se mettre à genoux ou autre fantaisie qui seraient dites dans le texte.
Cela était bien clair à l’âge d’or du tango. Les orchestres proposaient des musiques adaptées à la danse. Qu’elles soient instrumentales ou avec chanteurs, mais il est temps de revenir à la distinction entre tango chanson et tango chanté.

Tango chanson et tango chanté

Un tango chanson est un tango destiné à l’écoute. Il est destiné à satisfaire les audiophiles et les littéraires. C’est un genre qui va se développer plus rapidement à partir des années 50, à cause de l’arrivée du microsillon (33 tours) et surtout du rock qui va remplacer le tango dans les activités des danseurs de l’époque. Les orchestres de tango se reconvertissent alors vers le concert, la télévision et la radio pour pouvoir continuer à jouer et vivre de leur art.
Mais il ne faut pas limiter le phénomène aux années 50 et suivantes. En effet, même à l’âge d’or, il y a les deux types de musique.
Pour faciliter le choix, les disques indiquent clairement si c’est destiné à danser ou à écouter.
Il suffit de regarder l’étiquette…

Ada Falcón, avec accompagnement de l’orchestre Francisco Canaro
Francisco Canaro et son orchestre typique (Estribillo par Ernesto Famá)

Vous avez compris. Si le chanteur est indiqué en premier, c’est pour écouter. S’il est indiqué en second, c’est pour danser. C’est plutôt simple, non ?
On trouve aujourd’hui des DJ et danseurs qui ne tiennent pas compte de cette différence et qui considèrent que l’on peut tout danser.
Dans le cas d’Ada Falcón, c’est plutôt envisageable. En général, les voix de femmes, même pour des chansons, laissent plus de place à l’orchestre, notamment dans le registre grave, là où se trouve la rythmique. Ainsi, elles ne la masquent pas et il est possible de continuer à la suivre.
Pour les chanteurs, surtout pour ceux qui en font des tonnes, c’est impossible. On pourrait mentionner la distinction que font certain entre cantor et cantante. Le premier chantant au service de la musique et le second se mettant en valeur, en jouant de tous les artifices possibles pour masquer l’orchestre qui de fait n’est qu’un accompagnement.
Progressivement à partir des années 50, le cantante (avec une jolie voix de chanteur d’opéra) prend le dessus et on ne compte plus le nombre de chansons plus ou moins mièvres et désespérées qui en a résulté. Attention, je ne dis pas que ce n’est pas bien, pas beau. Je dis juste que très peu de danseurs vont à la milonga pour se trancher les veines.

Comment distinguer les tangos chansons à l’écoute ?

Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos. En gros, c’est le refrain (estribillo).
C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance.
Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est dans ce cas un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose.
Dans les années 50, sous l’impulsion de chefs d’orchestre comme Troilo, la partie chantée va prendre de l’ampleur, même pour le tango de danse. Ainsi, le même titre chanté par Valdez avec l’orchestre de Juan d’Arienzo est présenté comme un tango de danse, mais Valdez chante plus que le seul refrain. Voir ci-dessous, le chapitre sur les paroles.

Même si Valdez chante plus que les chanteurs de la génération précédente, il est encore présenté comme chanteur d’estribillo.

C’est une autre particularité qui divise les tangos de danse des tangos à écouter. Lorsqu’il s’agit de chansons, le chanteur commence dès le début. Quand c’est pour danser, le danseur n’intervient qu’un court moment, le refrain, refrain qui a déjà été présenté aux danseurs par l’orchestre et que donc, ils vont pouvoir danser en confiance.
Lorsque le tango est instrumental, la première fois que le refrain est proposé, il est en général plus simple à danser et lors de la reprise, il est joué par un instrument différent, avec plus de richesse. Le chanteur est pareillement un instrument supplémentaire qui permet d’éviter la monotonie en ne jouant pas deux fois la même chose.
Je termine -là ce sujet. Comme DJ, je mets du tango de danse, sauf si on me demande gentiment de mettre une tanda chanson. Après tout, il faut bien que le bar fasse son chiffre d’affaires.

Les paroles

Le refrain (estribillo)

Ernesto Famá chante une petite partie des paroles écrites par Manuel Enrique Ferradás Campos, le refrain (estribillo).

Diez años transcurrieron desde entonces
cuando temblando llegué hasta ti,
diez años que sirvieron para hundirme
y quitarme hasta las ganas de vivir…
Entonces, buenamente yo soñaba
un mundo nuevo, para los dos.
Y Dios, allá en el cielo solo sabe,
hasta dónde yo he llegado por tu amor.

Estribillo (refrain) Manuel Enrique Ferradás Campos. C’est la seule partie que chante Fama

Les différentes parties chantées, selon les versions

Seule Ada Falcón chante tout. Elle termine en reprenant le refrain (Cuántas veces en mi pecho […] por tu cruel ingratitud.)

Ernesto Famá ne chante que l’estribillo, ce qui est en rouge.
Jorge Valdez chante le premier couplet, le refrain et reprend la fin du refrain (Otra boca […] por tu cruel ingratitud.)
Le dernier couplet, chanté uniquement par Ada Falcon
Ici, une version pour homme du dernier couplet. Elle n’est pas utilisée dans les trois enregistrements présentés.

Autres enregistrements de Diez años

Je vous propose trois enregistrements de ce titre. Les deux avec Canaro et une version de 1958 par Juan d’Arienzo avec Jorge Valdez au chant.
Vous avez vu les étiquettes, deux sont pour la danse (Fama et Valdez) et un pour l’écoute (Falcon).

Diez años 1934-02-17 Ada Falcón con acomp. de Francisco Canaro
Diez años 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá
Diez años 1958-12-17 – Orquesta Juan D’Arienzo con Jorge Valdez

Autres titres enregistrés un 21 février

Unión Civica 1933-02-21 – Juan Maglio (Pacho) y su orquesta de la guardia vieja
Te quiero mucho más 1934-02-21 – Francisco Canaro C Ernesto Famá (Antonio Sureda Letra: Gerónimo Sureda). Il a été enregistré le même jour que Diez años.
Murió la vecinita 1935-02-21 — Típica Victor C Alberto Gómez Dir Adolfo Carabelli (Guillermo Rivero; Juan Carlos Ghio Letra: Nolo López)
Jalisco nunca pierde 1938-02-21 (Marcha) – Enrique Rodríguez C El « Chato » Roberto Flores (Lorenzo Barcelata ; T. Guizar). C’est une marche en l’honneur du territoire de Jalisco, au Mexique (le film Jalisco nunca pierde est sorti en 1937). Le fait que ce soit une marche rappelle qu’à l’époque, les bals n’étaient pas que tango, mais toutes danses, avec en général deux orchestres.
Mi noche triste 1949-02-21 – Francisco Rotundo C Floreal Ruíz
Diez años que sirvieron para hundirme y quitarme hasta las ganas de vivir…

El Ingeniero 1945-02-20 – Carlos di Sarli (Tango)

Orquesta Carlos Di Sarli

Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)

Le tango du jour, El Ingeniero, est indubitablement associé à Carlos Di Sarli. C’est assez logique, car il est le seul à l’avoir enregistré à la belle époque du tango. Il a enregistré le titre à trois reprises. En 1945, le 20 février, le 22 juillet 1952 et le 31 janvier 1955.
Le titre est assez clair et pour une fois, il ne s’agit pas d’un surnom, d’un mot d’argot (lunfardo), mais bien de la fonction, du métier d’ingénieur.
L’auteur de la musique, Alejandro Junnissi, dédicace sa composition « a todos los ingenieros egresados de las universidades argentinas » (À tous les ingénieurs diplômés des universités argentines). On retrouve dans cette dédicace, la fierté d’un âge d’or de l’Argentine, le début du vingtième siècle.
Cet âge d’or se dévoile dans l’architecture, mais aussi par les créations industrielles. À la fin des années 20, l’Argentine était considérée comme un important pays industriel.

L’ingénieur

Un des héros discrets de ce succès est l’ingénieur que l’Argentine célèbre deux fois en juin, le 6 juin avec el Día del Ingeniero et indirectement le 16 juin avec el Día de la Ingeniería Argentina.
La première date est en souvenir du premier ingénieur civil d’Argentine, Luis Augusto Huergo, diplômé le 6 juin 1870.
Rien ne prouve que celui qui a inspiré Junnissi soit Huergo. Disons que c’est le métier qui est illustré ici.

Un pays à bonne école

Les efforts consentis en matière d’éducation par l’Argentine qui devait accueillir et « argentiniser » des millions de migrants donnaient leurs fruits et bientôt l’Argentine disposait de nombreuses universités, qui aujourd’hui encore restent prestigieuses.

Citons les Ingenierías de Córdoba y de La Plata ou l’Escuela de Ingenieros de Minas de San Juan.

Les pays étrangers, notamment européens, ont également investi en Argentine. Par exemple, lÉcole Centrale des Arts et Manufactures de Paris qui a ouvert une école d’ingénieurs à Buenos Aires.

Ces nouveaux ingénieurs ont permis le développement du pays, des ponts, du chemin de fer, de l’architecture et la découverte de pétrole a accentué le développement industriel du pays.

Les montagnes russes

L’essor industriel a été soutenu par une immigration extrêmement forte. La main-d’œuvre était abondante et déjà concentrée dans les villes, car les campagnes appartenaient à quelques propriétaires terriens et n’offraient que peu de débouchés aux nouveaux arrivants.
Cette concentration explique aussi les problèmes politiques récurrents de l’Argentine, problèmes donnant lieu à des crises graves et des émeutes.
À peine écrit ce tango, en 1930 que, la même année, en septembre, les militaires prenaient le pouvoir en destituant Hipólito Yrigoyen. Ce président au double visage a assumé deux fois la présidence. Double visage, car il prône une Argentine aux mains des ouvriers, mais commandite une répression sanglante contre des grévistes, réalisant par la même le premier pogrom d’Amérique du Sud (Semaine tragique, du 7 au 14 janvier 1919).
Ceux qui suivent l’actualité de l’Argentine constateront que les événements actuels rappellent ceux des années passées, 2001, 1976, 1930, et autres.
Bon, j’ai un peu oublié mon ingénieur dans tout cela. Revenons donc à la musique.
Lorsqu’Alejandro Junnissi écrit sa musique, l’Argentine est encore dans une période relativement optimiste, malgré les contrecoups de la crise de 1929.

L’ingénieur mérite son tango ; le voici.

Extrait musical

El Ingeniero 1945-02-20 – Carlos di Sarli

La version est plus sèche, les violons moins lyriques que dans les versions des années 50. Même si Di Sarli a continué dans les années 50 à proposer du tango de danse, on sent dans cette évolution la transition que d’autres orchestres ont opéré de façon plus drastique.
Le Di Sarli des années 50 est souvent le plus utilisé dans les milongas, car il tranche plus avec les autres orchestres de référence, les quatre piliers par son aspect plus romantique. Cela permet de donner du contraste à la milonga.
Vous pourrez les entendre en fin d’article.

Les paroles

Vous m’attendiez au tournant. Toutes les versions enregistrées par de grands orchestres de tango sont instrumentales. Cependant, il existe au moins une version des paroles que je reproduis ici. Je n’imagine pas très bien le résultat, tant on est habitué à l’entendre avec les violons de Di Sarli.
D’une façon plus générale, de nombreux tangos sont sans paroles, d’autres ont changé de paroles au cours du temps et certains textes de tango n’ont pas encore trouvé leurs musiques. Il reste du pain sur la planche pour les auteurs et compositeurs…
Celui qui a écrit les paroles est Juan Manuel Guerrera. Sa création est récente, 2020, soit 90 ans après la musique. Si vous enregistrez une version d’El Ingeniero avec les paroles, je vous promets de la placer ici et si elle est dansable, je la diffuserai en milonga…

Y allá va el ingeniero
Por las calles del dolor
Camina solo
Llorando
Se va derrumbando
Es pura desolación
Tanto quiere
Olvidar
Que ha vivido sin quererlo para los demás
Que ha dejado sus pasiones demasiado atrás
Que ha olvidado entre sus cuentas animarse a más
Tanto quiere
Abandonar
Un destino que sabe a nada
El que eligió
Y no cambió
Y allá va el ingeniero
Hundido en la frustración
Su penar suena a nostalgia
Con dejos de bandoneón
Y allá va el ingeniero
Con su arte en un cajón
Ahora no juega, no apuesta
Sus miedos no enfrenta
Y gana su perdición
“Soy un cobarde”
Se dice tarde
Y vuelve a reflexionar:
“No es buena elección, la resignación
Renunciar a un sueño, es como morir
Sin resolución, no hay realización,
Sin un ideal, tan triste es vivir”
Y encuentra en lo que siente
Respuestas que su mente
Buscaba desde siempre
Con científica obsesión
Y allá va el ingeniero
Se le muere el corazón
Acompañan los violines
Su dramática canción
Y allá va el ingeniero
Se desangra en su razón
Pierde su tiempo, pensando
En vez de arriesgando
Y entierra su vocación
Tanto quiere
Regresar
A un pasado irremediable que ha quedado atrás
A un presente esperanzado que no volverá
A un futuro imaginado que ya no será
Tanto quiere
Escapar
De su vida equivocada
La que él mismo eligió
Y, sin valor, jamás cambió

Alejandro Junnissi (1930) Letra: Juan Manuel Guerrera (2020)

Autres enregistrements

Signalons que le même jour, le 20 février 1945, Di Sarli enregistrera avec Jorge Durán, Porteño y bailarín, un tango composé par Carlos Di Sarli avec des paroles d’Héctor Marcó. Ce titre enregistré sur la matrice 80553-1 sera publié sur le même disque 60-0639, sur la face A et el Ingeniero, sur la face B. Ce dernier a été enregistré sur la matrice 80554-1.

Porteño y bailarín 1945-02-20 Carlos Di Sarli con Jorge Durán (Carlos Di Sarli Letra: Héctor Marcó)

Les principaux enregistrements d’El Ingeniero sont ceux de Di Sarli. Il faut dire qu’il a mis la barre très haute et qu’il était difficile de proposer des versions surpassant les trois enregistrements du maître de Bahia Blanca.

El Ingeniero, 1945-02-20 – Carlos Di Sarli
El Ingeniero 1952-07-22 – Carlos Di Sarli
El Ingeniero 1955-01-31 – Carlos Di Sarli

Pour terminer, un enregistrement du 21e siècle. J’aime bien. Cependant, il est peu probable que je le propose en milonga, car le manque de franchise dans la marcacion fait que les versions originales sont à mon avis préférables pour danser.

El Ingenierro – Orquesta Típica de la Guardia Vieja 2002

Sources

José María Otero ; Alejandro Junnissi ; Tangos al bardo
https://tangosalbardo.blogspot.com/2016/08/alejandro-junnissi.html

Juan Manuel Guerrera ; Letra para el tango ‘El ingeniero’
https://jmguerrera.medium.com/letra-para-el-tango-el-ingeniero-b8beb02152b8

Les autres sources consultées concernent surtout le développement industriel de l’Argentine et son histoire.

D’après les documents de Christian de Pescara ; Pionnier de l’aviation > Les Hélicoptères du marquis Pateras-Pescara (1890-1966) ; latitud-argentina
https://www.latitud-argentina.com/blog/pionnier-aviation-helicopteres-marquis-pateras-pescara

Bernardo Kosacoff y Daniel Azpiazu; La industria argentina, desarrollo y cambios estructurales
https://repositorio.cepal.org/server/api/core/bitstreams/fc7cb237-a9cd-4627-8634-b1e2d8d5502c/content#:~:text=La%20industrialización%20de%20la%20Argentina,industrial%20en%20ei%20escenario%20latinoamericano.

Peyrú Pablo y Verna Etcheber Roberto;  La industria y la Argentina; Monografias
https://www.monografias.com/trabajos14/industarg/industarg

Juan Pablo Pekarek ; Engineers, between being architects and entrepreneurs Constructeurs from the École Centrale de Paris in Buenos Aires, 1890–1920
http://portal.amelica.org/ameli/journal/219/2193563002/

Sylvie Sureda-Cagliani ; Chapitre II. Panorama de l’histoire de l’Argentine de 1930 à 1974 in Victimes et bourreaux dans le théâtre de Griselda Gambaro ; Presses universitaires de Perpignan
http://books.openedition.org/pupvd/32217

Felipe Pigna ; Argentine — La Semaine tragique (7-14 janvier 1919) ; Alterinfos
https://www.alterinfos.org/spip.php?article6016

Décennie infâme ; Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cennie_inf%C3%A2me

Andrés H. Reggiani, Hernán González Bollo ; Dénatalité, «crise de la race» et politiques démographiques en Argentine (1920-1940) ; Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2007/3 (n° 95), pages 29 à 44

El Ingienero

Mozo guapo 1941-02-19 (Milonga) – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Ricardo Tanturi Letra : Eusebio Francisco López – RCA Victor  39228B, matrice 39813-1

Le tango du jour est une milonga, Mozo guapo, que l’on pourrait traduire par beau gosse, mais ce serait enlever la note de frime et de matuvu du compadrito, querelleur et armé de son couteau qu’il est prompt à sortir lorsque l’honneur est en jeu. Aujourd’hui, nous allons donc parler lunfardo, l’argot des faubourgs de Buenos Aires.

Même s’il n’a pas les cheveux en bataille et sales, Gardel, dans Melodía de arrabal (film du réalisateur Français Louis J. Gasnier, sorti le 4 avril 1933) est représentatif des mozos guapos

Les habitués de Buenos Aires savent qu’on y appelle les serveurs « mozo », de la même façon que se dit « garçon » en France. Il ne faut cependant pas penser que cette milonga chante les mérites d’un serveur de bar ou de restaurant…

En lunfardo (argot de Buenos Aires), mozo peut aussi signifier l’amant ou celui qui fait le beau, et guapo, le beau, le vaillant, le querelleur, mais avec un bon fond. Le célèbre tango « Don Juan » est parfois sous-titré « Don Juan (Mozos guapos) », ce qui confirme que notre héros du jour en est un.
Voici dressé le tableau de notre mozo et si une mina vous dit : « sos buen mozo, que churro que sos », c’est probablement que vous avez une touche.

Extrait musical

Mozo guapo 1941-02-19 — Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Paroles

Un compadrito, con su mina. Un Don Juan avec sa poule.

Le lunfardo peut provoquer de nombreuses erreurs d’interprétation. Je vous propose donc, non pas une traduction, mais plutôt une explication des termes employés par Eusebio Francisco López. Ne regardez pas la qualité littéraire de la colonne de droite, ce ne sont pas des paroles en français ; pour cela il faudrait un poète, que je ne suis pas.

Beaucoup de termes de lunfardo sont sibyllins. C’est une caractéristique de tous les argots, dont le but est de parler de façon discrète pour ne pas être entendus des caves et des flics. J’ai donc fait des choix qui me semblaient correspondre aux termes de la chanson, mais il aurait été possible de prendre des voies légèrement différentes, pour noircir plus le personnage, ou le rendre romantique. Je vous laisse vous créer votre image.

Avec une cibiche (cigarette) arrogante
caressant ses lèvres,
le feutre taupé aux bords levés (chapeau mou, type Gardel)
Avec une démarche très portègne ;
Le regard suffisant,
La crinière noire et ébouriffée,
beau gosse des faubourgs
avec sa touche (son allure), sans pareille.

Champion entouré de filles
pour son verbe tant fleuri,
terreur parmi les mauvais garçons
pour son couteau vibrant ; (il doit le tenir de manière fébrile pour intimider)
homme du pavé
connu des balcons
Droit dans ses bottes (sans discussion, n’acceptant pas le compromis)
avec une âme de payador (chanteur improvisateur)

Quand la nuit enrobe (entoure)
les ruelles du quartier
passe l’estampe du bellâtre,
pareil à un roi de la banlieue ;
bientôt une ombre s’approche,
il y a un frémissement des lèvres
et un baiser vibre dans l’âme
du Don Juan (guapo) du lieu.

La vie est courte

Le même jour, Castillo et Tanturi ont enregistré un tango, La vida es corta 1941-02-19. C’est également Ricardo Tanturi qui en a composé la musique, mais les paroles sont de Francisco Gorrindo.
Malgré cette petite différence, les deux titres vont bien ensemble (pas dans une tanda, bien sûr), mais car le tango pourrait être le dit du Mozo, du Don Juan, du Taita, ce Shusheta (El aristócrata de Di Sarli). Il dévoile à ses confrères de fiesta, sa philosophie de la vie, philosophie que de nombreux tangueros dans le monde ont adoptée…

La vida es corta 1941-02-19 – Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

A ver muchachos, quiero alegría,
quiero aturdirme, para no pensar.
La vida es corta y hay que vivirla,
dejando a un lado la realidad.
Hay que olvidarse del sacrificio,
que tanto cuesta ser, tener el pan.
Y en estas noches de farra y risa,
ponerle al alma nuevo disfraz.

La vida es corta y hay que vivirla,
en el mañana no hay que confiar.
Si hoy la mentira se llama sueño,
tal vez mañana sea la verdad.
La vida es corta y hay que vivirla,
feliz al lado de una mujer,
que, aunque nos mienta, frente a sus ojos,
razón de sobra hay para querer.

Ricardo Tanturi Letra : Francisco Gorrindo

Traduction libre

Voyez les gars, je veux de la joie,
je veux être étourdi pour ne pas penser.
La vie est courte et il faut la vivre,
en laissant la réalité de côté.
Il faut oublier le sacrifice,
Que c’est si dur d’avoir du pain.
Et dans ces nuits de réjouissance (danse, musique) et de rires,
se déguiser l’âme.

La vie est courte et il faut la vivre,
il ne faut pas faire confiance à demain.
Si aujourd’hui le mensonge s’appelle rêve,
peut-être que demain ce sera la vérité.
La vie est courte et il faut la vivre,
heureux aux côtés d’une femme,
qui même si elle nous ment à la face (sous les yeux),
il y a plein de raisons d’aimer.

Autres enregistrements

Le 19 février, une date fétiche pour Tanturi ?

À la même date, une milonga et un tango, ce que nous venons de voir, mais l’année suivante, peut-être à la même date (19 février 1942) ou le 20 juillet 1942 (la documentation varie sur la date de cette session), deux autres titres enregistrés par Tanturi et Castillo

Tango (Voz de tango) 1942-02-19 ou 1942-07-20 avec Castillo

Tango (Voz de tango) 1942-02-19 ou 1942-07-20 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

La copa del olvido 1942-02-19 ou 1942-07-20 avec Castillo)

La copa del olvido 1942-02-19- -Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Pour renforcer cette idée de date fétiche, il a encore enregistré un 19 février, mais cette fois en 1945 et avec le chanteur Enrique Campos :

Me besó y se fue 1945-02-19 (valse), avec Enrique Campos 

Me besó y se fué 1945-02-19 – Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Qué será de ti 1945-02-19 avec Enrique Campos

Qué será de ti 1945-02-19 – Ricardo Tanturi con Enrique Campos

Pour ce qui est de mozo guapo, on en trouve une version plus lente, dans le style limite canyengue-milonga de Villasoboas.
En effet, Miguel Villasboas a enregistré en 1959 ce titre dans son style si particulier. J’aime l’interprétation au piano par Villasboas, pleine de petites surprises.
Cette version est intéressante, car elle présente le dialogue des deux faces du mozo décrite dans les paroles, le romantique (violons) et le compadrito (piano), utilisation de l’alternance de milonga lisa et traspie pour servir l’histoire.

La voici, pour terminer mon service. Soy tu mozo (serviteur). No te olvides de la propina (n’oublie pas le pourboire, un commentaire fera l’affaire).

Mozo guapo 1959 — Miguel Villasboas
DJ BYC, d’après la gravure sur bois, Los Compadritos de Juan Antonio Spotorno

Hotel Victoria (Gran Hotel Victoria) 1948-02-18 (Tango)- Orquesta Juan D’Arienzo

Feliciano Latasa ? Luis Negrón ? H.D. ? Alfredo Barone ? Midori Tagami ? Un compositeur anonyme en Andalousie ? Letra : Carlos Pesce

Vieil hôtel de mes rêves et de mes joies qui berçait l’idylle d’un amour fou.

Le tango du jour, Gran Hotel Victoria a été enregistré le 18 février 1948 par Juan D’Arienzo. Mais de plusieurs mystères tournent autour de cet hôtel ; sur l’hôtel lui-même, sur l’auteur ou plutôt les auteurs supposés, pas moins de sept.
Pour en savoir plus, je dois vous convier à une véritable enquête policière.

Extrait musical

Mais auparavant, mettons-nous dans l’oreille ce titre, dans la version enregistré par Juan D’Arienzo le 18 février 1948, il y a exactement 76 ans.

Gran Hotel Victoria (Hotel Victoria) 1948-02-18 – Juan D’Arienzo

Il y a plusieurs autres versions à écouter dans l’enquête, après les paroles. N’hésitez pas à y jeter une oreille.

Les paroles

Encore une version instrumentale, mais il existe quelques versions chantées, notamment la magnifique version par D’Agostino et Vargas de 1945. En voici donc les paroles qui peuvent également aider à mieux comprendre la musique.

Partition de Gran Hotel Victoria – Partie du second Bandoneón

En bleu le refrain, seule partie chantée par Vargas
En vert, les couplets chantés par Tita Merelo. Elle chante aussi le refrain en bleu avec une petite variante, el ingrato (l’ingrat) au lieu de mi amor (mon amour).

Viejo hotel de mis ensueños y alegrías
que acunó el idilio de un loco amar,
hoy recuerdo aquellos días que vos eras
el fiel testigo de mi cantar.

Hotel Victoria, vos que supiste
lo que he llorado en mi soledad,
verás mañana, cuando te olviden,
que sólo el tango te recordará.
Hotel Victoria, fue el año veinte,
que de tus puertas partió mi amor
(el ingrato)
Y desde entonces llevo una pena
que va matando a mi pobre corazón.

Hoy que a golpes de piqueta te voltearon,
como aquella ingrata mi amor tronchó.
Los recuerdos son ahora muy amargos,
ilusión que el tiempo se la llevó.

Feliciano Latasa ? Luis Negrón ? H.D. ? Alfredo Barone ? Midori Tagami ? Un compositeur anonyme en Andalousie ? Letra : Carlos Pesce

Mais où est l’Hôtel Victoria ?

Même sans les paroles, on peut être certain que la chanson évoque un hôtel. De nombreux hôtels dans le Monde s’appellent Victoria. Mais plusieurs indices permettent de remonter la piste.

  • Le plus ancien enregistrement de ce titre en ma possession est de 1908, un enregistrement par la Banda de la Policia de Buenos Aires. La musique est donc antérieure.
  • L’auteur supposé de la musique Feliciano Latasa est mort le 18 septembre 1906, à un peu moins de 36 ans. Il faut donc trouver un hôtel plus ancien si c’est lui le compositeur. Voir le paragraphe suivant pour le quilombo des compositeurs…
  • Dans les paroles chantées par Tita Merelo en 1968, il est indiqué que l’hôtel a été détruit. Il faut donc se tourner vers la date d’écriture des paroles pour en savoir plus.
  • L’auteur des paroles est Carlos Pesce. Selon les sources, on trouve trois dates pour le texte, 1931, 1932 et 1935. Le tango était donc probablement chanté dès cette époque. La référence à la destruction de l’hôtel est plus discrète : « Hotel Victoria, vos que supiste
    lo que he llorado en mi soledad, verás mañana, cuando te olviden, que sólo el tango te recordará.
     » (Hôtel Victoria, toi qui savais ce que j’ai pleuré dans ma solitude, tu verras demain, quand ils t’auront oublié, que seulement le tango se souviendra de toi).
    Si on considère que le tango, ce tango est celui-ci, on peut donc penser que l’hôtel a disparu, ce qui confirme que les paroles ne concernent pas le Gran Hotel Victoria de Córdoba.

Pour gérer ces informations et en tirer, sinon des certitudes, mais des possibilités, il convient de manier quelques hypothèses.

Le Gran Hotel Victoria au début du 20e siècle. 1906 ou 1914, mystère.

L’auteur le plus couramment cité est Feliciano Latasa. Ce jeune homme est mort à Córdoba en 1906, était musicien et a été contracté par un hôtel de Córdoba appartenant à un certain Pascual Andruet. Ce dernier avait appelé son hôtel, Hotel Victoria (construit en 1893) et il a décidé d’en créer un nouveau qu’il a appelé Gran Hotel Victoria. En 1906 (le 4 janvier), il inaugurait un nouvel établissement. On peut donc penser que, comme l’affirme, Efraín Bischoff dans Historia de los Barrios de Córdoba, sus leyendas, instituciones y gentes (1986), Feliciano Latasa aurait proposé cette œuvre pour l’inauguration.

Cependant, sur le site de l’hôtel, on indique qu’il a été inauguré le 24 janvier 1914. Cela exclut donc totalement Feliciano Latasa de l’histoire, mais nous y reviendrons dans le prochain chapitre.

Plaque commémorative du premier passage de Carlos Gardel et José Razzano à Córdoba . Elle est fixée au Studio Theatre, sur l’emplacement du théâtre de l’époque

Ce qui va dans le sens de cette interprétation est que la musique est vive, sans la nostalgie des versions ultérieures et chantées, de D’Agostino et Vargas, ou de Tita Merello. Elle est tout à fait adaptée à une fête d’inauguration. Que ce soit par Latasa ou un autre, l’hôtel de Córdoba reste plausible, d’autant plus que cet établissement s’enorgueillit de la visite de Gardel et Libertad Lamarque.
Gardel y a en effet séjourné pour la première fois pour un récital donné avec José Razzano le samedi 11 juillet 1914.

L’hôtel était alors le plus moderne de la ville avec l’eau courante, des salles de bain privées et des ascenseurs. Son propriétaire, le fameux Andruet, avait passé des annonces dans les journaux de la ville.
Comme il subsiste des doutes, on peut essayer de chercher du côté de l’auteur des paroles.
Elles sont clairement attribuées à Carlos Pesce et datent probablement des années 30. Elles peuvent faire référence à des souvenirs. L’hôtel démoli peut être l’ancien établissement de Pascual Andruet, celui de 1893.
On peut tout à fait imaginer que si l’hôtel de la musique est celui de Córdoba, celui des paroles est un autre hôtel ou une simple invention de Pesce. Ce qui est sûr, c’est que l’hôtel de 1906 (ou 1914) existe toujours et que donc ce texte ne peut pas parler de cet hôtel.
Pour trouver un autre hôtel candidat, je propose de nous rendre à Buenos Aires ou un hôtel Victoria a été démoli dans les années 30.

L’hôtel Victoria de Buenos Aires vers 1930 et ce qui a été construit à la place, à l’angle des rues Cerrito et Lavalle. On voit clairement sur la photo de l’hôtel Victoria les travaux en cours. Démolition ou restructuration. Pas sûr, mais suffisant pour faire écrire le texte de ce tango à Pesce.

Deux hôtels pour le prix d’un

Je pense que vous avez compris où je voulais en venir. Le tango original peut très bien avoir été utilisé pour l’inauguration de l’hôtel de Córdoba, puis Pesce lui adjoint des paroles pour parler de l’hôtel Victoria de Buenos Aires qui était en cours de démolition.
Un indice me conforte dans cette idée, le fait que le tango s’appelle parfois « Hotel Victoria » ou « Gran Hotel Victoria ». Il est peu probable que cela fasse référence au premier, puis au second établissement d’Andruet. Pesce n’avait aucune raison d’être nostalgique d’un petit hôtel de Córdoba.
En revanche, l’Hotel Victoria, sans « gran » de Buenos Aires, est un parfait candidat, même s’il peut y en avoir d’autres.

Voici donc ma proposition

Une musique allègre a été utilisée pour fêter l’inauguration de l’hôtel de Córdoba. Les versions de D’Arienzo qui sont énergique s’inscrivent dans la même veine.

C1908 Banda De La Policia De Buenos Aires. Véritable musique avec flonflons pour une inauguration

Dans les années 30, Pesce écrit des paroles pour ce tango, des paroles nostalgiques où il ajoute une histoire d’amour qui se termine et peut-être la démolition de l’hôtel, probablement celui de Buenos Aires puisque celui de Córdoba est toujours debout. Ceci explique que les versions chantées soient plus tristes. Par exemple, celle de D’Agostino et Vargas.

1945-05-21 Orchestre Ángel D’Agostino, con Ángel Vargas. Nostalgique et superbe

Mais cette histoire rocambolesque ne se termine pas si rapidement. Je vous invite à un autre rebondissement…

Le quilombo des compositeurs

Couverture des partitions. À gauche, une signée Feliciano Latasa et à droite une signée Luis Negrón (c1932).

J’ai évoqué Feliciano Latasa comme étant le compositeur « officiel », mais rien n’est moins sûr. En effet, si l’inauguration a eu lieu en 1914, il était mort depuis 8 ans. Ceci pourrait expliquer les diverses revendications, notamment par Alfredo Barone (un violoniste de Córdoba) et Luis Negrón.

Coup de théâtre

Pour rajouter à l’énigme, dans une œuvre théâtrale nommée « La borrachera del tango » (l’ivresse du tango), il y a une chanson nommée la « La payasa » (qui n’est pas le féminin du clown [payaso], mais la drogue en lunfardo) et dont l’air est celui d’Hotel Victoria). Le curieux, c’est que la musique est attribuée à un certain « H.D. ». Les paroles sont celles des auteurs de la pièce de théâtre et n’ont donc rien à voir avec un quelconque hôtel comme on peut l’entendre dans cette version chantée par Ignacio Corsini en 1922.

La Payasa – Ignacio Corsini – Tango (C1922)

On se retrouve donc avec plusieurs compositeurs potentiels ; Feliciano Latasa, Luis Negrón, H.D., et Alfredo Barone.

L’excellent site Todo Tango rajoute des compositeurs japonais, mais c’est juste une histoire de récupération de droits d’auteur et d’arrangements musicaux. En effet, la chanson de Mari Amachi, « Mizuiro no Koi » est enregistrée, de la façon suivante :

  • Mizuiro no Koi 水色の恋
  • Year: 1971
  • singer Amachi Mari
  • lyrics Pesce Carlos
  • lyrics Tagami Eri
  • composer Latasa Feliciano
  • composer Tagami Midori

On retrouve donc les classiques Pesce pour les paroles et Latasa pour la musique. Les Japonais (oncle et nièce) ne sont que les arrangeurs et auteurs des paroles japonaises.

Je vous propose cette vidéo sous-titrée en espagnol. Elle est honnêtement, difficilement supportable, mais elle a fait un tabac immense au Japon, pays regorgeant de fanatiques du tango.

Mari Amachi — « Mizuiro no Koi » 1971 – Avec sous-titres en espagnol.

On se retrouve donc avec beaucoup de compositeurs, même si on peut bien sûr enlever les Japonais et probablement H.D. de l’affaire.

Inutile de tirer au sort pour savoir qui est le gagnant, car Todo Tango fait une hypothèse que je trouve excellente. Si vous avez déjà suivi le lien ci-dessus, vous êtes au courant. En effet, dans son article, «Gran Hotel Victoria», un tango anónimo, Roberto Selles cite une anecdote où la chanteuse andalouse, Lola Hisado indique que cet air est un air espagnol.

C’est loin d’être impossible dans la mesure où Latasa est né en Espagne et que si cette œuvre est traditionnelle, il peut l’avoir connue dans son pays d’origine.

Todo Tango s’arrête là. Pour ma part, je laisse la porte ouverte en me disant qu’il se peut que Lola Hisado ait entendu cet air en Espagne, mais, car il avait entre-temps circulé en Espagne, peut-être véhiculé par les orchestres argentins dans les années 20.

Existe-t-il un compositeur anonyme en Andalousie, Latasa a-t-il copié ou réellement inventé ?

N’hésitez pas à donner votre opinion dans les commentaires…

Autres enregistrements

La version que je propose a été enregistrée le 18 février 1948 par l’orchestre de Juan D’Arienzo qui l’a enregistré également en 1935, 1966 et après sa mort, en 1987. Non, ce n’est pas le fantôme de D’Arienzo, c’est juste que de nombreux DJ utilisent des enregistrements des solistes de D’Arienzo, sous la direction du bandonéiste et arrangeur des dernières années de D’Arienzo, Carlos Lazzari.

Comme indiqué précédemment, il y a deux branches pour ce tango. Une plutôt gaie et une autre, celle des tangos chantés par Vargas et Merello, plutôt nostalgique, voire triste.

Tous ces tangos ne sont pas pour la danse, mais en ce qui concerne D’Arienzo, ce sont tous des valeurs sûres qui permettent de s’adapter au public présent.

Voici quelques versions parmi une centaine, au moins, car le 21e siècle l’a beaucoup enregistré). En rouge, les versions plutôt gaies et en bleu, les versions plutôt nostalgiques.

C1908 Banda De La Policia De Buenos Aires. (Gai. Véritable musique avec flonflons pour une inauguration)

C1910 Estudiantina Centenario Direction : Vicente Abad (Gai un peu plus lent, mais avec jolie mandoline).
C1911 Orchestre Vicente Greco (Gai, mais confuse)

C1922 Ignacio Corsini (Nostalgique, mais avec des paroles et sous un autre nom (Payasa).

C 1925 Orchestre Roberto Firpo (Nostalgique, bien qu’instrumentale). Il peut s’agir d’une référence à la version de Corsini.
1929 Trío Odeón avec les guitaristes Iriarte-Pesoa-Pages (Gai)
1935-06-18 Orchestre Francisco Canaro (Version très lente, plutôt canyengue, disons nostalgique, mais en fait, plutôt neutre).
1935-07-02 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, le D’Arienzo d’avant Biagi)
1945-05-21 Orchestre Ángel D’Agostino, con Ángel Vargas (Nostalgique et superbe).
1948-02-18 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, mais avec des passages plus doux (contraste)
1948-08-13 Roberto Firpo y su Nuevo Cuarteto (Gai, contrairement à la version de 1925)
1949-10 Juan Cambareri y su Gran Cuarteto Típico « Ayer y hoy » (Gai et même énervée. Si l’idée est de rappeler le départ, celui s’effectue avec une locomotive à vapeur à plein régime. Pas question de proposer ce titre à danser).

1951-10-30 Orchestre Joaquín Do Reyes (Nostalgique, mais pas très intéressant)
1959 Miguel Villasboas y su Quinteto Típico (Gai, qui rappelle les airs des premiers flonflons ou de la mandoline, mais en pizzicati)
1959-04-09 Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro (Gai, avec des passages un peu plus nostalgiques. La flûte rappelle les flonflons des premières versions.

1959-10-08 Orchestre Florindo Sassone (Nostalgique et bien dans l’esprit de Sassone, pas pour tous les danseurs…)
1963-07-11 Quinteto Real (Gai, avec beaucoup de trilles. Suffisamment décousu pour ne pas être dansable)
1966-08-03 Orchestre Juan D’Arienzo (Gai, et puissant comme un D’Arienzo des années 60, logique, c’en est un, avec ses fameux breaks)

1968 Conjunto Carlos Figari, con Tita Merello (Nostalgique, mais à la façon de Tita Merello, pas pour la danse de toute façon)
1970, 1976 et 1981-03-07 (En vivo) Horacio Salgán y Ubaldo De Lio (Gai, mais très décousu, absolument pas pour la danse, le piano est très présent. La version de 1976 est en public à l’Hôtel Sheraton de Buenos Aires et celle de 1981 au Japon).
1976-12-08 (En vivo) Los Reyes Del Compás. Enregistré en public au Japon (Tokyo at the Shiba Yuubinchokkin hall) en mémoire de Juan D’Arienzo. La version est plutôt gaie malgré la mort de leur modèle.

1977 Sexteto Mayor Une version nostalgique, absolument pas pour la danse.
1990-02-09 Yasushi Ozawa y su Orquesta Típica Corrientes Plutôt nostalgique, mais en fait assez moyenne. Sans doute pas le titre à retenir pour une milonga réussie.

2007—08 (En vivo) La Tubatango (Gai, retour des flonflons, la boucle est bouclée avec la Banda de la Policia de Buenos Aires, un siècle plus tôt. Même si dansée dans la vidéo, ce n’est sans doute pas la version la plus dansante.

Il y a bien sûr des dizaines d’autres versions. J’en ai plus de cinquante dans ma discothèque, même si seulement deux ou trois passeront spontanément dans les milongas que j’anime.

La Tubatango, un orchestre atypique, faisant revivre des modes musicaux des premiers temps. Ici, Gran Hotel Victoria, un enregistrement public à Sao Paulo, Brasil, en août 2007.

Sources

Plusieurs sources m’ont servi pour écrire cet article. En dehors des sources écrites, des musiques de ma discothèque, j’ai utilisé les sites suivants :

The life of a frustrated Milonguero (en): Gran Hotel Victoria
https://tangogales.wordpress.com/2020/11/30/gran-hotel-victoria/

Hôtel Victoria, toi qui savais ce que j’ai pleuré dans ma solitude.

Tus besos fueron míos 1927-02-17 (Tango) – Orquesta Típica Victor (Direction Adolfo Carabelli)

Anselmo Alfredo Aieta Letra : Francisco García Jiménez

Tus besos fueron míos

Le tango du jour a 97 ans. Son titre est explicite, Tus besos fueron míos (Tes baisers furent miens) et son sujet, toujours d’actualité.
Même s’il s’agit ici d’une version instrumentale, on imagine qu’il s’agit de la chanson de la perte d’un amour. Les paroles que l’on connaît dans la plupart des autres versions le confirment.
J’ai choisi ce tango pour pouvoir parler de son éditeur, la firme RCA Victor. En effet, l’orchestre Típica Victor ne jouait pas en public, seulement en studio, c’est l’originalité de certains de ces orchestres de maisons d’édition.

Victor ou Victors ?

La particularité de ces orchestres de maisons d’édition de disques était qu’ils n’étaient pas associés à un Directeur d’orchestre. Les musiciens pouvaient rester les mêmes et le chef changer, contrairement aux orchestres dirigés par des chefs ayant donné leur nom à l’orchestre. Le premier chef d’orchestre à avoir été contracté par la Victor a été un jeune pianiste, Adolfo Carabelli, qui a eu par la suite son propre orchestre. Ce tango date de cette période.

Les musiciens de la orquesta Típica Victor vers 1927 De gauche à droite : Contrebasse : Humberto Costanzo — Violons : Eugenio Romano, Agesilao Ferrazzano et Manlio Francia — Bandonéons : Luis Petrucelli, Ciriaco Ortiz et Nicolás Primiani — Piano : Vicente Gorrese. Adolfo Carabelli (le chef d’orchestre et le violoniste Elvino Vardaro qui travaillait aussi à l’époque pour la RCA Victor, ne sont pas sur la photo.

Qui dit pas Victor a parfois tort

Souvent, des danseurs me demandent la Típica Victor. Soucieux de leur faire plaisir, je leur demande quel orchestre, quelle période, quel titre et je n’obtiens jamais de réponse.
Certains DJ, sous le prétexte qu’il y a écrit Victor passent n’importe quels titres sans tenir compte des styles assez différents selon les orchestres et les directeurs qui se sont succédé.

Les différents orchestres Victor

  • Orquesta Victor Popular
  • Orquesta Típica Los Provincianos (Ciriaco Ortiz)
  • Orquesta Radio Victor Argentina (Mario Maurano)
  • Orquesta Argentina Victor
  • Orquesta Victor Internacional
  • Cuarteto Victor [Cayetano Puglisi et Antonio Rossi (violons), Ciriaco Ortiz et Francisco Pracánico (bandonéons)]
  • Trío Victor [Elvino Vardaro (violon), Oscar Alemán et Gastón Buen (guitares)]

En revanche, il est souvent possible de mélanger un titre de la Victor avec un titre enregistré par le même chef avec son propre orchestre.
On remarquera, en effet, qu’avec les mêmes musiciens, les chefs ont mis leur empreinte. C’est d’ailleurs un phénomène bien connu pour les orchestres de musique classique.

Le nom ne fait pas la tanda

Beaucoup de DJ débutants l’apprennent à leur dépens (ou à celui de leurs danseurs), le nom d’un orchestre ne suffit pas pour fabriquer une belle tanda. Dans le cas des orchestres Victor, c’est assez clair, mais si on prend l’exemple de Canaro, de ces différents orchestres (tango et jazz), de ses différentes formations, quintettes, Típicas et de sa très longue période d’enregistrement, on se retrouve face au même problème.
Reconnaissons toutefois que c’est un peu moins gênant maintenant, car ces DJ s’appuient désormais sur des playlists qui circulent et que donc, le travail de tri a déjà été fait. C’était particulièrement sensible au début des années 2000. Voir à ce sujet, cet article.

Écoute

Tus besos fueron míos 1927-02-17Orquesta Típica Victor (Direction Adolfo Carabelli)

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Les paroles

Tus besos fueron míos.
Dique Victor 79334-A

Hoy pasas a mi lado con fría indiferencia
Tus ojos ni siquiera detienes sobre mí
Y sin embargo, vives unida a mi existencia
Y tuyas son las horas mejores que viví
Fui dueño de tu encanto, tus besos fueron míos
Soñé y canté mis penas junto a tu corazón
Tus manos en mis locos y ardientes desvaríos
Pasaron por mi frente como una bendición

Y yo he perdido por torpe inconstancia
La dulce dicha que tú me trajiste
Y no respiro la suave fragancia
De tus palabras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mundo mi duelo consuela
Estoy a solas con mi ingratitud
Se fue contigo, de mi novela
La última risa de la juventud

Después te irás borrando, perdida en los reflejos
Confusos que el olvido pondrá a mi alrededor
Tu imagen se hará pálida, tu amor estará lejos
Y yo erraré por todas las playas del dolor
Pero hoy que tu recuerdo con encendidos bríos
Ocupa enteramente mi pobre corazón
Murmuro amargamente: “tus besos fueron míos
Tus besos de consuelo, tus besos de pasión”

Y yo he perdido por torpe inconstancia
La dulce dicha que tú me trajiste
Y no respiro la suave fragancia
De tus palabras, ¡y estoy tan triste!
Nada del mundo mi duelo consuela
Estoy a solas con mi ingratitud
Se fue contigo, de mi novela
La última risa de la juventud

Anselmo Alfredo Aieta Letra : Francisco García Jiménez

Autres enregistrements

Ce titre a été enregistré à plusieurs reprises, dans un balancement entre versions instrumentales, versions chantées et versions chansons (seulement pour l’écoute et pas pour la danse).

  • 1926, Carlos Gardel accompagné par les guitares de Guillermo Barbieri et José Ricardo enregistrait ce titre avec les paroles.
  • 1926, Enregistrement par Canaro
  • 1927-02-17, la version que je vous propose aujourd’hui et qui a donc 97 ans, est celle enregistrée le 17 février 1927 par l’orchestre Típica Victor. Il a été édité sur disque 78 tours sous la référence Victor 79334 A. Sa matrice portait le numéro 1102-2. C’était le deuxième enregistrement de la journée et il est devenu la face A du disque.
    Le même jour, la Típica Victor enregistra Trago amargo de Rafael Iriarte Letra : Julio Plácido Navarrine (matrice 1101-1).
    À cette époque, les maisons d’édition regravent les titres avec les nouveaux procédés d’enregistrement électrique. Cela provoque une activité intense, comme en témoignent d’autres enregistrements du du même jour, comme l’enregistrement de la comparsita par Canaro, chez Odéon.
  • 1927-02-21, Rosita Quiroga propose une version chantée, accompagnée par des guitaristes.
  • 1927-05-30, Canaro l’enregistre de nouveau, toujours en version instrumentale.
  • 1930-12-13, encore Canaro, mais en accompagnant de sa chère Ada Falcon. Voir cet article pour des infos sur leur « couple ».
  • 1946-11-29, Ricardo Tanturi sort le titre de l’oubli avec le chanteur Roberto Videla. Malgré le mode mineur (tristesse), la partie instrumentale est assez allègre. En revanche, Videla met beaucoup (trop ?) d’émotion. On peut aimer et ça reste comme Tanturi en général, dansable.
  • 1952-08-14, Alfredo Attadía et le chanteur Enzo Valentino en donne une version chantée. C’est clairement une chanson qui n’était pas destinée à la danse. Attadia, n’a pas contrôlé le chanteur comme l’avait fait Tanturi.
  • 1952-11-14, Alfredo de Angelis et Carlos Dante en donnent une version chantée bien équilibrée et qui permet une danse de qualité. Elle rejoint donc la version de Tanturi dans la discothèque du DJ de tango.
Pero hoy que tu recuerdo con encendidos bríos
Ocupa enteramente mi pobre corazón
Murmuro amargamente: “tus besos fueron míos
Tus besos de consuelo, tus besos de pasión”

La naranja nació verde 1944-02-16 (Milonga) – Orquesta Francisco Canaro con Carlos Roldán y Héctor Castel

Rafael Rossi; Luis Mario (María Luisa Carnelli) Letra: Luis Mario (María Luisa Carnelli)

La naranja nació verde Y el tiempo la maduró, Cuando me querrás, negrita Es lo que pregunto yo.

Sous ce titre un peu curieux se cache une milonga étonnante pour le tango du jour.
La chanson fait le parallèle entre le fruit vert, amer et le fruit mûr, doux, avec la femme qui n’est pas prête à aimer et qui le peut devenir en devenant douce.
L’air allègre et joueur de la milonga dévoile donc une demande d’amour en retour, un peu comme le déclarait Pierre de Ronsard, âgé de 20 ans en 1545, après sa rencontre avec Cassandre Salviati :

Mignonne, allons voir si la rose Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au Soleil, A point perdu ceste vesprée Les plis de sa robe pourprée, Et son teint au vostre pareil…

Bon, le parallèle n’est pas totalement exact, Ronsard jouait avec la peur de la mort et María Luisa Carnelli invite plutôt à mûrir plus rapidement, mais dans les deux cas, je pense qu’on peut parler d’une envie pressante de consommer.
Je viens de citer María Luisa Carnelli, cette auteure argentine se présentait sous un nom de plume d’homme, Luis Mario. María Luisa d’origine bourgeoise et de formation littéraire classique, a probablement pris ce pseudonyme de façon à ce que sa famille ne se rende pas compte qu’elle écrivait des paroles de tango en argot (lunfardo).
Si vous souhaitez en connaître plus sur sa trajectoire particulière, vous pouvez consulter une biographie écrite par Nélida Beatriz Cirigliano dans Buenos Aires Historia.
Sur la milonga proprement dite, le rythme est assez intéressant, assez proche de l’habanera (mais moins que dans la version de Feliciano Brunelli). La partie chantée rend toutefois un peu compliquée la danse. Cette milonga peut être diffusée en milonga, sans être un must have.

Extrait musical

La naranja nació verde 1944-02-16 (Milonga) – Francisco Canaro con Carlos Roldán y Héctor Castel

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

La naranja nació verde
Y el tiempo la maduró,
Cuando me querrás, negrita
Es lo que pregunto yo.
Me dijiste ayer: mañana
Y hoy me dijiste que no,
Qué naranja más amarga
Es la que a mí me tocó.

La naranja cuando nace… nace verde
La esperanza también tiene ese color,
La naranja se hace dulce
La esperanza… ilusión.
El baile… el bailecito está de fiesta
Como suena resonando el acordeón,
¡Ay, mi negra!, Con tus ojos
Me has nublado el corazón.

Me dijiste ayer: mañana
Y hoy respondiste que no,
Estás jugando a las prendas
Pero el prendado soy yo.
La naranja nació verde
Y al final se maduró,
Cuando me dirás, negrita
Que la espera terminó.

Rafael Rossi; Luis Mario (María Luisa Carnelli) Letra: Luis Mario (María Luisa Carnelli)

Autres enregistrements

Ce titre plutôt original n’a pas donné lieu à beaucoup d’enregistrements. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas été beaucoup joué, seulement qu’il n’a pas été enregistré. Voici quelques enregistrements :

  • 1943-08-02 Feliciano Brunelli con Oscar Valeta. Version proche de l’habanera, assez joyeuse. Brunelli est un musicien généraliste, qui n’a pas donné que dans le tango. Il était né en France (à Marseille), de parents italiens et naturalisé Argentin. Quant à Oscar Valeta, le chanteur, il ne semble avoir enregistré qu’avec Brunelli.
  • 1949 Trío Rafael Rossi con Dúo Rolsales-Casadei, l’auteur de la musique a enregistré sa composition. C’est assez joli, mais un peu mou en faire une milonga inoubliable.

Sur la collaboration de Canaro avec ces chanteurs, on compte près d’une centaine d’enregistrements avec Carlos Roldán dont un bon nombre de milongas (candombe et “normales”). Par contre, il semblerait qu’il n’a pas enregistré d’autre titre avec Héctor Castel.

La naranja nació verde Y al final se maduró, Cuando me dirás, negrita Que la espera terminó.
L’orange naît verte et au final mûrit. Quand me diras-tu, petite noire, que l’attente est terminée ?

Alma mía 1940-02-15 (Valse) – Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Diego J. Centeno Letra: Héctor Marcó

Alma mía, ¿con quién soñás?
He venido a turbar tu paz. […]
Abre niña tu ventanal
que con rayos de luna risueña
la noche porteña te quiere besar.

Clin d’oeil, j’ai utilisé la silhouette de Gardel pour le chanteur derrière les volets.

Le tango du jour est une superbe valse, Alma mía qui témoigne des premiers enregistrements de l’orchestre de Carlos Di Sarli qui auparavant avait seulement gravé des titres avec son Sexteto.
On retrouve dès les premiers enregistrements la subtilité harmonique au service d’une cadence rigoureuse qui fera sa gloire. Pour être juste, on trouvait déjà dans les derniers enregistrements du sexteto, quelques éléments de cette harmonie, mais qui étaient étouffés par une rythmique un peu pesante, héritière du canyengue.
Pour se rendre compte de la qualité de la musique de Di Sarli sur des tangos, on pourra écouter La trilla, enregistrée le même jour qu’Alma mía, ou son premier enregistrement avec Rufino, le 11 décembre 1939, Corazón.
Ceux qui me connaissent, savent que j’adore les valses, mais si je l’ai préférée à La trilla, enregistrée le même jour et qui aurait donc parfaitement convenu comme tango du jour, c’est que je suis retourné et j’ai toujours envie de chanter à tue-tête en même temps que Rufino « Aaaalmaaaaa míííííííaaaaaa, ¿ con quién soñás ? » (Mon âme, à qui rêves-tu ?).
C’est également une superbe déclaration d’amour, à la Cyrano de Bergerac, il y a même le balcon.
J’arrête de me justifier, cette valse est une merveille absolue et si Rufino est moins souvent choisi par certains collègues DJ que Jorge Durán ou Alberto Podestá, voire Carlos Acuña ou Oscar Serpa, c’est à mon sens très dommage. Il y a quelques jours, une organisatrice de Buenos Aires m’a remercié d’avoir passé une tanda avec Roberto Rufino.

Extrait musical

Alma mía 1940-02-15 (Valse) – Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Alma mía, ¿con quién soñás?
He venido a turbar tu paz.
No me culpes, soy un cantor
que ha querido mezclar a tu sueño
un verso porteño borracho de amor.

Si despiertas, no maldigas
llego aquí porque te adoro,
porque sufro, porque imploro,
porque quiero que me digas,
si es verdad que cuando sueñas
me acarician tus amores.
Mariposa, tus colores
me han robado el corazón.

Deja el lecho cándida flor
que en tu reja ronda el amor.
Abre niña tu ventanal
que con rayos de luna risueña
la noche porteña te quiere besar.

Duerme el ave, allá en su nido,
solo rondo yo en la calma
por saber si tienes alma,
oh mujer, que me has vencido.
Despierta si estás dormida
que por ti, mi dulce dueña,
mientras Buenos Aires sueña,
yo agonizo en tu balcón.

Diego J. Centeno Letra: Héctor Marcó

Autres enregistrements

Curieusement, cette magnifique valse a été peu enregistrée. Il faut dire qu’il est difficile de surpasser la version de Di Sarli et Rufino. Les quelques exemples que je cite ici le prouvent.

  • 1936-07-15 Agustín Magaldi accompagné de guitares. Honnêtement, cette version est un peu criée et pas très intéressante. Ce qu’en a fait 4 ans plus tard Di Sarli est heureux pour cette valse.
  • 1969-10-21 Le Sexteto Tango avec Jorge Maciel. Absolument pas pour la danse et pour ceux qui supportent Maciel dans ses moins bons moments.
  • 1996 Enzo Valentino propose une version maniérée guère plus intéressante que la version de Maciel. Pas de risque que je propose cela en milonga.

Sous le même titre, on trouve un tango composé par Sando Panizzi. Il est interprété par Marek Weber et son orchestre. Cet orchestre allemand est attachant, il témoigne de la folie du tango dans les années 20 et 30 en Europe. Son interprétation n’est pas si vilaine malgré ses airs militaires et ses flonflons de tromblons.
J’ai mentionné ci-dessus La trilla, un tango écrit par Eduardo Arolas avec des paroles d’Héctor Polito. Rien à voir avec Alma mía, si ce n’est que ce tango a été enregistré par les mêmes, le même jour, le 15 février 1940.

Le chanteur s’interroge sur le rêve de sa bien-aimée. Peut-être que cette image représente le rêve des deux, quand elle aura ouvert ses volets pour accueillir la lune et l’amour. C’est mon interprétation…

Pourquoi le tango doit-il être dansé avec les orchestres des années 40 ?

Au creux de la polémique remise à jour en février 2024

En février 2024, Guillermo Reverberi (Guille de SMTango) a diffusé un texte “Pourquoi le tango doit-il se danser avec les orchestres des années 40 ?” Ce texte a beaucoup de succès en ce moment et je pense qu’il est intéressant de rendre à César ce qui lui appartient.

Une fusée avec de multiples étages

En effet, cette restitution se fait en plusieurs étapes:

  • Le tangomètre, éditorial de Ricardo Schoua, publié le 13 décembre 2009, dans le numéro 110 de la revue rosarina, Tango y Cultura Popular (voir ici…)
  • Le “No-Tango”, éditorial du même Ricardo Schoua, dans le numéro 134 de la même revue de mars 2012 (voir ici...)
  • Courrier du lecteur du magazine Tango y Cultura Popular n° 135, un texte écrit par José Carcione en réponse à l’éditorial du numéro 134. (reproduit ci-dessous en rouge)
  • Más sobre el tango bailado (Plus sur le tango dansé) éditorial du n°136 de la revue Tango y Cultura Popular, toujours par Ricardo Schoua en réponse au texte de José Carcione.
  • ¿Por qué el tango se debe bailar con las orquestas del 40? (Pourquoi le tango doit-il être dansé avec les orchestres des années 40 ?) publié vers 2015 par José, Él de la quimera (Celui de la chimère), en fait José Carcione, en italien et en espagnol. Pour la version française, c’est bien sûr ici
  • Porque al tango se lo baila con las orquestas de los años 40 publié en février 2024 par Guillermo Reverberi (Guille de SMTango) et qui est la reprise tu texte de 2015 de José el de la quimera avec un paragraphe supplémentaire.

Voilà un résumé de l’affaire. C’est une grande fusée qui dure depuis décembre 2009, soit plus de 14 ans au moment où j’écris ces lignes.

On se reportera pour les premiers étages aux textes que j’ai déjà cités, Le tangomètre et Le “No-Tango”. La suite, est ci-dessous…

La version de février 2024 et ses différentes sources

Introduction de 2015 par José el de la quimera

Pourquoi le tango doit-il être dansé avec les orchestres des années 40 ?
Heureusement, les 20 dernières années ont vu la résurgence du tango dansé, car il existe des milongas dans presque tous les pays du monde, où les danseurs et les DJ « consomment » continuellement la culture du tango et revivent le bon vieux temps avec des orchestres de tango. « Ils dansent sur la musique des morts », comme Piazzolla l’a dit un jour à Troilo avec mépris, parce qu’en réalité la musique d’aujourd’hui n’est pas dansante ; ils voient des tentatives ratées comme le « Tango Nuevo » ou la prétention de tel ou tel DJ à « innover » en proposant des chansons soi-disant modernes de qualité musicale douteuse. Concrètement, ce n’est pas le danseur qui doit s’adapter à la musique, mais la musique doit être dansable. Dans une lettre envoyée aux lecteurs du magazine numérique « Tango y Cultura Popular », que je retranscris ci-dessous, j’ai essayé d’expliquer pourquoi la « musique de tango » n’est pas populaire (ou n’existe pas) comme elle l’était dans la première moitié du XXe siècle, la décennie des années 40 étant la dernière et la plus représentative :

Courrier du lecteur du magazine Tango y Cultura Popular n° 135, un texte écrit par José Carcione en réponse à l’éditorial du numéro 134

J’aimerais apporter quelque chose à l’article de Ricardo Schoua, « El No-Tango », du point de vue d’un milonguero (simplement un danseur de tango social, je ne suis pas professeur), qui apparemment dit le contraire, mais vous verrez que ce n’est pas comme ça. Je sympathise avec la « colère » de Ricardo, mais d’un point de vue différent. Le tango (dansant) est mort depuis longtemps. Aujourd’hui, il n’y a pas de paroliers et de musiciens créatifs qui font de la musique pour danser. La musique postmoderne, post-âge d’or, est faite pour être écoutée. Piazzolla lui-même a dit qu’il ne fallait pas danser sur sa musique. Cela s’est produit dans les années 1950 pour diverses raisons. À Buenos Aires, l’héritier du tango – en tant que musique et paroles qui interprétaient la réalité du porteño – était le rock urbain, chanté en « argentin », et cette musique n’a rien à voir avec les milongas. « Avellaneda Blues » de Javier Martínez, par exemple, a des paroles de tango, mais c’est un blues. Beaucoup de paroles de Flaco Spinetta sont du tango. Peut-être que Piazzolla et Ferrer y ont contribué, mais comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas du tango que de danser. Oui, vous pouvez nommer Eladia Blasquez, Chico Novarro, Cacho Castaña et arrêtons de compter, mais ce sont les cas qui confirment la règle, et ils n’ont pas fait de musique pour danser non plus. La scène musicale (dansante) qui va de 900 à 50 est infiniment riche, heureusement et les milongueros n’ont pas à s’inquiéter. Le problème réside dans le fait que peu de DJs étudient vraiment cela, car en général ils proposent peu d’orchestres et souvent la milonga n’a pas la bonne structure, c’est-à-dire l’assemblage correct des tandas et la succession appropriée des orchestres. Ensuite, nous avons le « Tango Nuevo » (en tant que phénomène de danse, je comprends). C’est douloureux de voir des danseurs danser le nouveau tango, ce n’est pas du tango social, c’est très difficile, comme si on dansait de la danse classique sans le savoir. Seuls quelques-uns, Frúmboli, Arce, Naveira, qui pratiquent des heures par jour, peuvent le danser avec une certaine décence, mais dans les milongas, ces milongas traditionnelles, ils dansent le tango social comme nous tous. Ce n’est pas facile non plus, il y a la musicalité diverse de chaque orchestre qu’il faut respecter. Ceux qui ne savent pas danser appellent les extraordinaires musiques de Biagi des « marchas » et sont ceux qui demandent un « nouveau tango », avec des chansons de « Otros Aires », « Gotan project », Grace Jones, etc. Nous pourrons danser sur de la musique contemporaine alors qu’il sera courant de danser le tango social, mais pour cela les Biagi, Lomuto, Donato, Di Sarli doivent revenir avec des paroliers tels que Cadícamo, Romero, etc., car le tango dansant n’existe plus. De plus, le « nouveau » est de mauvaise qualité. Si vous voulez le danser, vous devez d’abord apprendre le tango social, avec sa musicalité variée. Comme il s’agit d’un processus sans fin, où l’on découvre toujours quelque chose, vous verrez que c’est très gratifiant et qu’il n’est pas nécessaire de danser le « Gotán » ou de le proposer dans une milonga pour se sentir à l’avant-garde et prétendre que l’on est « dedans » ou quelque chose de super créatif. Je dis plus, après avoir appris cela, vous n’allez pas aimer le « nouveau ». Alors, qui est le DJ créatif ? celui qui joue du Tanghetto, du Narcotango, (j’ai même entendu Mozart), dans la milonga ? Où la plupart des danseurs ressemblent à des zombies et pensent qu’ils dansent de manière phénoménale sur la dernière mode du tango ? Celui qui propose de la musique traditionnelle n’est-il pas créatif ? DJs : étudiez et vous verrez que chaque orchestre a sa propre musicalité, avec des possibilités infinies, où le chanteur n’est qu’un instrument comme les autres, ce qui n’était plus le cas après les années 50, quand le chanteur est devenu la star. Nous, les danseurs, avons besoin de ténors, comme Roberto Ray, Raúl Berón, Francisco Fiorentino, je peux même dire Goyeneche à ses débuts, et Nina Miranda est parfaitement dansante, et pas de voix qui « disent » ou « crient » le tango. C’est bien, mais ils sont faits pour être écoutés. Enseignants : apprenez aux danseurs à marcher d’abord, les figures seront découvertes par eux plus tard. Heureusement, le tango revient dans les années 80 comme danse (milonga). Aujourd’hui, « la musique des morts », comme l’appelait autrefois Piazzolla, est dansée sur toute la planète. Il n’y a pas de grande ville où il n’y a pas de milongas. Des innovateurs sérieux aujourd’hui ? Malheureusement il n’y en a pas, et s’ils viennent, ils iront dans une direction, sinon la même, parallèle à celle des anciens maîtres.

(NDT : un maestro en Argentine, est un professeur d’école primaire. Je propose donc la traduction “maîtres”, mais vous pouvez penser “maestros” si vous préférez.)

Más sobre el tango bailado (En savoir plus sur le tango dansé) éditorial du n°136 de la revue Tango y Cultura Popular, toujours par Ricardo Schoua en réponse au texte de José Carcione

Le texte de José de la quimera reprend seulement des parties de la réponse de Ricardo Schoua. Je préfère vous donner la version complète. J’ai indiqué en gras et en bleu les passages cités par José de la quimera et en italique les ajouts de José de la quimera dans sa version de 2015…

Le lecteur José Carcione répond, dans le numéro précédent, à mon éditorial El No-Tango, du point de vue d’un milonguero, un danseur social. Cette réponse et d’autres choses qui me sont arrivées m’ont donné l’occasion d’approfondir la question des préjugés, les miens et ceux des autres, autour de cette question.

Le lecteur dit que le tango dansant est mort depuis longtemps, se référant au fait que les nouveaux compositeurs n’écrivent pas de tangos pour danser. Ce n’est pas le cas, on ne peut pas le généraliser.

Bien sûr, cela dépend de ce que vous considérez comme dansant. Pour le lecteur, le paradigme semble être Rodolfo Biagi, qu’il oppose à des monstres comme Gotan Project, mais ne mentionne pas Pugliese ou Troilo…

Biagi n’est pas mon paradigme, c’est l’un de mes orchestres préférés, mais Pugliese et Troilo sont aussi des années 40 ! Mes arguments ne sont donc pas contredits.

Réponse de José de la quimera à Ricardo Schoua

Il s’avère que dans de nombreuses milongas, ils ne jouent pas de chansons de ces deux derniers orchestres — et de beaucoup d’autres — parce qu’ils prétendent que leur phrasé est inadéquat pour danser. À l’autre extrême, il y a ceux qui ne se soucient de rien, même si ce n’est pas le tango, parce qu’ils considèrent la musique comme un complément à leurs expositions.

Le lecteur mentionne que ceux qui ne savent pas danser traitent la musique de Biagi comme des « marches ». La comparaison ne m’était pas venue à l’esprit. Dans les défilés, les marches sont utilisées, avec un rythme bien marqué, pour que tout le monde marche en même temps et se déplace comme un tout compact. Et les contraintes d’espace des milongas, la nécessité de se conformer harmonieusement au mouvement en cercle, exigent quelque chose de similaire : un rythme sans « chocs ».

Mais il s’avère que ces limitations d’espace finissent par limiter les danseurs eux-mêmes, généreusement aidés par les règlements milonguero (« codes ») et par ceux qui, par commodité, ont élevé cette forme de danse à la catégorie de « style ». Et la vérité, c’est qu’il n’y a pas de « styles » dans le tango, c’est une invention marketing. Je n’aime pas danser sur une petite piste de danse, pleine comme un bus aux heures de pointe, mais tout le monde a le droit de faire ce qu’il veut.

Ce à quoi je réponds que ceux qui savent danser sur une petite piste de danse ou avec une piste de danse complète (par exemple, Salón Canning dans les milongas « pico »), savent danser sur n’importe quelle piste de danse, également dans Aeroparque :>)

Réponse de José de la quimera à Ricardo Schoua

Sans tomber dans les extrêmes, dans les milongas plus détendues, où l’on peut aussi écouter Pugliese, Troilo ou Salgán, on danse sur leurs chansons avec plaisir et sans inconvénient, et on danse aussi sur Piazzolla, bien sûr que quelques-unes des compositions les plus connues. Mais il est très, très difficile pour les œuvres de la nouvelle génération d’être transmises. Il est vrai que, même avec un critère large, il y a des titres qui ne se prêtent pas à la danse, mais ici l’habitude et l’ignorance jouent beaucoup.

Moi-même, qui ai parfois l’habitude de mettre en musique des milongas et d’inclure de nouveaux orchestres et de nouvelles compositions, je me suis retrouvé à dire à un compositeur qui a récemment sorti un CD avec de nouveaux tangos de son auteur, que ses chansons devaient être plus dansantes. Et ce n’était pas vrai, ils sont très dansants. Ce qui se passe, c’est que j’ai aussi des préjugés, parce que, étant donné qu’ils ne sont pas très répandus, j’ai peur du rejet que je pourrais recevoir si je les inclus dans un lot. (Et il y en a toujours un qui crie, vous voyez ?)

Pour éviter les problèmes, seul ce qui est connu est mis en musique. Mais un danseur social ne devrait pas avoir de mal à danser un tango jamais entendu auparavant. Après tout, dans les années 40, les tangos étaient créés en continu.

Oui, mais avec les étiquettes : « dansant ».

Réponse de José de la quimera à Ricardo Schoua

Maintenant, j’ai remarqué que, lorsqu’un orchestre live est présenté, ces limites sont diluées et les gens dansent tout ce qu’on leur propose, même si c’est nouveau.

Il semble que le secret pour parvenir à l’acceptation soit de combiner, dans une présentation, des thèmes traditionnels, arrangés dans le style de l’orchestre, avec de nouvelles compositions. Et pour ceux — nombreux — lecteurs qui animent des émissions de radio, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’insister sur l’importance de diffuser durablement la nouveauté. Si vous avez besoin de matériel, comptez sur nous pour le gérer.

En terminant, je tiens à vous dire que je suis heureux de constater un intérêt grandissant pour notre magazine et nos espaces de médias sociaux. Merci beaucoup et rendez-vous dans le prochain numéro !

Ricardo Schoua

La suite de la publication de 2015 par José de la quimera

Là, José n’est plus en réponse directe à Ricardo Schoua, mais ses ajouts sont intéressants :

Mais si je le dis-le, ça n’en vaut pas la peine. Voyons ce que dit Maître Alfredo de Angelis. Je viens de terminer la lecture de sa biographie, écrite par sa fille. Dans ce livre, De Angelis fait clairement référence au problème de 1981, et ses mots sont actuels :

L’une des raisons est que les orchestres ne font plus de rythme, cela ressemble à de la musique espagnole, qui n’a rien à voir avec le tango. La plupart d’entre eux jouent de la même manière, les bandonéons font tous la même chose. En dehors du rythme, ils n’ont pas la ligne mélodique du tango, le public n’aime pas ça et même s’ils veulent le leur imposer, ils n’y arriveront pas.

Ce cas ne sera pas inversé jusqu’à ce qu’un orchestre sorte comme en 1935, lorsque D’Arienzo est parti et a rompu avec toutes les nouveautés de l’époque, la même chose se produit aujourd’hui. Le tango c’est pour danser, aujourd’hui ils ont même changé le style de danse, les chanteurs crient, je dis toujours que les disques de Gardel durent, ils peuvent obtenir le style de lui. Gardel n’a jamais crié et le temps le prouve. D’autres exemples sont Fiorentino, Dante et Vargas.

À l’époque de Canaro, De Caro est sorti, mais il a fait du rythme, c’est ainsi que Troilo, D’Arienzo et d’autres ont joué du « cuadrado », c’est-à-dire que pour danser, Horacio Salgán est sorti avec un style très agréable, modernisé, bien arrangé, et que s’est-il passé ? Après, plus rien d’autre n’est sorti, ils veulent nous imposer un nouveau style, mais tant qu’ils ne font pas de tango-tango, il ne se passe rien.

(Diario La Prensa, 11/1981, « Alfredo de Angelis : Les orchestres ne font pas de rythme », note de Roberto Pertossi).

C’est on ne peut plus clair.

Pourquoi insistent-ils encore, dans de nombreuses milongas, pour faire écouter des orchestres qui composent de la musique ? Parce que les danseurs ne savent pas danser, et ils pensent qu’ils savent. Les orchestres de tango ne dansent pas bien et font semblant de danser le tango « moderne ». Quelqu’un qui distingue la musicalité de chaque orchestre, qui sait danser des syncopes, des cadences et des silences, et qui ne danse pas « tout de la même manière », ne va pas à ces milongas, parce qu’il sait que ce ne sont pas vraiment des milongas, mais « un spectacle de danse de mauvaise qualité ».
Personnellement, si je veux écouter un orchestre, je vais au théâtre où l’acoustique est meilleure et où leur fonction est précisément d’écouter et d’apprécier la musique.
Dans la milonga, je veux de la musique de danse et ne pas attendre passivement la fin du « spectacle » pour pouvoir danser et payer plus. Les orchestres des années 1940 convoquaient jusqu’à 6 000 personnes aux milongas du carnaval parce qu’ils jouaient pour danser et que les danseurs avaient une fonction active et non passive, interprétant correctement la musique, avec du rythme et de la mélodie comme le dit De Angelis. C’est le secret du succès. Où sont les milongas de ces carnavals maintenant ? Quelqu’un s’est-il demandé quelle en était la cause ? L’absence de danseurs ou d’orchestres appropriés ?
Fonte
De Angelis, Isabel, 2004, Alfredo De Angelis. Le phénomène social. Le Tango Club. Ed. Corregidor.
Tango y Cultura Popular, avril 2012, n° 135 ; www.tycp.com.ar.

José de la quimera en complément de son article de 2015

Le paragraphe supplémentaire publié en février 2024 par Guillermo Reverberi (Guille de SMTango)

Haaaa, et enfin. Un danseur ou une danseuse de tango va à une Milonga pour danser TANGOOOOOOOOO, pas pour regarder des spectacles, des expositions et/ou danser d’autres rythmes. Cela ne fait que disparaître l’envie de continuer à danser, stresser, déprimer sans le savoir et la Milonga finit dans un fiasco.

Les éléments originaux à télécharger

El tangometro (éditorial de TYCP 110 de décembre 2009). Voir l’article sur le sujet sur ce blog.

El tangometro “No-Tango” (éditorial de TYCP 134 de mars 2012) . Voir l’article sur le sujet sur ce blog.

Courrier du lecteur en réponse à Ricardo Schoua par José Carcione dans TYCP n°135 (Avril 2012)

Más sobre el tango bailado (éditorial de TYCP 136, mai 2012)

Texte de José Carcione, sous le pseudonyme José de la quimera publié en 2015

Texte diffusé par Guillermo Reverberi (Guille de SMTango) en février 2024

Le « No-Tango »

J’ai reproduit dans le post le « Tangomètre », un éditorial de Ricardo Schoua de décembre 2009. Ce nouvel éditorial du même auteur date de mars 2012, reprend le fil. Il l’a nommé No-Tango. Il me restera un texte à reproduire, lui aussi de 2012, texte qui circule beaucoup en ce début de 2024, mais chut, revenons à mars 2012, dans le numéro 134 de la revue Tango y Culture Popular.

L’éditorial du n°134 de Tango y Cultura Popular, intitulé Le “No-Tango”

Éditorial : Le “No-tango” par Ricardo Schoua

J’avais déjà fait remarquer, dans des notes précédentes, qu’en ce qui concerne le tango et son développement, il y a autant d’opinions que de personnes. Je vais me référer à certaines de ces opinions d’une manière générale, sans identifier les expéditeurs, car ce qui m’intéresse, c’est de polémiquer avec des idées, pas avec des personnes.
Dans un éditorial précédent (*), j’ai souligné quels étaient, à mon avis, les aspects négatifs qui surgissent dans l’activité, et qui entravent son développement. Je ne vais pas les répéter ici, mais j’aimerais développer certains concepts.
Au sein de la nouvelle génération d’auteurs, de compositeurs et de musiciens, il y a ceux qui affirment que le tango est mort. La première chose qui me vient à l’esprit est « alors que font-ils ici, pourquoi continuent-ils à apporter des contributions au genre ? » À tout le moins, on s’attend à un peu de cohérence, une vertu qui semble également dépassée.

J’aime le tango, mais je ne considère pas une certaine période comme limitative. Il y a des tangos que je trouve très ennuyeux parmi les anciens et aussi parmi les actuels. Les classiques le sont par leur propre mérite, et non parce qu’ils appartiennent à une certaine époque. Dans un rapport que nous avons reproduit, le tango Uno a été interrogé parce que « c’était déjà le cas ». Sur quelle base disent-ils « c’est déjà le cas » ? Les paroles ont-elles perdu de leur pertinence ?
Aujourd’hui, l’adage selon lequel « la lutte est cruelle et il y en a beaucoup » est tout à fait valable… Ou, l’est-il vraiment ?
Si le renouveau du tango va se baser sur l’interdiction de l’exécution des classiques, nous allons très mal, avec une orientation désastreuse, qui semble cacher l’idée que ceux qui le promeuvent ne se sentent pas capables de surpasser les réalisations de ceux qui les ont précédés.
Et il faut regarder les attitudes de ceux qu’ils prétendent admirer (admiration qui n’est pas cohérente non plus). Ou, peut-on imaginer une position similaire chez Osvaldo Pugliese ?
Ou Piazzolla a-t-il renié Troilo, Pugliese, Salgán, Di Sarli …?
Il y a aussi ceux qui postulent que la mélodie et l’accompagnement ne sont « plus ». Dans quel manuel l’avez-vous lu ? Tout le monde a le droit d’expérimenter, mais pas de disqualifier gratuitement. Et de ne pas se fâcher si le résultat de leur expérience ne les mène pas au sommet de la gloire.
J’ai écouté de « nouveaux tangos » qui, musicalement, peuvent faire preuve d’un haut niveau de virtuosité, mais, comme je ne trouve pas la mélodie, je ne peux pas les fredonner ou les siffler et, par conséquent, je ne peux pas m’en souvenir. La musique populaire, pas seulement le tango, est simple et s’adresse à tout le monde, pas seulement aux musiciens professionnels. Il n’est pas facile d’atteindre cette simplicité et cette acceptation.
George Martin, surnommé « le cinquième Beatles », disait que la musique doit danser pour vous, ce qui ne veut pas dire qu’elle est dansable, mais qu’elle fait bouger quelque chose en nous, qui nous transporte. Ce n’est pas que je ne comprenne pas certaines « querelles » de ceux qui tentent de renouveler le genre. Constituer un répertoire d’une vingtaine de numéros connus, toujours les mêmes, sans en incorporer de nouveaux, c’est aussi une façon de combattre le tango de l’intérieur, quand on dit qu’il le défend. Cela contribue à la même chose de ne pas chercher à modifier les formats de diffusion et de programmation. Et l’attitude de certains DJ qui n’osent pas proposer quelque chose de différent, de peur de « perdre la clientèle ».
Maintenant, cette chose de décrire le tango comme mort ou péri et d’essayer de le transformer en quoi que ce soit m’amène à suggérer que, pour être cohérent, au lieu d’ajouter des qualificatifs tels que « de ruptura » ou « alternativo », ils encadrent leurs créations dans un nouveau genre : le No-Tango.

Merci beaucoup,

Ricardo Schoua

Éditorial de la revue Tango y Cultural Popular n°134

Lire la revue en entier…

Las margaritas 1933-02-14 (Ranchera) – Ada Falcón accompagnée par Francisco Canaro

Domingo Pelle Letra : Alfredo Angel Pelaia

Las margaritas. Les marguerites.

Le tango du jour n’est pas un tango, pas même une valse malgré son rythme ternaire (Pou-chi-chi), mais une ranchera.
Certains DJ proposent des rancheras pour des tandas de valses. C’est assez compliqué à danser et déstabilisant, je ne recommanderais donc pas l’exercice. La ranchera s’apparente en fait à la mazurka ou à la java.
Cette danse traditionnelle d’Argentine n’est plus dansée aujourd’hui, mais il y a de nombreux enregistrements qui montrent le succès de ce rythme au siècle passé.
Si j’ai tenu à placer ce thème, c’est, car il me paraissait bien adapté au jour, le 14 février, la Saint-Valentin, fête des amoureux.
Sur la dizaine de titres enregistrés un 14 février, très peu avaient un thème pouvant évoquer l’amour (si on excepte la Limona de Amor (aumône d’amour) qui invoque l’amour divin et dont une version a été enregistrée un 14 février (1957) par Miguel Calo avec Rodolfo Galé.
Je reviens à Las Margaritas enregistré par Ada Falcón avec son grand amour (pas totalement réciproque), Francisco Canaro.
Las margaritas présente les espoirs d’un jeune homme amoureux d’une serveuse et qui ceuille des marguerites. Il les offre à la vierge du village. J’avoue ne pas savoir si cette vierge est la serveuse qui peut ainsi le guérir de son amour en le rendant effectif, ou bien la Sainte Vierge qui lui fera oublier un amour impossible à concrétiser.
L’histoire d’Ada et Francisco est également un thème romantique. Je n’entrerai pas dans les détails, mais disons que Canaro ne ressort pas forcément grandi de l’affaire.
Une histoire d’amour un peu tragique, donc, mais une histoire d’amour.
Je propose donc ce titre pour fêter la Saint-Valentin à tous les amoureux du monde, en espérant qu’ils seront plus heureux au final qu’Ada qui est entrée dans les ordres comme… franciscaine et que la Francesa, la redoutable épouse de Canaro…

Extrait musical

Las Margaritas 1933-02-14 – Ada Falcon accompagnée par Francisco Canaro.

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

En las lomas de mi pago yo corté
las más lindas margaritas, con primor
y a la Virgen del pueblito las llevé,
para que ella me curara del amor.
Porque sabes, yo ando triste y ha de ser
por la moza del puestero Nicanor,
la vi en la tranquera, una tarde muy hermosa
y como un gualicho, me ha dejado el corazón.

En mi alazán,
bajando voy todas las tardes
con el afán
de este amor, lleno de alardes
y al recortar
flores de amor para llevar,
candorosa margarita, sobre la lomita
yo suelo encontrar pa’ mi ilusión,
hasta el alma vendería
y lejos me iría a morir por vos.

Margaritas de mis pagos, que corté,
para aquella linda moza de mi amor,
han sangrado como sangra mi querer
y hoy quisiera darte todo mi fervor;
porque todo lo que nunca has de saber
hoy se llena de nostalgia en mi dolor,
mi amor y mis flores, margarita primorosa,
me han llenado el alma como mi lírica canción.

Domingo Pelle Letra : Alfredo Angel Pelaia
Dans les collines de mon domaine, j’ai coupé les plus belles marguerites.

Pour terminer sur une note optimiste, je vous propose une autre illustration destinée à faire mentir Les Rita Mitsouko avec une histoire d’amour qui se termine bien…

Une histoire d’amour qui se termine bien.

Le Tangomètre (éditorial de Tango y Cultura Popular n°110)

Cet éditorial a été publié le 13 décembre 2009, dans le numéro 110 de la revue rosarina, Tango y Cultura Popular.
J’ai choisi de le reproduire ici, car en ce moment circulent des textes qui ne reprennent pas les sources et je pense utile de rendre à César ce qui lui appartient (même si dans le cas présent il s’appelle Ricardo Schoua).
Ce sera le premier d’une série de textes polémiques sur le tango et son évolution.
Bonne lecture.

Vous trouverez le texte original, en espagnol, en fin d’article

Le Tangomètre (éditorial)

Logo de Tango y Cultura Popular, la revue de tango de Rosario (Argentine)

L’inscription au patrimoine mondial, la multiplication des festivals, l’ouverture de nouvelles milongas, le fait que de nombreux jeunes musiciens soient enclins à ce genre indiquent un essor du tango. Mais, comme toute manifestation de la culture populaire, cet essor contient beaucoup d’impuretés et s’inscrit dans une lutte permanente contre les conceptions qui tendent à la limiter ou à la vider de son contenu.

La question est de savoir dans quelle mesure nous comprenons ce que signifie la culture populaire. Ce n’est pas un sujet facile à comprendre, c’est pourquoi beaucoup se réfugient dans des conceptions dogmatiques. Je pense que c’est une tâche quotidienne d’apprendre, avec un esprit ouvert, de quoi il s’agit. Et c’est un processus d’apprentissage sans fin.

Je vais essayer d’énumérer les éléments qui, à mon avis, sont, en ce moment, un obstacle à un développement authentique du tango en tant qu’expression populaire.

1.— Les opinionologues qui n’admettent pas de changements au-delà de ce que furent les années 40, oubliant que cette époque se distingue précisément par le boom de l’innovation et du renouveau. Souvent, cette posture de « défenseurs à tout prix » du tango cache la médiocrité consciente de ceux qui l’adoptent comme étendard. L’attitude est comparable à celle d’un patron, dans n’importe quel travail, qui s’entoure de gens médiocres pour s’assurer qu’ils ne « bougent pas le sol », parce qu’il sait qu’il est lui-même médiocre.

La résistance au changement est exploitée, et ce n’est pas nouveau. Horacio Ferrer raconte dans son livre El gran Troilo que, lorsque Pichuco a créé Responso à Montevideo, l’un des spectateurs lui a crié : « Gordo, arrête de jouer des pasodobles ! »

2.— Ceux qui, au nom d’un supposé « nouveau tango », se placent à l’extrême opposé des précédents, c’est-à-dire qu’ils nient les antécédents. Parmi eux, ceux qui ont l’intention de fusionner le tango (qui est le produit d’une fusion naturelle et évolutive) avec d’autres genres, en particulier le jazz. Pugliese a défini : « Le tango est un mélange de la campagne avec l’expression populaire de la ville. Beaucoup de choses peuvent être soulevées, dans différentes directions. Vous pouvez venir de Gardel, Bardi, Cobián, Maffia, Laurenz, mais vous ne pouvez jamais arrêter les étapes ni perdre de vue les sources. Ceux qui veulent s’exprimer dans le tango doivent se référer à la continuité, sans s’en détacher. Le reste n’est pas du tango. C’est de la musique, d’autres musiques.

Et Atahualpa Yupanqui a dit : « Pour que les enfants vivent, il n’est pas nécessaire de tuer leurs parents. »

Des musiciens qui écrivent pour des musiciens, qui semblent croire que plus la partition a de notes, mieux c’est. Ils ont pour corrélat les danseurs « de scène », pour qui l’important semble être le nombre de figures par seconde et non la danse elle-même.

Encore une fois, je cite Yupanqui : « Il y a des gens qui éblouissent et d’autres qui illuminent, je préfère illuminer. »

4.— Le soi-disant « tango électronique », un produit dérivé d’une étude de marché, l’une des nombreuses pierres que la contre-culture médiatique met sur le chemin.

5.— Les méthodes de danse également qualifiées de « neo tango » qui, au nom de la technique et de la propreté supposée, déconnectent totalement le danseur de la musique et de l’émotion.

6.— L’arrogance avec laquelle beaucoup de ceux qui défendent l’une ou l’autre des positions décrites sont traités.

Eh bien, avec cela, j’ai déjà gagné la haine de tout le monde. Si j’en ai manqué, faites-le-moi savoir…

Sérieusement, même si nous n’aimons pas les résultats, toute poursuite sincère est saine et devrait être encouragée et critiquée en même temps.

Les goûts de chacun sont respectables, mais ce n’est pas une question de goût ici.

Et il n’existe pas de «tangomètre», bien que si un lecteur veut en concevoir un pour nous, nous le ferons volontiers savoir.

La pire chose qui puisse nous arriver, c’est que notre cerveau s’atrophie. De nouvelles propositions contribuent à la pérennité. […]

Le Directeur (Ricardo Schoua)

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 (Tango) – Orquesta Francisco Canaro

Lucio Demare (Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot)

Mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Le tango du jour parle des aubes de Montmartre (Paris, France).
Le tango est né à Paris…
Pardon, sans Paris, le tango ne serait pas ce qu’il a été/est. C’est dans cette ville qu’il a acquis ses lettres de noblesse et qu’il a pu revenir en Argentine et devenir ce que l’on sait. Si vous ne le savez pas, regardez mon article sur l’âge d’or du tango.

Plusieurs centaines de tangos font référence à la France et à Paris, mais aussi aux grisettes, ces jeunes Françaises qui à l’instar de Madame Yvonne quittaient la France pour le “rêve” argentin (voir par exemple Bajo el cono azul).
Canaro qui a fait à diverses reprises le voyage à Paris a sans doute été sensible à cette composition de Demare qui devait également lui évoquer les paysages de la Butte Montmartre.

Extrait musical

Mañanitas de Montmartre 1928-02-13 – Francisco Canaro

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Las grises mañanitas de Montmartre,
donde iluso derroché mi juventud,
serán eternas en mi triste vida,
porque las recuerdo para mi inquietud.
Al igual que un amor cicatrizado
e imborrable en un tierno corazón,
mis mañanitas de Montmartre tan queridas
son para mí un delirio y una gran pasión.

Pero sos, mujer,
pobre insensata que en el mundo triunfás;
la frágil barca de tu vida quizás
naufragará porque el timón de tu esperanza
se quebrará en la mar,
y humillada ya,
mis mañanitas de Montmartre verán
la fría nieve del destino caer
sobre tu almita acongojada
destruyendo aquellos sueños
que forjaste con afán.

Nuevamente volverás a ser aquella
que paseaba exenta de pudor
por esas calles en que todas las mujeres
pecadoras, guardaban su dolor.
Y en las tinieblas de tu pobre vida,
por ingrata nunca más encontrarás
quien te devuelva con un beso de cariño
la luz de tu esperanza, que se apaga ya.

Lucio Demare Letra : Agustín Irusta; Roberto Fugazot

Autres enregistrements

Ce titre n’a pas été beaucoup enregistré, mais on trouve quelques versions intéressantes :

  • 1928 Trío Argentino (Irusta, Fugazot, Demare) y su Orquesta Típica Argentina
  • 1928-02-13 Francisco Canaro (qui fait l’objet de ce tango du jour)
  • 1930 Lucio Demare l’a enregistré au piano en 1930
  • 1930 Irusta accompagné au piano par Demare
  • 1952-06-18 Lucio Demare encore au piano avec “No nos veremos más” la valse que nous avons présentée le 11 février dans le cadre des Anecdotas de Tango
  • 1968-07-30 Toujours Lucio Demare et encore au piano.
  • Troilo l’a enregistré au moins à deux reprises, le 14 avril 1970 et le 18 août 1972, dans un arrangement de Raúl Garello. Ce dernier enregistrement est celui d’un concert organisé par la SADAIC (la SACEM argentine).

La version de Canaro est relativement archaïque, de style canyengue, mais c’est la seule qui peut se prêter à la danse.

Lucio Demare est un pianiste et un des rares compositeurs à avoir enregistré beaucoup de tango au piano. Ce pianiste égaré dans les rues sous l’aube pâle de Montmartre est sans aucun doute Lucio Demare. J’ai conçu cette image dans ce sens. il joue du piano debout…

Le tango est international, alors, le site est désormais multilingue

Un des miracles du tango est que l’on peut danser avec des personnes ayant appris à danser à plus de 10 ou 20 000 km de distance et que l’on peut s’entendre parfaitement en quelques secondes.

Yo no entender

Malheureusement, il n’est pas de même pour l’expression orale ni même écrite, alors j’ai décidé de proposer une cinquantaine de langues pour le site.
Normalement, lorsque vous l’ouvrez, c’est la langue par défaut de votre navigateur qui est affichée.
Si vous souhaitez afficher une langue différente, il vous suffit de cliquer sur le globe bleu situé en haut à droite.

En cliquant sur le globe situé en haut à droite, vous faites apparaître une cinquantaine de drapeaux permettant de choisir les langues correspondantes.

Il y a une cinquantaine de langues et je peux en ajouter en fonction des demandes.

Le site est écrit en français et les paroles de tango en espagnol

Si vous avez un doute sur la traduction, pensez à revenir au français pour vérifier ce qui pourrait avoir été mal traduit, en particulier les parties en espagnol.
Choisir le drapeau français vous restituera les textes dans d’autres langues dans la langue d’origine.

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Errare humanum est, perseverare diabolicum

Comme disait le vieux Sénèque, à moins que je me trompe, les œuvres humaines ne sont pas parfaites. Les traductions peuvent donc être sujettes à caution et je vous conseille de vérifier les passages douteux en affichant la langue d’origine (majoritairement le français, l’espagnol ou l’anglais).

Qui a peur de poser des questions a honte d’apprendre

Den, der er bange for at stille spørgsmål, skammer sig over at lære.

(Proverbe danois)

Vous pouvez me poser les questions, demander des renseignements ou écrire des commentaires dans votre langue préférée.
La musique est un langage universel, même si nous n’avons pas tous les mêmes goûts, cela permet d’adoucir les mœurs dans ce monde en folie.
Au plaisir de vous lire, les amis !

Au plaisir de te lire, cher ami.

Gato 1937-02-12 (Tango) – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Homero Manzi

¡Gato! Este bicho es tu retrato
¡ Gato ! Dibujado con carbón
¡Gato! Del sombrero a los zapatos
¡ Gato ! Se denuncia tu ambición

Les danseurs qui ne connaissent pas ce tango sont étonnés par les cris et miaulements de chat. S’ils en connaissent le titre, Gato, qui signifie “chat”, cela leur semble plus clair.
Cependant, ce chat n’est pas un quadrupède, mais un bipède comme le chante Lagos :
Dans le bois de la vie vit un bipède sans plumes.
Lagos utilise bípedo au lieu de parajo (oiseau) dans le texte de Manzi. On peut imaginer que ce choix a été fait, car en bon chanteur d’estribillo, Lagos ne chante qu’une partie du texte. La fin est beaucoup plus explicite. Je l’ai reproduite en bleu dans les paroles ci-dessous.
Pour insister sur le fait que l’on parle bien d’un homme élégant, à l’époque, Gato pouvait signifier Madrilène ou homme essayant de sortir avec de jolies femmes en portant un costume aussi beau que possible et en payant ce qu’il faut…
Par extension, le terme s’est étendu aux femmes qui acceptaient de l’argent pour être avec ces hommes, devenant un synonyme de pute.
Aujourd’hui, un gato est une insulte pour qualifier quelqu’un d’inférieur et que l’on méprise. Ce terme se retrouve beaucoup sur les murs de Buenos Aires pour qualifier des personnages politiques que les auteurs considèrent comme véreux. Macri Gato est un classique du genre.
Mais le gato de l’époque de ce tango est simplement un homme qui aime la sape pour s’attirer les faveurs des plus belles. Beau à l’extérieur, mais vide à l’intérieur, comme le dit le couplet omis par Lagos.

Extrait musical

Gato 1937-02-12 – Edgardo Donato con Horacio Lagos

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

En el bosque de la vida, vive un bípedo sin plumas,
Que camina entre la gente en favor de su disfraz.
Que se muestra cuando hay buenas, pero en las malas se esfuma,
Que se estira en l´aliviada y s´encoge en el cinchar.
Que se apropia de lo ajeno, que se viste con espuma,
Que aparenta estar sobrando y no tiene pa´ empezar.

¡Gato! Este bicho es tu retrato
¡Gato! Dibujado con carbón
¡Gato! Del sombrero a los zapatos
¡Gato! Se denuncia tu ambición

Exponente de este siglo, expresión de este momento,
Su chatura es el ‘standard’ que circula en la babel.
Por adentro es un vacío, por afuera un monumento
Retocado por la moda con un golpe de pincel.
Prototipo de mediocre, sin amor ni sentimiento,
Y arrastrado por los vientos como un trozo de papel.

Edgardo Donato Letra: Homero Manzi

Autres versions

Il existe quelques tangos sous ce titre, mais aucun autre n’a été enregistré (à ma connaissance) avec la musique de Donato et les paroles de Manzi.
La création de Donato avec ses miaulements est inégalée par les autres tangos ayant le même titre, comme le Gato de César Petrone interprété par Carlos Cobián con Genaro Veiga de février 1928.
Le gato est aussi une danse traditionnelle, semblable à la chacarera. On trouve donc beaucoup de musiques de Gato sous ce titre.

¡Gato! Del sombrero a los zapatos ¡Gato! Se denuncia tu ambición

No nos veremos más 1943-02-11 (Valse) – Orquesta Lucio Demare con Raúl Berón

Lucio Demare Letra: Julio Plácido Navarrine

Bésame otra vez Siento que después No nos veremos más.

Le tango du jour est une valse, nostalgique, mais entraînante dans cette version réalisée par Lucio Demare et Raúl Berón.
Elle a été enregistrée il y a 81 ans, le 11 février 1943.
Lucio Demare était pianiste et compositeur. On lui doit beaucoup de titres qu’il a lui-même interprétés, comme cette valse, mais aussi d’autres tangos à succès, comme Telón, Malena, Mañana zarpa un barco, Solamente ella et autres titres nostalgiques.

Extrait musical

No nos veremos más 1943-02-11 – Lucio Demare con Raúl Berón

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Saber partir
Con la sonrisa florecida.
Y ver morir
El sueño de toda la vida.
Ahogar la voz
Morder la angustia que nos hiere.
Después, adiós
Y el alma de un rosal que muere.

Bésame otra vez
Siento que después
No nos veremos más.
Se irá la cerrazón
Pero la ilusión
No vendrá jamás.
Sombra entre los dos
Que un dolor atroz
No torna claridad.
Amor que se abre en cruz
Al puñal de luz
De todas las estrellas.

Hoy por distinta huella
Nos echa la vida,
Amor que nunca olvida
No sabe llorar.
Bésame otra vez
Siento que después
No nos veremos más.
Se irá la cerrazón
Pero la ilusión
No vendrá jamás.

Lucio Demare Letra: Julio Plácido Navarrine

Autres enregistrements

Il existe une autre version, par Francisco Canaro et Roberto Maida (1935-12-03), dans un rythme beaucoup plus lent et majestueux, très différent de cette interprétation par Demare et Berón.
Signalons aussi l’enregistrement (1952-06-18) par Lucio Demare, au piano, solo de cette valse, dans le rythme lent de Canaro. Il enchaîne sur Mañanitas de Montmartre, une autre de ses compositions, dans cet enregistrement de 1952.
Comme Lucio Demare est le compositeur, il est possible qu’il l’ait conçue dans le rythme lent de 1935 et 1952 et que cette version de 1943 soit une adaptation au goût de l’époque, l’âge d’or du tango de danse.

Sous le même titre, on trouve une chanson de tango de Luis Stazo et Federico Silva (letra) qui a eu son petit succès en 1963, notamment par la version de Roberto Goyeneche avec l’accompagnement de Luis Stazo, Armando Cupo y Mario Monteleone.
On pourrait citer aussi celle de Maure, de la même année, ou celle de d’Arienzo avec Jorge Valdez. Mais si les valses sont passables en milonga, ce n’est pas le cas de ces chansons (même si certains arqueront que si…).

Amor que se abre en cruz al puñal de luz de todas las estrellas.

Mi vida fue una milonga (Así es la vida) 1943-02-10 (Milonga)

Orquesta Manuel Buzón con Osvaldo Moreno

Benjamín García (Benjamín Garcilazo) et Mario Soto Letra : Mario Soto

Mi vida fue una milonga

Manuel Buzón est un musicien un peu tombé dans l’oubli.
Il a débuté comme professeur de piano et de solfège et a travaillé à la station de radio LOY Radio Nacional Flores, comme secrétaire de la Direction artistique, pianiste, chanteur et directeur d’orchestre. Il interviendra dans différentes radios durant sa vie, notamment à Radio Paris…
Il a très peu enregistré avec son orchestre. Seulement une vingtaine de titres en 1942-1943 et les titres chantés sont tous avec Osvaldo Moreno.

Il a réalisé quelques enregistrements comme pianiste avec différents orchestres ou comme accompagnateur de chanteurs.
Pour son activité de compositeur, on pourrait mentionner que son tango “Después hablamos” a gagné le troisième prix en 1933 à un concours organisé par le journal “Critica” et qui a eu lieu au Luna Park, la célèbre salle événementielle de Buenos Aires.
Ce tango ne semble pas avoir été enregistré, mais on le connaît par sa partition.
Il ne faut en effet pas réduire le tango au seul patrimoine enregistré qui nous est parvenu. Les orchestres jouaient plusieurs fois par semaine, avec des variations et des titres qu’ils n’ont jamais enregistrés.
La composition la plus célèbre de Buzon reste sans doute la milonga Mano brava (paroles d’Enrique Cadícamo) qu’il a enregistrée avec Osvaldo Moreno le 11 février 1942, soit un an après Anibal Troilo et Francisco Fiorentino (1941-03-04).

Extrait musical

Mi vida fue una milonga (Así es la vida) 1943-02-10 – Manuel Buzón con Osvaldo Moreno

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Mi vida fue una milonga
Que bailé sin dar resuello,
Con lengue de seda al cuello
Y una flor en el ojal.
Humilde como el percal
Que usó la piba fabriquera,
Me pasé la vida entera,
En la calma callejera
Que respira mi arrabal.
Milonga mía, tus notas
Traen del ayer
Recuerdos de tantas cosas.
Nostalgia de las mujeres
Que más amé,
Y del calor de su boca.
Oigo tu compás y en el corazón
Reviven mis años mozos,
Cuando marcaba en el piso
De algún salón,
La flor de un corte compadrón.

Benjamín García (Benjamín Garcilazo) et Mario Soto Letra : Mario Soto

Autres enregistrements

Pas d’autres versions, dommage, car celle de Buzón est loin d’être géniale…
Sous le même titre secondaire, on trouve deux compositions. Une d’Edgardo Donato qui fut enregistrée le 30 avril1929 par Francisco Canaro et une autre de Menvielle enregistrée par Cayetano Puglisi le 26 septembre de la même année..

Mi vida fue una milonga.

Milonga sentimental 1933-02-09 (Canyengue – Milonga) – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Otros se quejan llorando, yo canto por no llorar. Tu amor se secó de golpe, nunca dijiste por qué. Yo me consuelo pensando que fue traición de mujer.

À noter que malgré son titre de “milonga” et que beaucoup de DJ propose ce titre comme une milonga, il s’agit plutôt d’un rythme de canyengue ou pour le moins d’un rythme batard entre le tango et la milonga que des orchestres comme celui de Miguel Villasboas adoreront utiliser plus tard.
Canaro le décrivait comme un milongon, une de ses inventions rythmiques qui n’ont pas eu de succès.

Extrait musical

Milonga sentimental 1933-02-09 – Francisco Canaro con Ernesto Famá y Ángel Ramos

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Milonga pa’ recordarte,
milonga sentimental.
Otros se quejan llorando,
yo canto por no llorar.
Tu amor se secó de golpe,
nunca dijiste por qué.
Yo me consuelo pensando
que fue traición de mujer.

Varón, pa’ quererte mucho,
varón, pa’ desearte el bien,
varón, pa’ olvidar agravios
porque ya te perdoné.
Tal vez no lo sepas nunca,
tal vez no lo puedas creer,
¡tal vez te provoque risa
verme tirao a tus pies!

Es fácil pegar un tajo
pa’ cobrar una traición,
o jugar en una daga
la suerte de una pasión.
Pero no es fácil cortarse
los tientos de un metejón,
cuando están bien amarrados
al palo del corazón.

Milonga que hizo tu ausencia.
Milonga de evocación.
Milonga para que nunca
la canten en tu balcón.
Pa’ que vuelvas con la noche
y te vayas con el sol.
Pa’ decirte que sí a veces
o pa’ gritarte que no.

Sebastián Piana Letra : Homero Manzi (Homero Nicolás Manzione Prestera)

Autres enregistrements

Je ne ferai pas la liste des enregistrements de Milonga sentimentale, il y a en a des dizaines. Certains, comme la version de Canaro, sont proches du canyengue et d’autres sont de véritables milongas, comme celle enregistrée par l’orchestre actuel, Hyperion.
Voici juste quelques perles :

  • 1932-10-04 Mercedes Simone
  • 1932-12-30 Adolfo Carabelli con Carlos Lafuente
  • 1933-01-23 Carlos Gardel accompagné à la guitare par Guillermo Barbieri, Domingo Riverol, Domingo Julio Vivas et Horacio Pettorossi. Pas pour la danse, mais des passages avec la voix de Gardel se retrouvent dans certaines versions de Otros Aires au vingt unième siècle…
Yo canto por no llorar / Je chante pour ne pas pleurer.

Serpentinas de esperanza 1946-02-08 (Tango) – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

José Canet Letra: Afner Gatti

Les serpentins de l’espérance raconte les espoirs d’un homme qui a des sentiments pour une femme lors d’un carnaval (février, c’est justement l’époque du carnaval). Il espère qu’une fois l’ivresse du carnaval disparu, le lien avec sa compagne ne s’évanouira pas.
D’Agostino et Vargas, tous les deux prénommés Ángel (ange), ont formé un couple artistique au point qu’ils ont été surnommés les petits anges (Angelitos).
En 5 ans, ils ont enregistré 93 tangos comme celui-ci (Tres esquinas, A las siete en el café, Ave de paso, Madreselva, Yo soy de Parque Patricios…).
Auparavant, D’Agostino a enregistré avec Raúl Aldao et par la suite avec un autre Raúl, Raúl Lavié, Tino García, Ricardo Ruiz, Roberto Alvar et Rubén Cané.
Mais la production idéale de d’Agostino est bien dans les années 40 et avec Vargas. On notera toutefois un “OVNI”, Cafe Dominguez (avec glosas de Julián Centeya), mais qui date de 1955 et qu’il est difficile d’apparier tant la production de d’Agostina est différente et moins intéressante à cette époque. Ce qui fait que beaucoup de DJ mettent après Café Dominguez des titres de la décennie précédente avec Vargas.

Extrait musical

Serpentinas de esperanza 1946-02-08 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

L’archive sonore présentée ici, l’est à titre d’exemple didactique. La qualité sonore est réduite à cause de la plateforme de diffusion qui n’accepte pas les fichiers que j’utilise en milonga et qui sont environ 50 fois plus gros et de bien meilleure qualité. Je pense toutefois que cet extrait vous permettra de découvrir le titre en attendant que vous le trouviez dans une qualité audiophile.

Paroles

Con su luz y piedras falsas, pasa, bella y sugestiva, la ilusión, enredando serpentinas de esperanza.

Esta noche bajo el arco de la vida,
va paseando su locura el carnaval,
suena el mundo la corneta de su risa
y se ha puesto una careta de bondad.
Ataviada con su luz y piedras falsas,
pasa, bella y sugestiva, la ilusión,
enredando serpentinas de esperanza
en la tierna mandolina de un pierrot.

Esta noche estás linda como nunca,
mi romántica princesa de papel
y en el brillo de tus ojos va la luna,
cuando pasas en tu raro carrousel.
Yo tenía el corazón un poco enfermo
pero ahora me ha vuelto a sonreír
y bailamos embriagados de contento,
bajo un traje alquilado de Arlequín.

Ya se va la caravana bullanguera
y me apena, saber que tú te vas
y si llevas la flor de mi Quimera,
yo me quedo con la rosa que me das.
Con mis versos tiraré papel picado,
porque se haga menos triste nuestro adiós,
porque aún el carnaval no ha terminado
y prosigue en las almas de los dos.

José Canet Letra: Afner Gatti

Autres versions

Ce titre a également été enregistré par Miguel Caló avec la voix de Carlos Dante (1935-04-05)

Ce soir sous l’arche de la vie, le carnaval vit sa folie, le monde sonne le clairon de son rire et a mis un masque de gentillesse. Habillé de ses pierres légères et fausses, l’illusion passe, belle et suggestive, des serpentins d’espoir enchevêtrés sur la tendre mandoline d’un Pierrot.

La vida es un tango 1939-02-08 (Film)

Réalisation Manuel Romero. Musique Alberto Soifer

Sabina Olmos et Hugo del Carril

La vida es un tango est un film argentin en noir et blanc de Manuel Romero. La musique est d’Alberto Soifer (compositeur de nombreux titres de la vieja guardia comme la merveilleuse valse Estrellita mía enregistrée, entre autre par Donato).

Il est sorti le 8 février 1939.

Les rôles sont tenus par Florencio Parravicini, Tito Lusiardo, Hugo del Carril et Sabina Olmos.

Le film d’un couple (Hugo del Carril et Sabina Olmos) autour du tango au début du vingtième siècle.
Consultez le site de la maison de production, Lumiton pour obtenir du matériel autour du film.
La vida es un tango (1939)

Quelles sont les dates de l’âge d’or en tango de danse ?

What are the dates of the golden age of dance tango?

Pour un DJ, l’âge d’or, c’est principalement l’époque ou le tango de danse était à la mode. Mais pour qu’un âge d’or arrive, il faut différents éléments précurseurs et pour qu’il se termine, il faut que l’élan s’épuise. Nous allons voir l’évolution de ce phénomène.

For a DJ, the golden age is mainly the time when dance tango was in fashion. But for a golden age to come, there must be different precursors, and for it to end, the momentum must be exhausted. We will see how this phenomenon evolves.

L’âge d’or du tango

Le prototango, le tango d’avant le tango

Dans l’article sur les styles du tango, vous trouverez des traces de l’histoire musicale, mais la musique n’est qu’un des aspects. Pour que l’âge d’or se manifeste, il faut également que la pratique de cette culture sorte des cercles restreints où elle est née.
L’Europe et particulièrement la France ont joué un rôle certain dans cette naissance. L’exposition universelle de 1900 a été l’occasion pour de nombreux Argentins argentés, de faire de Paris, leur point de chute, ou de plaisir.
Un certain nombre d’entre eux qui avaient goûté aux charmes du tango à la fin du 19e siècle l’ont encouragé à Paris. Un des exemples les plus connus est celui de Benino Macias, auquel on attribue le lancement de la furie du tango à Paris. Que ce soit cette histoire ou d’autres, il est certain que dès 1911, le tango était entré dans les mœurs à Paris. On pouvait le danser tous les jours dans plusieurs lieux, ce qui a attiré les orchestres argentins, même s’ils devaient se produire déguisés en gauchos, car les orchestres étrangers n’étaient autorisés qu’à la condition d’être «folkloriques». Le costume était réservé aux orchestres européens.

Prototango, the tango before the tango

In the article on tango styles, you will find traces of musical history, but music is only one aspect. In order for the golden age to manifest itself, the practice of this culture must also come out of the restricted circles in which it was born.

Europe and particularly France played a certain role in this birth. The Universal Exhibition of 1900 was an opportunity for many silver-loving Argentinians to make Paris their place of stay, or of pleasure. A number of them who had tasted the charms of tango at the end of the 19th century encouraged him in Paris. One of the best-known examples is that of Benino Macias, who is credited with launching the Tango Fury in Paris. Whether it is this story or others, it is certain that by 1911, tango had become part of the customs in Paris. It could be danced every day in several venues, which attracted Argentine orchestras, even if they had to perform disguised as gauchos, as foreign orchestras were only allowed on the condition that they were “folkloric”. The costume was reserved for European bands.

Pourquoi Pas, revue wallonne de Louis Dumont-Wilden, George Garnir et Léon Souguenet (les « trois moustiquaires ») du 4 octobre 1929.

La naissance du tango

Le chansonnier Fursv affirme, dans ses mémoires, avoir assisté, vers 1900, à la naissance du tango, l’Abbaye Albert », à Montmartre.
— Parmi les Argentins qui venaient là, conte-t-i1, il y avait un certain Benino Macias, formidablement riche, très nostalgique.
» Un soir, ayant payé l’orchestre pour le seconder dans son projet, il se mit à danser, pour la galerie, une sorte de pas lent, et traîné, coupé de repos rythmés, et accompagné par une mélodie en mineur, d’une infinie mélancolie.
~ Ce fut, sur le moment, de l’étonnement, mieux, de la stupeur.
» Mais on applaudit Benino Macias, qui dansait avec une certaine Loulou Christy, fort jolie.
» Huit jours après, il y avait vingt couples qui faisaient comme eux.» C’est ainsi que le tango a fait sa toute première apparition à Paris. »

Pourquoi Pas, revue wallonne de Louis Dumont-Wilden, George Garnir et Léon Souguenet (les « trois moustiquaires ») du 4 octobre 1929.

The birth of tango

In his memoirs, the chansonnier Fursv claims to have witnessed, around 1900, the birth of the tango, the “Abbaye Albert” in Montmartre.
“Among the Argentinians who came there,” he said, “was a certain Benino Macias, tremendously rich, very nostalgic.
One evening, having paid the orchestra to assist him in his project, he began to dance, for the gallery, a sort of slow, drawn-out step, interrupted by rhythmic rests, and accompanied by a melody in minor, of infinite melancholy.
~ It was, at the time, astonishment, or rather, amazement.
But we applaud Benino Macias, who danced with a certain Loulou Christy, who was very pretty.
Eight days later, there were twenty couples doing the same.This is how tango made its very first appearance in Paris. »

Pourquoi Pas, Walloon magazine by Louis Dumont-Wilden, George Garnir and Léon Souguenet (the “three mosquito nets”) of 4 October 1929.

Lorsque ces orchestres sont retournés en Argentine, auréolés de leurs succès européens, cela a aidé à sortir le tango de ses lieux mal famés en Argentine.
Dans l’article « Une enquête sur le tango », vous trouverez des éléments intéressants si vous vous intéressez à la question des débuts du tango en France. Vous pouvez aussi consulter le site milongaophelia, riche en documents iconographiques. 
Donc, pour la France, l’âge d’or se situe dans les années 1910-1935. Cependant, ce tango s’y est figé dans le temps et s’est abâtardi pour devenir le tango musette qui est une lointaine réminiscence du tango de style canyengue. Il convient donc de retraverser l’Atlantique pour découvrir le véritable âge d’or.

When these orchestras returned to Argentina, basking in the glory of their European successes, it helped to bring tango out of its disreputable places in Argentina.
In the article “A survey on tango ”, you will find interesting elements if you are interested in the question of the beginnings of tango in France. You can also consult the milongaophelia website, rich in iconographic documents. 
So, for France, the golden age is in the years 1910-1935. However, this tango has been frozen in time and has bastardized to become the tango musette which is a distant reminiscence of the tango of the Canyengue style. It is therefore appropriate to cross the Atlantic again to discover the true golden age.

Les premiers orchestres dorés

Pas de musique sans orchestre.
Le phénomène tango se développe donc à Buenos Aires et dans sa jumelle rioplatense.
De nombreux orchestres se créent, se renforcent et pour accompagner cette vague, les enregistrements se multiplient. Malheureusement, les techniques rudimentaires de l’époque obligent à jouer d’une façon martiale, de crier plus que de chanter et la musique qui en résulte a du mal à sortir du bruit du disque pour donner de l’émotion.
On peut considérer que ces premiers enregistrements ne rendent pas justice à ce que jouaient réellement les orchestres devant le public. On se reportera à l’article sur les progrès de l’enregistrement pour en savoir plus.
Ce n’est qu’en 1926 que la qualité des enregistrements rend enfin justice aux prestations des orchestres. Ce biais fait que l’on peut négliger le phénomène tango antérieur et que par conséquent, on peut « louper » la détection d’un âge d’or, faute d’enregistrements de qualité.
Cependant, lorsque la qualité devient satisfaisante, la musique est pour sa part assez différente de celle qui sera déployée dans les décennies suivantes. Des orchestres anciens, comme ceux de Carabelli, Fresedo, Canaro font de fort belles choses, mais l’arrivée d’une nouvelle vague va révolutionner la musique.
Les orchestres deviennent plus virtuoses à force de pratiquer tous les jours et de se concurrencer dans une vive émulation.

The First Golden Orchestras

There is no music without an orchestra. The tango phenomenon is therefore developing in Buenos Aires and its Rioplatensian twin.
Many orchestras were created, strengthened, and to accompany this wave, recordings multiplied. Unfortunately, the rudimentary techniques of the time forced you to play in a martial way, to shout more than to sing and the resulting music had difficulty getting out of the noise of the record to give emotion.
It can be argued that these early recordings do not do justice to what the orchestras actually played in front of the audience. Refer to  the article on the progress of registration for more information.
It was not until 1926 that the quality of the recordings finally did justice to the orchestras’ performances. This bias means that the previous tango phenomenon can be neglected and that consequently, the detection of a golden age can be “missed” due to a lack of quality recordings.
However, when the quality becomes satisfactory, the music is quite different from the one that will be deployed in the following decades. Old orchestras, such as those of Carabelli, Fresedo, Canaro did very beautiful things, but the arrival of a new wave revolutionized music. Orchestras become more virtuoso by dint of practicing every day and competing with each other in lively emulation.

El Mundo du dimanche 1er octobre de 1944.

Les quatre piliers

Le premier orchestre à décoller est sans conteste celui de Juan D’Arienzo, grâce à l’apport providentiel de Rodolfo Biagi (arrangeur et pianiste) à partir de décembre 1935. Le départ rapide de Biagi de l’orchestre en 1938 ne rompt pas le nouveau style de l’orchestre de D’Arienzo qui évoluera dans cette direction jusqu’à la mort de son directeur en 1976.

The Four Pillars

The first orchestra to take off was undoubtedly that of Juan D’Arienzo, thanks to the providential contribution of Rodolfo Biagi (arranger and pianist) from December 1935. Biagi’s rapid departure from the orchestra in 1938 did not break the new style of D’Arienzo’s orchestra, which would evolve in this direction until the death of its conductor in 1976.

Juan d’Arienzo – Gran Hotel Victoria (Hotel Victoria) 1935-07-02, avant Biagi.
Juan d’Arienzo – El flete 1936-04-03, après Biagi. On entend les ding ding du piano de Biagi.

Peu après, Carlos Di Sarli qui était à la tête d’un sexteto jusqu’au début des années 30 se lance avec un orchestre qui prend sa dimension dans les décades des années 40 et 50.

Shortly afterwards, Carlos Di Sarli, who was at the head of a sextet until the early 1930s, launched himself with an orchestra that took on its dimension in the 1940s and 1950s.

Carlos Di Sarli (Sexteto) – T.B.C. 1928-11-26
Carlos Di Sarli – El amanecer 1942-06-23
Carlos Di Sarli – El amanecer 1951-09-26 – La version de 1954-08-31 aurait également pu être prise comme example.

Troilo arrive au début des années 40, suivi de près par Pugliese.

L’âge d’or peut être défini comme la période d’activité maximale de ces quatre orchestres. Celle où l’on pouvait danser chaque semaine avec des orchestres époustouflants.

Troilo arrived in the early 1940s, closely followed by Pugliese.

The Golden Age can be defined as the period of maximum activity of these four orchestras. The one where you could dance every week with breathtaking orchestras.

La fin de l’âge d’or

The End of the Golden Age

Le rock et d’autres musiques vont changer les habitudes des danseurs et amorcer le déclin du tango.

Les années 40 voient les quatre piliers dans leur période de gloire. Dans les années 50, ils continuent leur évolution, mais en parallèle, l’arrivée de nouveaux goûts chez les danseurs, notamment le rock, fait que la pratique commence à baisser est que les orchestres se tournent vers des formes plus concertantes.
Troilo et Pugliese produisent dans leurs dernières années des titres novateurs et nostalgiques, à la recherche d’un second souffle, plus orienté vers le concert que la danse.
Carlos Di Sarli, peut-être plus dans l’air du temps qui demandait une musique plus romantique a continué dans son style jusqu’à la fin des années 50, sans sacrifier à la danse.
Quant à d’Arienzo, son style énergique en a fait une bête de scène qui lui permettait d’animer des concerts euphorisants jusqu’à sa mort en 1976. Ses musiciens (sous la direction de Carlos Lazzari, bandonéiste et arrangeur de D’Arienzo) puis de nombreux orchestres contemporains perpétuent ce style festif et énergique jusqu’à nos jours qui continuent d’enchanter les danseurs, comme les auditeurs.
Cependant, il est certain que le rock et d’autres modes ayant éloigné les danseurs du tango, il est difficile de faire continuer l’âge d’or après les années 50.

The 1940s saw the four pillars in their heyday. In the 1950s, they continued to evolve, but at the same time, the arrival of new tastes among dancers, especially rock, meant that the practice began to decline and that orchestras turned to more concertante forms.
In their last years, Troilo and Pugliese produced innovative and nostalgic tracks that were more oriented towards concert than dance in search of a second wind.
Carlos Di Sarli, perhaps more in tune with the times who demanded more romantic music, continued in his style until the end of the 50s, without sacrificing dance.
As for d’Arienzo, his energetic style made him a beast of the stage, allowing him to host euphoric concerts until his death in 1976. Its musicians (under the direction of Carlos Lazzari, D’Arienzo’s bandoneist and arranger) and many contemporary orchestras perpetuate this festive and energetic style to this day, which continues to enchant dancers and listeners alike. However, rock and other fashions have certainly kept dancers away from tango, making it difficult to continue the golden age after the 1950s.

Le lancement du disque, ou la seconde mort du tango de danse

The launch of the LP, or the second death of dance tango

Le disque LP et la stéréophonie ont changé la musique de tango.

Un autre phénomène se développe dans les années 50, le microsillon et en 1958, le son stéréo. Cette invention avec l’augmentation de la qualité de la musique, la plus grande durée de musique par disque (environ 8 fois plus par disque), fait que l’on peut posséder beaucoup plus de musique sans que cela devienne trop envahissant, d’autant plus que les disques microsillons sont plus légers et fins que les anciens 78 tours en shellac.
Le son stéréo a rapidement formé les oreilles des auditeurs, reléguant les anciens enregistrements au rayon des antiquités. Pour essayer de contrer ce mouvement et « moderniser » leur fond ancien, les éditeurs de musique ont réédité les tangos des années 30 et 40 en vinyle (microsillon) en rajoutant de la réverbération. Cela donne une impression d’espace et permet de faire du « stéréo like » à peu de frais. Aujourd’hui ces vinyles sont très mal vus, car la réverbération nuit au message sonore.

Another phenomenon developed in the 1950s, the LP, and in 1958, stereo sound. This invention with the increase in the quality of music, and the longer duration of music per record (about 8 times more per record), means that one can own much more music without it becoming too intrusive, especially since LP records are lighter and thinner than the old shellac 78s.
The stereo sound quickly trained listeners’ ears, relegating old recordings to the antique shelf. To try to counter this movement and “modernize” their old background, music publishers have reissued tangos from the 30s and 40s on vinyl (LP) by adding reverb. This gives the impression of space and allows you to “stereo like” at little cost. Today, these vinyls are very frowned upon, because the reverb detracts from the sound message.

La valse de Juan D’Arienzo – No llores madre de 1936-07-03 a été diffusée dans un premier temps sur disque shellac. Lors de la réédition en microsillon (LP), pour lui donner un air de “stéréo”, les ingénieurs du son ont rajouté de la réverbération, ce qui a pollué la musique originale.

Ces deux données expliquent aussi le déclin des orchestres de bal. En effet, il devenait possible de jouer de la musique de tango pendant une demi-heure, sans aucune manipulation et sans avoir à payer un orchestre.

These two factors also explain the decline of ballroom bands. Indeed, it became possible to play tango music for half an hour, without any manipulation and without having to pay for an orchestra.

Le petit âge d’or, le moyen âge d’or et le grand âge d’or

The Little Golden Age, the Golden Age and the Great Golden Age

L’âge d’or du tango. Illustration libre, ne pas y chercher une vérité historique… / The golden age of tango. Free illustration, do not look for historical truth…

Une définition très stricte de l’âge d’or est parfois donnée et qui est bornée par la période où les 4 piliers jouaient, donc de 1943 (arrivée sur le marché du disque de Pugliese), jusqu’à l’arrivée du microsillon, aux alentours de 1955.
Comme on aime bien arrondir, on définit cette période comme courant de 1940 à 1955.
Cependant, cela enlève les merveilleux enregistrements de D’Arienzo de la seconde moitié des années 30. Il est donc plus courant de définir un « moyen âge d’or » de 1935 à 1955. Les comptes sont ronds, vingt ans tout juste. En Europe, la nostalgie et la familiarité avec le tango musette et italien, font que la vieille garde est également appréciée. Cela permet d’inclure des orchestres qui ont beaucoup de succès dans les « encuentros milongueros », comme Canaro, Donato, Carabelli ou Fresedo. Toujours pour favoriser les comptes justes, on étend parfois l’âge d’or de 1930 à 1955.

A very strict definition of the golden age is sometimes given which is limited by the period when the 4 pillars were playing, i.e. from 1943 (arrival on the market of the Pugliese record), until the arrival of the LP, around 1955.
Since we like to round up, we define this period as current from 1940 to 1955.
However, this takes away from the wonderful D’Arienzo recordings from the second half of the 1930s. It is therefore more common to define a “golden middle” from 1935 to 1955. The accounts are round, just twenty years. In Europe, nostalgia and familiarity with musette and Italian tango mean that the old guard is also appreciated. This makes it possible to include orchestras that are very successful in the “encuentros milongueros”, such as Canaro, Donato, Carabelli, or Fresedo. Also in order to promote fair accounts, the golden age is sometimes extended from 1930 to 1955.

Le support de l’âge d’or

The support of the Golden Age

Un disque 78 tours en shellac. Ici, une valse de D’Arienzo, En tu corazón. / A 78 rpm shellac record. Here, a waltz from D’Arienzo, En tu corazón.

C’est le répertoire qu’utilisent les DJ les plus « traditionnels ».
Signalons que dans ce mouvement « traditionnel » certains DJ revendiquent la diffusion en milonga à partir de disques vinyle, un support anachronique. Mais les modes ont-elles à se justifier ? Quelques DJ utilisent des disques shellac par souci de vérité historique. Mais là, c’est jouer avec le patrimoine et cette pratique me semble non recommandable, car nuisible avec notre héritage, sans aucune valeur ajoutée en termes de musique. Les véritables collectionneurs respectent ces trésors et ne les exposent pas à la ruine.

This is the repertoire used by the most “traditional” DJs.
It should be noted that in this “traditional” movement, some DJs claim to broadcast in milonga from vinyl records, an anachronistic medium. But do fashions have to be justified? Some DJs use shellac records for the sake of historical truth. But in this case, it’s playing with heritage and this practice seems to me to be recommendable, because it is harmful to our heritage, without any added value in terms of music. True collectors respect these treasures and do not expose them to ruin.

Vers un nouvel âge d’or ?

Towards a new golden age?

Vers un nouvel âge d’or du tango ? / Towards a new golden age?

Le tango est né et est ressuscité à différentes reprises, sous des aspects légèrement différents à chaque fois.
Peut-être sommes-nous à l’aube d’un nouvel âge d’or du tango de danse ? Les avions n’ont jamais transporté autant de tangueros à Buenos Aires. En Europe, il n’y a pas une ville de quelque importance sans une communauté tanguera.
Cette communauté est internationale. Il est possible de danser avec des partenaires venus du monde entier et de s’entendre dès la première tanda commune. C’est un des miracles du tango. Cependant, ce patrimoine est fragile, comme les disques shellac. Il convient de le préserver et de ne pas le dénaturer en s’éloignant de ce qui fait la particularité de la danse.

Tango was born and resurrected on different occasions, in slightly different aspects each time.
Maybe we are at the dawn of a new golden age of dance tango? Planes have never carried so many tangueros to Buenos Aires. In Europe, there is not a city of any importance without a tanguera community.
This community is international. It is possible to dance with partners from all over the world and to hear each other from the first tanda together. This is one of the miracles of tango. However, this heritage is fragile, like shellac records. It should be preserved and not distorted by distancing oneself from what makes dance so special.

Épilogue

Epilogue

Difficile d’imaginer ce que sera le tango dans un siècle. Espérons qu’il sera dans un nouvel âge d’or. / It’s hard to imagine what tango will be like in a century. Hopefully it will be in a new golden age.

Un DJ actuel a le choix de quasiment un siècle de musique pour animer ses milongas. Il convient cependant qu’il ne sépare pas les danseurs de ce qui est le plus précieux, le tango de l’âge d’or. Il devra donc veiller à toujours donner à écouter et danser cette référence, les grands tangos de bals des années 35-55, ou 30-55, ou 40-55.
Charge aux danseurs et à leurs professeurs, de comprendre ce qui fait du tango une danse si particulière et pourquoi il est important de la relier à une musique parfaite pour lui. Pour terminer, je souhaite rappeler que le tango de danse n’est qu’une partie de la culture tango et que je n’ai parlé d’âge d’or que pour le DJ. Des amateurs de tango à écouter pourraient placer leur âge d’or dans les années Piazzolla. En effet, celui-ci crée son octeto en 1955 et ses propositions musicales débuteront le clivage entre tradition et modernité. On pourrait donc parler d’un âge d’or du tango d’écoute de 1955 à 1990…

A today DJ has the choice of almost a century of music to liven up his milongas. However, he should not separate the dancers from what is most precious, the tango of the golden age. He will therefore have to make sure that he always gives to listen to and dance to this reference, the great balls of the years 35-55, or 30-55, or 40-55.
It is up to the dancers and their teachers to understand what makes tango such a special dance and why it is important to connect it to music that is perfect for them. To conclude, I would like to remind you that dance tango is only one part of the tango culture and that I have only spoken of a golden age for the DJ. Tango lovers to listen to could place their golden age in the Piazzolla years. Indeed, he created his octeto in 1955 and his musical proposals began the divide between tradition and modernity. We could therefore speak of a golden age of listening tango from 1955 to 1990…

Tete Rusconi, cartas abiertas

Tete Rusconi

Tete Rusconi avait l’habitude de déposer des lettres ouvertes sur les tables des milongas pour exposer sa vision du tango.
J’avais traduit deux de ces textes que je reproduits ici :
– Une lettre ouverte de Tete aux danseurs et aux professeurs en 2006.
– « Les Dits de Tete » à l’occasion de sa mort en 2010.

Apprenons à danser le tango — Aprendamos a bailar el tango

En 2006, j’avais traduit cette lettre confiée par une amie, Régine C qui l’avait récupérée sur une table de Buenos Aires.
J’avais reproduit ce texte sur le site de Tango Passion, dont j’étais le créateur et le seul auteur à l’époque.

Lettre de Tete distribuée en 2006 à Buenos Aires. Merci à Régine C qui l’avait rapportée de Baires !
Apprenons à danser le tango
Aujourd’hui, 9 janvier 2006, avec toute l’affection et le respect que j’ai pour vous, j’aimerais vous demander quelque chose. Ce n’est pas un reproche, pour qui que ce soit. Ce que j’aimerais, c’est que les jeunes et tous ceux qui dansent le tango comprennent mon point de vue : Il n’est point besoin de travestir le tango, en aucune manière, car cette musique, si passionnée, nous donne vie, énergie, plaisir et ainsi nous nous sentons meilleurs. Depuis le temps que je vois des danseurs et des professeurs, je pense qu’il ne faut pas qu’il persiste avec autant d’erreurs dans l’enseignement et les démonstrations. Mon sentiment est que la musique est la base principale du Tango. Il faut ensuite apprendre à marcher avec elle, en conservant l’équilibre et le rythme (cadencia / cadence). Je ne peux pas affirmer que la technique n’existe pas quand on danse, mais je crois qu’il serait profitable que l’on enseigne à danser plus librement, pour soi-même… Là est le plaisir. Personne ne nous méjuge en nous regardant danser pour nous.
En cela, je dis que beaucoup travestissent le tango en ce qu’il n’est pas réellement. Il est avant tout musicalité et ne se préoccupe pas initialement des pas. Nous ne devons pas commettre l’erreur d’oublier d’enseigner comment marcher sur différents rythmes en harmonie avec chaque orchestre. Trop de personnes qui enseignent le tango devraient d’abord apprendre à le danser pour ensuite pouvoir enseigner en donnant tout de soi. Ainsi, ils ne tromperaient pas leurs élèves, ni ne nuiraient à leur réputation de professeur.
Le tango n’est pas un commerce, contrairement à ce qu’en font beaucoup. Le tango fait partie de notre vie, partie de nos ancêtres, pères, mères, frères et amis. Il est notre vie. Nous ne devons pas persister dans l’erreur. Il faut le reconquérir, lui que nous perdons, faute de le respecter.
Chers amis, danseuses, danseurs, l’enseignement du tango est un travail supplémentaire dans votre vie. Par respect pour vous-même, vous feriez mieux dans vos démonstrations de danser plus de tango et faire moins d’acrobaties, de ballet et de ces choses qui ne sont pas du tango. Je ne puis croire qu’avec les démonstrations vous entriez en compétition en sachant que chaque couple devrait créer son style. De plus, on ne devrait pas danser sur de la musique qui n’est pas du tango. Ainsi, on ne trompe personne, pas même soi. Voici un conseil pour la communauté tango d’Europe et du reste du Monde : Il me plairait que vous ouvriez les yeux sur la pédagogie de la danse, en particulier les organisateurs de stages et les professeurs. De tout mon cœur, j’aimerais qu’ils sachent que quand ils organisent quelque chose, ils se doivent d’inviter les meilleurs danseuses et professeurs pour pouvoir enseigner comme il se doit. Sans la musique, le rythme, la posture et l’équilibre, les pas ne servent à rien. Pour cela, il faut des danseurs et professeurs authentiques. Alors, enfin, du fond de mon cœur, avec un soupçon de tristesse, je voudrais que vous y pensiez. Si vous avez quelque chose à me dire, j’aimerais que vous le fassiez, à travers une revue ou ailleurs, où que ce soit. Si vous souhaitez vous plaindre, parlez-moi, je vais au bal, voyez-moi, parlez-moi, interrogez-moi. Je répondrai à tous, n’ayez crainte. Je ne laisserai personne sans réponse, mais s’il vous plait, changez de pratique, mettons en place un système où nous serions tous heureux, où nous pourrions danser le tango, où nous serions heureux en étant beaucoup plus nombreux, sans plus vendre de mensonge à qui que ce soit. Maintenant, j’envoie un baiser et un abrazo à vous tous en espérant que cette année qui commence sera la plus heureuse pour tous. Merci,
Tete
Traduction libre en 2006
(révisée en 2016)
par DJ Bernardo BYC,
avec un grand Merci à Françoise S.
Aprendamos a bailar el Tango
“Hoy 9 de enero del 2006 quisiera pasar a pedirles algo con el cariño y respeto que siento por todos ustedes. Esto no es un reproche para nadie, yo lo que quiero es que toda la juventud y todo aquel que baila tango entienda mi motivo: No hay que disfrazar al tango bajo ningún punto de vista, porque esta música tan apasionante nos da vida, energía, placer y así nos sentimos mejor. Después de muchos años de ver bailarines y maestros, pienso que no puede haber tantos errores en la enseñanza ni en las exhibiciones. Paso a contarles cuál es mi idea. Siempre supe que la música es la base principal del tango. También es aprender a caminar con ella, teniendo equilibrio y cadencia. No podría decirles que no hay una técnica cuando se baila, pero sí que sería mejor que se enseñara a bailar más libremente, para uno mismo… ahí está la diversión. Nadie nos compromete mirándonos, porque bailamos para nosotros. En esto que digo pienso que muchos están disfrazando al tango de algo que no es verdad, porque el tango es música y no se empieza por los pasos, ni tenemos que cometer el error de no enseñar cómo caminar diferentes compases musicales para reconocer cada orquesta. Mucha gente que está enseñando tendría que aprender primero a bailar tango, para poder enseñar dando todo de sí mismo, para no defraudar a sus alumnos ni dañar su imagen como profesor. El tango no es un negocio, aunque muchos lo vean así. El tango es parte de nuestra vida, parte de nuestros abuelos, padres, madres, hermanos y amigos. Es nuestra vida. No deberíamos equivocarnos tanto y tendríamos que volver a conquistarlo, ya que lo estamos perdiendo por no respetarlo. Queridos amigos, bailarinas y bailarines, como esto que hacen es un trabajo más en la vida de uno, por respeto a ustedes mismos, en sus exhibiciones sería bueno que bailaran más tango y menos acrobacia, ballet o cualquier cosa que no sea tango. No quiero creer que también con las exhibiciones compiten; sabemos que cada pareja debería crear su estilo, y además no se debería bailar música que no es tango. En eso no se mientan a ustedes mismos ni a la gente. Y para la comunidad tanguera de Europa y del resto del mundo les doy un consejo: me gustaría que abrieran los ojos acerca de cómo aprender a bailar, principalmente a los organizadores de stages y a los profesores, de todo corazón, quiero que sepan que, cuando se organiza algo, se trata de llevar los mejores bailarines y maestros, para poder enseñar como es debido. Sin la música, la cadencia, la postura, el equilibrio, de nada sirven los pasos y para eso necesitamos maestros y profesores auténticos. Así que bueno desde el fondo de mi corazón, con un poco de tristeza, me gustaría que ustedes lo piensen y, si hay algo para decirme, me gustaría que lo hicieran ya sea por medio de revista o por donde sea, si quieren quejarse háblenme, yo voy al baile; me ven, me dicen, me preguntan y yo contesto… les voy a contestar a todos, no tengan miedo, que no voy a dejar a nadie sin contestar, pero por favor cambien el sistema, pongan un sistema donde todos seamos alegres, donde podamos bailar el tango, donde seamos felices y donde podamos tener mucha más gente, sin venderle ninguna mentira más, yo desde ya les mando un beso y un abrazo a todos ustedes y espero que este año que ha empezado sea el más feliz para todos. Gracias,
Tete. 

Dits de Tete — Habla Tete

Dits de Tete
Pedro « Tete » Rusconi
Je dis la vérité. Ne travestissons pas le tango car sinon nous l’envoyons à sa ruine. Sans vouloir offenser qui que ce soit, j’aime le tango. Je ne critique personne mais ne déguisez pas le tango. Le tango se danse de mille façons, mais avant tout, on prend appui dans le sol, parce que dans le sol se trouve l’énergie et que c’est sur lui que l’on danse la musique. Ne perdons pas le plaisir et l’amour pour la danse s’encrant au sol. Les jeunes d’aujourd’hui dansent dans les airs : vous pouvez faire des choses très jolies, mais faîtes-les au sol, tout comme les grands maîtres. Le compas et la mélodie du tango sont très particuliers, c’est une souffrance de les perdre. Que ce soit sur ou au pied de la scène, toujours le danseur doit vivre la musique. S’il vous plaît réveillez-vous et comprenez ce qu’ils font avec la musique ou il viendra un temps où les Européens vont nous vendre le tango. Je parle du cœur, je suis un mec qui danse. J’ai donné des ateliers pour les enseignants à l’étranger, je pensais qu’ils n’allaient jamais surpasser nos danseurs… Là-bas, il y a des gens qui peuvent danser furieusement bien. Restons sur notre axe et n’allons pas en regardant le sol. Ne dansons pas pour le public, seulement pour nous. Quand on danse sur scène, il faut danser d’abord pour soi pour que ce soit plus lumineux. Ce n’est pas car je m’exhibe que je dois oublier qui je suis ou la musique. Le tango est une affaire à deux. Sans la femme, il n’y a pas de cavalier qui puisse danser. La femme, de son côté, peut mettre en valeur son partenaire quand elle le comprend vraiment. Même si l’enseignement du tango devient un travail, on ne peut pas enseigner un pas sans musique, On n’apprend pas un pas pour un pas. Sans musique, il y a ni danseur, ni tango, ni enseignant, ni élève. Le véritable maestro ne peut transmettre que ce que la musique lui a enseigné.
Traduction DJ Bernardo BYC 2010
Habla Tete
Pedro « Tete » Rusconi
Yo digo la verdad. No disfracemos el tango porque lo vamos a arruinar. Sin querer ofender a nadie, yo amo el tango. No castigo a nadie, pero no disfracemos el tango. El tango tiene mil formas de bailarse, pero primero pisemos el suelo porque en el piso está la energía y es donde bailamos la música. No perdamos el placer y el amor por bailar pisando el suelo. Los chicos de hoy andan por el aire: todos ustedes son capaces de hacer cosas muy lindas, háganlas en el piso, como los grandes Maestros lo hicieron. Los compases y la melodía del tango son muy especiales, es una lástima perderlos. Sea arriba o abajo del escenario siempre que el bailarín baile debe vivir esa música. Por favor despiértense y comprendan qué hacen con la música porque si no va a llegar un momento en que los europeos nos van a vender el tango a nosotros. Yo hablo de corazón, soy un tipo más que baila. Yo he dado talleres para maestros en el extranjero, pensé que no iban a superar a nuestros bailarines…Acá hay gente que puede bailar ferozmente. Parémonos en nuestro eje y no vayamos mirando el piso. No bailemos para el público sino para nosotros. Cuando se baila en el escenario hay que bailar primero para uno porque también luce mucho más. No por mostrarme me olvido de quién soy ni de la música. El tango es de a dos. Sin la mujer no hay bailarín que pueda bailar. La mujer también luce al bailarín cuando lo comprende. Aunque la enseñanza del tango sea un trabajo, no se enseña el paso sin la música; no se enseña el paso por el paso. Sin la música no hay bailarín, ni tango, ni maestro, ni alumno. Maestro es el que tiene una enseñanza para dar, es la que le dejó la música.

Qui était Tete Rusconi ?

Tete Rusconi était un danseur portègne, apprécié dans les milongas. Il avait développé un style personnel, notamment pour les valses et avait un sens aigu de la musique.

Article de Silvina Damiani sur Tete Rusconi dans l’excellent site Todotango.com (Espagnol ou anglais).

Une vidéo de 2000 (environ), prise à Marseille au théâtre Bompard. .Organisateur Michel Raous.
Teté Rusconi, le danseur qui s’est envolé sur les pistes pour danser la valse. Chaîne Youtube du Canal de la Ciudad

Principe de la restauration de la musique de tango de l’âge d’or

La restauration et la sauvegarde de la musique historique est un devoir.

Lorsque l’on est DJ de tango, on a en général à cœur d’utiliser la meilleure qualité de musique possible. Cependant, cela ne suffit pas à la réussite d’une prestation de DJ. Il vaut mieux une excellente animation avec de la musique de qualité moyenne, qu’une diffusion maladroite de morceaux « parfaits ».

Ces conseils sont donc pour ceux qui veulent, comme moi, essayer d’avoir la meilleure musique au meilleur moment dans les milongas.

Utiliser un original de la meilleure qualité possible

Les supports à utiliser sont dans cet ordre de la meilleure qualité à la pire. En rouge, ce qui est déjà numérisé.

  1. Matrice originale (il en reste très peu). C’est ce qui sert à presser les disques, c’est une forme d’original.
  2. Bande magnétique originale d’époque (si elle est de bonne qualité).
  3. Disque d’époque (78 tours en shellac). Malheureusement, beaucoup sont en mauvais état et les DJ qui passent ces disques en milonga détruisent un patrimoine.
  4. CD ou FLAC d’après un disque d’époque (shellac) — ATTENTION, toutes les éditions ne se valent pas. Ces dernières années, plusieurs éditeurs se sont lancés dans ce marché avec des fortunes variées. C’est une façon économique de se constituer une base musicale.
  5. Disque vinyle, 33 ou 45 tours (si l’enregistrement n’a pas de réverbération ajoutée, car c’est presque impossible à supprimer de façon correcte).
  6. CD ou FLAC d’après une copie d’un vinyle (33 tours)
  7. Cassette ou cartouche audio depuis un disque d’époque
  8. Service de musique en ligne, type Spotify. C’est en général une très mauvaise source, car les musiques sont mal étiquetées. En revanche, ça peut servir pour trouver le meilleur disque à acheter.
  9. Musique numérique en MP3
  10. Tomas radiales (enregistré depuis la radio ou la télévision). Elles sont rarement exploitables en milonga, car de qualité généralement médiocre, mais ce sont souvent des documents intéressants d’un point de vue historique. Ces documents sont en général sur bandes, mais on en trouve des copies numériques.

Précaution pour utiliser la copie avant traitement

Copie de disque

  1. Nettoyer la matrice ou le disque. C’est extrêmement important et souvent négligé par ceux qui numérisent des disques. Il ne suffit pas de passer un coup de brosse antistatique…
    Voir cet article pour un nettoyage efficace et non destructif du disque original. XXXX
  2. Utiliser un diamant adapté et une pression de bras adaptée au disque utilisé. Pour ne pas endommager le disque, le diamant doit être en excellent état.
  3. Réglez la vitesse de la platine avec son stroboscope. Cependant, certaines marques n’étaient pas tout à fait à la bonne vitesse, notamment pour les disques les plus anciens. Si la tonalité exacte du morceau vous intéresse, il vous faudra la chercher en variant la vitesse, ou procéder à un traitement ultérieur après numérisation. Pour un DJ, cela a peu d’importance, il est possible de modifier ces paramètres à la volée lors de la diffusion et aucun danseur ne va remarquer même un demi-ton d’écart.
  4. Réglez de façon optimale la courbe d’égalisation. Pour la plupart des disques Odeon et les vinyles après 1955, c’est la courbe RIAA. Pour des disques plus anciens, il vous faudra creuser en fonction de la marque et de la date.
  5. Numériser dans un format non destructif (Lossless), en 44 kHz ou 48 kHz. Il est inutile d’utiliser un taux d’échantillonnage supérieur, car les disques ne transmettent pas de fréquences supérieures à 20 000 Hz. Pour ma part, j’enregistre en stéréo, même si le disque est mono. Cela permet d’avoir le choix entre deux versions très légèrement différentes. C’est utile pour le traitement des scratchs ou de certains défauts du signal.
  6. Enregistrer le bruit du disque ou du support magnétique avant la musique et après la musique).
  7. Ranger précieusement le disque et ne plus y toucher (le stocker verticalement et légèrement pressé à l’abri de l’humidité excessive et de la forte chaleur).

Voir l’article sur le nettoyage des disques Shellac 78 tours.

Exemple de courbe de pré-égalisation (RIAA)

En bleu, lors de l’enregistrement, les basses sont diminuées, pour éviter que le stylet ne fasse de trop grosses vibrations et les aigus sont augmentés pour marquer plus les sillons afin que les mouvements soient plus faciles à provoquer lors de la lecture. En rouge, les réglages opposés diminuent les aigus et renforcent les graves qui avaient été fortement atténués lors de l’enregistrement. Sans la restitution de la courbe d’origine, les aigus seraient criards et les basses absentes.

Exemple de tables de correction

Jusqu’en 1955, chaque compagnie utilisait ses propres réglages. Cela conduit, si on ne respecte pas le rétablissement de la pré-égalisation à des sons infidèles. Une bonne restitution d’un disque ancien commence par la recherche des paramètres utilisés par le fabricant pour rétablir le son d’origine.

Extrait minimal de tableaux de caractéristiques des réglages d’enregistrement de différentes firmes.

Copie de support analogique (cassette ou bande)

Les bandes magnétiques ont plusieurs défauts. Il peut y avoir une duplication de la spire antérieure, qui fait que l’on a une musique « fantôme », car la magnétisation d’une spire a « bavé » sur une autre. C’est surtout audible avant un fortissimo, on l’entend quelques instants avant, de façon réduite.

Si les bandes ou cassettes ont été mal conservées, le support et/ou le liant qui maintient les oxydes métalliques se délitent, ce qui provoque des défauts dans le magnétisme de la bande aux endroits considérés et donc un son défectueux.

Si la bande est en bon état, il faut aussi veiller à ce que le magnétophone le soit également.

Préparation du magnétophone

Pour les cassettes, en général un bon magnétophone est suffisant et ne demande pas de réglage particulier.

Il est cependant recommandé d’utiliser un démagnétiseur de têtes de lecture pour enlever une magnétisation résiduelle qui pourrait donner du souffle et/ou endommager le signal magnétique de la bande magnétique.

J’ai ce magnétiseur depuis plus de quarante ans. Il est toujours en vente. Je l’utilisais surtout pour les magnétophones à bande, mais il est utilisable pour les appareils à cassettes.

Pour utiliser un démagnétiseur, c’est assez simple, mais il faut bien suivre la procédure.

  1. Débrancher le magnétophone (s’il est à pile, enlever les piles).
  2. Brancher le magnétiseur, mais laisser le bouton en position OFF.
  3. Approcher le démagnétiseur aussi près que possible de la tête de lecture.
  4. Glisser le bouton en position ON.
  5. Effectuer des petits cercles autour de la tête de lecture, aussi près que possible, mais sans toucher la tête de lecture. Pour un magnétophone à bande, il y a plusieurs têtes…
  6. Éloigner lentement le démagnétiseur, le plus loin possible, SANS l’ÉTEINDRE.
  7. Une fois qu’il est le plus loin possible (le câble d’alimentation est un peu court, prévoir de l’organiser de façon à pouvoir éloigner le démagnétiseur des têtes facilement), mettre le bouton curseur sur OFF.

C’est tout pour la démagnétisation. Il reste une autre étape pour nettoyer le magnétophone, nettoyer les têtes. Pour cela, utilisez un Coton-Tige imbibé d’alcool (isopropylique ou à défaut 90°). Si cela fait un moment que vous ne l’avez pas fait, vous retirerez un dépôt brun ou noirâtre. Ce sont des particules arrachées aux bandes et/ou de la saleté 😉

Attention à ne pas faire couler d’alcool dans le magnétophone ou ailleurs que sur le coton tige humide.

Pour les lecteurs de cassettes, il existe des cassettes de nettoyage.

  • Humidifier la bande à travers de la fenêtre (elle ne comporte pas de vitre, contrairement aux cassettes normales). Faire défiler la bande. Certaines cassettes contiennent une zone plus abrasive pour nettoyer. Ne pas en abuser.
  • Ces cassettes sont désormais assez chères (il faut les changer tous les quatre ou cinq utilisations). Si les têtes de lecture sont accessibles, il est plus économique d’utiliser des Cotons-Tiges et la procédure pour les magnétophones à bande. Lorsque les têtes sont sèches, vous pouvez utiliser le magnétophone (c’est instantané si vous avez utilisé de l’alcool isopropylique).

La vitesse et l’enroulement des bandes magnétiques

Contrairement aux cassettes qui sont relativement standardisées, les magnétophones à bande utilisent des vitesses différentes et même des types d’enroulement différent.

Il faut donc un magnétophone disposant des mêmes vitesses que l’appareil d’origine. Tous les magnétophones actuels n’ont pas ces vitesses. On pourra copier ces bandes, mais il faudra restituer la vitesse originale sur le signal numérisé.

Sur les matériels anciens, la bande était parfois enroulée avec l’oxyde magnétique à l’extérieur de la bande. Sur d’autres matériels et sur les plus récents, l’oxyde est sur la partie intérieure de l’enroulement. Il peut donc être compliqué de lire une bande ancienne sur un appareil plus moderne.

Une autre difficulté est l’utilisation d’alignements différents des têtes de lecture. Les bandes anciennes étaient normalement mono. Elles étaient enregistrées dans la partie inférieure de la bande, puis retournées pour lire l’autre côté. Il y a donc deux pistes, une dans chaque sens. Sur un matériel stéréo, il y a deux pistes. La lecture avec une tête mono fait qu’on lit également l’espace entre deux pistes, c’est-à-dire que l’on a un signal moins bon.

Avec un magnétophone stéréo, on peut lire une piste mono à condition que les têtes soient en face de la piste. Au pire, on utilise qu’une seule des pistes.

Si le magnétophone disposait de plus que deux pistes dans chaque sens, il faut un magnétophone multipiste, ce qui est un matériel professionnel. Dans ce cas, les pistes sont toutes dans le même sens. La bande ne se retourne pas quand on arrive au bout.

Un autre piège, ce sont les réglages du magnétophone en fonction du type de bande. Si on dispose des boîtes originales des bandes, on trouve les indications. Sinon, il faut y aller par tâtonnement.

Un tout dernier point, certains magnétophones utilisaient un système de réduction de bruit, type Dolby. Il faut donc en tenir compte et utiliser le décodeur adéquat. Avec les cassettes, c’est assez simple, avec les magnétophones à bande, il faudra peut-être acquérir un décodeur séparé.

Il a existé aussi des cartouches, sortes de grosses cassettes. Pour ces bandes, la difficulté sera de trouver un lecteur en bon état de marche.

En gros, récupéré des bandes anciennes, c’est compliqué, sauf pour les cassettes.

Utilisation d’une copie déjà numérique

Vous avez acheté une copie numérique, ou vous avez procédé vous-même à l’enregistrement. Si la musique est parfaite, n’y touchés pas. Mais c’est rarement le cas.

Il ne faut pas oublier que vous allez créer des tandas et que ces dernières doivent être homogènes. Pas question d’avoir un titre criard, suivi d’un titre sourd, puis un titre très fort et à la limite de la distorsion et terminer sur un titre presque inaudible.

Un autre point consiste à normaliser les débuts et les fins de morceaux. Pour ma part, j’ai 0,7 seconde au début de tous mes morceaux et 3 secondes à la fin de tous mes morceaux. Cela évite que deux morceaux se choquent, ou qu’il faille attendre 10 secondes entre deux titres.

Ordre des opérations pour le traitement des musiques numériques

  1. Faire une sauvegarde du support numérique pour revenir à l’état initial en cas d’erreur.
  2. Sélectionner une partie sans musique et avec le bruit de fond du disque. S’il y a des scratchs, les nettoyer auparavant, un par un, ou mieux, sélectionner une zone entre deux scratchs.
  3. Faire une empreinte du bruit de fond, de préférence à la fin du disque et la soustraire de l’enregistrement. ATTENTION à ne pas soustraire uniformément, mais seulement dans les fréquences du bruit afin de ne pas toucher la musique (on peut activer 100 % pour les fréquences très basses ou très hautes et doser les autres fréquences en fonction de la musique). Cela demande un logiciel évolué, pas du type Audacity qui applique l’empreinte de façon égale sur toutes les fréquences). Il y a d’autres options à prendre en compte, ce tutoriel est simplifié…
  4. Faire la même chose avec une empreinte au début du disque. Cependant, attention à bien choisir le lieu, car souvent le début du disque est abîmé par l’impact de la pointe de lecture lors des écoutes. L’empreinte ne sera pas représentative de l’état du disque sur son intégralité. Si le début du disque n’est pas abîmé (ou si l’original était une matrice). Si la copie numérique ne comporte pas des bouts d’amorce au début ou à la fin, essayer d’utiliser un moment de silence. Attention à ne pas prendre une partie avec un peu de son. Si c’est impossible, mettre à zéro la déduction d’empreinte sur les fréquences de la musique présente dans cette sélection.
  5. Nettoyer les scratchs sur la musique. C’est un travail de patience. Sélectionner le scratch et appliquer l’outil de correction sur les quelques millisecondes nécessaires. Il existe des plugins de suppression automatique de scratchs, mais ils sont souvent néfastes au message sonore. Il convient donc de ne pas en abuser.
    Ne pas utiliser la suppression de fréquence pour limiter le bruit (méthode la plus courante), car cela se fait également au détriment de la musique). C’est en revanche la seule méthode possible lors de la diffusion en direct, par exemple si le morceau « original » fourni pour une démo est vraiment trop bruité.
  6. Revoir l’équilibre sonore du morceau. Cela consiste à restituer la vitesse initiale (au cas où l’original serait un disque 33 tours ou une copie numérique d’origine douteuse). On peut aussi jouer sur les fréquences pour réharmoniser le morceau. Ce travail se fait de préférence au casque. On vérifie que les instruments se distinguent bien. Je conseille de vérifier le résultat également sur une sono… Plus le morceau sera propre et bien équilibré et le moins il y aura besoin d’intervenir en milonga pour adapter le volume et les fréquences.
  7. Enregistrer le résultat dans un format numérique sans perte (Lossless).
  8. Éventuellement, faire une copie pour l’utilisation en milonga, au minimum MP3 à 320 kb/s si on n’a pas la place de conserver l’original en HD. Pour ma part, je diffuse de l’ALAC, Lossless, mais chaque fichier fait au moins 30 Mo…

Exemple de morceau avec restauration :

Cet extrait est tiré de « Violines gitanos » Musique : Enrique Maciel Orchestra Roberto Firpo Enregistrement Odeon 8949 5611, enregistré à Buenos Aires le 21 mai 1930. On peut entendre l’enregistrement depuis le disque 78 tours original, avant et après retouche des scratchs. https://youtu.be/ZZWpox_lGbg

Ce qu’il ne faudrait pas faire

Acheter de la musique dite « Remasterized ».

C’est dans presque tous les cas très, très médiocre, y compris dans les CD du commerce. Ces morceaux donnent l’impression que la musique est jouée dans une salle de bain. Les sons sont étouffés. En un mot, c’est moche à écouter.

Cet extrait est tiré de « Violines gitanos » Musique : Enrique Maciel Orchestra Roberto Firpo Enregistrement Odeon 8949 5611, enregistré à Buenos Aires le 21 mai 1930. On peut entendre l’enregistrement depuis le disque 78 tours original, avant et après retouche des scratchs.

Mais c’est aussi moche à voir…

À gauche, le morceau brut. Il y a des détails fins (qui peuvent être des bruits de disque, mais on voit que les fréquences sont représentées. À droite, le traitement « Remasterized » qui est tant à la mode maintenant et que l’on a pu écouter dans l’extrait ci-dessus. On dirait que la musique est érodée, comme de la neige qui aurait fondu. Les cristaux de la musique sont désormais de la soupe.

Espérer qu’un morceau en MP3 va donner un excellent FLAC.

Si je conseille d’enregistrer tout ce qu’on modifie dans un format Lossless, c’est juste pour ne pas perdre en qualité à chaque enregistrement. Le morceau passé de MP3 à FLAC ne sera pas meilleur… C’est juste qu’il ne se dégradera pas si on l’enregistre plusieurs fois.

Conclusion

Avoir la meilleure musique est un respect pour les danseurs et contrairement à ce que certains disent, ils s’en rendent compte, même de façon inconsciente.

Les sonorisateurs s’en rendent également compte et cela permet d’instaurer une relation de confiance avec eux et ainsi, ils donnent un peu plus de liberté au DJ pour intervenir sur la sonorisation. Ils apprécient d’avoir une prestation de niveau sonore toujours adapté et de ne pas avoir à revoir sans cesse le volume, voire l’égalisation quand le DJ a des musiques d’origines différentes et incompatibles.

Le nettoyage des disques Shellac 78 tours

Les disques Shellac (gomme-laque), sont les disques 78 tours. Ceux qui ont accueilli la musique de l’âge d’or du tango. Ce sont des témoins précieux qu’il convient de préserver.

Sur la diffusion de disques historiques en milonga

Certains DJ ont choisi de passer des disques 78 tours en milonga, ce qui est une pratique que je ne cautionne pas, car elle est dangereuse pour les disques et n’apporte absolument rien à la qualité sonore de la prestation.
Elle est dangereuse, car les disques se cassent facilement et le passage répété de la pointe de lecture abîme le sillon et donc dégrade le signal sonore.
De plus, l’usage de disques hétérogènes et avec un choix réduit (on ne peut pas transporter 600 disques à une milonga) limite les possibilités d’animation de la milonga.
Sans une pointe de snobisme de la part des danseurs, cette pratique n’existerait pas.

Je ne parle pas des DJ qui passent des vinyles, ces supports ont peu d’intérêt en ce qui concerne la musique de l’âge d’or, car ce sont des copies de copies et qu’il existe des enregistrements de bien meilleure qualité réalisés à partir des originaux.
Là, au snobisme, se rajoute la diffusion d’une musique de qualité médiocre, souvent noyée dans de la réverbération outrée.

Prendre soin de ses disques

Le premier soin est de ne pas utiliser inutilement le disque. Il convient d’en faire une copie de sauvegarde, celle qui gardera l’état optimal de la copie à disposition.
On gardera le disque pour un usage ultérieur, par exemple si la technique de numérisation a progressé, mais en dehors de cela, on le laissera tranquille.
Je partage ici quelques conseils pour vous permettre de tirer le meilleur parti de ces disques, si vous avez la chance d’en trouver en bon état. Cependant, cela devient de plus en plus difficile.

Rien n’est éternel, les disques 78 tours non plus

Les disques 78 tous en gomme laque sont fragiles. Ils se cassent facilement en tombant. Il convient donc de les manipuler avec soin.
La matière, elle-même peut se dégrader au contact de l’air, de l’humidité, de solvants, par usure, abrasion ou en se couvrant de poussière ou autres matières.
Un autre ennemi pernicieux est le scotch que l’on utilise parfois pour réparer les pochettes.
Il y a aussi les éventuels débris alimentaires et autres déchets organiques, les moisissures.

Bien conserver les disques

L’idéal serait de placer les disques dans des pochettes non acides en polypropylène sans acide ou en papier Perma/Dur, sans acide, sans lignine et avec réserve alcaline (pour lutter contre l’acidité présente).
En effet, l’acidité du papier original fait que les pochettes peuvent endommager la surface du disque et donc le son qu’il porte.
Des pochettes sans acides sont donc essentielles. Les pochettes originales sont par ailleurs souvent dégradées, cassantes et les conserver n’est pas aussi indispensable dans la mesure où la majorité est sans aucune indication, les informations étant sur l’étiquette du disque, visible par le trou central de la pochette. Celles qui sont décorées ont un intérêt, mais elles sont les mêmes pour tous les disques d’une même époque et du même éditeur. On peut donc conserver celles dans le meilleur état, séparément ou les conserver pour si on souhaite revendre un jour sa collection.
Il existe également des albums ou des boîtes permettant de ranger quelques dizaines de disques. C’est une bonne solution pour l’archivage.

Pochettes et boîtes d’archivages non acides et avec réserve alcaline. L’idéal pour préserver les disques historiques.

Les disques se rangent de toute façon de façon verticale. Légèrement serrés, mais pas compressés.
L’humidité doit être modérée (inférieure à 50 %), la lumière doit être atténuée et le lieu suffisamment ventilé. En fait, ce sont les conditions de conservation idéale de beaucoup de choses…
Faites attention au mobilier qui contient les disques. Ce serait dommage de leur offrir des pochettes spéciales et de les mettre dans une armoire dégageant du formaldéhyde à grosses doses.

Procédure de numérisation des disques Shellac

Avant de ranger les disques dans les nouvelles pochettes, il convient de les nettoyer.
Je conseille donc d’opérer de la façon suivante :

  1. Identification et saisie du disque dans la base de données
  2. Photographie recto verso de l’étiquette
  3. Nettoyage du disque (voir ci-dessous)
  4. Numérisation du disque Format sans perte (WAV, AIFF, FLAC ou ALAC) 44 ou 48kHz 32 bits. Des valeurs supérieures n’ont aucun intérêt car il n’y a pas de signal supérieur à 20 kHz (voire 15kHz) sur les disques de pâte.
  5. Rangement du disque dans les pochettes et boîtes
  6. Complément de la base de données (référence de la boîte).
  7. Édition des tags de l’enregistrement numérique

Nettoyer le disque

L’étape 3 du processus annoncé ci-dessus consiste à mettre le disque en condition pour sa numérisation et son archivage ultérieur.

Examen du disque à nettoyer

La première chose à faire est de vérifier que le disque n’est pas fendu et qu’il n’y a pas des endroits où la gomme-laque s’est dégradée. Si c’est le cas, il va falloir être très précautionneux. Pour ma part, il m’est arrivé de sacrifier une des faces du disque pour sauver l’autre face. Par exemple, si le disque est cassé et que les sillons d’un des côtés sont trop endommagés.
J’utilise la face sacrifiée pour renforcer le disque, afin que le sillon de la face choisie soit parfaitement continu et que le disque soit aussi plat que possible. L’armature créée pour renforcer le disque est idéalement démontable, mais ce n’est pas toujours le cas. J’ai ainsi pu numériser des disques qui étaient en plusieurs morceaux.

Mais revenons au processus le plus courant.

  1. Identifier la matière du disque. Si on a déjà restauré des disques de la même époque et du même éditeur, les procédés précédemment utilisés devraient être efficaces.
  2. Dépoussiérer le disque avec un aspirateur muni d’une brosse adaptée (poils antistatiques, idéalement en fibre de carbone). Évidemment, ne pas utiliser cette brosse pour d’autres usages. Attention, ne surtout pas frotter. Si vous touchez la surface, faites-le dans le sens des sillons.
Pour aspirer la poussière d’un disque, on peut utiliser un aspirateur avec une brosse adaptée (poils en fibre de carbone, par exemple).
  1. Vérifier que la surface du disque est en bon état.
  2. Si après aspiration et nettoyage, le disque semble propre, essayer de l’écouter.
  3. Réglez l’égalisation dans votre système si vous avez d’autres courbes disponibles que la RIAA sur votre préampli phono. Si ce n’est pas le cas, vous gérerez cela sur le fichier numérisé.
  4. Vérifier la propreté du diamant (utiliser une brosse adaptée).
  5. Placer le disque sur la platine
  6. Donner un coup de brosse antistatique en faisant tourner le disque
La brosse avec des poils en fibre de carbone permet d’enlever la poussière. L’idéal est de faire tourner le disque en maintenant la brosse en appui très léger sur le disque.
  1. Essayez de faire une première copie du disque.
  2. Si la copie est bonne et ne semble pas devoir être améliorée, c’est terminé.
  3. Si vous pensez qu’il va falloir pousser le nettoyage, gardez la copie en sécurité et passez aux étapes de nettoyage, suivantes.
  4. Placez le disque sur une vieille platine qui ne sert pas à la reproduction des disques et qui ne craint pas des accidents éventuels avec les liquides.
  5. Procédez au nettoyage humide du disque Shellac.
    Le nettoyage humide est très efficace, mais il y a deux points très importants à prendre en compte :
  • Il ne faut surtout pas utiliser d’alcool qui dégrade la laque et donc choisir un liquide adapté.
    • Il ne faut pas mouiller l’étiquette.

Il existe dans le commerce des liquides pour le nettoyage des disques. Le plus inoffensif est l’eau distillée. Bien sûr, on ne plonge pas le disque directement dans le liquide, mais on dépose un film uniforme sur la surface du disque en évitant de mouiller l’étiquette. À l’aide d’une brosse ou tampon en microfibre, on répartit le liquide sur le disque en faisant tourner la platine à la main en prenant garde de ne pas sortir de la direction du sillon avec la brosse.
Lorsque toute la surface est recouverte d’un fin film de liquide, mettez la platine en rotation (16 ou 33 tours/minute) en appliquant légèrement la brosse en microfibre.
La brosse crée un petit bourrelet en amont de son passage, ce qui aide à déloger la saleté.
Si l’eau distillée ne vient pas à bout des résidus sur le disque, utilisez un produit adapté. Par exemple : Clearaudio Pure Groove Shellac.

Vérifiez que le produit porte bien la mention Shellac, car la plupart des magasins vendent du produit pour vinyle qui contient de l’alcool et qui détruirait votre disque 78 tours.
En revanche, le produit spécial pour Shellac peut être utilisé sans inconvénient pour les disques vinyle.

Le produit s’applique comme décrit pour l’eau distillée.

Solution pour disque Shellac (vérifier la mention sur la bouteille) et une brosse avec tampons en microfibre).
  1. Le séchage du disque est une étape importante. Pas question de le laisser humide plus longtemps que nécessaire.
    Utilisez un chiffon non pelucheux et, là encore, toujours agir dans le sens du sillon. Le but est d’enlever le plus possible de produit de nettoyage.
  2. Rincez le disque à l’eau distillée propre. Il faut donc la changer très souvent (ne pas traiter 50 disques avec la même eau).
    Si vous disposez d’une cuve à ultrason assez profonde, vous pouvez positionner le disque de façon qu’il trempe dans la cuve en mettant un axe en travers de la cuve.
    Mettez les ultrasons en fonctionnement et faites tourner très lentement le disque.
    Attention à ce que l’eau distillée ne coule pas sur l’étiquette (essuyez le disque au fur et à mesure) qu’il sort de l’eau distillée).
Le disque est plongé dans la cuve à ultrason, mais attention, l’étiquette ne doit pas être immergée. Il convient donc de ne pas trop pousser la puissance des ultrasons pour éviter les éclaboussures. Comme les cuves sont très grandes, il faut de grosses quantités d’eau distillée. Ce n’est pas réellement un inconvénient, cela permet d’espacer les remplacements de l’eau.
  1. Essuyez le disque à l’aide de chiffons non pelucheux (différents de celui utilisé pour éponger le liquide de nettoyage…). Veillez à ne pas mouiller l’étiquette dans la manipulation.
  2. Laisser le disque terminer de sécher en le positionnant verticalement. (veiller à ce que les supports ne touchent que les bords du disque et l’étiquette).
  3. Si vous avez un aspirateur avec une brosse en fibre de carbone dédiée à cet usage, vous pouvez accélérer le séchage en passant la brosse dans le sens du sillon.
  4. Lorsque le disque est parfaitement sec, vous pouvez reprendre la numérisation du disque après avoir vérifié que la pointe de lecture était propre. Vous devez bien sûr utiliser une autre platine que celle utilisée pour le nettoyage…

Voilà, votre précieux disque est désormais sauvegardé. Il peut attendre sagement dans sa pochette et son boitier sécurisés que vous en ayez besoin. Mais en attendant, utilisez la merveilleuse copie numérique que vous avez réalisée.

La restauration et la sauvegarde de la musique historique est un devoir.