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Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Recuerdo serait le premier tango Ă©crit par Osvaldo Pugliese. Ayant Ă©tĂ© Ă©ditĂ© en 1924, cela voudrait dire qu’il l’aurait Ă©crit avant l’ñge de 19 ans. Rien d’étonnant de la part d’un gĂ©nie, mais ce qui est Ă©tonnant, c’est le titre, Recuerdo (souvenir), semble plus le titre d’une personne d’ñge mĂ»r que d’un tout jeune homme, surtout pour une premiĂšre Ɠuvre. Essayons d’y voir plus clair en regroupant nos souvenirs


La famille Pugliese, une famille de musiciens

Osvaldo est nĂ© en 1905, le 2 dĂ©cembre. Bien que d’une famille modeste, son pĂšre lui offre un violon Ă  l’ñge de neuf ans, mais Osvaldo prĂ©fĂ©ra le piano.
Je vais vous prĂ©senter sa famille, tout d’abord avec un arbre gĂ©nĂ©alogique, puis nous entrerons dans les dĂ©tails en prĂ©sentant les musiciens.

Adolfo Pugliese (1876-06-24 – 1945-02-09), le pĂšre, flĂ»tiste, compositeur (?) et Ă©diteur de musique

Comme compositeur, on lui attribue :

Ausencia (Tango mĂ­o) (Tango de 1931), mais nous verrons, Ă  la fin de cet article, qu’il y en a peut-ĂȘtre un autre, ou pas

La lĂ©gende veut qu’il soit un modeste ouvrier du cuir, comme son pĂšre qui Ă©tait cordonnier, mais il Ă©tait aussi Ă©diteur de musique et flĂ»tiste. Il avait donc plusieurs cordes Ă  son arc.
De plus, quand son fils Osvaldo a souhaitĂ© faire du piano, cela ne semble pas avoir posĂ© de problĂšme alors qu’il venait de lui fournir un violon (qui pouvait ĂȘtre partagĂ© avec son frĂšre aĂźnĂ©, cependant). Les familles qui ont un piano ne sont pas les plus dĂ©munies

MĂȘme si Adolfo a Ă©crit, semble-t-il, Ă©crit peu (ou pas) de tango, il en a en revanche Ă©ditĂ©, notamment ceux de ses enfants

Voici deux exemples de partition qu’il Ă©ditait. À droite, celle de Recuerco, notre tango du jour. On remarquera qu’il indique « musique d’Adolfo Pugliese » et la seconde de « Por una carta », une composition de son fils Alberto, frĂšre d’Osvaldo, donc.

Sur la couverture de Recuerdo, le nom des musiciens de Julio de Caro, Ă  savoir : Julio de Caro, reconnaissable Ă  son violon avec cornet qui est Ă©galement le directeur de l’orchestre., puis de gauche Ă  droite, Francisco de Caro au piano, Pedro Maffia au bandonĂ©on (que l’on retrouve sur la partition de Por una carta), Enrike Krauss Ă  la contrebasse, Pedro Laurenz au bandonĂ©on et Emilio de Caro, le 3e De Caro de l’orchestre

Sur la partition de Por una carta, les signatures des membres de l’orchestre de Pedro Maffia : Elvino Vardaro, le merveilleux violoniste, Osvaldo Pugliese au piano, Pedro Maffia au bandonĂ©on et directeur de l’orchestre, Francisco De Lorenzo Ă  la contrebasse, Alfredo De Franco au bandonĂ©on et Emilio Puglisi au violon.

On voir qu’Adolfo gĂ©rait ses affaires et que donc l’idĂ©e d’un Osvaldo Pugliese nĂ© dans un milieu dĂ©shĂ©ritĂ© est bien exagĂ©rĂ©e. Cela n’a pas empĂȘchĂ© Osvaldo d’avoir des idĂ©es gĂ©nĂ©reuses comme en tĂ©moignent son engagement au parti communiste argentin et sa conception de la rĂ©partition des gains avec son orchestre. Il divisait les Ă©moluments en portions Ă©gales Ă  chacun des membres de l’orchestre, ce qui n’était pas la façon de faire d’autres orchestres ou le leader Ă©tait le mieux payé 

Antonio Pugliese (1878-11-21— ????), oncle d’Osvaldo. Musicien et compositeur d’au moins un tango

Ce tango d’Antonio est : QuĂ© mal hiciste avec des paroles d’AndrĂ©s Gaos (fils). Il fut enregistrĂ© en 1930 par Antonio Bonavena. Je n’ai pas de photo du tonton, alors je vous propose d’écouter son tango dans cette version instrumentale.

Que mal hiciste 1930 Orquesta Antonio Bonavena (version instrumentale)

Alberto Pugliese (1901-01-29- 1965-05-15), frùre d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Curieusement, les grands frĂšres d’Osvaldo sont peu citĂ©s dans les textes sur le tango. Alberto a pourtant rĂ©alisĂ© des compositions sympathiques, parmi lesquelles on pourrait citer :

  • AdoraciĂłn (Tango) enregistrĂ© Orquesta Juan Maglio « Pacho » avec Carlos VivĂĄn (1930-03-28).
  • Cabecitas blancas (Tango) enregistrĂ© par Osvaldo et Chanel (1947-10-14)
  • Cariño gaucho (Milonga)
  • El charquero (Tango de 1964)
  • El remate (Tango) dont son petit frĂšre a fait une magnifique version (1944-06-01). Mais de nombreux autres orchestres l’ont Ă©galement enregistrĂ©.
  • Espinas (Tango) EnregistrĂ© par Firpo (1927-02-27)
  • Milonga de mi tierra (Milonga) enregistrĂ©e par Osvaldo et Jorge Rubino (1943-10-21)
  • Por una carta (Tango) enregistrĂ© par la TĂ­pica Victor (1928-06-26)
  • Soñando el Charleston (Charleston) enregistrĂ© par Adolfo Carabelli Jazz Band (1926-12-02).

Il en a certainement Ă©crit d’autres, mais elles sont encore Ă  identifier et Ă  faire jouer par un orchestre qui les enregistrera

On notera que sa petite fille, Marcela est chanteuse de tango. Les gĂȘnes ont aussi Ă©tĂ© transmis Ă  la descendance d’Alberto.

Adolfo Vicente (Fito) Pugliese (1899— ????), frùre d’Osvaldo. Violoniste et compositeur

Adolfo Vicente (surnommĂ© Fito pour mieux le distinguer de son pĂšre Adolfo, Adolfito devient Fito) ne semble pas avoir Ă©crit ou enregistrĂ© sous son nom. Ce n’est en revanche pas si sĂ»r. En effet, il Ă©tait un brillant violoniste et Ă©tant le plus ĂągĂ© des garçons, c’est un peu lui qui faisait tourner la boutique quand son pĂšre se livrait Ă  ses frasques (il buvait et courait les femmes).
Cependant, la mĂ©sentente avec le pĂšre a fini par le faire partir de Buenos Aires et il est allĂ© s’installer Ă  Mar del Plata oĂč il a dĂ©laissĂ© la musique et le violon, ce qui explique que l’on perde sa trace par la suite.

Beba (Lucela Delma) Pugliese (1936— 
), pianiste, chef d’orchestre et compositrice

C’est la fille d’Osvaldo et de MarĂ­a ConcepciĂłn Florio et donc la petite fille d’Adolfo, le flĂ»tiste et Ă©diteur.
Parmi ses compositions, Catire et Chicharrita qu’elle a jouĂ© avec son quinteto


Carla Pugliese (María Carla Novelli) Pugliese (1977— 
), Pianiste et compositrice

Petite fille d’Osvaldo et fille de Beba, la tradition familiale continue de nos jours, mĂȘme si Carla s’oriente vers d’autres musiques.
Si vous voulez en savoir plus sur ce jeune talent :

https://www.todotango.com/creadores/biografia/1505/Carla-Pugliese/ (en espagnol)

https://www.todotango.com/english/artists/biography/1505/Carla-Pugliese/ (en anglais)

Les grands-parents de Pugliese

Je ne sais pas s’ils Ă©taient musiciens. Le pĂšre Ă©tait zapatero (cordonnier). Ce sont eux qui ont fait le voyage en Argentine oĂč sont nĂ©s leurs 5 enfants. Ce sont deux parmi les milliers d’EuropĂ©ens qui ont Ă©migrĂ© vers l’Argentine, comme le fit la mĂšre de Carlos Gardel quelques annĂ©es plus tard.

Roque PUGLIESE Padula

NĂ© le 5 octobre 1853 — Tricarico, Matera, Basilicata, Italie
Zapatero. C’est de lui que vient le nom de Pugliese qu’il a certainement adoptĂ© en souvenir de sa terre natale.

Filomena Vulcano

NĂ©e en 1852 — Rossano, Cosenza, Calabria, Italie
Ils se sont mariĂ©s le 28 novembre 1896, dans l’église Nuestra Señora de la Piedad, de Buenos Aires.
Leurs enfants :

  • Adolfo Juan PUGLIESE Vulcano 1876-1943 (PĂšre d’Osvaldo, compositeur, Ă©diteur et flĂ»tiste)
  • Antonio PUGLIESE Vulcano 1878 (Musicien et compositeur)
  • Luisa MarĂ­a Margarita PUGLIESE Vulcano 1881
  • Luisa MarĂ­a PUGLIESE Vulcano 1883
  • ConcepciĂłn MarĂ­a Ana PUGLIESE Vulcano 1885

Extrait musical

Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Dans cette version il y a dĂ©jĂ  tout le Pugliese Ă  venir. Les versions enregistrĂ©es auparavant avaient dĂ©jĂ  pour certaines des intonations proches. On peut donc penser que la puissance de l’écriture de Pugliese a influencĂ© les orchestres qui ont interprĂ©tĂ© son Ɠuvre. À l’écoute on se pose la question de la paternitĂ© de la composition. Alfredo, Osvaldo ou un autre ? Nous y reviendrons.

Les paroles

Ayer cantaron las poetas
y lloraron las orquestas
en las suaves noches del ambiente del placer.
Donde la bohemia y la frĂĄgil juventud
aprisionadas a un encanto de mujer
se marchitaron en el bar del barrio sud,
muriendo de ilusiĂłn
muriendo su canciĂłn.

Mujer
de mi poema mejor.
ÂĄMujer!
Yo nunca tuve un amor.
ÂĄPerdĂłn!
Si eres mi gloria ideal
PerdĂłn,
serĂĄs mi verso inicial.

Y la voz en el bar
para siempre se apagĂł
su motivo sin par
nunca mĂĄs se oyĂł.

Embriagada MimĂ­,
que llegĂł de ParĂ­s,
siguiendo tus pasos
la gloria se fue
de aquellos muchachos
del viejo café.

QuedĂł su nombre grabado
por la mano del pasado
en la vieja mesa del café del barrio sur,
donde anoche mismo una sombra de ayer,
por el recuerdo de su frĂĄgil juventud
y por la culpa de un olvido de mujer
durmiĂłse sin querer
en el Café Concert.

Adolfo et/ou Osvaldo Pugliese Letra : Eduardo Moreno

Dans la version de la TĂ­pica Victor de 1930, Roberto DĂ­az ne chante que la partie en gras. Rosita Montemar chante deux fois tout ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Hier, les poĂštes ont chantĂ© et les orchestres ont pleurĂ© dans les douces nuits de l’atmosphĂšre de plaisir.
OĂč la bohĂšme et la jeunesse fragile prisonniĂšre du charme d’une femme se flĂ©trissaient dans le bar du quartier sud, mourant d’illusion et mourant de leur chanson.
Femme de mon meilleur poĂšme.

Femme !
Je n’ai jamais eu d’amour.
Pardon !
Si tu es ma gloire idéale
DĂ©solĂ©, tu seras mon couplet d’ouverture.

Et la voix dans le bar s’éteignit Ă  jamais, son motif sans pareil ne fut plus jamais entendu.
MimĂŹ ivre, qui venait de Paris, suivant tes traces, la gloire s’en est allĂ©e Ă  ces garçons du vieux cafĂ©.

Son nom Ă©tait gravĂ© par la main du passĂ© sur la vieille table du cafĂ© du quartier sud, oĂč hier soir une ombre d’hier, par le souvenir de sa jeunesse fragile et par la faute de l’oubli d’une femme, s’est endormie involontairement dans le CafĂ©-Concert.

Dans ce tango, on voit l’importance du sud de Buenos Aires.

Autres versions

Recuerdo, 1926-12-09 — Orquesta Julio De Caro. C’est l’orchestre qui est sur la couverture de la partition Ă©ditĂ©e avec le nom d’Adolfo. Remarquez que dĂšs cette version, la variation finale si cĂ©lĂšbre est dĂ©jĂ  prĂ©sente.
Recuerdo 1927 — Rosita Montemar con orquesta. Une version chanson. Juste pour l’intĂ©rĂȘt historique et pour avoir les paroles chantĂ©es

Recuerdo, 1928-01-28 — Orquesta Bianco-Bachicha. On trouve dans cette version enregistrĂ©e Ă  Paris, quelques accents qui seront mieux dĂ©veloppĂ©s dans les enregistrements de Pugliese. Ce n’est pas inintĂ©ressant. Cela reste cependant difficile de passer Ă  la place de « La rĂ©fĂ©rence ».
Recuerdo, 1930-04-23 — Orquesta TĂ­pica Victor con Roberto DĂ­az. Une des rares versions chantĂ©es et seulement sur le refrain (en gras dans les paroles ci-dessus). Un basson apporte une sonoritĂ© Ă©tonnante Ă  cette version. On l’entend particuliĂšrement aprĂšs le passage chantĂ©.
Recuerdo, 1941-08-08 — Orquesta Francisco Lomuto. Une version trĂšs intĂ©ressante. Que je pourrais Ă©ventuellement passer en bal.
Recuerdo 1941 Orquesta AnĂ­bal Troilo. La prise de son qui a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e Ă  Montevideo est sur acĂ©tate, donc le son est mauvais. Elle n’est lĂ  que pour la rĂ©fĂ©rence.
Recuerdo, 1942-11-04 — Orquesta Ricardo Tanturi. Une version surprenante pour du Tanturi et pas si loin de ce que fera Pugliese, deux ans plus tard. Heureusement qu’il y a la fin typique de Tanturi, une dominante suivie bien plus tard par la tonique pour nous certifier que c’est bien Tanturi 😉
Recuerdo, 1944-03-31 — Orquesta Osvaldo Pugliese. C’est le tango du jour. Il est intĂ©ressant de voir comment cette version avait Ă©tĂ© annoncĂ©e par quelques interprĂ©tations antĂ©rieures. On se pose toujours la question ; Alfredo ou Osvaldo ? Suspens

Recuerdo, 1952-09-17 — Orquesta Julio De Caro. De Caro enregistre 26 ans plus tard le titre qu’il a lancĂ©. L’évolution est trĂšs nette. L’utilisation d’un orchestre au lieu du sexteto, donne de l’ampleur Ă  la musique.
Recuerdo 1966-09 — Orquesta Osvaldo Pugliese con Jorge Maciel. On retrouve Pugliese, 22 ans aprĂšs son premier enregistrement. Cette fois, la voix de Maciel. Celui-ci chante les paroles, mais avec beaucoup de modifications. Je ne sais pas quoi en penser pour la danse. C’est sĂ»r qu’en Europe, cela fait un malheur. L’interprĂ©tation de Maciel ne se prĂȘte pas Ă  la danse, mais c’est tellement joli que l’on pourrait s’arrĂȘter de danser pour Ă©couter.

En 1985, on a au moins trois versions de Rucuerdo par Pugliese. Celle de « Grandes Valores », une Ă©mission de tĂ©lĂ©vision, mais avec un son moyen, mais une vidĂ©o. Alors, je vous la prĂ©sente.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese dans l’émission Grandes Valores de 1985.

Puisqu’on est dans les films, je vous propose aussi la version au thĂ©Ăątre Colon, cette salle de spectacle fameuse de Buenos Aires.

Recuerdo par Osvaldo Pugliese au ThĂ©atre Colon, le 12 dĂ©cembre 1985.

Pour terminer, toujours de 1985, l’enregistrement en studio du 25 avril.

Recuerdo, 1985-04-25 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Pugliese a continuĂ© Ă  jouer Ă  de nombreuses reprises sa premiĂšre Ɠuvre. Vous pouvez Ă©couter les diffĂ©rentes versions, mais elles sont globalement semblables et je vous propose d’arrĂȘter lĂ  notre parcours, pour traiter de notre fil rouge. Qui est le compositeur de Recuerdo ?

Qui est le compositeur de Recuerdo ?

On a vu que la partition Ă©ditĂ©e en 1926 par Adolfo Pugliese mentionne son nom comme auteur. Cependant, la tradition veut que ce soit la premiĂšre composition d’Osvaldo.
Écoutons le seul tango qui soit Ă©tiquetĂ© Adolfo :
Ausencia, 1926-09-16 — JosĂ© Bohr y su Orquesta TĂ­pica. C’est mignon, mais c’est loin d’avoir la puissance de Recuerdo.
On notera toutefois que la rĂ©Ă©dition de cette partition est signĂ©e Adolfo et Osvaldo. La seule composition d’Adolfo serait-elle en fait de son fils ? C’est Ă  mon avis trĂšs probable. Le pĂšre et sa vie peu Ă©quilibrĂ©e et n’ayant pas donnĂ© d’autres compositions, contrairement Ă  ses garçons, pourrait ne pas ĂȘtre compositeur, en fait.

Pour certains, c’est, car Osvaldo Ă©tait mineur, que son pĂšre a Ă©ditĂ© la partition Ă  son nom. Le problĂšme est que plusieurs tangos d’Osvaldo avaient Ă©tĂ© antĂ©rieurement Ă©ditĂ©s Ă  son nom. Donc, l’argument ne tient pas.

Pour rendre la chose plus complexe, il faut prendre en compte l’histoire de son frĂšre aĂźnĂ©
Adolfo (Fito). Ce dernier Ă©tait un brillant violoniste et compositeur.
Pedro Laurenz, alors BandonĂ©iste dans l’orchestre de Julio De Caro, indique qu’il Ă©tait avec Eduardo Moreno quand un violoniste Emilio Marchiano serait venu lui demander d’aller chercher ce tango chez Fito pour lui ajouter des paroles.
Marchiano travaillait alors au cafĂ© ABC, comme l’indique Osvaldo qui Ă©tait ami avec le bandonĂ©oniste Enrique Pollet (Francesito) et qui aurait recommandĂ© les deux titres marquĂ©s Adolfo (Ausencia et Recuerdo).
On est sur le fil avec ces deux histoires avec les mĂȘmes acteurs. Dans un cas, l’auteur serait Adolfito qui donnerait la musique pour qu’elle soit jouĂ©e par De Caro et dans l’autre, ce serait Pollet qui aurait fait la promotion des compositions qui seraient toutes deux d’Osvaldo et pas de son pĂšre, ni de son grand frĂšre.
Pour expliquer que le nom de son pĂšre soit sur les partitions de ces deux Ɠuvres, je donne la parole Ă  Osvaldo qui indique qu’il est bien l’auteur de ces tangos, et notamment de Recuerdo qu’il aurait donnĂ© Ă  son pĂšre, car ce dernier, flĂ»tiste avait du mal Ă  trouver du travail et qu’il avait dĂ©cidĂ© de se reconvertir comme Ă©diteur de partition. En effet, la flĂ»te, trĂšs prĂ©sente dans la vieille garde n’était plus guĂšre utilisĂ©e dans les nouveaux orchestres. Cette anecdote est par Oscar del Priore et Irene AmuchĂĄstegui dans Cien tangos fundamentales.
Toujours selon Pedro Laurenz, la variation finale, qui donne cette touche magistrale Ă  la piĂšce, serait d’Enrique Pollet, alias El FrancĂ©s, (1901-1973) le bandonĂ©oniste qui travaillait avec Eduardo Moreno au moment de l’adaptation de l’Ɠuvre aux paroles.
Cependant, la version de 1927 chantĂ©e par Rosita Montemar ne contient pas la variation finale alors que l’enregistrement de 1926 par De Caro, si. Plus grave, la version de 1957, chantĂ©e par Maciel ne comporte pas non plus cette variation. On pourrait donc presque dire que pour adapter au chant Recuerdo, on a supprimĂ© la variation finale.

Et en conclusion ?

Ben, il y a plein d’hypothĂšses et toutes ne sont pas fausses. Pour ma part, je pense que l’on a minimisĂ© le rĂŽle Fito et qu’Adolfo le pĂšre n’a pas d’autre mĂ©rite que d’avoir donnĂ© le goĂ»t de la musique Ă  ses enfants. Il semble avoir Ă©tĂ© un pĂšre moins parfait sur d’autres plans, comme en tĂ©moigne l’exil d’Adolfito (Vicente).
Mais finalement, ce qui compte, c’est que cette Ɠuvre merveilleuse nous soit parvenue dans tant de versions passionnantes et qu’elle verra sans doute rĂ©guliĂšrement de nouvelles versions pour le plus grand plaisir de nos oreilles, voire de nos pieds.
Recuerdo restera un souvenir vivant.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Alberto Hilarion Acuña Letra : CharrĂșa (Gualberto MĂĄrquez)

Qui ne s’est jamais laissĂ© emporter dans le tourbillon de cette valse chantĂ©e par Francisco Fiorentino et le bandonĂ©on d’Anibal Troilo. Mais peut-ĂȘtre n’avez-vous pas fait attention au tendre sujet que nous dĂ©voilent les paroles d’un amour de jeunesse, en tremblant.

Troilo et Fiore (Francesco Fiorentino)

Troilo et Fiorentino ont enregistré 73 titres, dont 4 en duo avec Alberto Marino.
Ce sont quasiment tous des succÚs au point que certains DJ ne passent pour les Troilo chantés, que des versions avec Fiore.
Ce n’est pas mon cas et dans les anecdotes de tango de ces derniers jours, vous avez pu lire les articles ayant pour thùme :
Sur 1948-02-23 — Anibal Troilo C Edmundo Rivero, Yuyo verde 1945-02-28 Orquesta AnĂ­bal Troilo con Floreal Ruiz et, je l’avoue une autre jolie valse qui a Ă©tĂ© enregistrĂ© par Troilo et Fiorentino, cinq jours plus tĂŽt que celle-ci, Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta AnĂ­bal Troilo con Francisco Fiorentino.

Alberto Hilarion Acuña et CharrĂșa (Gualberto MĂĄrquez)

Alberto Hilarion Acuña est nĂ© en 1896 Ă  Lomas de Zamora, ou plus prĂ©cisĂ©ment Ă  Pueblo de la Paz puisque c’était le nom du village Ă  l’époque de la naissance d’Alberto. Maintenant, c’est englobĂ© au sud-ouest du grand Buenos Aires. Un milieu plutĂŽt rural Ă  l’époque et cela a sans doute influencĂ© ses choix musicaux, souvent orientĂ©s vers ce que l’on appelle maintenant le folklore, la valse du jour est en effet un vals criollo (vals est masculin en espagnol). Il a Ă©crit en plus des tangos, des gatos, des chacareras, comme La choyana que Gardel a chantĂ© avec Razzano, mais aussi des candombĂ©s comme SerafĂ­n enregistrĂ© par exemple en 1998 et 2003 par Juan Carlos CĂĄceres.
En 1924, il forme un duo avec RenĂ© Ruiz. Ce duo sera fameux et Ă  l’époque, on le comparait Ă  celui de Gardel et Razzano. Ainsi la revue El Canta Claro (le chante-clair) du 19 avril 1929 indiquait : « Depuis que s’est dĂ©sagrĂ©gĂ© le duo insurpassable Gardel-Razzano, le meilleur qui reste pour interprĂ©ter notre muse sentimentale et populaire est indiscutablement l’exquis Ruiz-Acuña ».
Quant Ă  l’auteur des paroles, CharrĂșa (Gualberto Gregorio MĂĄrquez), il est nĂ© uruguayen. Son surnom, CharrĂșa, vient du peuple CharrĂșa qui vivait en Uruguay, dans la province d’Entre-Rios (frontaliĂšre avec l’Uruguay) et au BrĂ©sil.
Ses penchants pour la ruralitĂ© peuvent sans doute trouver leur origine dans son territoire de naissance, mais aussi dans son activitĂ© dans le « civil », il Ă©tait administrateur d’établissements agricoles du cĂŽtĂ© de General Las Heras (zone Ă  l’époque rurale dans le Ouest-Sud-Ouest de Buenos Aires).
Son surnom et ses origines uruguayennes par son pĂšre (sa mĂšre Ă©tait portĂšgne) ne l’empĂȘchent pas de revendiquer d’ĂȘtre Argentin comme il l’a Ă©crit dans un de ses poĂšmes. Lo que soy (ce que je suis) :
« Je suis d’origine uruguayenne, cependant, ma mĂšre Ă©tant originaire de Buenos Aires, mon mot d’ordre est “25 de Mayo” ; je regarde de face et non de cĂŽtĂ© ce sol divin, je dĂ©fends ce qui est authentique, ce qui est traditionnel, ce que je veux, c’est pourquoi je m’engage pleinement Ă  ĂȘtre le meilleur Argentin. »
Son engagement pour ce qui est traditionnel s’est montrĂ© par ses sujets de poĂ©sie, par le fait qu’il a Ă©crit des Estilo (chansons folkloriques typiques de la pampa, ce qui explique le poncho dont il sera question dans la valse du jour) et bien sĂ»r les paroles champĂȘtres de la valse du jour.

Extrait musical

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.

Le bandonĂ©on lance le dĂ©but de l’introduction comme un dĂ©marrage difficile. Puis Ă  0 : 15 commence le thĂšme par les violons, puis Ă  0 : 45 ; le piano entre dans la danse, et ainsi de suite, s’alternent les instruments jusqu’à ce que le violon freine et relance Ă  1 : 05 Ă  la fin de son solo. À 1 : 28, Fiorentino reprend le thĂšme. Il accentue de nombreux premiers temps en les pointant (la note dure Âœ en plus de sa durĂ©e normale). Cela donne l’impression de ralentissement que contredit Âœ temps plus tard la reprise du rythme normal de la valse. Un peu comme un homme qui tournerait la manivelle d’une voiture ancienne pour dĂ©marrer le moteur. C’est le mĂȘme principe que le dĂ©marrage initial du bandonĂ©on en introduction. Cet Ă©lĂ©ment stylistique s’apparente dans une certaine mesure Ă  la valse viennoise, mais aussi au vals criolo oĂč le ralentissement est encore plus marquĂ© et le rythme sort complĂštement de la rĂ©gularitĂ© des trois temps de la valse, comme on peut l’entendre par exemple chez Corsini (voir ci-dessous dans les autres versions).

Les paroles

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando
y aunque (muy) guapo pa’todo me sentĂ­a, (y aunque guapo muy guapo me sentĂ­a)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Estaba como nunca la habĂ­a visto,
vestido livianito de zaraza,
con el pelo volcado sobre los hombros
era una virgen que encontré en la casa.

Ni ella ni yo, ninguno dijo nada,
con sus ojazos me siguiĂł quemando,
dejĂł la escoba que tenĂ­a en la mano,
me quiso hablar y se quedĂł temblando.

Era el recuerdo del amor primero,
amor nacido en una edad temprana,
como esas flores rĂșsticas del campo
que nacen de la noche a la mañana.

Amor que estĂĄ oculto en los adobes
de su rancho paterno tan sencillo
y en la corteza del ombĂș del patio
escrito con la punta del cuchillo.

Me di vuelta pisando despacito,
como quien desconfĂ­a de una trampa,
envolviendo recuerdos y emociones
entre las listas de mi poncho pampa.

No sé qué me pasó, monté a caballo
y me fui (sali) galopeando a rienda suelta,
con todos los recuerdos y emociones
que en las listas del poncho saqué envueltas.

Linda estaba la tarde en que la vide,
el patio de su rancho acomodando.
Y aunque (muy) guapo pa’todo me sentĂ­a, (y aunque guapo muy guapo me sentĂ­a)
no pude hablarla y me quedé temblando.

Alberto Hilarion Acuña Letra: CharrĂșa (Gualberto MĂĄrquez)

Fiorentino et BermĂșdez chantent ce qui est en gras et terminent en reprenant le couplet qui est en rouge. En bleu, la variante de Carmen Idal qui chante, comme Corsini, l’intĂ©gralitĂ© des paroles.

Traduction libre et indications

L’aprĂšs-midi oĂč je l’ai vue Ă©tait belle, la cour de son ranch bien ordonnĂ©e et mĂȘme si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas Ă  lui parler et je restais tremblant.
Elle Ă©tait comme je ne l’avais jamais vue auparavant, une robe lĂ©gĂšre de zaraza, les cheveux retombant sur les Ă©paules, c’était une vierge que j’avais rencontrĂ©e dans la maison. (Zaraza est une sorte de Percal. Un tango de Benjamin et Alfonso Tagle Lara porte ce nom. Et Biagi avec Ortiz en a donnĂ© une des meilleures versions en 1941. Acuña l’auteur de la valse du jour l’a Ă©galement chantĂ© en duo avec Ruiz).
Ni elle, ni moi, ni l’un ni l’autre n’avons parlĂ©, avec ses yeux immenses qui me suivaient en me brĂ»lant, elle a dĂ©laissĂ© le balai qu’elle tenait Ă  la main, elle voulait me parler et elle est restĂ©e tremblante.
C’était le souvenir du premier amour, amour nĂ© dans notre jeune Ăąge, comme ces fleurs rustiques des champs qui naissent du jour au lendemain (de la nuit au matin).
Amour qui Ă©tait cachĂ© dans les adobes du ranch de son pĂšre, tout simple et grĂące Ă  la courtoisie d’un ombĂș de la cour, j’ai Ă©crit Ă  la pointe d’un couteau. (l’ombĂș, c’est le belombra ou raisinier dioĂŻque, un arbre d’AmĂ©rique du Sud faisant une belle ombre, d’oĂč son nom de bel ombra)
Je me retournai d’un pas lent, comme quelqu’un qui se mĂ©fie d’un piĂšge, enveloppant souvenirs et Ă©motions entre les plis de mon poncho de la pampa. (Lista, c’est la liste blanche sur le chanfrein des chevaux. Il enveloppe donc ses Ă©motions dans les bandes blanches donc, les rayures de son poncho).
Je ne sais pas ce qui m’est arrivĂ©, je suis montĂ© Ă  cheval et j’ai galopĂ© Ă  bride abattue, avec tous les souvenirs et les Ă©motions que j’avais enveloppĂ©s dans les listes de ponchos.
L’aprĂšs-midi oĂč je l’ai vue Ă©tait belle, la cour de son ranch bien ordonnĂ©e et mĂȘme si je me sentais beau en tous points, je ne parvins pas Ă  lui parler et je restais tremblant.
Un documentaire intéressant pour connaßtre le poncho.

Autres versions

Temblando 1933-09-28 — Ignacio Corsini con guitarras de PagĂ©s-Pesoa-Maciel (Vals Criollo). Une belle interprĂ©tation pour ce type de valses folkloriques.
Temblando 1944 Orquesta Gabriel Chula Clausi con Carmen Idal.

Une jolie version, chantĂ©e et presque dansable. Il est Ă  noter qu’elle chante les paroles de l’homme. Avec de petites variations, comme cela arrive souvent, les chanteurs prennent de petites libertĂ©s pour mieux coller Ă  leur diction, Ă  l’arrangement de la musique, Ă  leur style ou pour actualiser un texte.

Temblando 1944-03-30 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino. C’est la valse du jour.
Temblando 1944-04-26 — Orquesta Pedro Laurenz con Carlos BermĂșdez.

Comme la version de Troilo, celle de Lorenzo commence par un bandonĂ©on qui « dĂ©marre ». Les arrangements sont assez proches de ceux de Troilo. À 1 : 19 commence BermĂșdez, sa voix est magnifique, plus chaude que celle de Fiorentino, c’est une superbe version, injustement estompĂ©e, Ă  mon avis par celle de Troilo qui ne lui est pas sensiblement supĂ©rieure. À 2 : 25, vous noterez le changement de tonalitĂ© et mĂȘme de mode, la musique passe en mode mineur (voir le petit cours de musique Ă  propos de LĂĄgrimas y sonrisas).

Par la suite, le thĂšme a Ă©tĂ© repris Ă  diffĂ©rentes reprises, par des chanteurs plutĂŽt versĂ©s du cĂŽtĂ© folklore, ou par d’autres du cĂŽtĂ© chanson, mais l’aspect dans n’a plus Ă©tĂ© mis en valeur par des versions Ă©quivalentes Ă  celles de Troilo ou de Laurenz. J’en cite cependant quelques-unes, intĂ©ressantes par diffĂ©rents aspects.

Temblando 1976 Rubén Juårez.

Des petits moments de rappel de vals criollo, au milieu d’une interprĂ©tation sous forme de chanson. Comme beaucoup de chansons en valse, cette version reste dansable, au moins pour les danseurs qui ne sont pas trop puristes.

Temblando 1976 — RubĂ©n JuĂĄrez (a Capela).

Le mĂȘmechanteur, mais cette fois dans le pĂ©rilleux exercice du chant a capela. LĂ , pas du tout question de danser


Temblando 1995 — Canta Luis Cardei.

Pour terminer en douceur, une version d’inspiration criolla. MalgrĂ© sa trĂšs courte carriĂšre (6 ans, Luis Cardei a produit trois disques et chantĂ© dans le film La Nube (1998) de Fernando Solanas, basĂ© sur la piĂšce de thĂ©Ăątre Rojos globos rojos d’Eduardo Pavlovsky. Le film dĂ©bute sur des vues de Buenos Aires oĂč tout va Ă  l’envers (les voitures et les piĂ©tons, sauf un, reculent, la suite est peut-ĂȘtre moins intĂ©ressante, Ă  tous les points de vue, sauf pour les fans de Solanas
).

El pollo Ricardo 1946-03-29 – Orquesta Carlos Di Sarli

Luis Alberto FernĂĄndez Letra : Gerardo Adroher

Je dĂ©dicace cet article Ă  mon ami Ricardo Salusky, DJ de Buenos Aires, ce tango Ă©tant une histoire d’amitiĂ©, c’était logique. Pollo, le poulet, est un surnom assez courant, les Argentins et Uruguayens sont friands de cet exercice qui consiste Ă  ne jamais dire le vĂ©ritable prĂ©nom de personnes


Reste Ă  savoir qui Ă©tait le poulet de Luis Alberto FernĂĄndez, l’auteur et le parolier de ce tango qu’il a dĂ©dicacĂ© Ă  un de ses amis.
Ricardo est un prénom courant. Il nous faut donc investiguer.
Luis Alberto FernĂĄndez (c’est son vĂ©ritable nom) est nĂ© Ă  Montevideo le 29 mars 1887. Il Ă©tait pianiste, compositeur et parolier d’au moins deux tangos, celui dont nous parlons aujourd’hui et Intervalo. El Pollo Ricardo est indiquĂ© dans les registres de la AGADU (AsociaciĂłn General de Autores del Uruguay) comme Ă©tant de 1911, ce que confirment d’autres sources, comme les plus anciennes exĂ©cutions connues par Carlos Warren, puis Juan Maglio Pacho (malheureusement sans enregistrement) et un peu plus tardivement (1917), celle de Celestino Ferrer que vous pourrez Ă©couter Ă  la fin de cet article.
De FernĂĄndez, on ne connaĂźt que deux compositions, El pollo Ricardo et Intervalo.
En cherchant dans les amis de FernĂĄndez on trouve un autre Uruguayen ayant justement Ă©crit un tango sur les cartes,

Une partition de Ricardo Scandroglio du tango « En Puerta » (l’ouverture) sur le thĂšme des jeux de cartes. On notera que l’auteur se fait appeler (El Pollo Ricardo).

On retrouve ce Ricardo Scandroglio sur une photo oĂč il est au cĂŽtĂ© de Luis Alberto FernĂĄndez.

Photo prise dans les bois de Palermo en 1912 (Parque Tres de Febrero Ă  Buenos Aires).

Assis, de gauche Ă  droite : El pollo Ricardo qui a bien une tĂȘte de poulet, non ? Au centre, Luis Alberto FernĂĄndez et Curbelo. Debouts, Arturo Prestinari et FernĂĄndez Castilla. Cette photo a Ă©tĂ© reproduite dans la revue La Mañana du 29 septembre 1971.
Et pour clore le tout, on a une entrevue entre Alfredo Tassano et Ricardo Scandroglio oĂč ce dernier donne de nombreuses prĂ©cisions sur leur amitiĂ©.
Vous pouvez Ă©couter cette entretien (Ă  la fin de la version de Canaro de El pollo Ricardo) ici:
https://bhl.org.uy/index.php/Audio:_Entrevista_a_Ricardo_Scandroglio_a_sus_81_a%C3%B1os,_1971
Mais je vous conseille de lire tout le dossier qui est passionnant :
https://bhl.org.uy/index.php/Scandroglio,_Ricardo_-_El_Pollo_Ricardo

Extrait musical

Il s’agit du deuxiĂšme des trois enregistrements de El pollo Ricardo par Carlos Di Sarli. Nous Ă©couterons les autres dans le chapitre « autres versions ».

El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli.
Couverture de la deuxiĂšme Ă©dition et partition pour piano de El pollo Ricardo

Les paroles

Personne ne connaĂźt les paroles que Gerardo Adroher, encore un Uruguayen, a composĂ©es, mais qu’aucun orchestre n’a enregistrĂ©.
Ce tango a Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ© par les danseurs qui ont moins besoin des paroles. Toutefois, il me semble intĂ©ressant de les mentionner, car il montre l’atmosphĂšre d’amitiĂ© entre Ricardo Scandroglio et Luis Alberto FernĂĄndez.

Tu pinta de bacĂĄn
tu estampa de varĂłn
tu clase pura para el baile
cuando te floreĂĄs
te han distinguido
entre los buenos guapos con razĂłn
porque entrando a tallar
te hiciste respetar.
Pollo Ricardo
vos fuiste amigo fiel
y yo he querido con un tango
bravo y compadrĂłn
dar lo mejor de mi amistad
a quien me abriĂł su corazĂłn.
La barra fuerte del café
muchachos bravos de verdad
formaban rueda cuando vos
maravillabas al tanguear.
Y siempre fue tu juventud
el sol que a todos alumbrĂł
borrando sombras con la luz
que tu bondad nos dio.
Y cuando pasen los años
oirĂĄs en el compĂĄs de este tango
un desfilar de recuerdos
largo
 largo.
Puede que entonces
me fui yo a viajar
con rumbo por una estrella.
Mira hacia el cielo
es ella, la que brilla mĂĄs.

Gerardo Adroher

Traduction libre et indications

Ton Ă©lĂ©gance de noceur, ton allure de mec, ta pure classe pour la danse quand tu brilles t’ont distinguĂ© parmi les beaux Ă©lĂ©gants, Ă  juste titre, parce que quand tu entres en taille (figure de tango, comme dans le ocho cortado. Ne pas oublier que la forme ancienne du tango de danse avait des attitudes pouvant rappeler le combat au couteau) ; tu t’es fait respecter.
Poulet Ricardo tu Ă©tais un ami fidĂšle et moi j’ai aimĂ© avec un tango, courageux, et compĂšre, donner le meilleur de mon amitiĂ© Ă  qui m’a ouvert son cƓur.
La bande du café, des garçons vraiment bons (vaillants, bons danseurs dans le cas présent).
Formant le cercle quand tu Ă©merveillais en dansant le tango.
Et ça a toujours été ta jeunesse, le soleil qui a illuminé tout le monde, effaçant les ombres avec la lumiÚre que ta bonté nous a donnée.
Et quand les années passeront, tu entendras au rythme de ce tango un défilé de souvenirs
long
 long.
Il se peut qu’ensuite, je sois parti en voyage,
En route vers une Ă©toile. LĂšve les yeux vers le ciel, c’est celle qui brille le plus.
Fernandez est dĂ©cĂ©dĂ© en 1947, et il avait trois ans de plus que Ricardo, ces paroles peuvent paraĂźtre prĂ©monitoires, mais avec beaucoup d’avance…

Autres versions

Les premiĂšres versions

Le premier orchestre Ă  avoir jouĂ© El pollo Ricardo en 1912 serait l’orchestre uruguayen de Carlos Warren, mais il ne semble pas y avoir d’enregistrement. MĂȘme chose pour la version par Juan Maglio Pacho. La partition aurait Ă©tĂ© Ă©ditĂ©e en 1917, mais si on prend en compte que FernĂĄndez jouait d’oreille et n’écrivait pas la musique, on peut penser que les premiĂšres interprĂ©tations soient passĂ©es par un canal diffĂ©rent.

El pollo Ricardo 1917-01-17 — Orquesta Típica de Celestino Ferrer.

C’est, a priori, la plus ancienne version existante en enregistrement. Ferrer Ă©tait rĂ©putĂ© pour sa participation aux nuits parisiennes autour des orchestres comme celui de Pizarro. On lui doit un tango comme compositeur, El GarrĂłn, qui cĂ©lĂšbre le salon parisien qui fut un des premiers lieux de tango Ă  Paris. Il faut attendre un peu pour trouver des versions dansantes du tango.

El pollo Ricardo 1938-05-09 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro.

Une version bien ronde et qui avance avec une cadence rĂ©guliĂšre qui pourra plaire aux danseurs milongueros. J’aime bien les petits « galops » qu’on entend particuliĂšrement bien vers 43 secondes et Ă  diverses reprises. Cependant, on ne pense pas forcĂ©ment Ă  un poulet ou Ă  un danseur de tango.

Les trois enregistrements de Di Sarli

J’ai choisi de regrouper les trois enregistrements de Di Sarli pour qu’il soit plus facile Ă  comparer. La version intermĂ©diaire de D’Arienzo de 1947 sera placĂ©e aprĂšs celle de 1951 de Di Sarli, ce qui vous permettra de comparer Ă©galement les deux enregistrements de D’Arienzo (1947 et 1952).

El pollo Ricardo 1940-09-23 Orquesta Carlos Di Sarli.

C’est la premiĂšre version de ce thĂšme par Di Sarli. À diverses reprises le son du bandonĂ©on peut faire penser au caquĂštement d’un poulet (0 : 26 ou 1 : 26 par exemple).

El pollo Ricardo 1946-03-29 — Orquesta Carlos Di Sarli. C’est notre tango du jour.

Le tempo est plus modĂ©rĂ© que dans la version de 1940 et le caquĂštement de poulet est plus accentuĂ©, en contraste avec les violons en legato. Comme le tempo est un peu plus lent, les caquĂštements sont dĂ©calĂ©s Ă  0 : 30 et 1 : 30. En six ans on remarque bien l’évolution de l’orchestre, mĂȘme si le style reste encore trĂšs rythmĂ© et les violons s’expriment moins que dans des versions plus tardives comme celle de 1951.

El pollo Ricardo 1951-07-16 — Orquesta Carlos Di Sarli.

La sonoritĂ© de cette version est plus familiĂšre aux aficionados de Di Sarli des annĂ©es 50. Les violons sont beaucoup plus prĂ©sents, y compris dans les caquĂštements qui toutefois sont plus discrets que dans les deux autres versions. Le piano s’exprime Ă©galement plus et rajoute les fioritures qui sont une des caractĂ©ristiques du Di Sarli des annĂ©es 50.

Les deux enregistrements de D’Arienzo

Les deux enregistrements de D’Arienzo sont à comparer aux deux enregistrements quasi contemporains de Di Sarli (46-47 et 51-52).
Comme nous l’avons vu, l’évolution de Di Sarli est allĂ©e en direction des violons. Celles de D’Arienzo serait plutĂŽt de favoriser les bandonĂ©ons et de les engager dans le marquage du tempo, comme d’ailleurs tous les instruments de l’orchestre. Il n’est pas El Rey del Compas pour rien
 Le piano a toujours une grande place chez D’Arienzo qui n’oublie pas que c’est aussi un instrument Ă  percussion


El pollo Ricardo 1947-05-20 — Orquesta Juan D’Arienzo
El pollo Ricardo 1952-11-12 — Orquesta Juan D’Arienzo

Retour en Uruguay

Le héros, le compositeur et le parolier de ce tango étant uruguayens, il me semble logique de donner la parole en dernier à trois orchestres de ce pays.

El pollo Ricardo 1972 — Orquesta Orquesta Donato Racciatti.

Une version Ă©nergique et au tempo soutenu. Quelques illuminations du piano de Racciatti rĂ©pondent aux violons (jouant legato mais aussi en pizzicati) . Le style hachĂ© et joueur peut ĂȘtre intĂ©ressant Ă  proposer aux danseurs.

El pollo Ricardo 1985 – Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Un peu moins tonique que la version de Racciatti et avec la sonoritĂ© particuliĂšre de cet orchestre, on trouve tout de mĂȘme un air de famille, le son uruguayen 😉 Les violons un peu plus lyriques, le piano plus sourd rendent sans doute cette version moins intĂ©ressante, mais elle devrait tout de mĂȘme plaire aux danseurs notamment dans la derniĂšre partie qui est plutĂŽt trĂšs rĂ©ussi et entraĂźnante.

El pollo Ricardo 2005-10 – Orquesta Matos Rodríguez.

Bien que l’orchestre se rĂ©fĂšre Ă  Matos RodrĂ­guez (le compositeur uruguayen de la Cumparsita), on est plus dans une impression Ă  la Di Sarli. Cependant, le rĂ©sultat est un peu miĂšvre et ne se prĂȘte pas Ă  une danse de qualitĂ©, mĂȘme s’il reprend des idĂ©es des orchestres urugayens et des trucs Ă  la Sassone.

La dédicace à El Pollo Ricardo

Comme Fernandez a rĂ©alisĂ© un hommage Ă  son ami Ricardo, je fais de mĂȘme avec Ricardo, l’excellent DJ de Buenos Aires. J’ai empruntĂ© la photo au talentueux photographe (celui qui avait rĂ©alisĂ© la grande fresque du salon

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

Le 28 mars est un bon jour pour les enregistrements de tango et le choix a Ă©tĂ© difficile. Je vous propose Tormenta interprĂ©tĂ© par Canaro et FamĂĄ, car son texte est d’une grande actualitĂ© avec ce qui se passe actuellement en Argentine, les riches toujours plus riches et les pauvres mourant de faim. En prime, une version de Tormenta que vous n’avez jamais entendue tellement elle est inattendue


Francisco Canaro et Ernesto FamĂĄ

Francisco Canaro a enregistrĂ© plus de 235 titres avec Ernesto FamĂĄ entre 1930 et 1941:
125 tangos, 37 valses, 13 milongas, et 60 rythmes jazz ou folkloriques (Corrido porteño, Fox-Trot, Marches, Pasodobles, Polcas, Rancheras et mĂȘme des airs militaires).
Ce mardi 28 mars 1939, Canaro et FamĂĄ ont enregistrĂ© beaucoup de titres :

  • QuĂ© importa ! de Ricardo Tanturi (Ricardo Luis Tanturi) Letra : Juan Carlos Thorry (JosĂ© Antonio Torrontegui)
  • Tormenta de Enrique Santos DiscĂ©polo (musique et paroles)
  • Vanidad de Gerardo HernĂĄn Matos RodrĂ­guez Letra: Washington Montreal
  • Noche de estrellas (Vals) de JosĂ© Luis Padula Letre : Enrique CadĂ­camo
  • Tra-la-la (Vals) de Luis Teisseire ; GermĂĄn Rogelio Teisseire Letra : JesĂșs FernĂĄndez Blanco

C’est une Ă©poque chargĂ©e pour ces deux artistes. FamĂĄ est clairement le chanteur vedette de Canaro Ă  cette Ă©poque, loin devant Francisco Amor, puis RoldĂĄn et AdriĂĄn.

Extrait musical

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

DiscĂ©polo a fait la musique et Ă©crit les paroles, l’Ɠuvre est donc d’une grande cohĂ©rence.
DiscĂ©polo l’a Ă©crit pour le film Cuatro corazones (Quatre cƓurs), film dont il assure le scĂ©nario, la musique et le rĂŽle principal

Canaro enregistre quelques jours aprÚs la sortie du film, dans une version pour la danse, donc réarrangée.

Les paroles

ÂĄAullando entre relĂĄmpagos,
perdido en la tormenta
de mi noche interminable,
¡Dios ! busco tu nombre

No quiero que tu rayo
me enceguezca entre el horror,
porque preciso luz
para seguir…
ÂżLo que aprendĂ­ de tu mano
no sirve para vivir ?
Yo siento que mi fe se tambalea,
que la gente mala, vive
ÂĄDios! mejor que yo…

Si la vida es el infierno
y el honrado vive entre lĂĄgrimas,
ÂżcuĂĄl es el bien…
del que lucha en nombre tuyo,
limpio, puro?… Âżpara quĂ©?…
Si hoy la infamia da el sendero
y el amor mata en tu nombre,
ÂĄDios!, lo que has besado…
El seguirte es dar ventaja
y el amarte sucumbir al mal.

No quiero abandonarte, yo,
demuestra una vez sola
que el traidor no vive impune,
ÂĄDios! para besarte…
Enséñame una flor
que haya nacido
del esfuerzo de seguirte,
ÂĄDios! Para no odiar:
al mundo que me desprecia,
porque no aprendo a robar…
Y entonces de rodillas,
hecho sangre en los guijarros
moriré con vos, ¥feliz, Señor!

Enrique Santos Discépolo (musique et paroles)

Tania chante l’intĂ©gralitĂ© des paroles dans le disque, seulement une partie dans le film. En gras, la partie chantĂ©e par Ernesto FamĂĄ.

Traduction libre et indications

Hurlant au milieu des Ă©clairs, perdu dans la tempĂȘte de ma nuit interminable,
Dieu ! Je cherche ton nom

Je ne veux pas que tes Ă©clairs m’aveuglent dans l’horreur, car j’ai besoin de lumiĂšre (Ici, « luz » est au masculin et il y a donc un jeu de mots, « luz » en lunfardo, c’est l’argent. Il faudrait donc plutĂŽt traduire, j’ai besoin d’argent) pour continuer

Ce que j’ai appris de ta main ne sert-il pas pour vivre ?
Je sens que ma foi chancelle, car les gens mauvais vivent,
Dieu ! Bien mieux que moi


Si la vie est un enfer et que l’honneur est de vivre dans les larmes, quel est le bĂ©nĂ©fice

de celui qui combat en ton nom, ĂȘtre propre, pur ?… À quoi bon ?…
Si aujourd’hui l’infamie ouvre le chemin et que l’amour tue en ton nom,
Dieu, qu’as-tu embrassĂ©…
Te suivre, c’est laisser l’avantage (aux autres) et t’aimer c’est succomber au malheur.

Je ne veux pas t’abandonner, prouvez une seule fois que le traütre ne vit pas impuni,
Dieu ! Pour t’embrasser

Montrez-moi une fleur qui soit nĂ©e de l’effort de te suivre,
Dieu ! Pour ne pas haïr :
Le monde qui me mĂ©prise, parce que je n’apprends pas Ă  voler

Et ensuite à genoux, saignant dans les cailloux, je mourrai avec toi ; heureux ; Seigneur !

Autres versions

Pour commencer, une petite surprise Ă  voir jusqu’au bout pour dĂ©couvrir une version incroyable de Tormenta, Ă  la toute fin de cet extrait


Tormenta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orquesta. Dans le film « Cuatro corazones » rĂ©alisĂ© par Carlos Schlieper et Enrique Santos DiscĂ©polo selon le scĂ©nario de ce dernier et Ă©crit en collaboration avec Miguel GĂłmez Bao.
Le film est sorti le 1er mars 1939.
Acteurs : Enrique Santos Discépolo, Gloria Guzmån, Irma Córdoba, Alberto Vila, Eduardo Sandrini et Herminia Franco.
Tormenta 1939-01-11 — Tania con acomp. de Orquesta.

C’est la version disque de la chanson du film. Contrairement au film, la chanson est chantĂ©e en entier et il n’y a pas la fin dĂ©lirante prĂ©sentĂ©e dans le film.

Tormenta 1939-03-28 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá. C’est le tango du jour.

Canaro enregistre quelques jours aprĂšs la sortie du film.

Tormenta 1939-03-30 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar.

Deux jours aprÚs Canaro, Lomuto suit le mouvement dans le sillage du film. Il est intéressant de comparer ses arrangements par rapport à ceux de Canaro.

Tormenta 1954-09-08 — Orquesta Carlos Di Sarli con Mario Pomar.

Le seigneur del tango donne 15 ans plus tard sa version. Du grand Di Sarli avec le magnifique Mario Pomar.

Tormenta 1962 — Orquesta JosĂ© Basso con Floreal Ruiz.

On termine avec cette version destinĂ©e Ă  l’écoute, comme la premiĂšre de la liste, celle de Tania.

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres

Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi

Le tango du jour est Silencio, enregistrĂ© par Gardel avec l’orchestre de Canaro en 1933. Ce titre « expiatoire » dĂ©voile une des failles de Carlos Gardel, Enfant de France. Je vous invite Ă  dĂ©couvrir ou redĂ©couvrir ce titre chargĂ© d’émotion et d’histoire.

Une fois n’est pas coutume, je vais vous faire voir et Ă©couter une version diffĂ©rente du tango du jour, avant la version du jour.
Nous sommes en 1932, Carlos Gardel est en France (comme beaucoup de musiciens et artistes Argentins Ă  l’époque). Il y tourne quatre films et dans le dernier de la sĂ©rie, il chante une chanson dont on ne peut comprendre la totalitĂ© de l’émotion qu’avec un peu d’histoire.

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta tĂ­pica Argentina de Juan Cruz Mateo. Une version Ă©mouvante tirĂ©e du film « MelodĂ­a de arrabal » de Louis Gasnier.

Ce film a Ă©tĂ© tournĂ© en France, Ă  l’est de Paris, aux Studios de Joinville-le-Pont en octobre et novembre 1932. Le scĂ©nario est d’Alfredo Le Pera (auteur des paroles de ce titre, Ă©galement).

Juan Cruz Mateo

L’orchestre reprĂ©sentĂ© dans le film et qui joue la bande-son est la Orquesta tĂ­pica Argentina de Juan Cruz Mateo. C’est un des 200 orchestres de tango de l’ñge d’or. On en connaĂźt guĂšre aujourd’hui qu’une cinquantaine ayant suffisamment d’enregistrement pour ĂȘtre significatifs et sans doute pas beaucoup plus d’une cinquantaine ayant suffisamment de titres pour faire une tanda et cela Ă  la condition de ne pas ĂȘtre trop exigeant. D’ailleurs pour certains titres que j’appelle « orphelins », je mĂ©lange les orchestres pour constituer une tanda complĂšte et cohĂ©rente. Par exemple la TĂ­pica Victor dirigĂ©e par Carabelli et l’orchestre de Carabelli. Cela, c’est plus frĂ©quemment pour les milongas qui sont plutĂŽt dĂ©ficitaires en nombre (moins de 600 milongas ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es entre 1935 et 1955), contre presque le double de valses et quatre fois plus de tangos. En effet, l’ñge d’or du tango, c’est Ă  peine 6000 titres et tous ne sont pas pour la danse
 C’est donc un patrimoine ridiculement petit par rapport Ă  ce qui a Ă©tĂ© jouĂ© et pas enregistrĂ©.

Sur l’image de gauche, l’équipe du film « La Casa es seria » avec Juan Cruz Mateo, le pianiste de Gardel Ă  droite de l’image. À sa droite, au premier plan, Le Pera et sur la gauche de l’image au premier plan
 Carlos Gardel. Les autres sont des personnes de la Paramount qui a produit le film. La photo du centre montre Mateo et Gardel en rĂ©pĂ©tition. À droite, autoportrait de Mateo devenu peintre


Juan Cruz Mateo, ce pianiste et directeur d’orchestre argentin est un de ces oubliĂ©s. C’est sans doute, car il a fait sa carriĂšre principalement en France et qu’il s’est recyclĂ© comme peintre futuriste Ă  la fin des annĂ©es 30.
On lui doit notamment l’accompagnement orchestral de trois films interprĂ©tĂ©s par Gardel durant ses sĂ©jours parisiens, EspĂ©rame, La casa es seria et MelodĂ­a de arrabal dont est tirĂ© cet extrait. C’est Ă©galement le pianiste qui a le plus accompagnĂ© Carlos Gardel. Donc, si vous entendez chanter Gardel avec un accompagnement de piano, c’est certainement lui


Extrait musical

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

Cette version est particuliĂšrement Ă©mouvante, avec son chƓur de femme et la voix de Gardel. Nous y reviendrons aprĂšs avoir Ă©tudiĂ© les paroles.

Les paroles

Silencio en la noche.
Ya todo estĂĄ en calma.
El mĂșsculo duerme.
La ambiciĂłn descansa.

Meciendo una cuna,
una madre canta
un canto querido
que llega hasta el alma,
porque en esa cuna,
estĂĄ su esperanza.

Eran cinco hermanos.
Ella era una santa.
Eran cinco besos
que cada mañana
rozaban muy tiernos
las hebras de plata
de esa viejecita
de canas muy blancas.
Eran cinco hijos
que al taller marchaban.

Silencio en la noche.
Ya todo estĂĄ en calma.
El mĂșsculo duerme,
la ambiciĂłn trabaja.

Un clarĂ­n se oye.
Peligra la Patria.

Y al grito de guerra
los hombres se matan
cubriendo de sangre
los campos de Francia.

Hoy todo ha pasado.
Renacen las plantas.
Un himno a la vida
los arados cantan.
Y la viejecita
de canas muy blancas
se quedĂł muy sola,
con cinco medallas
que por cinco héroes
la premiĂł la Patria.

Silencio en la noche.
Ya todo estĂĄ en calma.
El mĂșsculo duerme,
la ambiciĂłn descansa…

Un coro lejano
de madres que cantan
mecen en sus cunas,
nuevas esperanzas.
Silencio en la noche.
Silencio en las almas


Carlos Gardel; Horacio G. Pettorossi Letra: Alfredo Le Pera ; Horacio G. Pettorossi.

Carlos Gardel et Imperio Argentina chantent la totalité du texte. Ernesto Famå ne chante que ce qui est en gras et deux fois ce qui est en bleu.

Traduction libre et indications

Le titre commence par un son de clairon. Le clairon jouant sur trois notes, cet air fait immĂ©diatement penser Ă  une musique militaire (le clairon ne permet de jouer facilement que 4 notes et trois autres notes ne sont accessibles qu’aux virtuoses de cet instrument, autant dire qu’elles ne sont jamais jouĂ©es.
Les notes, Sol Do Mi sont égrenées lentement, comme dans les sonneries aux morts. On peut dire que Canaro annonce la couleur dÚs le début

Gardel reprend Ă  la suite de la sonnerie sur le mĂȘme Mi. Cela permet de faire la liaison entre le clairon et sa voix, ce qui n’était pas si Ă©vident Ă  concevoir. Dans la version de 1932 c’est une trompette et pas un clairon qui lance Sol Sol Do et Gardel commence sur un Mi, ce qui est logique, c’est sa tessiture. La version de Canaro est donc Ă  mon sens mieux construite de ce point de vue et l’usage du clairon est plus pertinent.

Silencio militar – DĂ­a de los muertos por la patria. InterprĂ©tĂ© par le rĂ©giment de Grenadiers Ă  cheval « General San MartĂ­n », escorte prĂ©sidentielle de la RĂ©publique argentine.

On remarquera que la sonnerie « officielle n’est pas la mĂȘme, mĂȘme si elle inclut la mĂȘme sĂ©quence de trois notes. La sonnerie aux morts française est assez proche, mais pas identique non plus Ă  celle proposĂ©e par Canaro. Disons que c’est une sonnerie factice destinĂ©e Ă  donner le La. Pardon, le clairon ne peut pas jouer de La. Disons qu’il donne le Mi Ă  Gardel.

Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment. L’ambition se repose.
Balançant un berceau, une mĂšre chante une chanson bien-aimĂ©e qui touche l’ñme, parce que dans ce berceau, se trouve son espoir. (Le chƓur de femmes intervient sur ce couplet).
Ils Ă©taient cinq frĂšres. Elle Ă©tait une sainte. Il y avait cinq baisers qui, chaque matin, effleuraient trĂšs tendrement les mĂšches argentĂ©es de cette dĂ©jĂ  vieille aux cheveux blanchis. Il y avait cinq garçons qui sont allĂ©s Ă  l’atelier en marchant. (L’atelier c’est la guerre)
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant. Les muscles dorment, l’ambition travaille. (L’ambition passe du repos au travail. Elle prĂ©pare le combat).
Un clairon rĂ©sonne. La patrie est en danger. Et au cri de guerre, les hommes s’entretuent, couvrant de sang les champs de France. (À la place des chants de femmes, c’est ici le clairon qui rĂ©sonne).
Aujourd’hui, tout est fini. Les plantes renaissent. Les charrues chantent un hymne Ă  la vie. Et la petite vieille aux cheveux trĂšs blancs se sent trĂšs seule, avec cinq mĂ©dailles que pour cinq hĂ©ros lui a dĂ©cernĂ©es la Patrie.
Silence dans la nuit. Tout est calme maintenant.
Les muscles dorment, l’ambition se repose

Un chƓur lointain de mùres qui chantent berçant dans leurs berceaux, de nouveaux espoirs.
Silence dans la nuit.
Silence dans les ñmes


Les versions

Silencio 1932-11 Carlos Gardel con la Orquesta tĂ­pica Argentina de Juan Cruz Mateo.

Une version Ă©mouvante tirĂ©e du film « MelodĂ­a de arrabal » de Louis Gasnier. C’est le mĂȘme extrait, qu’en dĂ©but d’article, mais sans la vidĂ©o. Comme dĂ©jĂ  indiquĂ©, la sonnerie de trompette au dĂ©but est diffĂ©rente de la sonnerie de clairon de la version de Canaro de 1933.

Silencio 1933 -03-27 – Carlos Gardel con la orquesta de Francisco Canaro y coro de mujeres.

C’est le tango du jour. Dans la version du film, il y a deux petites rĂ©ponses de Imperio Argentina, sa partenaire dans le film, mais qui n’apparaĂźt pas Ă  l’écran au moment oĂč elle chante. Ici, c’est un chƓur fĂ©minin qui donne la rĂ©ponse Ă  Gardel.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarĂ­n (trompette).

La partenaire de Carlos Gardel dans le film MelodĂ­a de arrabal, reprend Ă  son compte le titre. C’est Ă©galement une superbe version Ă  Ă©couter. On notera que sur le disque il est Ă©crit Tango du film melodĂ­a de Arrabal. En fait, elle n’y chante que deux phrases en voix off et ce disque n’est donc pas tirĂ© du film (mĂȘme s’il n’est pas Ă  exclure qu’il ait Ă©tĂ© enregistrĂ© en mĂȘme temps que la bande son du film (octobre-novembre 1932) et qu’il soit sorti en 1933, Ă  l’occasion de la sortie du film (5 avril 1933 Ă  Buenos Aires), comme les versions de Canaro, qui Ă©tait toujours Ă  l’affut d’un bon coup financier.

Silencio 1933 Imperio Argentina con acomp. de guitarras, piano y clarĂ­n. Disque de 1933 (Ă  gauche) — Une rĂ©Ă©dition du mĂȘme enregistrement Ă  droite, preuve du succĂšs.

Une autre « erreur du disque est la mention d’un clairon. Contrairement Ă  la version Canaro Gardel, c’est de nouveau une trompette, comme dans le film avec l’orchestre de Mateo.
Elle dĂ©bute par Si Si Si Do RĂ© RĂ© – RĂ© RĂ© RĂ© Mi Fa, Les notes en rouge sont inaccessibles Ă  un clairon. Cela ne peut donc pas ĂȘtre un clairon, d’autant plus que la sonoritĂ© n’est pas la bonne.
Le piano apparait pour sa part tardivement, Ă  une minute par une petite fioriture sur la respiration de la chanteuse (de esa viejecita DING – DONG de canas muy blancas). AprĂšs 1 :11, la guitarre, le piano, puis la trompette se mĂȘlent Ă  la voix sur le refrain. À 2 : 18, on croit entendre une mandoline. Le piano termine par Ă©lĂ©gamment en faisant descendre la tension par un motif lĂ©ger ascendant puis descendant.
J’aime beaucoup le rĂ©sultat, Imperio a pris sa revanche sur Gardel en nous fournissant une version complĂ©mentaire et tout aussi belle.

Silencio 1933-03-30 — Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá.

Trois jours aprĂšs la version Ă  Ă©couter chantĂ©e par Gardel, Canaro enregistre le thĂšme avec Ernesto FamĂĄ. Ce dernier en bon chanteur de refrain ne chante qu’une petite partie des paroles. Cela en fait un tango de danse. La tragĂ©die des paroles est compensĂ©e par des fioritures, notamment avant la reprise du dĂ©but du refrain.

Je ne vous propose pas d’autres versions, mĂȘme s’il y en a environ deux douzaines, car avec cet Ă©chantillon rĂ©duit, on a l’émotion, l’image, l’homme qui chante, la femme qui chante et une version de danse. La totale, quoi ?
Parmi les versions que je laisse de cÎté, des interprétations de Gardel avec des guitares, Un Pugliese avec Maciel et pas mal de petits orchestres qui ont flashé pour le thÚme.

Pourquoi Silencio ?

Carlos Gardel Enfant de France

Je ne vais pas rouvrir le dossier et me fĂącher avec mes amis uruguayens, mais je signale tout de mĂȘme cette page oĂč je prĂ©sente les arguments en faveur d’une origine française de Gardel.
Ce qui ne peut pas ĂȘtre remis en question, c’est que Gardel est venu en France Ă  diverses reprises, qu’il a visitĂ© sa famille française, notamment Ă  Toulouse et Albi. Ce qu’on sait moins, c’est qu’étant nĂ© français, il Ă©tait soumis Ă  mobilisation pour la « Grande Guerre », celle de 1914-1918. GrĂące Ă  ses faux papiers uruguayens, il a pu Ă©chapper Ă  l’accusation de dĂ©sertion. Cependant, lors d’un sĂ©jour en France, il a visitĂ© les cimetiĂšres de la Grande Guerre.
On sent que cela le chatouillait. Le tango Silencio est un peu son expiation pour avoir Ă©chappĂ© Ă  la tuerie de 1914-1918. Tuerie et silence, cela ouvre m’a Ă©voquĂ© le grand sculpteur romantique, Auguste PrĂ©ault, justement auteur de deux Ɠuvres d’une force extrĂȘme, Tuerie et Le Silence.

Auguste Préault, sculpteur romantique

J’ai donc choisi pour l’illustration du jour, de partir d’une Ɠuvre du sculpteur français Auguste PrĂ©ault qui a rĂ©alisĂ© en 1842 cette Ɠuvre pour le monument funĂ©raire d’un certain Jacob RoblĂšs qui est dĂ©sormais cĂ©lĂšbre grĂące Ă  cette Ɠuvre au cimetiĂšre du PĂšre-Lachaise Ă  Paris.
Il m’a paru logique de l’associer Ă  « Tuerie » du mĂȘme artiste pour Ă©voquer la guerre de 1914-1918, mĂȘme cette Ɠuvre ne relate pas prĂ©cisĂ©ment des faits de guerre attestĂ©s. Elle se veut plus gĂ©nĂ©rique et provocatrice. D’ailleurs cette Ɠuvre n’a Ă©tĂ© acceptĂ©e au salon officiel de 1839 que pour montrer ce qu’il ne fallait pas faire pour ĂȘtre un grand sculpteur. PrĂ©ault rĂ©alisera la commande de RoblĂšs en 1842, mais son Ɠuvre ne sera exposĂ©e au salon qu’en 1849 (aprĂšs 10 ans de purgatoire et d’interdiction d’exposition).
Le nom de « Le Silence » n’est pas de cette Ă©poque. Il a Ă©tĂ© donnĂ© plus tardivement, vers 1867.

Silencio. Montage et interprĂ©tation d’aprĂšs « Tuerie » 1839 et « Le Silence » 1842 d’Auguste PrĂ©ault, avec toute mon admiration. Ces Ɠuvres portent le mĂȘme message que Silencio.

Voici les deux Ɠuvres et en prime un portrait de PrĂ©ault par le photographe Nadar.

Auguste PrĂ©ault par Nadar — Tuerie (Salon de 1834) — Monument funĂ©raire de Jacob RoblĂšs au PĂšre-Lachaise (Paris). Sur le monument funĂ©raire, l’inscription en hĂ©breux « Ne rien cacher ». J’ai donc essayĂ© de vous rĂ©vĂ©ler l’origine de ce tango crĂ©Ă© par un « dĂ©serteur ».

La vidéo de fin


Pour une fois, je vais faire plusieurs entorses au format des anecdotes du jour en terminant par une vidĂ©o au lieu d’une illustration que j’aurais rĂ©alisĂ©e.
Je n’ai pas choisi la musique, c’est une initiative de l’ami Memo Vilte qui voulait rendre un hommage Ă  la France en chantant ce tango qui n’est pas dans son rĂ©pertoire habituel de folklore argentin.

  1. Je ne suis pas l’auteur de cette vidĂ©o. C’est notre amie Anne-Marie Bou de Paris qui l’a rĂ©alisĂ©e Ă  l’arrache (c’était totalement impromptu). Merci Ă  toi Anne-Marie.
  2. La danseuse extraordinaire, c’est Stella Maris, mais vous l’aurez reconnue. Muchísimas Gracias Stella.
  3. Je suis « danseur » mĂ©diocre dans cette vidĂ©o. Vous comprenez maintenant pourquoi je prĂ©fĂšre ĂȘtre DJ.
  4. La tour Eiffel s’est mise Ă  scintiller pour saluer notre performance. C’était imprĂ©vu, mais on a apprĂ©ciĂ© cet hommage de la Vieille Dame au tango qu’elle a vu naĂźtre.

LĂĄgrimas y sonrisas 1941-03-26 (Valse) – Orquesta Rodolfo Biagi

Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

Hier, avec Valsecito amigo, nous Ă©tions en prĂ©sence d’une merveilleuse valse. Aujourd’hui, une autre valse, LĂĄgrimas y sonrisas qui va nous permettre de parler (un tout petit peu) de thĂ©orie musicale. Je vous emporte dans le tourbillon de cette merveilleuse valse rĂ©novĂ©e par Rodolfo Biagi.

Extrait musical

Pour suivre la suite, il est important de vous mettre la musique dans l’oreille dĂšs Ă  prĂ©sent.
Voici donc la valse du jour. Elle a été composée en 1913 (il y a donc 111 ans), mais cette version a été enregistrée le 23 mars 1941, il y a exactement 83 ans par Biagi.

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 — Orquesta Rodolfo Biagi. C’est la valse du jour.

Vous avez peut-ĂȘtre perçu un changement d’ambiance Ă  l’écoute en fonction des passages. Mais pour bien comprendre ce qui s’y passe, il faut faire un peu de thĂ©orie.

Lire une partition. La théorie musicale pour les débutants

Pardon Ă  mes lecteurs musiciens, mais pour mieux faire comprendre aux non-spĂ©cialistes, je dois faire un topo liminaire trĂšs basique. Vous pouvez le sauter. Ceux qui ne sont pas tout Ă  fait dĂ©butants pour se raccrocher aux Ă©tapes suivantes avant d’aller au cƓur du sujet (au chapitre intitulĂ©, Vous ĂȘtes renvoyĂ©s
) La vulgarisation, ce n’est pas de mettre des barreaux en haut de l’échelle, c’est de mettre des barreaux correctement espacĂ©s du bas au haut de l’échelle. Dixit un de mes professeurs Ă  l’École du Louvre, il y a bien longtemps.

La hauteur d’une note

La portĂ©e est un ensemble de cinq lignes horizontales qui permet d’indiquer la hauteur d’un son.
Plus un son est aigu et plus il représenté haut sur la portée. Si le son est plus aigu ou grave que les lignes de la portée, on rajoute un petit bout de ligne avec la note (voir ci-dessous, pour le premier DO, à gauche).

Par la suite, j’utiliserai la notation avec le nom des notes (Do à Si) et pas les lettres A à G.

Les altérations

Pour marquer les subtilitĂ©s de la musique, on a besoin de « crans » intermĂ©diaires Ă  ces 8 Ă©tages. Pour cela on utilise les diĂšses et les bĂ©mols.
Le diĂšse augmente d’un demi-ton la note qu’il prĂ©cĂšde. Le bĂ©mol baisse la note qu’il prĂ©cĂšde d’un demi-ton. Prenons l’exemple de la note Sol :

On peut donc monter ou descendre une note, au choix. Si on augmente la note la plus grave et qu’on baisse la plus aiguĂ«, on obtient le mĂȘme son.

Une vidéo qui vous montre un peu le principe du clavier du piano. https://youtu.be/WKuR6dwX6QE

Voici ce que donne la reprĂ©sentation sur une portĂ©e de l’air bien connu de FrĂšre Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob).

ReprĂ©sentation de la chanson FrĂšre Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob) sur une portĂ©e.

On peut donc raisonner en demi-tons, puisque chaque touche du piano (blanche et noire) est sĂ©parĂ©e de sa voisine d’un demi-ton.
Revenons Ă  FrĂšre Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob) qui peut ĂȘtre Ă©crit ainsi :
Do RĂ© Mi Do Do RĂ© Mi Do Mi Fa Sol
Entre le Mi et le Fa, il n’y a qu’un demi-ton. On peut donc obtenir la mĂȘme mĂ©lodie, un peu plus grave ou aigue, en dĂ©calant le jeu. Par exemple Sol La Si Sol Sol La Si Sol Si Do RĂ©. Maintenant, le demi-ton est entre le Si et le Do.
On peut également jouer en incluant les touches noires, par exemple en commençant par Fa# Sol# La# et ainsi de suite.
Cela peut aider pour jouer avec des instruments qui ont une tessiture Ă©troite (qui ne peuvent jouer que des notes sur une Ă©tendue restreinte d’une ou deux octaves, comme une flĂ»te Ă  bec). On change la note de rĂ©fĂ©rence pour l’adapter aux possibilitĂ©s de l’instrument avec lequel on joue. Cela s’appelle la transposition. On fait aussi cela pour les chanteurs. Par exemple, si c’est une femme soprano qui chante ou un homme baryton, il faudra que l’orchestre s’adapte Ă  la tessiture du chanteur.
Avec les instruments Ă  cordes, on peut changer la tension pour modifier l’accord de l’instrument. Pour d’autres comme le bandonĂ©on, c’est impossible. Il faut donc accorder tous les instruments pour qu’ils soient compatibles avec cet instrument. L’amusant est que selon les rĂ©gions et les Ă©poques le « diapason » a changĂ© et que certains se crĂȘpent le chignon pour ce type de dĂ©tail
 Mais, cela devient un discours de « spĂ©cialiste Â» et n’a aucun intĂ©rĂȘt pour la danse. Abordons donc d’abord le niveau trois, l’esprit tranquille.

Lire une partition. La théorie musicale, niveau trois, les modes

Il ne faudrait pas penser que toutes ces subtilités ont été créées pour pallier des problÚmes techniques.
Les altérations (diÚses et bémols) ont été inventées pour changer la tonalité (la couleur, les teintes, pour faire une comparaison avec la peinture).
Selon la disposition de ces altĂ©rations, l’ambiance du morceau va changer.
Le plus simple est d’écouter un morceau bien connu et de voir comment son ambiance change si on modifie la position des demi-tons.
Je reprends FrĂšre Jacques (Brother John / Lego Diego / Fra’ Martino / Bruder Jakob) pour que ce soit bien clair.

Frùre Jacques au piano en Do majeur. C’est la version habituelle.
FrĂšre Jacques au piano en Do mineur.

La tonalitĂ© de la musique est bien diffĂ©rente. Le mi de la version habituelle est devenu un mi bĂ©mol. Il est un demi-ton plus bas. Cela suffit Ă  changer la façon dont on perçoit la musique. Elle semble plus triste. Ce mode particulier est appelĂ© mode mineur par opposition au mode majeur plus gai que l’on est habituĂ© Ă  entendre pour ce titre.

Lire une partition. La thĂ©orie musicale, niveau quatre, l’armature et les changements de mode

On parle toujours du mode et pas de la mode vestimentaire, hein ?
On a vu que le changement de mode donnait une couleur particuliĂšre Ă  la musique. Pour Ă©viter d’avoir Ă  Ă©crire chaque diĂšse ou bĂ©mol Ă  la clef, on a dĂ©cidĂ© de mettre en dĂ©but de partition, tous les diĂšses ou bĂ©mols Ă  utiliser. Pour ĂȘtre prĂ©cis, c’est soit des diĂšses, soit des bĂ©mols et l’ordre en est prĂ©cis, on n’écrit pas n’importe quoi Ă  l’armature (cette partie de la partition).
Cette armature indique la tonalitĂ© d’un morceau. Par exemple, il peut ĂȘtre en Do majeur, c’est une des tonalitĂ©s les plus simples. Au piano il se joue uniquement avec les touches blanches. La plupart des chansons enfantines sont dans cette tonalitĂ©, car elles sont souvent jouĂ©es sur des instruments rudimentaires qui ne permettent pas les demi-tons.
Dans LĂĄgrimas y sonrisas, le mode change en cours de route.

On remarquera Ă  l’armature au tout dĂ©but, trois bĂ©mols (Si b, Mi b, La b). Cela indique que tous les Si, tous les Mi et tous les La seront altĂ©rĂ©s (jouĂ©s un demi-ton plus bas), sauf indication contraire.
Contrairement au diĂšse ou au bĂ©mol isolĂ©, ces altĂ©rations placĂ©es en dĂ©but de partition influent sur toute la musique. Dans le cas de cette valse, on peut dire qu’elle commence en Do mineur donc un mode nostalgique, triste. Je n’entre pas dans les dĂ©tails, ce serait trop long Ă  exposer ici.
On remarquera sur la seconde page de la partition, Ă  l’endroit du changement de couleur, trois signes placĂ©s sur les lignes des Si, Mi et La (les lignes des notes qui sont altĂ©rĂ©es. Ces signes qui ressemblent un peu aux diĂšses sont des bĂ©carres. Leur fonction est d’annuler les altĂ©rations sur les notes considĂ©rĂ©es. Ici, comme c’est au dĂ©but d’une partie, c’est valable pour tout ce qui suit. Tous les Si, tous les Mi et tous les La seront dĂ©sormais ordinaires [ni plus graves ni plus aigus].

Le bĂ©carre peut aussi ĂȘtre placĂ© devant une seule note, comme un diĂšse ou un bĂ©mol. Dans ce cas, il ne modifie que la note qui va ĂȘtre jouĂ©e et pas les suivantes qui garderont l’altĂ©ration [diĂšse ou bĂ©mol] appliquĂ©e Ă  la clef dans l’armure.
Cela semble un peu compliquĂ©, mais une fois qu’on a compris, c’est pratique.

Vous ĂȘtes renvoyĂ©s


Je reviens Ă  la partition de LĂĄgrimas y sonrisas. On a observĂ© qu’au dĂ©but elle Ă©tait en Do mineur [3 bĂ©mols], puis que dans la partie de couleur ambre, elle Ă©tait en mode majeur [ici Do majeur].
Cela veut dire que le début est plutÎt triste et la partie de couleur ambre, plus gaie.
Cela s’entend assez clairement Ă  l’écoute si on arrive Ă  passer par-dessus deux difficultĂ©s.
La premiĂšre est que les partitions sont Ă©crites Ă  l’économie. Lorsque l’on rejoue le mĂȘme passage, on en l’écrit pas, on utilise des systĂšmes de renvoi. Par exemple, Ă  la fin, on voit D. C. qui signifie Da Capo [en tĂȘte] et qui indique au musicien qu’il doit maintenant recommencer du dĂ©but. D’autres renvois plus discrets sont les doubles barres verticales.

La seconde difficultĂ© est qu’il y a des altĂ©rations ou des bĂ©carres sur des notes isolĂ©es. On voit dans l’illustration prĂ©cĂ©dente, des bĂ©carres sur les trois « Si » de la premiĂšre mesure entiĂšre de cet extrait.
C’est-Ă -dire que la tonalitĂ© a en fait changĂ© avant l’arrivĂ©e des bĂ©carres. C’est tout simplement que le compositeur, Pascual de Gullo dans le cas prĂ©sent, prĂ©pare l’oreille de l’auditeur pour le nouveau mode Ă  venir. C’est ici trĂšs discret, c’est plus marquĂ© Ă  d’autres endroits. On remarquera la mĂȘme chose dans d’autres mesures avec la prĂ©sence de bĂ©carres ou diĂšses isolĂ©s. Je signale ces changements dans la seconde Ă©coute, ci-dessous.
Ce sont ces subtilitĂ©s qui font l’harmonie de la musique. Imaginez que vous passiez directement de FrĂšre Jacques en mode majeur Ă  sa version en mode mineur, sans prĂ©paration

La plupart des morceaux contiennent des changements de tonalité, moins souvent des changements de mode comme ici.

Nouvelle Ă©coute de la valse du jour

Maintenant que vous ĂȘtes au courant, je vous propose d’écouter de nouveau et d’essayer de dĂ©tecter ces changements de mode qui font passer du triste des larmes [LĂĄgrimas] au gai des sourires [Sonrisas].

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 — Orquesta Rodolfo Biagi.

0 : 00 Mineur
0 : 18 Un peu de majeur [altĂ©rations avec des diĂšses pour changer la tonalitĂ© et le mode de façon trĂšs temporaire]
0 : 26 Mineur
0 : 51 Majeur
1 : 17 Mineur
1 : 31 Un peu de Majeur [altĂ©rations avec des diĂšses pour changer la tonalitĂ© et le mode de façon trĂšs temporaire]
1 : 44 Mineur jusqu’à la fin, mais les fioritures au piano de Biagi, tempĂšrent l’idĂ©e de tristesse, mĂȘme s’il y a un lĂ©ger ralentissement final.

Les paroles

Malheureusement, on n’a pas de version enregistrĂ©e avec les paroles de Francisco Gullo. On ne pourra donc pas entendre comment s’articulent les passages tristes ou gais, avec les paroles correspondantes. J’indique donc les paroles pour votre rĂ©fĂ©rence, mĂȘme si vous avez peu de chance de les entendre interprĂ©tĂ©es, un jour.

Inmenso es el pesar que tu ausencia me ha causado,
Mi corazĂłn desgarrado sangra de tanto llorar,
Ya no puedo vivir sin tus dulces sonrisas
Lágrimas cruentas derramo sabiendo que te perdí


Tus sonrisas, mĂĄgicas de encanto son
Embeleso de mis lĂĄgrimas de amor,
Me acarician con su divino rubor
Soñåndolas, vana ilusiĂłn, consuelo mi corazĂłn


Porque te amaba de veras
Forjaba quimeras con loca ansiedad,
Y en tus hermosas sonrisas
Quedó prisionera mi felicidad


Hoy que el recuerdo se ahonda en la mente
Quisiera verte una vez mĂĄs,
Para confiarte en secreto, alma mĂ­a
Que mi amor, no te olvido jamás


BĂ©same con pasiĂłn tu boca me murmuraba,
No te atormentes, que nada de ti me separarĂĄ,
Siempre te nombrarĂĄn mis lĂĄgrimas sentidas
Por tus sonrisas fingidas, estoy enfermo de amor


Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (Pascual De Gullo)

Traduction libre et indications

Immense est le chagrin que m’a causĂ© ton absence. Mon cƓur dĂ©chirĂ© saigne de tant pleurer.
Je ne peux plus vivre sans tes doux sourires. Des larmes sanglantes que j’ai versĂ©es en sachant que je t’ai perdue

Tes sourires sont magiques de charme, embellissant mes larmes d’amour. Ils me caressent de leur divine rougeur. En rĂȘver, vaine illusion, console mon cƓur

Parce que je t’aimais vraiment ; j’ai forgĂ© des chimĂšres avec une folle anxiĂ©tĂ© et dans tes beaux sourires, mon bonheur Ă©tait emprisonné 
Aujourd’hui, que le souvenir s’engloutit dans l’esprit, j’aimerais te voir une fois de plus [voir le sublime tango « Quiero verte una vez mĂĄs » de Mario Canaro avec des paroles de JosĂ© MarĂ­a Contursi, sur le mĂȘme thĂšme].
Pour te confier secrùtement, mon ñme, que mon amour ne t’oubliera jamais
Embrasse-moi passionnĂ©ment, me murmura ta bouche, ne te tourmente pas, car rien ne me sĂ©parera de toi. Toujours mes larmes sincĂšres te nommeront. À cause de tes sourires feints, je suis malade d’amour

Les paroles sont plutĂŽt jolies et sensibles. La chute finale avec les sourires feints ouvre diffĂ©rents horizons que je vous laisse explorer ; —)

Les versions

Lágrimas y sonrisas 1913 — Eduardo Arolas y su Orquesta Típica.

Un enregistrement acoustique, donc un peu sĂ©vĂšre pour nos oreilles modernes, mais qui laisse tout de mĂȘme remarquer la qualitĂ© de l’interprĂ©tation. Cependant, le manque de variations peut laisser paraĂźtre le titre un peu monotone.

Lágrimas y sonrisas 1914 — Quinteto Criollo Tano Genaro Espósito.

L’annĂ©e suivante, Tano Genaro l’interprĂšte avec son Quinteto Criollo. À mon avis, on peut se passer facilement de cette version, plutĂŽt ennuyeuse.

Lágrimas y sonrisas 1932-12-05 — Trío Ciriaco Ortiz.

Bien que de 1932, cette version à deux guitares et un bandonéon, peut se danser, mais elle ne devrait pas susciter des enthousiasmes débordants. Les guitares de Ramón Andrés Menéndez y Vicente Spina (le compositeur de Loco turbión) font leur travail, mais le bandonéon de Ciriaco Ortiz est un peu paresseux.

LĂĄgrimas y sonrisas 1934-10-20 — Orquesta Adolfo Pocholo PĂ©rez.

On monte un peu en énergie et la différence entre les parties tristes (mineure) et gaies (majeures) est bien sensible.

Lágrimas y sonrisas 1936-09-29 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version classique. Biagi se remarque au piano par quelques Ă©lĂ©ments lĂ©gers. Dans la partie gaie, il accompagne de façon lĂ©gĂšre les pizzicati des violons. Le final Ă  la D’Arienzo suggĂšre une accĂ©lĂ©ration et la valse nous entraĂźne puissamment jusqu’aux derniĂšres notes.
Il est un peu dommage de ne pas en avoir un enregistrement de 1938, car c’est cette valse qui a poussĂ© D’Arienzo Ă  virer Biagi, car il devenait de plus en plus la vedette de l’orchestre. En effet, Ă  la suite d’une interprĂ©tation brillante de cette valse, Biagi se leva pour saluer le public qui applaudissait Ă  tout rompre. D’Arienzo s’est alors dirigĂ© vers lui pour lui signifier Ă  voix basse qu’il Ă©tait viré ; “¡Soy la Ășnica estrella de esta orquesta
estĂĄs despedido!». Je suis la seule vedette (Ă©toile) de cet orchestre, tu es viré !

Lágrimas y sonrisas 1941-03-26 — Orquesta Rodolfo Biagi.

C’est la valse du jour. LĂ , Biagi a son propre orchestre. Il peut se lĂącher complĂštement au piano pour nous proposer cette version brillante. Les expirations haletantes des bandonĂ©ons, les glissandos des violons et les accents Ă©nergiques du piano donnent une grande variĂ©tĂ© Ă  cette interprĂ©tation. La fin n’a pas l’impression d’accĂ©lĂ©ration que possĂšde la version de D’Arienzo, mais les motifs des 30 derniĂšres secondes dĂ©montrent la virtuositĂ© de Biagi au piano.

Lágrimas y sonrisas 1974-04-26 — Orquesta Alfredo De Angelis

Je terminerai avec un autre pianiste, De Angelis qui propose une version bien diffĂ©rente et tardive de cette trĂšs belle valse oĂč on retrouve le mĂȘme jeu que dans les 30 derniĂšres secondes de la version de Biagi, mais plus tĂŽt. On peut considĂ©rer que c’est un hommage, une citation. Cela permet Ă  De Angelis de retrouver l’accĂ©lĂ©ration finale qui avait Ă©tĂ© gommĂ©e dans la version de Biagi.

Valsecito amigo 1943-03-25 – Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino

Aníbal Carmelo Troilo Letra José María Contursi

Si comme moi vous adorez les valses, vous devez avoir le titre du jour, Valsecito amigo bien au chaud dans votre cƓur. Ce titre est nĂ© sous tous les bons auspices avec la musique de Troilo, les paroles de Contursi et la voix de Fiorentino. Vous en aviez rĂȘvĂ©, Pichuco l’a fait pour vous.

AnĂ­bal Carmelo Troilo y Marcos

Pichuco, el Gordo, el bandoneĂłn mayor de Buenos Aires et autres appellations tĂ©moignent de l’affection que portent les PortĂšgnes Ă  Troilo.

Il utilisait son nom vĂ©ritable, tout comme son grand frĂšre Marcos, Ă©galement bandonĂ©iste et qui travailla d’ailleurs dans l’orchestre de son frĂšre de 1941 Ă  1947.

Le chouchou de Buenos Aires

À Buenos Aires, Troilo est littĂ©ralement adorĂ©. C’était nettement moins le cas en Europe et je me souviens qu’en 2014, en France, pour le centenaire de sa naissance, certains danseurs faisaient la moue quand j’annonçais une tanda de Troilo. J’ai cependant insistĂ© et je pense que dĂ©sormais, Troilo est unanimement apprĂ©ciĂ©, mĂȘme s’il y a quelques semaines, je recueillais les confidences d’un danseur qui m’indiquait qu’il avait du mal Ă  danser sur Troilo.
Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le dĂ©bat ici, mais Troilo a fait du tango pour la danse et du tango Ă  Ă©couter. Par ailleurs, il adorait les chanteurs et leur a donnĂ© un peu plus de prĂ©sence. Cela a donc influĂ© sur la dansabilitĂ© de ses titres. Il convient donc de choisir les Troilo que l’on propose en milonga et l’on peut donner Ă©normĂ©ment de bonheur aux danseurs, mĂȘme en sortant de la liste d’une quinzaine de titres Ă  laquelle se limitent la plupart des DJ.
Avec cette valse, pas de risque de dĂ©ception, sauf bien sĂ»r pour les rares danseurs qui n’aiment pas les valses (bisous, Henri et Catherine).

Les débuts de Pichuco contés par son frÚre, Marcos

Je vous propose cette archive datant de 1969, dans laquelle son grand frĂšre, Marcos, parle des dĂ©buts de son fameux frĂšre. L’entrevue est menĂ©e par Pipo Mancera (JosĂ© NicolĂĄs Mancera)

Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera

Transcription partielle, mais pas partiale.

Pipo hablando a AnĂ­bal: Pichuco, No, no te voy a pedir nada, se lo voy a preguntar a Troilo, pero no a vos, se lo voy a preguntar a tu hermano.
Pipo a Marcos: Si usted fuera tan amable, adelante señor Troilo.
Pipo al pĂșblico: Marcos Troilo, hermano mayor de AnĂ­bal Troilo.
Pipo a Marcos: Como era su hermano cuando era chico?
Marcos: Bueno mi hermano cuando chico ya dejaba entrever que iba a ser un poquito gordito [
] que estaban en una Ă©poca de los 10 a los 12 años 13 años bueno.
Pipo a Marcos: Señor Troilo cuando se despierte en Pichuco su amor por la mĂșsica?
Marcos: Bueno, Pichuco, hace muchĂ­simos años, tenĂ­a la edad de 10, 11 años y nosotros frecuentĂĄbamos un club que se llamĂł la Fanfarria (La Fanfarria estaba en los terrenos del antiguo HipĂłdromo Nacional, ahora, lugar de la cancha de River Plate, el club de AnĂ­bal
) en las cuales los socios aportaban semanalmente uno o dos pesos y todas las semanas los mismos socios hacĂ­an una pequeña jugada en la cual si se llegaba a ganar se aportaba para hacer un picnic o una fiesta o un baile.
Pipo: Qué lindo
Marcos: Entonces es ahĂ­ donde empezĂł la vocaciĂłn de Pichu pues esa cosa que se le despertĂł a Ă©l. Y yo recuerdo muy bien en los picnics cuando se encontraba con los bandoneones que actuaban en esa fiesta que festejaban eso que nosotros estĂĄbamos ahĂ­ que se sentaba siempre al lado de uno de los bandoneones y lo miraba muy atentamente.
Entonces llegĂł un dĂ­a de que esos picnics se hacĂ­an con mucha frecuencia y un dĂ­a le dijo a mi madre que le comprara un bandoneĂłn. Esta vez asĂ­ que en una oportunidad yo regresaba a casa y me dijo mi madre dice mira dice lo que hay arriba de esa cama. Y era un bandoneĂłn que le habĂ­a comprado en una casa de la calle CĂłrdoba, a un señor que lo recuerdo como si fuera ahora, se llamaba “Esteinguar” (o Estenguar, apellido a verificar)
Pipo: Si como es este mismo (El bandoneĂłn que estĂĄ usando AnĂ­bal)
Aníbal: Cuarenta y tres años.
Pipo: El fueye que le compro su madre.
Marcos: y creo que le costó 140 pesos [
]
Pipo: 140 pesos
AnĂ­bal: A pagar 10 pesos por mes.
Hay una anécdota curiosísima. A los cuatro meses, no vinieron a cobrar. El tipo se había muerto. Así que me costó 40 pesos.
Pipo a Marcos: Pero me has dado un dato que para mí es muy importante [
] (Pipo pido el fuye a Anibal, tratando de hacer tocar a Marcos
) usted aprendió a tocar el fueye porque sabía que su hermano iba a ser famoso.
Marcos: No simplemente porque me contagió el entusiasmo que él tenía y un día decidí practicar y empecé a tocar una cosita de acå otra cosita de acå agregando y empecé a tocar un valsecito con éxito.
Pipo: Cuåntos años hace que no toca el bandoneón?
Marcos: Bueno en honor de la verdad creo que hace del año 48 a fines del 48 (Marcos tocó en la orquesta de su hermano hasta 1947).
Pipo: Qué es lo que mejor recuerda que tocaba en bandoneón
 Un valsecito, un tanguito?
Marcos: Creo que era un tango de Charlo. Este tango precioso. No recuerdo bien el nombre ahora, pero, que Pichuco me lo puede hacer recordar. [
]

Marcos Troilo habla de Anibal 1969-07-12 — Sábados circulares de Pipo Mancera. En azul mis comentarios.

Traduction libre de l’entrevue avec Marcos Troilo

Pipo s’adressant à Aníbal : Pichuco, non, je ne vais rien te demander, je vais demander à Troilo, mais pas à toi, je vais demander à ton frùre.
Pipo Ă  Marcos : Si vous voulez bien le faire, venez, M. Troilo.
Pipo au public : Marcos Troilo, le frĂšre aĂźnĂ© d’AnĂ­bal Troilo.
Pipo Ă  Marcos : Comment Ă©tait ton frĂšre quand il Ă©tait enfant ?
Marcos : Eh bien, quand il Ă©tait enfant, mon frĂšre avait dĂ©jĂ  laissĂ© entendre qu’il allait ĂȘtre un peu potelĂ© [
] C’était au moment oĂč il avait 10 Ă  12 ans, 13 ans.
Pipo Ă  Marcos : M. Troilo, quand l’amour pour la musique s’éveille-t-il chez Pichuco ?
Marcos : Eh bien, Pichuco, il y a de nombreuses annĂ©es, il avait 10 ou 11 ans et nous frĂ©quentions un club appelĂ© la Fanfarria (la Fanfare, qui Ă©tait sur le terrain de l’ancien hippodrome national, aujourd’hui l’endroit oĂč se trouve le terrain de River Plate, le club d’AnĂ­bal
) dans lequel les membres contribuaient Ă  hauteur d’un ou deux pesos par semaine et chaque semaine, les membres eux-mĂȘmes faisaient une petite piĂšce dans laquelle s’ils gagnaient, c’était un apport pour faire un pique-nique, une fĂȘte ou une danse.
Pipo : C’est mignon.
Marcos : C’est donc lĂ  que la vocation de Pichu a commencĂ©, cette chose qui s’est Ă©veillĂ©e en lui. Et je me souviens trĂšs bien que lors des pique-niques, lorsqu’il rencontrait les bandonĂ©onistes qui jouaient Ă  cette fĂȘte. Il s’asseyait toujours Ă  cĂŽtĂ© de l’un des bandonĂ©onistes et le regardait trĂšs attentivement.
Puis il y a eu un jour oĂč ces pique-niques Ă©taient trĂšs frĂ©quents et un jour il a dit Ă  ma mĂšre de lui acheter un bandonĂ©on. Une fois que je rentrais Ă  la maison, ma mĂšre m’a dit, regarde ce qu’il y a sur ce lit. Et c’était un bandonĂ©on qu’elle avait achetĂ© dans une maison de la rue Cordoba, Ă  un homme dont je me souviens comme si c’était maintenant, son nom Ă©tait « Esteinguar » (ou Estenguar, nom de famille Ă  vĂ©rifier)
Pipo : Oui, c’est celui-ci. (Le bandonĂ©on qu’utilise Troilo est celui achetĂ© par sa mĂšre)
Hannibal : Quarante-trois ans.
Pipo : Le fueye que votre mÚre lui a acheté.
Marcos : Et je pense que ça lui a coĂ»tĂ© 140 pesos [
]
Pipo : 140 pesos
Aníbal : À payer 10 pesos par mois.
Il y a une anecdote trĂšs curieuse. Au bout de quatre mois, ils ne sont pas venus rĂ©clamer leur dĂ». Le gars Ă©tait mort. Cela m’a donc coĂ»tĂ© 40 pesos.
Pipo Ă  Marcos : Mais tu m’as communiquĂ© une information qui est trĂšs importante pour moi [
] (Pipo emprunte le bandonĂ©on Ă  Anibal et essaye d’en faire jouer son frĂšre, Marcos) tu as appris Ă  jouer du bandonĂ©on parce que tu savais que ton frĂšre allait devenir cĂ©lĂšbre ?
Marcos : Non, simplement parce que j’ai Ă©tĂ© contaminĂ© par l’enthousiasme qu’il avait et qu’un jour j’ai dĂ©cidĂ© de m’entraĂźner et j’ai commencĂ© Ă  jouer une petite chose d’ici, une autre petite chose par-lĂ , et j’ai commencĂ© Ă  jouer une valse avec succĂšs.
Pipo : Combien d’annĂ©es se sont-elles Ă©coulĂ©es depuis que vous n’avez pas jouĂ© du bandonĂ©on ?
Marcos : Eh bien, pour ĂȘtre honnĂȘte, je pense que c’était en 1948 Ă  la fin de 1948 (Marcos a effectivement jouĂ© dans l’orchestre de son frĂšre jusqu’en 1947).
Pipo : De quoi te souviens-tu le mieux quand tu jouais du bandonĂ©on ? Une valse, un tango ?
Marcos : Je crois que c’était un tango de Charlo. Un beau tango. Je ne me souviens plus trĂšs bien du nom, mais Pichuco peut me le rappeler. [
]

Extrait musical

Écoutons maintenant le tango du jour, qui est cette merveilleuse valse, Valcesito amigo.

Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

Les paroles

Vals sentimental de nuestras viejas horas,
¥nunca te escuché tan triste como ahora!
Llegas hasta mi para aumentar mi queja,
tiene tu rondĂ­n sabor a cosa vieja…
Vals sentimental, ingenuo y ondulante,
vuelvo a recordar aquellos tiempos de antes.
Una voz lejana me acusa en tu canciĂłn,
ÂĄvalcesito!… ÂĄy envuelve mi emociĂłn!

Vuelca tu nostalgia febril,
tu musiquita sensual,
se que no es posible seguir
oyéndote sin llorar.
Valcesito amigo, no ves
esta incertidumbre tenaz
que no hace mĂĄs
que remover y conmover
mi soledad…
Unos ojos verdes de mar
mĂĄs grandes que su ilusiĂłn,
unas ansias grandes de amar…
despuĂ©s… llorando una voz…
Valcesito amigo, no ves
que tu musiquita sensual
no sabe mĂĄs
que atormentar y atormentar
mi corazĂłn…

Cuando llegue el fin de mi oraciĂłn postrera,
quiero imaginarla asĂ­, como ella era…
Juntaré mi voz a aquellos labios suyos,
mientras tu canciĂłn nos servirĂĄ de arrullo.
Vals sentimental de nuestras horas,
ya no me verĂĄn tan triste como ahora.
Lentamente tus notas amigas cantaré,
valsecito… ÂĄy entonces morirĂ©!

Anibal Troilo Letra: José María Contursi

Traduction libre

Petite valse amicale

Valse sentimentale de nos heures anciennes, jamais en t’écoutant je n’ai eu tant de peine.
Tu ne viens à moi que pour me tourmenter. Tes notes ont la saveur des choses passées

Valse sentimentale, ingĂ©nue et ondulante, de ces temps d’autrefois tu fais revenir le souvenir.
Une voix lointaine m’accuse dans ta chanson, petite valse, et enserre mon Ă©motion.

Tu verses ta nostalgie fĂ©brile, ta petite musique sensuelle, tu sais que je ne peux pas continuer de t’entendre sans pleurer. Petite valse amie, ne vois-tu pas cette incertitude tenace, qui ne fait rien que remuer et aviver ma solitude ?
Des yeux verts de mer, plus grands que ton illusion, une fringale immense d’aimer

Puis
 Une voix qui pleure

Valse amicale, ne vois-tu pas que ta petite musique sensuelle ne sait rien faire d’autre que tourmenter et tourmenter mon cƓur


Quand arrivera la fin de ma derniĂšre priĂšre, je veux l’imaginer ainsi, comme elle Ă©tait

Je joindrai ma voix aux siennes lĂšvres, pendant que ta chanson nous servira de roucoulement.
Valse sentimentale de nos heures ; jamais me virent si triste comme maintenant. Lentement, je chanterai tes notes amicales, petite valse
 et ensuite, je mourrai !

Pour une autre traduction en français, vous pouvez consulter celle de Fabrice Hatem, sur son site.

Les versions

Valsecito amigo 1943-03-25 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino.

C’est le tango du jour. Troilo est sur son terrain, car il en est le compositeur.
La premiĂšre minute fait monter la tension afin de prĂ©parer l’intervention de Fiorentino. Le mode mineur adoptĂ© donne un peu de nostalgie Ă  la musique, mais le rythme soutenu entraĂźne les danseurs dans une valse Ă©nergique. Les instruments, violons et bandonĂ©on, mais aussi la voix relance l’énergie Ă  chaque mesure. Le premier temps est marquĂ© de façon sensible mais sans brutalitĂ©, toute en subtilitĂ©. Troilo a trouvĂ© une façon de marquer les trois temps de la valse avec un style particuliĂšrement fluide, que prĂ©serve Fiorentino. Impossible de rĂ©sister Ă  l’élan sans cesse renouvelĂ©. MĂȘme Fiorentin ne semble pas devoir reprendre son souffle, pour ne pas couper la dynamique malgrĂ© une diction parfaite et rapide.

Valsecito amigo 1943-08-17 Orquesta Francisco Canaro con Eduardo AdriĂĄn.

EnregistrĂ©e cinq mois plus tard, la version de Canaro marque bien la diffĂ©rence de style. Troilo a une modernitĂ© naissante bien diffĂ©rente de la version plus traditionnelle de Canaro. Cependant, il ne faudrait pas jeter la magnifique prestation de Canaro et l’émotion que suscite Eduardo AdriĂĄn.
Canaro qui est Ă©galement Ă  la tĂȘte d’un orchestre de jazz utilise des instruments plus rares dans les tĂ­picas de tango, comme la trompette bouchĂ©e ou la clarinette.
Les instruments se rĂ©pondent, des motifs rĂ©pondent Ă  l’instrument principal qui peut ĂȘtre la voix. Ces petits accents sont comme des fioritures que peuvent observer les danseurs pour sortir du rythme rĂ©gulier et puissant bien que d’un tempo plus modĂ©rĂ©. Canaro donne la parole successivement Ă  chaque instrument ce qui Ă©vite la monotonie, chaque reprise a une couleur diffĂ©rente.
Canaro a sa sonoritĂ© propre, facilement reconnaissable et le rĂ©sultat est aussi fantastique que la version de Troilo et Fiorentino. Sur l’üle dĂ©serte, il faut absolument emporter les deux.

S’il existe bien sĂ»r d’autres enregistrements, il n’y a rien de bien passionnant qui puisse faire passer au second plan les versions de Troilo et Canaro.
On dirait que les merveilles réalisées par ces deux monstres sacrés ont fait peur aux suiveurs.
Cependant, un enregistrement moderne me semble intĂ©ressant, peut-ĂȘtre, car il me rappelle le Cuarteto CedrĂłn qui fut un des orchestres qui berça mon enfance avec la voix si particuliĂšre de Juan.

Valsecito amigo 2010-10-22 La TĂ­pica Orquesta de Tango con Juan Tata CedrĂłn (voz y direcciĂłn).

À voir

Pour mieux connaĂźtre Pichuco, vous pouvez consulter ce film documentaire sur ceux qui font vivre l’hĂ©ritage de Pichuco. Il a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© en 2014 Ă  l’occasion du centenaire de sa naissance.

Un recorrido musical por la obra de AnĂ­bal šPichucoš Troilo, uno de los personajes fundamentales de la historia del Tango y la mĂșsica Argentina. Director: MartĂ­n Turnes. 2014. https://play.cine.ar/INCAA/produccion/1451

Il faut un compte pour voir le film, mais c’est gratuit et cela vous ouvrira la porte des merveilleuses ressources de l’INCAA.

AdiĂłs, los Troilos

Marcos est dĂ©cĂ©dĂ© le 7 avril 1975 et un peu plus d’un mois plus tard, Anibal l’a rejoint.
Le poĂšte AdriĂĄn Desiderato Ă©crivit Ă  cette triste occasion :
« Fue un 18 de mayo, ese dĂ­a al bandoneĂłn, se le cayĂł Pichuco de las manos ».
Ce fut un 18 mai, ce jour du bandonĂ©on, qu’il tomba des mains de Pichuco.
Depuis l’ñge de dix ans, l’instrument n’a pas quittĂ© Anibal. On a donc dĂ©cidĂ© de faire du 18 mai le jour du bandonĂ©on. Le seul hic, c’est qu’il y a un doute rĂ©el sur la date de dĂ©cĂšs d’Anibal, 18 ou 19 mai  ?
Je vous laisse méditer, comme le héros de cette valse, interprété par Fiorentino, Adriån et Cedrón.

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Je pense que vous ne devinerez pas pourquoi il y a un tigre pour prĂ©senter le tango du jour, Lorenzo enregistrĂ© par Fresedo. Lorenzo Ă©tait-il un tigre du zoo de Buenos Aires ? Parle-t-on d’un Lorenzo originaire de Tigre ? Rien de tout cela, vous ne pourrez jamais deviner sans lire ce qui suit


Le tango « Lorenzo » a Ă©tĂ© composĂ© par AgustĂ­n Bardi et les paroles Ă©crites par Mario Alberto Pardo en l’honneur du bandonĂ©oniste Juan Lorenzo Labissier.
Il a Ă©tĂ© jouĂ© pour la premiĂšre fois dans le cafĂ© Dominguez (celui qui est cĂ©lĂ©brĂ© par D’Agostino avec la cĂ©lĂšbre phrase introductive dite par JuliĂĄn Centeya :

« CafĂ© DomĂ­nguez de la vieja calle Corrientes que ya no queda. CafĂ© del cuarteto bravo de Graciano de Leone. »

CafĂ© de la vieille rue Corrientes [rue de Buenos Aires, cĂ©lĂšbre pour ses thĂ©Ăątres et son histoire intime avec le tango] qui n’existe plus. CafĂ© du cuarteto Bravo de Graciano de Leone.
Nous n’avons aucun enregistrement de cette Ă©poque [avant 1919] de ce cuarteto constituĂ© de lui-mĂȘme Ă  la direction et au bandonĂ©on, de Roccatagliata au violon de Carlos Hernani Macchi Ă  la flĂ»te et d’AgustĂ­n Bardi, l’auteur de ce tango, au piano.
On peut se demander pourquoi Bardi a dĂ©dicacĂ© ce tango Ă  Labissier alors qu’il travaillait pour un autre bandonĂ©oniste. Je n’ai pas la rĂ©ponse ;-)
Souvent, les hommages sont faits en mĂ©moire d’un ami rĂ©cemment dĂ©funt comme la magnifique Valse « A Magaldi », mais dans le cas prĂ©sent, le dĂ©dicataire a survĂ©cu prĂšs de 40 ans Ă  cette dĂ©dicace. Bardi le connaissait pour avoir travaillĂ© avec lui au cafĂ© CafĂ© Royal, cafĂ© plus connu sous son surnom de CafĂ© del Griego (du Grec). Ce cafĂ© Ă©tait situĂ© Ă  proximitĂ© de l’angle des rues Necochea et Suarrez (La Boca). À l’époque Bardi Ă©tait violoniste et se transforma en pianiste
 Signalons en passant que Canaro qui a enregistrĂ© le titre le 23 mai 1927, la veille de Fresedo qui signe le tango du jour avait fait ses dĂ©buts officiels dans les mĂȘmes parages.
N’oublions pas que sur quelques dizaines de mĂštres se collisionnent de nombreux souvenirs de tango, Lo de Tancredi, le lieu de naissance de Juan de Dios Filiberto, La de Zani, et la rencontre entre Canaro et Eduardo Arolas qui Ă©tait surnommĂ© le Tigre du bandonĂ©on. Cela pourrait ĂȘtre une des raisons pour laquelle j’ai mis le tigre dans l’image de couverture, mais il y en a une autre. Soyez patients.

LĂ  oĂč on revient Ă  Lorenzo

Pour revenir au dĂ©dicataire du tango, Lorenzo n’était pas comme Arolas un Tigre, mais il a jouĂ© durant une vingtaine d’annĂ©es de son instrument dans diffĂ©rents orchestres et notamment avec Vicente Greco (trio, quinteto et tĂ­pica). La communautĂ© des musiciens de tango semble avoir Ă©tĂ© trĂšs soudĂ©e Ă  cette Ă©poque et Lorenzo Ă©tait donc un proche des Greco (Vicente, mais aussi ses frĂšres, Ángel et Domingo).
On peut voir cela aux dédicaces des partitions.

Il a composĂ© quelques titres parmi lesquels : AquĂ­ se vacuna, dĂ©dicacĂ© aux docteurs Gregorio Hunt et Fernando Álvarez, La biyuya (l’argent en lunfardo), El charabĂłn (nandou) dĂ©dicacĂ© Ă  son ami JosĂ© MartĂ­nez, Blanca Nieve (Blanche Neige) dĂ©dicacĂ© Ă  sa sƓur Blanca Nieve Labissier, Pochita, Ensueño, Ósculos de fuego, Romulito, Recuerdo inolvidable


Orchestre de Vicente Greco. Lorenzo est le bandonĂ©on de droite. Dans la plupart des illustrations, la photo est inversĂ©e. LĂ , vous l’avez en couleur et Ă  l’endroit


Extrait musical

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).

Les paroles

Tous les enregistrements sont instrumentaux, mais il y a des paroles, Ă©crites par Mario Alberto Pardo. Les voici


Noches de loco placer,
de orgias, de mujeres, de champĂĄn
que ya no volveré a beber
porque mi corazĂłn,
sangrando en sus recuerdos,
llora una emociĂłn.

Cuando el primer metejĂłn
en mi pecho clavo su ponzoña fatal
y la traiciĂłn de mujer
en mi pecho el veneno empezĂł a destilar,
vicio tras vicio adquiriendo,
fui necio bebiendo
mi propio pesar;
loco, hice de mi vida
milonga corrida
buscando olvidar.

AsĂ­ da gusto la vida
quien lo pudiera gozar
sin un dolor, sin un pesar
con un amor a disfrutar,
buscando siempre la alegrĂ­a
que reinara
en la mĂșsica del fueye,
de las copas y el champan.

Agustín Bardi Letra : Mario Alberto Pardo

Traduction libre et indications

Nuits de plaisir fou, d’orgies, de femmes, de champagne que je ne reviendrai plus boire, parce que mon cƓur, saignant dans ses souvenirs, pleure son Ă©motion.
Quand, la premiĂšre passion amoureuse cloua dans mon cƓur son poison fatal et la trahison de la femme s’est mise Ă  distiller son venin, ajoutant vice sur vice, j’ai Ă©tĂ© stupide de boire mon propre chagrin ;
Fou, j’ai fait de ma vie une milonga dĂ©bridĂ©e pour chercher Ă  oublier.
Ainsi, la vie rend heureux celui qui pourrait en profiter sans douleur, sans regret, avec un amour à profiter, cherchant toujours la joie qui régnera dans la musique du bandonéon, des coupes et le champagne.

Heureusement qu’il parle de bandonĂ©on Ă  la fin, pour rester dans le thĂšme de l’hommage Ă  l’ami du compositeur. Je n’ai pas d’information sur la vie amoureuse de Lorenzo. Il dĂ©dicace un tango Ă  sa sƓur, Blanche Neige, pas Ă  ma connaissance Ă  une femme. Peut-ĂȘtre a-t-il Ă©tĂ© empoisonnĂ© comme le suggĂšre ce tango et Bardi, en bon ami, a essayĂ© de le consoler avec ce titre.

Les versions

Lorenzo 1926-12-28 — Orquesta Julio De Caro.

Parmi les Ă©lĂ©ments amusants de cette version, le couplet sifflĂ© Ă  0:15 et Ă  1:15) et le cri Ă  2:21. Le bandonĂ©on est assez discret, les violons dans les pizzicati et les legati, voire le piano, ont plus de prĂ©sence. Cela n’enlĂšve rien au charme du rĂ©sultat et les quelques notes finales de bandonĂ©on permettent de rappeler que ce thĂšme est en l’honneur d’un bandonĂ©oniste. Un des rares thĂšmes de De Caro qui peut se prĂȘter Ă  la danse, en tous as pour ceux qui sont attirĂ©s par la vieille garde.

Lorenzo 1927-05-23 — Orquesta Francisco Canaro.

On reste dans la vieille garde. Cette version est plus simple, directement canyengue, le violon reste prĂ©sent, mais le bandonĂ©on a un peu plus de temps d’expression que dans la version de De Caro.

Lorenzo 1927-05-24 — Orquesta Osvaldo Fresedo (C’est le tango du jour).

EnregistrĂ© le lendemain de la version de Canaro, la version de Fresedo est plus dynamique et expressive, tout en conservant les appuyĂ©s rappelant le canyengue. LĂ  encore un joli violon. Bardi a dĂ©cidĂ©ment Ă©tĂ© fidĂšle Ă  son premier instrument. À partir de 1:20, joli solo de bandonĂ©on. LĂ  encore le bandonĂ©on a le dernier mot en lĂąchant les derniĂšres notes.

Lorenzo 1936-05-08 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un tempo soutenu, les bandonĂ©ons sont plus prĂ©sents, par exemple Ă  1:00 et ils accompagnent les violons qui gardent leurs superbes chants en legato. Un bon d’Arienzo, des dĂ©buts de Biagi dans l’orchestre, mĂȘme si son piano ne se remarque que par quelques gammes virtuoses et par le final qui est donc au piano au lieu du bandonĂ©on.

Lorenzo 1938-03-24 — Orquesta Francisco Canaro.

On redescend en rythme par rapport Ă  Fresedo et D’Arienzo. Le bandonĂ©on a pris Ă  sa charge des Ă©lĂ©ments qui Ă©taient plus Ă  la charge des violons dans d’autres versions. Le piano a aussi plus de voix. C’est une version complĂ©tĂ©e par quelques notes de flĂ»te et c’est cette fois-ci le violon qui a le mot de la fin.

Lorenzo 1950-05-05 — Orquesta Francisco Canaro.

Un tempo rapide, dans un style encore un peu canyengue par moment et Ă  d’autres donnant dans le spectaculaire, notamment avec les explosions de piano. Comme dans la version de 1938, la flĂ»te et le bandonĂ©on ont de la prĂ©sence. C’est au finale une version bien ludique qui donne encore une fois le dernier mot au violon. Sans doute une tendresse personnelle pour son instrument.

Lorenzo 1965 — Orquesta Osvaldo Pugliese.

Je ne sais pas ce qu’aurait pensĂ© Lorenzo s’il avait vĂ©cu quinze ans de plus pour pouvoir entendre cette version. En tous cas, pas question de l’exploiter pour danser en milonga.

Lorenzo 1987 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Pour terminer par une version qui peut aller au bal, un petit tour en Uruguay. Comme toujours l’orchestration de Villasboas est claire et semble simple. Le piano, son piano est trĂšs prĂ©sent et marque le rythme et le bandonĂ©on alterne avec le violon. Cette version enjouĂ©e devrait ravir les danseurs qui sont prĂȘts Ă  sortir de l’ñge d’or. Une seconde Ă©coute pourra ĂȘtre utile pour les danseurs qui ne connaissent pas cette version afin d’en tirer toutes les subtilitĂ©s suggĂ©rĂ©es pour l’improvisation.

Roulons des mĂ©caniques…

Un peu hors concours, une curiositĂ©, une version au pianola :

Le pianola est un piano mĂ©canique qui peut ĂȘtre jouĂ© comme un piano normal, Ă  condition de ne pas avoir de trop grandes jambes, car le mĂ©canisme sous le clavier prend de l’espace. Sa particularitĂ©, vous la verrez dans la vidĂ©o, est qu’il joue tout seul, comme un organito Ă  partir d’un programme sur carton perforĂ©.

La fortune du thĂšme

En juillet 1947, Henri Betti qui est de passage Ă  Nice s’arrĂȘte devant la vitrine d’une boutique de lingerie fĂ©minine Scandale et il prĂ©tend que c’est lĂ  que les neuf premiĂšres notes musicales de la chanson lui viennent en tĂȘte : fa, mi, mib, fa, sol, la, sol, fa, rĂ©. Il prĂ©tend ensuite avoir Ă©crit le reste en moins de dix minutes.
Lorsqu’il retourne Ă  Paris, il s’entend avec le parolier AndrĂ© Hornez qui lui fait diffĂ©rentes propositions et finalement, c’est si bon, qui est le titre Ă©lu pour cette chanson qui commence donc par le fa, mi, mi bĂ©mol sur chacune de ces syllabes.
Vos commencez Ă  me connaĂźtre et je trouve que cette histoire est trĂšs suspecte. En effet, pourquoi citer un magasin de lingerie fĂ©minine ? Je comprends que cela peut donner des idĂ©es, mais la musique n’évoque pas particuliĂšrement ce type de vĂȘtements.
En fait, la rĂ©ponse est assez simple Ă  trouver. Regardez quel est l’orchestre qui joue dans cette vidĂ©o :

Et maintenant, Ă©coutez la premiĂšre version enregistrĂ©e de c’est si bon.

C’est si bon 1948 — Jacques HĂ©lian & son Orchestre — Jean Marco

Eh, oui ! C’est l’orchestre de Jacques HĂ©lian, le mĂȘme qui avait fait la publicitĂ© Scandale. De deux choses l’une, HĂ©lian et/ou Betti ont trouvĂ© une façon de monnayer l’histoire auprĂšs de Scandale, afin de montrer que la marque inspirait Ă©galement les hommes.
Henri Betti tirera beaucoup de satisfaction de ce titre. On le voit ici le jouer en 1959 dans l’émission « Les Joies de la Vie » du 6 avril 1959 rĂ©alisĂ©e par Claude Barma.

Henri Betti jouant Lorenzo. Pardon, jouant C’est si bon !

Betti a Ă©crit de nombreuses chansons, mais aucun n’a atteint ce succĂšs. Peut-ĂȘtre aurait-il Ă©tĂ© inspirĂ© de pomper un peu plus sur les auteurs argentins.
N’allons pas en faire un scandale, mais continuons Ă  voguer avec « C’est si bon », qui rapidement traversera l’Atlantique

C’est si bon 1950 — Johnny Desmond Orchestre dirigĂ© par Tony Mottola et les voix en chƓur par The Quintones

Le titre sera Ă©galement repris par Louis Amstrong, Yves Montand et


Pourquoi un tigre ?

Quand j’étais nettement plus jeune, il y avait une publicitĂ© pour une marque d’essence qui promettait de mettre un tigre dans son moteur (ou dans son rĂ©servoir selon les pays).
L’air de la publicitĂ© Ă©tait celui de « C’est si bon », mais je l’ai toujours associĂ© Ă  Lorenzo, ne connaissant pas le titre en français.
Je n’ai pas rĂ©ussi Ă  retrouver cette chanson publicitaire de la fin des annĂ©es 60, mais je suis sĂ»r que vous me croyez sur parole. La chanson disait « c’est si bon, d’avoir les meilleurs pneus, pouvoir compter sur eux »  et se terminait par « Esso c’est ma station ! ».
« VoilĂ  justement ce qui fait que votre fille est muette », pardon, voilĂ  que je me prends pour Sganarelle. VoilĂ  justement ce qui explique la prĂ©sence du tigre. Les gamins dont j’étais tannaient leurs parents pour obtenir la queue de tigre Ă  laisser pendre au rĂ©troviseur. Donc, Ă  dĂ©faut du Tigre du BandonĂ©on (Arolas), c’est le tigre d’Esso qui vous salue et moi qui vous remercie d’avoir lu cela, jusqu’au bout, ce petit texte en l’honneur de Lorenzo Juan Labissier.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

On connaĂźt tous la milonga du jour, El Porteñito, mais est-ce vraiment une milonga ? Voyons de plus prĂšs ce coquin de Porteñito et ce qu’il nous cache.

Ángel Villoldo a composé et créé les paroles de ce tango qui est un des plus anciens dont on dispose des enregistrements. Je profite donc de ce patrimoine pour vous faire toucher du doigt le tango des origines avec le risque de relancer le débat des anciens et des modernes.

Extrait musical

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour.

La version du jour est intermédiaire sur tous les plans.

Elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e en 1943, soit environ 40 aprĂšs l’écriture de ce titre, au milieu de ce qu’il est convenu d’appeler l’ñge d’or du tango.

Les deux anges se sont donc associĂ©s Ă  un troisiĂšme, Villoldo pour nous offrir cette belle milonga
 ou beau tango
 Disons que c’est un tango milonga, un canyengue rapide. Ce titre Ă©voluera depuis sa crĂ©ation entre les rythmes, nous en verrons quelques exemples en fin d’article.

Les paroles

Les paroles, il y a vraiment plusieurs paroles à ce tango. El porteñito est El criollito dans la plus ancienne version enregistrée. Je vais donc vous proposer trois versions.
Celle de D’Agostino et Vargas, ce dernier en bon chanteur de refrain, ne chante qu’une petite partie des paroles.
L’introduction musicale, nous prĂ©sente un type qui se balade dans les rues, saluant les passants 1:22 plus tard, Vargas entame le chant et termine Ă  la fin du titre. Cette version est gĂ©nĂ©ralement considĂ©rĂ©e comme une milonga, mais si vous la dansez en canyengue, personne ne vous dira rien.

D’Agostino Vargas 1943
 
Soy nacido en Buenos Aires,
me llaman “El Porteñito”,
el criollo mĂĄs compadrito
que en esta tierra naciĂł.

 
Y al bailar un tango criollo
no hay ninguno que me iguale
porque largo todo el rollo
cuando me pongo a bailar. 

 
Anda que estĂĄ lindo el baile!
brindase comadre,
y el compadre


 
Soy un taura del noventa,
tiempo bravo del tambito,
bailarĂ­n de mucha meta por mĂĄs seña “El Porteñito”
y al bailar un tango bravo,
lo hago con corte y quebrada
para dejar bien sentada mi fama de bailarĂ­n.
Villoldo 1908
 
Soy hijo de Buenos Aires,
por apodo “El Porteñito”,
el criollo mĂĄs compadrito
que en esta tierra naciĂł.
Cuando un tango en la vigĂŒela
rasguea algĂșn compañero
no hay nadie en el mundo entero
que baile mejor que yo.

No hay ninguno que me iguale
para enamorar mujeres,
puro hablar de pareceres,
puro filo y nada mĂĄs.
Y al hacerle la encarada
la fileo de cuerpo entero
asegurando el puchero
con el vento que darĂĄ.



Recitativo


Soy el terror del malevaje
cuando en un baile me meto,
porque a ninguno respeto
de los que hay en la reuniĂłn.
Y si alguno se retoba
y viene haciéndose el guapo
lo mando de un castañazo
a buscar quien lo engrupiĂł.

Cuando el vento ya escasea
le formo un cuento a mi mina (china)
que es la paica mĂĄs ladina
que pisĂł el barrio del sur.
Y como caĂ­do del cielo
entra el nĂ­quel al bolsillo
y al compĂĄs de un organillo
bailo el tango a su “salĂș”.

 

Recitativo

Los Gobbi 1906
 
Él:
Soy hijo de Buenos Aires
E me llaman el criollito,
El mĂĄs pierna e compadrito
Per cantar e per bailar.
De las chinas un querido
Todas me brindan amores,
Soy el que entre los mejores
Siempre se hace respetar.
 
Ella:
Este tipo extravagante
Que viene a largar el rollo,
EchĂĄndosela de criollo
Y no sabe compadrear.
Es un gringo chacarero
De afuera recién llegado
Un criollo falsificado
Que la viene aquĂ­ a contar.
 
Él:
Soy tremendo para el baile
Se me voy donde hay

E agarrando la guitarra
La “melunga” sĂ© cantar.
 
Ella:
No arrugués que no hay quién planche
Afeitate, volvé luego,
Que te ha conocido el juego
Gringo, podés espiantar.
 
Él:
No te hagĂĄs la compadrona
La paciencia se me acaba,
Te vaŽ a comé una trompada
Se me llego yo a enojar.
 
Ella:
Arrimate che italiano
Y haceme una atropellada.
 
Él:
Te la doy.
 
Ella:
Pura parada
Si ni el agua vos cortĂĄs.
 
Él:
Fijate qué firulete, qué parada
No hay ninguno que me pueda guadañar.
 
Juntos:
Porque somos para el tango
Los mĂĄs piernas,
Y sabemos hacernos respetar.
Ángel Villoldo (Ángel Gregorio Villoldo Arroyo)

Les versions

El criollo falsificado (Los criollos) 1906 – DĂșo Los Gobbi.

Le titre est un peu diffĂ©rent, ainsi que les paroles. Ce sont celles de la troisiĂšme colonne. El porteñito est el criollito et il le texte comporte de nombreuses variations par rapport Ă  la version « canonique ». Deux points sont Ă  signaler. C’est un duo (que je trouver relativement pĂ©nible entre les Ă©poux Gobbi, Flora et Alfredo) avec des passages parlĂ©s comme c’était assez courant Ă  l’époque.

El porteñito 1908 — Ángel Villoldo.

Cet enregistrement par l’auteur pourrait servir de rĂ©fĂ©rence. Ce sont les paroles de la version centrale (il y a quelques petites diffĂ©rences, comme mina au lien de china, mais qui ne change pas le sens).

El porteñito (La Criollita) 1909 – AndrĂ©e Vivianne con orquesta.

Une version chantĂ©e par une femme Ă  la voix plutĂŽt plus agrĂ©able que celle de Flora Gobbi, mais de peu. On notera qu’elle a adaptĂ© les paroles en chantant au fĂ©minin et en se faisant appeler la criollita et non pas la porteñita.

El Porteñito 1928-09-26 – Orquesta TĂ­pica Victor (Adolfo Carabelli).

On arrive ici Ă  la premiĂšre version dansable. Il est dirigĂ© par la baguette d’Adolfo Carabelli. C’est une version instrumentale, avec de beaux dialogues instrumentaux, et des violons qui plairont Ă  beaucoup. Une fantaisie qui pourrait passer dans une milonga, mais pas comme une milonga, c’est clairement un tango et mĂȘme un bon canyengue avec les appuis qui favorisent la quebrada dont parlent d’ailleurs les paroles.

El Porteñito 1937-08-31 – Orquesta Juan D’Arienzo.

Une version au rythme syncopĂ© avec un plan de violon ou bandonĂ©on qui survole le tout. Une impression d’accĂ©lĂ©ration Ă  la fin et quelques ponctuations de Biagi au piano tĂ©moignent du style qui est en train de se mettre en place chez D’Arienzo. Je pense que c’est une version rarement diffusĂ©e en milonga. Elle pourrait l’ĂȘtre, mais il y a d’autres titres plus porteurs qui prennent la place dans le temps limitĂ© donnĂ© au DJ pour faire des propositions.

El Porteñito 1941-06-06 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Canaro enregistrera deux fois avec le quinteto Pirincho ce titre. Voici la premiÚre version, assez brillante, notamment grùce à la partie de piano interprétée par Luis Riccardi.

El Porteñito 1943-03-23 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas. C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions Ă©coutĂ©es prĂ©cĂ©demment. Un best-seller des milongas.

C’est notre tango du jour. Nettement plus milonga que les versions Ă©coutĂ©es prĂ©cĂ©demment. Un best-seller des milongas.

El Porteñito 1959-04-09 – Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Je fais un petit saut dans le temps en passant diverses versions pour retrouver le Quinteto Pirincho et la flute gĂ©niale de Juvencio FĂ­sica qui donne une couleur Ă  cette version qui balance toujours entre le tango et la milonga, mais on peut en gĂ©nĂ©ral le passer comme milonga, car son allure trĂšs enjouĂ©e le rend sympathique Ă  danser et il est suffisamment connu pour que les jeux de l’orchestre, petits breaks et fioritures de l’orchestre puissent ĂȘtre mises en valeur par les danseurs.

El Porteñito 2013 – Otros Aires y Joe Powers.

Je vais vous demander de me pardonner, mais l’histoire n’est pas faite que de batailles gagnĂ©es. Il y a aussi des tragĂ©dies, comme cette version mixant l’orchestre Otros Aires (qui n’a pas su se renouveler et transformer ses premiers essais) et l’harmoniciste, Joe Powers (qui est loin d’ĂȘtre mon prĂ©fĂ©rĂ©). Le rĂ©sultat est Ă  la hauteur de mes espĂ©rances, inaudible, je comprends votre colĂšre.

L’élĂ©gance au tango dans les annĂ©es 1900

On a un peu de mal Ă  imaginer que le tango ait pu paraĂźtre sulfureux au point d’ĂȘtre interdit Ă  Buenos Aires. Cependant, il y avait tout de mĂȘme de bonnes raisons.
Il Ă©tait dansĂ© dans des lieux dĂ©diĂ©s au sexe et le but n’était pas d’ĂȘtre extrĂȘmement Ă©lĂ©gant, mais de prendre du plaisir avec une femme comprĂ©hensive (mĂȘme si cela la rendait malheureuse, comme a pu le voir hier avec Zorro gris qui parlait d’une grisette dans un Ă©tablissement de luxe). On imagine que dans d’autres lieux comme Lo de Tranqueli, la rĂ©alitĂ© Ă©tait bien pire.

El Cachafaz et Carmencita Calderon dans Tango de Luis Moglia Barth, un film de 1933.
El Cachafaz en 1940 avec Sofía Bozån dans le film de Manuel Romero Carnaval de Antaño.

Je parlerai plus abondamment le 2 juin prochain d’Ovidio JosĂ© Bianquet, dit el Cachafaz, au sujet de la version du tango El Cachafaz, dans la version de D’Arienzo du 2 juin 1937.
Cette façon de danser passerait difficilement pour Ă©lĂ©gante de nos jours, mais elle faisait l’admiration de nos aĂŻeux et on peut regretter aujourd’hui une certaine stĂ©rilisation de la danse.
Je ne dis pas qu’il faut retrouver les outrances de l’époque, mais plutĂŽt de prendre des petites idĂ©es, de relancer la machine Ă  improviser.
Je terminerai par cette image qui est un montage que j’ai rĂ©alisĂ© Ă  partir de photos du dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle oĂč on voit des attitudes un peu surprenantes, mais qui Ă©taient considĂ©rĂ©es comme trĂšs chic Ă  l’époque. Cela devait toutefois ĂȘtre fait avec une certaine Ă©lĂ©gance et ne doit en aucun justifier les violences qu’infligent certains danseurs contemporains Ă  leur partenaire et aux autres danseurs du bal
 Eh oui ! Le DJ, il voit tout depuis son poste de travail 😉

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez

Rafael Tuegols Letra Francisco García Jiménez

Cette version de Zorro gris a Ă©tĂ© enregistrĂ©e le 22 mars 1946 par Enrique Rodriguez, il y a exactement 78 ans. Sa musique attrayante cache une histoire qui comporte deux tragĂ©dies. Menons l’enquĂȘte.

Zorro en espagnol, c’est le renard.

Zorro gris, c’est donc le renard gris. Le tango enregistrĂ© par Rodriguez est une version instrumentale. La musique est plutĂŽt allĂšgre, il est donc facile d’imaginer un petit renard qui gambade. La musique explore des directions opposĂ©es. Les instruments qui se rĂ©pondent permettent d’imaginer un renard furetant, d’un cĂŽtĂ© Ă  l’autre.

En lunfardo, un renard…

En lunfardo, le renard peut désigner les maniÚres de certains, mais ce sont aussi les agents de la circulation, dénommés ainsi à cause de la couleur grise de leur tenue.

Extrait musical

Voyons si l’écoute du tango du jour nous aide Ă  en savoir plus.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez. C’est notre tango du jour.

Rodriguez fait une version Ă©quilibrĂ©e dĂ©barrassĂ©e de la pesanteur du canyengue, mĂȘme si la version est relativement lente, les diffĂ©rents instruments s’entremĂȘlent sans nuire Ă  la ligne mĂ©lodique, c’est Ă  mon avis une des versions les plus intĂ©ressantes, bien qu’elle soit rarement proposĂ©e en milonga par les collĂšgues.

Les paroles

Avec les paroles, tout s’éclaire et probablement que vos hypothĂšses vont ĂȘtre contredites.
Cependant, la musique a Ă©tĂ© Ă©crite avant 1920 et les paroles en 1921, il se peut donc qu’une fois de plus, elles aient Ă©tĂ© plaquĂ©es sans vĂ©ritable cohĂ©rence. Francisco GarcĂ­a JimĂ©nez n’a Ă©crit les paroles que de trois des compositions de Rafael Tuegols, Zorro gris (1920-21), Lo que fuiste (1923) et PrĂ­ncipe (1924). Ce n’est donc pas une association rĂ©guliĂšre, Rafael Tuegols ayant composĂ© au moins 55 tangos dont on dispose d’un enregistrement (sans doute beaucoup plus).

Cuantas noches fatĂ­dicas de vicio
tus ilusiones dulces de mujer,
como las rosas de una loca orgĂ­a
les deshojaste en el cabaret.
Y tras la farsa del amor mentido
al alejarte del Armenonville,
era el intenso frĂ­o de tu alma
lo que abrigabas con tu zorro gris.

Al fingir carcajadas de gozo
ante el oro fugaz del champĂĄn,
reprimĂ­as adentro del pecho
un deseo tenaz de llorar.
Y al pensar, entre un beso y un tango,
en tu humilde pasado feliz,
ocultabas las lĂĄgrimas santas
en los pliegues de tu zorro gris.

Por eso toda tu angustiosa historia
en esa prenda gravitando estĂĄ.
Ella guardĂł tus lĂĄgrimas sagradas,
ella abrigĂł tu frĂ­o espiritual.
Y cuando llegue en un cercano dĂ­a
a tus dolores el ansiado fin,
todo el secreto de tu vida triste
se quedarĂĄ dentro del zorro gris.

Rafael Tuegols Letra : Francisco García Jiménez

Gardel change deux fois, au début et à la fin, le couplet en gras.

Traduction libre et explications

Combien de nuits fatidiques de vices, tes douces illusions de femme, comme les roses d’une folle orgie, les as-tu effeuillĂ©es au cabaret.

Et aprĂšs la farce de l’amour menteur en t’éloignant de l’Armenonville, c’était le froid intense de ton Ăąme que tu abritais avec ton renard gris.

En feignant des Ă©clats de rire de joie devant l’or fugitif du champagne, tu as rĂ©primĂ© dans ta poitrine un dĂ©sir tenace de pleurer. Et quand tu pensais, entre un baiser et un tango, Ă  ton humble passĂ© heureux, tu cachais les saintes larmes dans les replis de ton renard gris.

C’est pourquoi toute ton histoire angoissante gravite autour de ce vĂȘtement. Il a gardĂ© tes larmes sacrĂ©es, il a abritĂ© ton froid spirituel. Et quand viendra, un jour prochain, la fin dĂ©sirĂ©e de tes douleurs, tout le secret de ta triste vie restera au cƓur du renard gris.

Le Renard gris d’Argentine (Lycalopex griseus) est un petit canidĂ© d’AmĂ©rique du Sud. Le voici en manteau et quand ce n’est pas un manteau.

Je vous avais annoncĂ© deux tragĂ©dies dans ce tango, la premiĂšre est pour les renards gris qui terminent en manteaux, mais il en reste une seconde, que je vais prĂ©ciser au sujet de l’Armenonville qui est citĂ© dans les paroles.

L’Armenonville

Si on regarde WikipĂ©dia et la plupart des sites de tango, l’Armenonville est dĂ©crit comme un restaurant chic. La rĂ©alitĂ© Ă©tait un peu diffĂ©rente, d’autant plus que beaucoup d’auteurs confondent les deux Armenonville qui se sont succĂ©dĂ©s. J’en parlerai sans doute plus en dĂ©tail le 6 dĂ©cembre, Ă  l’occasion de l’anniversaire de l’enregistrement du tango Armenonville par son auteur, Juan FĂ©lix Maglio « Pacho » avec des paroles de JosĂ© FernĂĄndez.

L’Armenonville 1, celui qui fut dĂ©truit en 1925 et qui Ă©tait donc celui Ă©voquĂ© dans Zorro gris et dans le tango du mĂȘme nom dont la couverture de la partition reprĂ©sente l’entrĂ©e de l’établissement qui avait un parc

À l’époque sĂ©vissaient la traite des blanches, de façon un peu artisanale comme le racontent certains tangos comme Madame Ivonne, mais aussi de façon plus organisĂ©e, notamment avec deux grandes filiĂšres, la Varsovia (qui fut nommĂ©e par la suite Zwi Migdal) et le rĂ©seau marseillais. La population de Buenos Aires et de ses environs Ă©tait alors relativement Ă©quilibrĂ©e pour les autochtones, mais dĂ©sĂ©quilibrĂ©e pour les Ă©trangers fraĂźchement immigrĂ©s. Jusqu’à la fin des annĂ©es 1930 oĂč l’équilibre s’est Ă  peu prĂšs fait, il y a eu jusqu’à quatre fois plus d’hommes que de femmes. Je reviendrai sans doute plus en dĂ©tail sur cette question, car ce dĂ©sĂ©quilibre est une des sources du tango.
Pour revenir Ă  l’Armenonville, son nom et sa structure sont inspirĂ©s du bĂątiment du mĂȘme nom situĂ© dans le Bois de Boulogne Ă  Paris, bien qu’on le dĂ©crive parfois comme un chalet de style anglais. Il sera dĂ©truit en 1925 et un autre Ă©tablissement du mĂȘme nom (qui changera de nom pour Les Ambassadeurs, autre rĂ©fĂ©rence Ă  la France) s’ouvrira avec des proportions bien plus grandes, nous en reparlerons au sujet du tango qui l’a pris pour titre.
Pour ceux qui pourraient s’étonner qu’un Ă©tablissement de Buenos Aires prenne un nom français, je rappellerai que la France Ă  la fin du XIXe siĂšcle Ă©tait le troisiĂšme pays en nombre d’immigrĂ©s, un peu derriĂšre l’Espagne et l’Italie. Ce n’est que vers 1914 que l’immigration française a cessĂ© d’ĂȘtre importante, mĂȘme si son influence est restĂ©e notable jusqu’en 1939 et bien au-delĂ  dans le domaine du tango.

Le zorro gris, la seconde tragédie promise

L’Armenonville Ă©tait un Ă©tablissement de luxe, mais il avait des activitĂ©s secondaires pour cette clientĂšle huppĂ©e. La possesseuse du manteau en Renard gris masquait sa tristesse dans les plis de son vĂȘtement. Sa dĂ©tresse s’exprimait lorsqu’elle quittait l’établissement. Si elle avait Ă©tĂ© une cliente fortunĂ©e allant danser et boire du champagne, on n’en aurait sans doute pas fait un tango. Elle Ă©tait donc honteuse de ce qu’elle devait faire, c’est la seconde tragĂ©die que partage avec elle son manteau de renard.

Autres versions

Zorro gris a donnĂ© lieu Ă  d’innombrables versions. Je vous en propose ici quelques-unes.

Zorro gris 1920 — Orquesta Roberto Firpo.

Un enregistrement acoustique et de faible qualité sonore, mais le témoignage le plus ancien de ce tango.

Zorro gris 1921 — Carlos Gardel accompagnĂ© Ă  la guitare par Guillermo Barbieri et JosĂ© Ricardo.

LĂ  encore la prestation souffre de la piĂštre qualitĂ© de l’enregistrement acoustique, mais c’est le plus ancien enregistrement avec les paroles de JimĂ©nez. Gardel chante deux fois le premier couplet (en gras dans les paroles ci-dessus).

Zorro gris 1927-07-16 — Orquesta Francisco Lomuto.

Un enregistrement agréable, avec les appuis du canyengue atténués par une orchestration plus douce et des fioritures. Il y a également des nuances et les réponses entre instruments sont contrastées.

Zorro gris 1938-04-21 — Quinteto Don Pancho dirigĂ© par Francisco Canaro.

Version tonique, sans doute un peu rĂ©pĂ©titive, mais rien d’excessif pour un titre de la Vieja Guardia. Son esprit est trĂšs diffĂ©rent de la version de 1927. À mon avis, ce n’est pas la version la plus agrĂ©able Ă  danser, trop anecdotique, mĂȘme si elle reste passable elle ne sera pas mon premier choix si je dois passer ce titre.

Zorro gris 1941-07-28 — Orquesta Francisco Lomuto.

Une version enjouĂ©e avec un tempo trĂšs rapide, sans doute un peu trop rapide, car cela brouille le dialogue entre les instruments qui est un des Ă©lĂ©ments intĂ©ressants de la structure de ce tango, mieux mis en valeur dans la version de 1927. Certains passages sont mĂȘme franchement prĂ©cipitĂ©s.

Zorro gris 1946-03-22 — Orquesta Enrique Rodríguez.

C’est notre tango du jour. Rodriguez fait une version Ă©quilibrĂ©e dĂ©barrassĂ©e de la pesanteur du canyengue, mĂȘme si la version est relativement lente, les diffĂ©rents instruments s’entremĂȘlent sans nuire Ă  la ligne mĂ©lodique, c’est Ă  mon avis une des versions les plus intĂ©ressantes, bien qu’elle soit rarement proposĂ©e en milonga par les collĂšgues.

Zorro gris 1952-07-01 — Orquesta Alfredo De Angelis con Oscar Larroca..

J’adore la voix de Larroca, mais le rythme un peu rapide me semble moins agrĂ©able que d’autres interprĂ©tations de ce chanteur.

Zorro gris 1954-04-28 — Orquesta Donato Racciatti con Carlos Roldán.

Ce titre a eu aussi son succĂšs en Uruguay (Canaro est origine d’Uruguay), mais avec Racciatti, on est encore plus au cƓur de l’Uruguay. RoldĂĄn propose ici une des rares versions chantĂ©es et elle est relativement intĂ©ressante et rarement jouĂ©e.

Zorro gris 1957-01-31 — Quinteto Pirincho dir. Francisco Canaro.

Une version bien dans l’esprit de ce quintette avec Luis Riccardi (Ă  moins que ce soit Mariano Mores), le pianiste en forme et un solo de flĂ»te de Juvencio FĂ­sica trĂšs sympathique.

Zorro gris 1973-12-14 — Orquesta Juan D’Arienzo.

Un des derniers enregistrements de D’Arienzo, comme la plupart de ceux de cette Ă©poque, trĂšs flatteur pour le concert, mais sans doute un peu trop grandiloquent et anarchique pour la danse de qualitĂ©. Cependant, cet enregistrement pourra avoir son succĂšs dans certaines milongas.

Zorro gris 1985 — Miguel Villasboas y su Orquesta Típica.

Encore un enregistrement uruguayen dans le style bien reconnaissable de Villasboas, mais sans l’accentuation du style canyengue qui est souvent sa marque. Cet enregistrement nous propose un tango assez joueur, mĂȘme si on peut le trouver un peu rĂ©pĂ©titif.

Zorro gris 2009 — La Tuba Tango.

On revient canyengue du dĂ©but, mais de façon lĂ©gĂšre et en retrouvant les fantaisies qui avaient fait le charme de la version de 1927 par Lomuto. Cette version fait complĂštement les tragĂ©dies de ce tango et peut donc ĂȘtre la source de pensĂ©es joyeuses qui se dansent.

Zorro gris.

Olvidao 1932-03-21 — Orquesta Francisco Canaro

Guillermo Barbieri Letra Enrique CadĂ­camo

Olvidao, le titre du tango du jour peut paraĂźtre Ă©tonnant Ă  premiĂšre vue, voire Ă  seconde vue. Je vais alors vous dĂ©voiler ses secrets. Olvidao a Ă©tĂ© enregistrĂ© par Canaro il y a exactement 92 ans.

Le parlé lunfardo

Olvidao est la forme « contractĂ©e » d’olvidado. Dans la prononciation faubourienne des premiers temps du tango, les chanteurs outre l’emploi du lunfardo chantaient avec ce type de prononciation dĂ©formĂ©e.

 Un des plus forts exemples de ce type est celui que j’ai Ă©voquĂ© dans l’article sur Lo de Laura en citant la retranscription de l’ethnologue Eduardo Barberis reproduisant le texte d’un tango « La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli).

Les tangos ayant souvent Ă©tĂ© chantĂ©s d’une façon plus Ă©lĂ©gante par la suite, en gĂ©nĂ©ral, je transcris les paroles en bon espagnol, donc sans les flexions dĂ©fectueuses.
LĂ , le titre Ă©tant figĂ© en olvidao, je le laisse ainsi, mais il faut bien sĂ»r comprendre « olvidado » (oubliĂ©).

Extrait musical

Olvidao 1932-03-21 — Orquesta Francisco Canaro. Tango instrumental. Le drame de l’histoire n’est pas sensible. C’est un bon tango de danse pour une tanda de la vieille garde.

Les paroles

Il s’agit d’une versiĂłn instrumentale qui ne laisse pas deviner la tragĂ©die sous-jacente. Cependant, les paroles expliquent le titre du tango. Voici la version originale, celle Ă©crite par CadicamĂł.

PARTE I
Lo mataron al pobre Contreras,
Recién los casaban!
 Si es para no creer!
Un luz mala, saltĂł la tranquera
Y vino a buscarle su propia mujer

Fue en el patio e’ la estancia «La Hazaña»
La fiesta e’ los novios era un explendor, (esplendor)

Mas de pronto dos dagas hicieron
De aquella alegría un cuadro e’ dolor

RECITADO
MatĂł al despechado
y herido de muerte,
el recién casado,
En sangre bañado,
HablĂł de esta suerte
PARTE II
No es nada mi gaucha

No te asustés, vida

A los dos, peliando,
Se nos fué el facón

Me viene golpeando
Un vientito helado
Aqui
 de este lado
En el corazón

Llevame unas flores,
Anda a visitarme,
La tierra es muy frĂ­a
Pa estar olvidao

Adiosioto gaucha
Te estaré esperando!

Me voy apagando
De puro finao!


PARTE I (BIS)
Al principio fué pura promesa
La viuda lloraba sin dunda demás

Mas después se le jué (fue) la tristeza.
Y a su pobre gaucho no lo jué (fue) a ver mås,.
Con razón que en la noches e’ tormenta
Se siente patente la voz del finao (finado)
Que la llama diciendo: “Lucinda !”
‘Estoy muy solito’
 ‘LlĂ©gate a mi lao (lado)’


Guillermo Barbieri Letra Enrique CadĂ­camo

En rouge, ce qui est chanté par Charlo dans la premiÚre version enregistrée.

Traduction libre et explications

PREMIÈRE PARTIE
Ils ont tué le pauvre Contreras,
Ils venaient de le marier, et c’est incroyable, un gars (luz en lunfardo peut ĂȘtre un homme rapide) malĂ©fique sauta le portillon, et vint le dĂ©rober Ă  sa propre femme.
C’était dans la cour du ranch « La Hazaña ».
La fĂȘte oĂč Ă©taient les mariĂ©s Ă©tait une splendeur,
Mais tout à coup deux poignards firent de cette joie une image d’horreur.
REFRAIN
Il tua le vaurien
Et mortellement blessé, le jeune marié baignant dans le sang parla de cette chance.
SECONDE PARTIE
Ce n’est rien ma gaucha, ne t’inquiùte pas ma vie,
En nous battant contre les deux, nous avons perdu le poignard
Il me vient en frappant, un petit vent glacial, ici, de ce cĂŽtĂ©, dans le cƓur.
Apporte-moi des fleurs, viens me rendre visite, la terre est trop froide pour ĂȘtre oubliĂ©.
Adieux ma gaucha, je t’attendrai, je m’éteins, pur dĂ©funt.
PREMIÈRE PARTIE (BIS)
Au dĂ©but, c’était une promesse pure
La veuve pleura sans doute de trop

Mais ensuite, la tristesse se fut
Et elle n’alla plus voir son pauvre gaucho.
C’est pour cela que dans les nuits d’orage,
on entend clairement la voix du dĂ©funt, qui l’appelle en disant : « Lucinda, je suis trĂšs seul, viens Ă  mon cĂŽté » 
Je pense maintenant que vous savez pourquoi ce tango s’appelle Olvidao (Olvidado), c’est Ă  dire oubliĂ©).

La partition

Autres versions

Olvidao 1932-03-18 — Orquesta Adolfo Carabelli con Charlo.

Trois jours avant l’enregistrement par Canaro. Beaucoup de diffĂ©rences dans le style. La musique est plus lĂ©gĂšre, je trouve plus Ă©lĂ©gante. Charlo chante un couplet (en rouge dans les paroles, ci-dessus). MĂȘme si ce passage parle de la mort, le tango reste tout Ă  fait dans l’élĂ©gance de la danse et son final enjouĂ© (la veuve joyeuse, sans doute), fait que l’on termine la danse dans de bonnes conditions.

Olvidao 1932-03-21 — Orquesta Francisco Canaro. Tango instrumental.

Le drame de l’histoire n’est pas sensible. C’est un bon tango de danse pour une tanda de la vieille garde.
Charlo dans le film Puerto nuevo de Mario Soffici y Luis Cesar Amador en 1935 ou 1936.

Olvidao 1941-07-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto Reynal.

Reynal chante presque toutes les paroles avec quelques variantes de dĂ©tail qui ne changent pas le sens de l’histoire. L’énergie de D’Arienzo fait oublier le tragique de l’histoire. N’oublions pas qu’un grand nombre de danseurs hispanophones ne tiennent pas compte des paroles quand ils dansent. La lecture des textes de tango peut gĂ©nĂ©rer des pensĂ©es tristes, mais pas pour la danse quand c’est D’Arienzo qui mĂšne la danse.

Olvidao 1952 — Edmundo Rivero con guitarras.

Avec Rivero, une version chanson qui bĂ©nĂ©ficie de l’expressivitĂ© de Rivero qui rend le tragique de l’histoire.

Olvidao 1953-02-03 — Julio Sosa con la Orquesta Francini-Pontier. Une autre version chanson par el Varon del tango.
Olvidao 1953-08-05 — Juan Carlos Cobos Con la Orquesta Osvaldo Pugliese. Pour terminer, cette autre version en chanson que certains pourraient rĂ©clamer de danser. Pffff, Ă©coutez-lĂ , mais ne dansez pas SVP.

Adios Argentina 1930-03-20 — Orquesta Típica Victor

Gerardo Hernån Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Je suis dans l’avion qui m’éloigne de mon Argentine pour l’Europe. La coĂŻncidence de date fait que je me devais le choisir comme tango du jour. Il y a un siĂšcle, les musiciens, danseurs et chanteurs argentins s’ouvrirent, notamment Ă  Paris, les portes du succĂšs. Un dĂ©tail amusant, les auteurs de ce titre sont Uruguayens, Gerardo HernĂĄn Matos RodrĂ­guez, l’auteur de la Comparsita et Fernando Silva ValdĂšs


Ce titre peut ouvrir la piste Ă  de trĂšs nombreux sujets. Pas question de les traiter tous. Je liquide rapidement celui de l’histoire contĂ©e dans ce tango, d’autant plus que cette version est instrumentale. C’est un gars de la campagne qui s’est fait voler sa belle par un sale type et qui a donc dĂ©cidĂ© de se faire la belle (s’en aller) en quittant l’Argentine. « Adios Argentina ».
Il se peut qu’il se retourne en Uruguay, ce qui serait logique quand on connaĂźt la nostalgie des originaires de la Province de l’Est (voir par exemple, Felicia Ă©crit par Carlos Mauricio Pacheco).
Dans le cas prĂ©sent, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© imaginer qu’il va en Europe. Il dit dans la chanson qu’il cherche d’autres terres, et un autre soleil, ce n’est donc sans doute pas le Sol de Mayo qui est commun, quoique d’aspect diffĂ©rent sur les deux drapeaux.

Les voyages transatlantiques des musiciens de tango

Le dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle jusqu’en 1939 a vu de nombreux musiciens et chanteurs argentins venir tenter leur chance en Europe.
Parmi eux, en vrac :
Alfredo Eusebio Gobbi et sa femme Flora Rodriguez, Angel Vidollo, Eduardo Arolas, Enrique Saborido, Eduardo Bianco, Juan Bautista Deambroggio (Bachicha) et son fils Tito, les frÚres Canaro, Carlos Gardel, Vicente Loduca, Manuel Pizarro, José Ricardo, José Razzano, Mario Melfi, Víctor Lomuto, Genaro Espósito, Celestino Ferrer, Eduardo Monelos, Horacio Pettorossi

La liste est interminable, je vous en fais grĂące, mais nous en parlerons tout au long des anecdotes de tango. Sachez seulement que selon l’excellent site « La Bible tango Â», 345 orchestres ont Ă©tĂ© rĂ©pertoriĂ©s, chaque orchestre comptant plusieurs musiciens. MĂȘme si tous n’étaient pas Argentins ou Uruguayens de naissance, ils ont donnĂ© dans la mode « Tango Â». Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’excellent site de Dominique Lescarret (dit el Ingeniero « Une histoire du tango Â»)

Vous remarquerez que l’orchestre de Bianco et Bachita est vĂȘtu en costume de Gaucho et qu’ils portent la fameuse bombacha, bombacha offerte par la France Ă  l’Argentine… En effet, le syndicat des musiciens français obligeait les artistes Ă©trangers porter un costume traditionnel de leur pays pour se distinguer des artistes autochtones.

Histoire de bombachas

On connaĂźt tous la tenue traditionnelle des gauchos, avec la culotte ample, nommĂ©e bombacha.  Ce vĂȘtement est particuliĂšrement pratique pour travailler, car il laisse de la libertĂ© de mouvement, mĂȘme s’il est rĂ©alisĂ© avec une Ă©toffe qui n’est pas Ă©lastique.
Cependant, ce qui est peut-ĂȘtre moins connu c’est que l’origine de ce vĂȘtement est probablement française, du moins indirectement.
En France mĂ©tropolitaine, se portaient, dans certaines rĂ©gions comme la Bretagne, des braies trĂšs larges (bragou-braz en breton).Dans les pays du sud et de l’est de la MĂ©diterranĂ©e, ce pantalon Ă©tait aussi trĂšs utilisĂ©. Par exemple par les janissaires turcs, ou les zouaves de l’armĂ©e française d’AlgĂ©rie.

La dĂ©sastreuse Guerre de CrimĂ©e en provoquant la mort de 800 000 soldats a Ă©galement libĂ©rĂ© des stocks importants d’uniformes. Qu’il s’agisse d’uniformes de zouaves (armĂ©e de la France d’AlgĂ©rie dont quatre rĂ©giments furent envoyĂ©s en CrimĂ©e) ou de Turcs qui Ă©taient alliĂ©s de la France dans l’affaire.

NapolĂ©on III s’est alors retrouvĂ© Ă  la tĂȘte d’un stock de prĂšs de 100 000 uniformes comportant des « babuchas », ce pantalon ample. Il dĂ©cida de les offrir Ă  Urquiza, alors prĂ©sident de la fĂ©dĂ©ration argentine. Les Argentins ont alors adoptĂ© les babuchas qu’ils rĂ©formeront en bombachas.
En guise de conclusion et pour ĂȘtre complet, signalons que certaines personnes disent que le pantalon albicĂ©leste d’ObĂ©lix, ce fameux personnage RenĂ© Goscinny et Albert Uderzo est en fait une bombacha et que c’est donc une influence argentine. Goscinny a effectivement vĂ©cu dans son enfance et son adolescence en Argentine de 1927 (Ă  1 an) Ă  1945. Il a donc certainement croisĂ© des bombachas, mĂȘme s’il a Ă©tudiĂ© au lycĂ©e français de Buenos Aires. Ce qui est encore plus certain, c’est qu’il a connu les bandes alternĂ©es de bleu ciel et de blanc que les Argentins utilisent partout de leur drapeau Ă  son Ă©quipe nationale de foot.

Il se peut donc que Goscinny ait influencĂ© Uderzo sur le choix des couleurs du pantalon d’ObĂ©lix. En revanche pour moi, la forme ample est plus causĂ©e par les formes d’ObĂ©lix que par la volontĂ© de lui faire porter un costume traditionnel, qu’il soit argentin ou breton
 Et si vraiment on devait retenir le fait que son pantalon est une bombacha, alors, il serait plus logique de considĂ©rer que c’est un bragou-braz, par Toutatis, d’autant plus que les Gaulois portaient des pantalons amples (braies) serrĂ©s Ă  la cheville


Extrait musical

AdiĂłs Argentina 1930-03-20 – Orquesta TĂ­pica Victor.

Les paroles

Tierra generosa,
en mi despedida
te dejo la vida
temblando en mi adiĂłs.
Me voy para siempre
como un emigrante
buscando otras tierras,
buscando otro sol.
Es hondo y es triste
y es cosa que mata
dejar en la planta
marchita la flor.
Pamperos sucios
ajaron mi china,
adiĂłs, Argentina,
te dejo mi amor.

Mi alma
prendida estaba a la de ella
por lazos
que mi cariño puro trenzó,
y el gaucho,
que es varĂłn y es altanero,
de un tirĂłn los reventĂł.
¿Para qué quiero una flor
que en manos de otro hombre
su perfume ya dejĂł?

Llevo la guitarra
hembra como ella;
como ella tiene
cintas de color,
y al pasar mis manos
rozando sus curvas
cerraré los ojos
pensando en mi amor.
AdiĂłs, viejo rancho,
que nos cobijaste
cuando por las tardes
a verla iba yo.
Ya nada queda
de tanta alegrĂ­a.
AdiĂłs Argentina,
vencido me voy.

Gerardo Hernån Matos Rodríguez Letra: Fernando Silva Valdés

Traduction libre

Terre gĂ©nĂ©reuse, dans mes adieux je te laisse la vie tremblante dans mes adieux. Je pars pour toujours comme un Ă©migrĂ© Ă  la recherche d’autres terres, Ă  la recherche d’un autre soleil. C’est profond et c’est triste et c’est une chose qui tue que de laisser la fleur sur la plante fanĂ©e. Les sales pamperos ont sali ma chĂ©rie, au revoir, Argentine, je te laisse mon amour.
Mon Ăąme Ă©tait attachĂ©e Ă  la sienne par des liens que ma pure affection tressait, et le gaucho, qui est homme et hautain, les brisa d’un seul coup. Pourquoi voudrais-je d’une fleur qui a dĂ©jĂ  laissĂ© son parfum dans les mains d’un autre homme ?
J’emporte ma guitare, femme comme elle, comme elle, elle a des rubans colorĂ©s, et quand mes mains frĂŽleront ses courbes, je fermerai les yeux en pensant Ă  mon amour. Adieu, vieux ranch, tu nous abritais quand j’allais la voir le soir. Il ne reste rien de tant de joie. Adieu Argentine, vaincu, je pars.

J’ai laissĂ© le terme « Pamperos Â» dans sa forme originale, car il peut y avoir diffĂ©rents sens. Ici, on peut penser qu’il s’agit des hommes de la pampa, vu ce qu’ils ont fait Ă  sa china (chĂ©rie) voir l’article sur Por vos yo me rompo todo.
Le Pampero est aussi un vent violent et froid venant du Sud-ouest. Un vent qui pourrait faire du mal Ă  une fleur. Dans un autre tango, Pampero de 1935 composĂ© par Osvaldo Fresedo avec des paroles d’Edmundo Bianchi ; le Pampero (le vent) donne des gifles aux gauchos.

ÂĄPampero!
ÂĄViento macho y altanero
que le enseñaste al gaucho
golpeĂĄndole en la cara
a levantarse el ala del sombrero!

Pampero 1935-02-15 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Roberto Ray (Osvaldo Fresedo Letra: Edmundo Bianchi)

Pampero, vent macho et hautain qui a appris au gaucho en le giflant Ă  la face Ă  lever les ailes de son chapeau (Ă  saluer).

Le terme de Pampero Ă©tait donc dans l’air du temps et je trouve que l’hypothĂšse d’un quelconque malotru de la Pampa fait un bon candidat, en tout cas meilleur que le compagnon de PatoruzĂș, le petit Tehuelche de la BD de Dante Quinterno (1928), puisque ce cheval fougueux n’a rejoint son compagnon qu’en 1936, 8 ans aprĂšs la crĂ©ation de la BD et donc trop tard pour ce tango. Mais de toute façon, je n’y croyais pas.

Autres versions

D’autre versions, notamment chantĂ©es, pour vous permettre d’écouter les paroles.
Les artistes qui ont enregistrĂ© ce titre dans les annĂ©es 1930 Ă©taient tous familiers de la France. C’est dans ce pays que le tango s’est achetĂ© une « conduite Â» et qu’il s’est ainsi ouvert les portes de la meilleure sociĂ©tĂ© argentine, puis d’une importante partie de sa communautĂ© de danseurs, de la fin des annĂ©es 30 jusqu’au milieu des annĂ©es 50 du XXe siĂšcle.

AdiĂłs Argentina 1930-03-20 – Orquesta TĂ­pica Victor.
AdiĂłs Argentina 1930 – Alina De Silva accompagnĂ©e par l’Orchestre argentin El Morito. Voir ci-dessous un texte trĂšs Ă©logieux sur cette artiste paru dans une revue de l’époque.
AdiĂłs Argentina 1930-07-18 – Alberto Vila con conjunto
AdiĂłs Argentina 1930-12-03 – Ada FalcĂłn con acomp. de Francisco Canaro
AdiĂłs Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Une semaine aprĂšs l’enregistrement du titre avec Ada FalcĂłn, Francisco Canaro enregistre une version instrumentale.
AdiĂłs Argentina 1930-12-10 – Orquesta Francisco Canaro. Il s’agit du mĂȘme disque que le prĂ©cĂ©dent, mais lu sur un gramophone de 1920. C’est en gros le son qu’avaient les utilisateurs de l’époque
 La comparaison est moins nette car pour ĂȘtre mis en place sur ce site, les fichiers sont environ rĂ©duit Ă  40 % de leur taille, mais on entend tout de mĂȘme la diffĂ©rence.
AdiĂłs Argentina 2001-06 – Orquesta Matos RodrĂ­guez (Orquesta La Cumparsita). Une sympathique versiĂłn par cet orchestre Ă  la gloire du compositeur uruguyane, autour de la musique du tango du jour.

Le succùs d’une chanteuse Argentine en France, Alina de Silva

« Nous l’avons connue Ă  l’Empire il y a quelques mois.
Son tour de chant, immédiatement et justement remarqué, réunit les éloges unanimes de la critique.
Elle s’est imposĂ©e maintenant dans la plĂ©iade des grandes et pures artistes.
Chanteuse incomparable, elle est habitĂ©e d’une passion frĂ©missante, qu’elle sait courber Ă  sa fantaisie en ondes douces et poignantes Ă  la fois.
Sur elle, notre confrĂšre Louis-LĂ©on Martin a Ă©crit, ce nous semble, des phrases dĂ©finitives :
“Alina de Silva chante et avec quel art. Elle demeure immobile et l’émotion naĂźt des seules indexions de son visage et des modulations de sa voix. Elle possĂšde cette vertu extraordinaire de paraĂźtre toute proche, comme penchĂ©e vers nous. J’ai dit sa voix calme et volontaire, soumise et impĂ©rieuse, capiteuse, passionnĂ©e, mais jamais je ne I’avais entendue s’éteindre — mais oui, tous les sens ont ici leur part — en de belles pĂąmoisons. Alina de Silva joue de sa voix comme les danseuses, ses compatriotes, de leurs reins Ă©mouvants et flexibles. Elle subjugue
”
Deux ans ont suffi Ă  Mlle Alina de Silva pour conquĂ©rir ce Paris qu’elle adore el qui le lui rend bien, depuis le jour oĂč elle pĂ©nĂ©tra dans la capitale.
La petite chanteuse argentine est devenue maintenant une » Ă©toile » digne de figurer Ă  cĂŽtĂ© des plus Ă©clatantes.
Il est des Ă©motions qui ne trompent pas. Celles que continue Ă  nous donner Alina de Silva accroissent notre certitude dans l’avenir radieux rĂ©servĂ© Ă  cette artiste de haute race. »
A. B.

A. B. ? La Rampe du premier décembre 1929

Et ce n’est qu’un des nombreux articles dithyrambiques qui saluent la folie du tango en France Ă  la belle Ă©poque des annĂ©es folles.

Ainsi s’achùve mon vol

Mon avion va bientĂŽt atterrir Ă  Madrid, c’est merveilleux de faire en si peu d’heures le long trajet qu’ont effectuĂ© en bateau tant de musiciens argentins pour venir semer le tango en Europe. Je vais essayer, lors de cette tournĂ©e europĂ©enne, de faire sentir l’ñme de notre tango Ă  tous les danseurs qui auront la gentillesse de danser sur mes propositions musicales.
À trĂšs bientĂŽt les amis !

Rosa de Fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto Aguirre

Manuel JovĂ©s Letra : Antonio Viergol

Rosa de Fuego, la Rose de Feu, comme ils l’appellent. Quelle histoire se cache derriĂšre ce titre Ă©nigmatique ? Pour le dĂ©couvrir, Ă©coutons la musique de Manuel JovĂ©s et les paroles spectaculaires d’Antonio Viergol. La premiĂšre version enregistrĂ©e de ce tango a un siĂšcle, mais la version du jour a Ă©tĂ© ressuscitĂ©e il y a seulement 67 ans, jour pour jour.

Il est souvent conseillĂ© de dĂ©clarer sa flamme avec des fleurs, mais parfois, la rose la plus flamboyante peut ne pas suffire. Nous allons plonger dans une ambiance mystĂ©rieuse et avec une musique qui va sans doute en Ă©tonner plus d’un quand ils vont se rendre compte qu’il s’agit de Donato. Les plus Ă©tonnĂ©s seront sans doute ceux qui oublient que les grands orchestres ont Ă©tĂ© actifs pendant plusieurs dĂ©cennies et que donc, ils ont suivi les modes de l’époque.
Nous verrons Ă©galement trois autres versions. La plus ancienne, enregistrĂ©e il y a donc un siĂšcle par Juan Pulido. Les deux versions le plus rĂ©centes sont chantĂ©es par le mĂȘme chanteur, HĂ©ctor de Rosas, au nom prĂ©destinĂ© pour ce titre. Ses enregistrements sont distants de sept ans seulement, mais la plus grosse diffĂ©rence vient des orchestres de Roberto CalĂł et JosĂ© Basso qui abordent le thĂšme de façon trĂšs diffĂ©rente.
Mais pour l’instant, intĂ©ressons-nous Ă  notre tango du jour enregistrĂ© par Edgardo Donato et Alberto Aguirre, le 19 mars 1957.

Extrait musical

Rosa de fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto Aguirre

Les paroles

Rosa de Fuego, los hombres la llamaban
Porque sus labios quemaban al besar,
Y eran sus ojos dos ascuas que abrasaban
Y era un peligro su amor ambicionar.
Cuantos lograron, por ella ser mirados
Y de sus labios bebieron el placer,
Todos quedaron como carbonizados
Entre los brazos de tan bella mujer


Rosa de Fuego, feliz vivĂ­a
Rosa de Fuego, se divertĂ­a,
Hasta tenĂ­a vanidad
De su diabólica maldad

Rosa de Fuego, los arruinaba
Rosa de Fuego, los calcinaba,
Y al ver sus víctimas caer

Se reía la mujer


Mas cierto dĂ­a, cruzĂłse en su camino
Un hombre frĂ­o, de hielo el corazĂłn,
Rosa de Fuego luchĂł contra su sino
E inĂștilmente jugĂł con su pasiĂłn.
El hombre aquel, de sangre de serpiente
De su mirada, el fuego resistiĂł,
Y de sus labios aquel beso candente
Se dominaba y esclava se encontró


Rosa de Fuego, ya no reĂ­a
Rosa de Fuego, se consumĂ­a,
Se le abrasaba el corazĂłn
En el volcĂĄn de su pasiĂłn.
Y el hombre frĂ­o, la despreciaba
Y el hombre frĂ­o, la maltrataba,
Rosa de Fuego aĂșn al morir

Lo sentía reír


Manuel JovĂ©s Letra : Antonio Viergol

Traduction libre

Rosa de Fuego (Rose de Feu) ainsi les hommes l’appelaient
Car ses lÚvres brûlaient quand elle embrassait,
Et ses yeux Ă©taient deux braises qui calcinaient
Et c’était un pĂ©ril de convoiter son amour.
Combien rĂ©ussirent Ă  ĂȘtre regardĂ©s par elle
Et qui de ses lĂšvres burent le plaisir,
Tous restÚrent carbonisés
Dans les bras d’une si belle femme


Rosa de Fuego vivait heureuse
Rosa de Fuego s’amusait,
Elle tirait mĂȘme de la vanitĂ©
De sa méchanceté diabolique

Rosa de Fuego les a détruits
Rosa de Fuego, elle les a brûlés,
Et à voir ses victimes tomber

La femme riait


Mais un jour, croisa son chemin
Un homme froid, au cƓur de glace.
Rosa de Fuego s’est battue contre son destin
Et joua en vain de sa passion.
Cet homme, au sang du serpent
RĂ©sistait Ă  son regard et Ă  son feu,
Et de ses lĂšvres au baiser incandescent
Fut dominĂ© et elle s’est retrouvĂ©e esclave


Rosa de Fuego désormais ne riait plus
Rosa de Fuego, se consumait,
Son cƓur brĂ»lait
Au volcan de sa passion.
Et l’homme froid la mĂ©prisait
Et l’homme froid la maltraitait,
Rosa de Fuego au moment de mourir

Le sentit rire


Autres versions

Rosa de fuego 1924 — Orquesta Juan Pulido. Columbia No.2186-X, Matrice 93859. Un enregistrement acoustique, mais de bonne qualitĂ©
Rosa de fuego 1957-03-19 — Orquesta Edgardo Donato con Alberto Aguirre
Rosa de fuego 1957-06-19 – Orquesta Roberto CalĂł con HĂ©ctor De Rosas

HĂ©ctor de Rosas enregistre de nouveau le titre, sept ans plus tard avec un autre orchestre pour une version bien diffĂ©rente.

Rosa de fuego 1964 — Orquesta JosĂ© Basso con HĂ©ctor de Rosas. HĂ©ctor de Rosas
J’ai peut-ĂȘtre un peu forcĂ© le trait, l’homme de glace jette vraiment un froid.

Madame Ivonne (Madame Yvonne) 1942-03-18 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivonne, est l’histoire d’une vie rĂ©sumĂ©e en trois minutes. Comme Mademoiselle Yvonne, des milliers de jeunes femmes ont vĂ©cu l’illusion de l’amour et ont rĂȘvĂ© de la Croix du Sud, Croix sur laquelle, nombre d’entre elles ont Ă©tĂ© clouĂ©es par la tristesse. Je vous invite Ă  dĂ©couvrir la version de Tanturi et Castillo, mais aussi d’autres versions pleines d’émotion. PrĂ©parez votre mouchoir.

Le phĂ©nomĂšne de la traite des blanches est aujourd’hui bien documentĂ©. Des Argentins peu scrupuleux sĂ©duisaient de belles Françaises et leur faisaient miroiter les charmes de l’Argentine, qui Ă  l’époque n’était un paradis que pour les plus riches.
Sur les ailes de l’amour, ou plus prosaĂŻquement sur des bateaux, comme le vapeur Don Pedro qui conduisit Charles Gardes et sa mĂšre Ă  Buenos Aires, les belles Ă©namourĂ©es effectuaient la traversĂ©e et on connaĂźt la suite de l’histoire, trĂšs peu vĂ©curent le rĂȘve, la majoritĂ© se retrouve dans les maisons comme Lo de Laura ou sont lavandiĂšres ou femmes de peine. Les paroles nous en apprendront plus sur la destinĂ©e de Mademoiselle Yvonne, devenue Madame Ivonne.

Extrait musical

Madame Ivonne 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
que en el barrio posta del viejo Montmartre
con su pinta brava de alegre griseta,
animo las fiestas de Les Quatre Arts.

Era la papusa del Barrio Latino,
que supo a los puntos del verso inspirar,
pero fue que un dĂ­a llego un argentino
y a la francesita la hizo suspirar.

Madame Ivonne…
la Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne…
fue como el sino de tu suerte.

Alondra gris,
tu dolor me conmueve ;
tu pena es de nieve,
Madame Ivonne


Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Madame Ivone, version de Julio Sosa

La version chantĂ©e par Julio Sosa est lĂ©gĂšrement diffĂ©rente, mais surtout plus complĂšte, il me semble donc intĂ©ressant d’avoir les complĂ©ments de l’histoire.
Julio Sosa commence par un rĂ©citatif qui place l’histoire, puis chante la totalitĂ© des couplets.
Ce qui est en gras est chantĂ©, le dĂ©but est seulement parlĂ© sur la musique. C’est une version qui donne la chair de poule. Je ne la proposerais pas Ă  la danse, mais quelle Ă©motion !

Madame Ivonne 1962-11-08 — Orquesta Leopoldo Federico con Julio Sosa

Ivonne
Yo te conocĂ­ allĂĄ en el viejo Montmartre
Cuando el cascabel de plata de tu risa
Era un refugio para nuestra bohemia
Y tu cansancio y tu anemia
No se dibujaban aĂșn detrĂĄs de tus ojeras violetas

Yo te conocĂ­ cuando el amor te iluminaba por dentro
Y te adore de lejos sin que lo supieras
Y sin pensar que confesĂĄndote este amor podĂ­a haberte salvado
Te conocĂ­ cuando era yo un estudiante de bolsillos flacos
Y el Paris nocturno de entonces
Lanzaba al espacio en una cascada de luces
El efĂ­mero reinado de tu nombre
Mademoiselle Ivonne

Mademoiselle Ivonne era una pebeta
Que en el barrio posta del viejo Montmartre
Con su pinta brava de alegre griseta
AlegrĂł la fiestas de aquel Boulevard
Era la papusa del barrio latino
Que supo a los puntos del verso inspirar
Hasta que un buen dĂ­a cayĂł un argentino
Y a la francesita la hizo suspirar

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Han pasado diez años que zarpó de Francia
Mademoiselle Ivonne hoy es solo Madame
La que al ver que todo quedĂł en la distancia
Con ojos muy tristes bebe su champĂĄn
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzĂł de ParĂ­s

Madame Ivonne
La Cruz del Sur fue como un sino
Madame Ivonne
Fue como el sino de tu suerte
Alondra gris
Tu dolor me conmueve
Tu pena es de nieve

Madame Ivonne
Ya no es la papusa del barrio latino
Ya no es la mistonga florcita de lis
Ya nada le queda, ni aquel argentino
Que entre tango y mate la alzĂł de ParĂ­s

Eduardo Pereyra Letra : Enrique Domingo Cadícamo

Maintenant que vous connaissez parfaitement le thĂšme, je vous propose de voir Julio Sosa chanter le thĂšme. Les gloses initiales sont rĂ©duites et diffĂ©rentes. Comme elles n’apportent rien de plus Ă  ce que nous avons dĂ©jĂ  entendu, je vous propose de dĂ©marrer la vidĂ©o au dĂ©but de la chanson, mais si vous ĂȘtes curieux, vous pouvez voir la vidĂ©o depuis le dĂ©but.

Julio Sosa chante Madame Ivonne à la télévision.

Traduction libre et explication de texte


Comme d’habitude, je fais une traduction destinĂ©e principalement Ă  dĂ©celer les clefs secrĂštes, sans soucis de livrer une Ɠuvre poĂ©tique de la qualitĂ© de l’original.
Pour faciliter la lecture, j’indique en bleu les commentaires au milieu du texte.
Le début est récité sur la musique, mais pas chanté.

Yvonne (Yvonne en français, Ivonne en argentin. Le titre est connu sous les deux formes du prĂ©nom, mais il s’agit bien sĂ»r du mĂȘme). Je rĂ©serve Yvonne Ă  la partie française, quand elle est jeune et Ivonne Ă  la partie argentine.
Je t’ai rencontrĂ©e dans le vieux Montmartre, quand la cloche d’argent de ton rire Ă©tait un refuge pour notre bohĂšme. Ta fatigue et ton anĂ©mie n’étaient pas encore apparues derriĂšre tes cernes violets. (Premiers signes que tout ne va pas pour le mieux pour Ivonne).
Je t’ai connue quand l’amour t’illuminait de l’intĂ©rieur, et je t’adorais de loin, sans que tu le saches et sans penser qu’en te confessant cet amour, j’aurais pu te sauver. C’est la mĂȘme histoire que celle de Susu contĂ©e dans Bajo el cono azul.
Je t’ai rencontrĂ©e quand j’étais Ă©tudiant aux poches plates (fauchĂ©, sans le sou) et le Paris de la nuit de l’époque envoyait dans l’espace en une cascade de lumiĂšres le rĂšgne Ă©phĂ©mĂšre de ton prĂ©nom, Mademoiselle Ivonne

Commence ici la partie chantée.

Mademoiselle Yvonne était une poupée (pépÚte, jeune femme) qui, dans le quartier dit du vieux Montmartre (quartier populaire de Paris, accueillant de nombreux artistes), de son air courageux de grisette (couturiÚre, lavandiÚre, femme modeste, habillée de gris. Elle se différencie de la Lorette qui elle fait plutÎt profession de ses charmes) joyeuse égayait les festivités de ce boulevard (le boulevard Montmartre).
Elle Ă©tait la Papusa du Quartier latin (Papusa, une jolie fille. Quartier Ă©tudiant de Paris, elle devait faire tourner les cƓurs des jeunes gens) qui savait susciter des poĂšmes, jusqu’à ce qu’un beau jour un Argentin tombĂąt et fit soupirer la petite Française.
Madame Ivonne
La Croix du Sud fut comme un signe.
Madame Ivonne. C’était comme le signe de ta chance.
Alouette grise (La alondra est un oiseau matinal. On donnait ce surnom Ă  ceux qui se levaient tĂŽt et se couchaient tĂŽt, Yvonne Ă©tait donc une travailleuse honnĂȘte).
Ta douleur m’émeut, ton chagrin est de neige (il peut s’agir d’une vision poĂ©tique, mais plus sĂ»rement de la cocaĂŻne qui se dĂ©signe par « nieve » en lunfardo. Ces deux indications la rĂ©fĂ©rence Ă  l’alouette du passĂ© et Ă  la cocaĂŻne d’aujourd’hui, content en deux phrases toute l’histoire).
Madame Ivonne
Cela fait dix ans que Mademoiselle a quittĂ© la France. Aujourd’hui c’est seulement Madame. Comme beaucoup de Françaises dans son cas, elle a dĂ» devenir gĂ©rante d’un bordel et acquĂ©rir le « titre » de Madame. celle Ă  qui tout paraĂźt lointain (elle se dĂ©sintĂ©resse de ce qui se passe autour d’elle), avec ses yeux trĂšs tristes, elle boit son champagne (cela confirme qu’elle doit ĂȘtre la chef de la maison close. Il ne s’agit pas de vĂ©ritable Champagne, encore aujourd’hui, les Argentins nomment ainsi les vins mousseux, ce qui Ă©nerve les viticulteurs français. Ils font de mĂȘme avec le Roquefort
).
Elle n’est plus la Papusa du Quartier latin, elle n’est plus la fleur de lys fauchĂ©e (Mistonga en lunfardo est pauvre. Je trouve que faucher la fleur de lys, c’est une belle image. Le lys est un symbole royal, mais aussi de puretĂ©, de virginitĂ©, ce qui confirme discrĂštement que l’activitĂ© actuelle de Madame Ivonne n’est pas des plus pures). Il ne reste plus rien d’elle, pas mĂȘme cet Argentin qui, entre tango et matĂ©, l’a enlevĂ©e de Paris. DĂ©jĂ  les ravages du tango qui Ă©tait une folie Ă  Paris dans les annĂ©es 20. Le matĂ© est bien sĂ»r el mate, la boisson indispensable aux Argentins.
Madame Ivonne
La Croix du Sud Ă©tait comme un signe. La Croix du Sud est la constellation qui marque dans le ciel nocturne de l’hĂ©misphĂšre austral, le Sud.

Au rythme d’un tango

Le mĂȘme jour, Tanturi et Castillo ont enregistrĂ©e Al compĂĄs de un tango.
Les deux tangos pourraient ĂȘtre associĂ©s. En effet, le thĂšme est un copain qui essaye de rĂ©conforter son ami qui est dĂ©sespĂ©rĂ© Ă  cause d’une femme. Son conseil, aller danser


Al compás de un tango 1942-03-18 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Alberto Suárez Villanueva Letra Oscar Rubens)
Mademoiselle Yvonne et Madame Yvonne. « Dix annĂ©es » sĂ©parent ces images. Je n’ai pas forcĂ© sur les cernes d’Ivonne fatiguĂ©e par la drogue, le champagne et le chagrin

Quelle image choisir ?

L’illustrateur d’un texte est toujours confrontĂ© Ă  des choix. Doit-il faire une belle image ou rester fidĂšle au texte. C’est effectivement un dilemme.
Pour l’image de couverture, j’ai rĂ©alisĂ© une image « entre deux ». Elle n’est plus la jeune femme insouciante de Paris, mais pas encore la tenanciĂšre droguĂ©e du bordel portĂšgne. Cela me semblait plus convenable pour prĂ©senter l’article.
Pour la derniĂšre image, je souhaitais faire apparaĂźtre la dĂ©cennie et ses ravages. J’ai donc testĂ© diffĂ©rentes options pour choisir celle ci-dessus qui ne fait pas apparaĂźtre que la diffĂ©rence d’ñge que j’ai amplifiĂ©e, disons Ă  20 ans au lieu des 10 du tango.
Mais dans cette image, il est difficile de voir les ravages causĂ©s par le chagrin et la vie nocturne et sous l’emprise de l’alcool et de la drogue. Il me fallait donc aller plus loin.
Si vous avez l’ñme sensible, arrĂȘtez de lire le texte ici et ne regardez pas les images qui suivent.

Yvonne est la mĂȘme. Par contre, j’ai beaucoup vieilli Ivonne et je lui ai donnĂ© sans doute un peu trop d’ñge. Pardon, Ivonne.
LĂ , j’ai un peu plus fait tomber les traits d’Ivonne, tout en lui enlevant un peu d’ñge pour ĂȘtre plus proche des paroles. Je lui ai rajoutĂ© les cernes violets et pendant que j’y Ă©tais, je lui ai rougi les yeux et agrandi les pupilles. Je crois que c’est une caractĂ©ristique provoquĂ©e par la drogue. La seule que je prends, c’est la musique de tango, celle qui a des effets euphorisants, mĂȘme Ă  forte dose.

Vous aurez peut-ĂȘtre remarquĂ© le fond qui est le mĂȘme pour toutes les images. Je l’ai conçu pour un article traitant du rĂŽle de la France dans le tango.
Pour vous remercier d’avoir lu jusqu’au bout, voici le fond, tout seul


Je vous jure que ma seule drogue, c’est la musique. C’est ainsi que je vois les mĂ©langes culturels entre la France et l’Argentine, les deux pays rois du cambalache

Silueta porteña 1967-03-17 — Los Siete Del Tango (de Luis Stazo et Orlando TrĂ­podi) con Gloria Velez y Lalo Martel

Nicolas Luis Cuccaro; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli
Direction et arrangements Luis Stazo et Orlando TrĂ­podi

Silueta porteña est une superbe milonga qui fait le bonheur des danseurs. Aujourd’hui, je vais vous la proposer dans une version diffĂ©rente, moins dansante, mais le tango ne s’arrĂȘte pas Ă  la porte de la milonga et le duo est superbe. Un sondage en fin d’article vous permettra de donner votre avis sur la dansabilitĂ©.

Luis Stazo (1930-2016) est un trĂšs grand monsieur du tango, tout d’abord comme bandonĂ©oniste., mais aussi comme chef d’orchestre, arrangeur et compositeur.
Il est aussi connu pour ĂȘtre le fondateur du Sexteto Mayor avec JosĂ© Libertella, Ă©galement bandonĂ©oniste. Cet orchestre a tournĂ© dans le monde entier et continue de le faire avec les successeurs des crĂ©ateurs.

Évolution de la composition du Sexteto Mayor. Source https://es.wikipedia.org/wiki/Sexteto_Mayor

Los siete del tango est un autre orchestre crĂ©Ă© Ă©galement par Luis Stazo, mais avec Orlando TrĂ­podi. Ils sont les arrangeurs et les chefs de cet orchestre qui a eu une carriĂšre plutĂŽt rĂ©duite, entre 1965 et 1969. Cependant, on conserve des enregistrements, Ă  la fois de compositions « classiques », comme Silueta porteña, notre tango du jour et des compositions de Stazo et TrĂ­podi, comme Entre dos, qu’ils ont enregistrĂ© le mĂȘme jour, le 17 mars 1967.
La composition de l’orchestre est la suivante :

  • Luis Stazo au bandonĂ©on (plus arrangements et direction)
  • Orlando TrĂ­podi au piano (plus arrangements et direction)
  • Suarez Paz au violon
  • Hector Ortega Ă  la guitare Ă©lectrique
  • Mario Monteleone Ă  la basse
  • Les chanteurs sont Gloria Velez et Lalo Martel pour cet enregistrement, mais Roberto Echague et Olga de Grossi ont enregistrĂ© d’autres titres.
Silueta porteña n’a pas Ă©tĂ© intĂ©grĂ©e aux quatre disques 33 tours rĂ©alisĂ©s par l’orchestre (cinq si on compte une double Ă©dition avec les mĂȘmes titres) ni Ă©ditĂ©e en 45 tours (ce qui fut rĂ©servĂ© Ă  seulement deux titres, dont celui qui a Ă©tĂ© enregistrĂ©e le mĂȘme jour que Silueta porteña, Entre dos. Elle a Ă©tĂ© publiĂ© sur la compilation “Al ritmo de la milongas inovidables” par Pampa – EMI – Odeon en 1968. C’est le second titre de la face B. On y trouve la date d’enregistrement, 17-3-67).

Extrait musical

Silueta porteña 1967-03-17 – Los Siete Del Tango con Gloria Velez y Lalo Martel

Les paroles

J’indique Ă©galement les paroles de cette version qui sont un peu diffĂ©rentes, car Gloria Velez chante sa partie en jouant le rĂŽle de la Silueta porteña, contrairement Ă  la version habituelle ou tout le texte est dit du point de vue de l’homme.

Cuando tĂș pasas caminando por las tardes, (Cuando yo paso caminando por las calles)
repiqueteando tu taquito en la vereda, (repiqueteando mi taquito en la vereda)  
marcas compases de cadencias melodiosas
de una milonga juguetona y callejera.
Y en tus vaivenes pareciera la bailaras, (Y en los vaivenes pareciera lo bailara)
asĂ­ te miren y te dicen lo que quieran, (asĂ­ me miran y me dicen lo que quiera)
porque tĂș llevas en tu cuerpo la arrogancia  
y el majestuoso ondular de las porteñas.

Tardecita criolla, de lĂ­mpido cielo
bordado de nubes, llevas en tu pelo.
Vinchita argentina que es todo tu orgullo...
ÂĄY cuĂĄnto sol tienen esos ojos tuyos!

Y los piropos que te dicen los muchachos,
como florcitas que a tu paso te ofrecieran
que las recoges y que enredas en tu pelo,
junto a la vincha con que adornas tu cabeza.
Dice tu cuerpo tu arrogancia y tu cadencia
y tus taquitos provocando en la vereda:
Soy el espĂ­ritu criollo hecho silueta
y te coronan la mås guapa y mås porteña.

Nicolas Luis Cuccaro ; Juan Ventura Cuccaro Letra Orlando D’Aniello ; Ernesto Noli

En rouge ce qui est chantĂ©e par Gloria Velez (Quand c’est un homme qui chante, c’est la partie gauche des lignes qui est chantĂ©e).
En bleu, ce qui est chanté par Lalo Martel.
En gras, ce qui est chanté par les deux en duo.
En gras et vert, la reprise finale du refrain par les deux chanteurs, Gloria et Lalo.
Le dernier couplet n’est pas chantĂ© dans cette version
.

Une autre silhouette portĂšgne jusqu’au bout des ongles

Traduction libre

Quand tu passes dans l’aprĂšs-midi, en faisant claquer tes talons sur le trottoir, tu marques la cadence mĂ©lodieuse d’une milonga joyeuse et de la rue (il n’y a pas d’équivalent en français).
Et dans tes allers et retours, tu sembles danser, ainsi ils te regardent, te parlent ceux qui aiment, car tu portes dans ton corps, l’arrogance et la majestueuse ondulation des Portùgnes.
L’aprĂšs-midi criollo, au ciel limpide et brodĂ© de nuages, tu le portes dans tes cheveux. Le ruban (banniĂšre) argentin(e) qui est toute ta fierté  Et que de soleil contiennent tes yeux ! (Elle porte les couleurs de l’Argentine sur la tĂȘte. Le cĂ©leste et le blanc, ainsi que le soleil dans ses yeux).
Et les flatteries (piropos) que te lancent les gars, comme des petites fleurs qu’ils offrent Ă  ton passage pour que tu les ramasses et les laces dans tes cheveux, au cĂŽtĂ© du bandeau dont tu ornes ta tĂȘte. Ton corps dit ton arrogance et ta cadence et tes talons professent sur le trottoir : je suis l’esprit criollo fait silhouette et ils te couronnent comme la plus belle et la plus portĂšgne.

Sondage

L’aprĂšs-midi criollo, au ciel limpide et brodĂ© de nuages, tu le portes dans tes cheveux. La banniĂšre argentine est toute ta fierté  Et que de soleil contiennent tes yeux !

ViolĂ­n 1944-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina

Ricardo Malerba; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti

Ricardo Malerba Ă©tait bandonĂ©oniste et ses frĂšres Ă©taient violoniste (Carlos) et pianiste (Alfredo). Carlos est mort au Portugal lors d’une tournĂ©e en 1931 et il se peut que ViolĂ­n, soit un hommage de Ricardo Ă  son frĂšre trop tĂŽt disparu. Quoi qu’il en soit, ce titre mĂ©rite d’ĂȘtre le tango du jour. Il a Ă©tĂ© enregistrĂ© il y a exactement 80 ans.

On connaĂźt Malerba, comme chef d’orchestre et compositeur. Il Ă©tait un bandonĂ©oniste, semble-t-il, assez moyen si on en croit un tĂ©moignage rapportĂ© par Tango al Bardo qui indique qu’il laissait le gros du travail Ă  Miguel CalĂł lors de la tournĂ©e en Espagne des annĂ©es 30.

Les violonistes de Malerba Ă  cette Ă©poque sont Alfredo Lattero, Ernesto Gianni, Francisco Sanmartino et JosĂ© LĂłpez. Il m’est impossible de dire lequel effectue les magnifiques solos de violon que l’on peut entendre dans cette Ɠuvre.
Son frĂšre, Alfredo avait entretemps Ă©pousĂ© Libertad Lamarque. Cette derniĂšre lui a permis de travailler Ă  Radio Belgrano, Ă  condition qu’il propose des tangos rythmĂ©s Ă  la D’Arienzo

Pour cela il avait un autre atout, son pianiste, Dante Smurra qui Ă©tait particuliĂšrement rĂ©putĂ© au point qu’en 1938, il avait Ă©tĂ© sollicitĂ© pour remplacer Biagi dans l’orchestre de D’Arienzo.
Dante a refusĂ© l’offre, pour rester fidĂšle Ă  Malerba. Avec ce dernier, il a composĂ© Cuando florezcan las rosas, Embrujamiento (leur plus grand succĂšs, repris Ă©galement par D’Arienzo), La piba de los jazmines, un des hits de Malerba et bien sĂ»r ViolĂ­n, notre tango du jour.

Extrait musical

Violín 1944-03-16 – Orquesta Ricardo Malerba con Orlando Medina

Les paroles

Hoy mi violín estå soñando
con un amor en el atril,
sus cuerdas vibran tiritando
porque vive recordando
que hoy estĂĄ lejos de mĂ­.

Es mi violĂ­n el alma mĂ­a
y su canciĂłn es mi sentir,
mi corazĂłn que la querĂ­a,
que la quiere y no la olvida,
va llorando en mi violĂ­n.

ViolĂ­n, violĂ­n…
La quiero mucho mĂĄs,
la quiero mĂĄs que ayer
mi amor no tiene fin.
Violín, violín

quisiera que mi voz,
en alas de tu voz,
llegara hasta mi amor.
ViolĂ­n, violĂ­n…
me quiso igual que yo
y ha de volver a mĂ­,
la esperaré
y tĂș tambiĂ©n,
violĂ­n.

Ricardo Malerba ; Dante Smurra Letra Horacio Sanguinetti

Les paroles ne laissent pas de doute sur le fait qu’elles ne s’adressent pas Ă  Carlos, le frĂšre violoniste mort en 1931, mais il se peut que Malerba ait Ă©crit la musique en pensant Ă  son frĂšre. Les hommages de musicien Ă  musicien sont trĂšs frĂ©quents dans le tango, bien que gĂ©nĂ©ralement plus explicites.

Traduction libre

Aujourd’hui mon violon rĂȘve avec un amour sur le pupitre, ses cordes vibrent en frissonnant parce qu’il vit en se souvenant qu’aujourd’hui elle est loin de moi.
Mon violon est mon Ăąme et son chant est mon sentiment, mon cƓur qui l’a aimĂ©e, qui l’aime et ne l’oublie pas, il pleure dans mon violon.
Violon, violon
 Je l’aime tellement plus, je l’aime plus qu’hier mon amour n’a pas de fin.
Violon, violon
 Je voudrais que ma voix, sur les ailes de ta voix, atteigne mon amour.
Violon, violon
 Elle m’aimait comme moi, et elle reviendra vers moi, je l’attendrai, et toi aussi, violon.

En lunfardo, un violon (un violín) est une femme. Je suis donc parti de cette idée. Les papillons, ce sont ceux du creux du ventre quand on est amoureux.

Loco turbiĂłn 1946-03-15 — Orquesta Miguel CalĂł con RaĂșl Iriarte y Roberto Arrieta

Vicente Spina Letra : Roberto MirĂł (Roberto Daniel MirĂł)

J’ai toujours adorĂ© Loco turbiĂłn et me suis demandĂ© pourquoi seulement CalĂł l’avait enregistrĂ©. C’est sans doute que cette version est parfaite. Je vous invite donc Ă  savourer ce tango du jour, enregistrĂ© il y a 78 ans.

Loco turbiĂłn, dĂšs le titre, on est en appĂ©tit. Loco, fou et turbiĂłn, averse violente, mais aussi choses emportĂ©es dans un « tourbillon ».
Si on ne prĂȘte pas attention aux paroles, on peut imaginer le passage de l’averse. Au dĂ©but, une marche, puis la montĂ©e de la tension, des mouvements contradictoires, comme le vent qui agite les arbres Ă  l’approche de la tourmente. L’averse pourrait ĂȘtre le puissant duo d’Iriarte et Arrieta, puis le soleil rĂ©apparaĂźt Ă  la toute fin, jusqu’à la chute des deux derniĂšres gouttes d’eau.

Extrait musical

Loco turbiĂłn 1946-03-15 — Orquesta Miguel CalĂł con RaĂșl Iriarte y Roberto Arrieta

L’exposition semble faire rĂ©fĂ©rence Ă  un temps passĂ©, comme quelqu’un qui se souvient. Le passage en mineur aux alentours de 0:30 et qui trouve son apogĂ©e dans le solo de violon Ă  partir de 0:40.
Roberto Arrieta commence Ă  chanter Ă  1:00. À 1:30 RaĂșl Iriarte remplace Arrieta, puis Ă  1:37 ils chantent en duo, avec une Ă©motion intense, qui se dĂ©tend, puis Arrieta prend le relais, seul et ainsi de suite, jusqu’au final en duo jusqu’à la fin et les deux gouttes de pluie qui closent le tango.
La musique semble effectuer des aller et retour, comme pour marquer les hĂ©sitations. Les instruments, puis les chanteurs semblent apporter leur pierre Ă  la construction musicale, jusqu’à ce qu’ils se combinent dans le final en Ă©tant sur la « mĂȘme longueur d’onde ». Les paroles confirment cette impression.

Les paroles

Les paroles renforcent l’idĂ©e de tourbillon, de dialogue, d’hĂ©sitation. Les chanteurs se rĂ©pondent avant de s’accorder (Ă  la quinte) et de dĂ©velopper un des magnifiques duos dont nous ravit le tango.

Tengo miedo de encontrarla
Y de nuevo recordarla

Y achicar el corazĂłn.
Tengo miedo que en sus ojos,
Al mirar estos despojos
Yo adivine compasiĂłn.
En mis dĂ­as fue un dolor,
En mis sueños, fue un rencor,
Y en mi vida no hizo más que mal

Me tortura este recuerdo
Que me acosa y me persigue
En mis noches sin final.

En la fragua de espantos del sufrir,
Ella puso entre brasas mi ilusiĂłn.

Me ha enseñado a morir,
Porque ya no es vivir,
Escuchando en las sombras su reĂ­r.
Y esa voz que me nombra sin cesar,
Que me muerde en las noches con su mal,
¡Es un loco turbión!

Una garra brutal,
Que me estruja el corazĂłn.

Yo me hundo en la locura
De un turbiĂłn, al recordarla
Y quererla con pasiĂłn.
Y el pensar en olvidarla,
Es camino que conduce
ÂĄA la desesperaciĂłn!
Es tormento sin final
El fracaso de olvidar,
ÂĄY es plegaria que no escucha Dios!
Es tortura interminable
El recuerdo de sus ojos
Y el arrullo de su voz.

Vicente Spina Letra : Roberto MirĂł (Roberto Daniel MirĂł)

Les parties chantées par Roberto Arrieta seul, sont en rouge.
Celles qui sont chantĂ©es par RaĂșl Iriarte seul sont en bleu.
Lorsque les deux chantent en duo, c’est en gras.
Au final, ils reprennent en duo le refrain à partir de Y esa voz que me nombra sin cesar, qui était chanté par Iriarte seul la premiÚre fois.
Le dernier couplet n’est pas chantĂ©. C’est la partie oĂč il souhaite l’oublier.

La météo du tango

Plusieurs tangos parlent d’averses soudaines et violentes, que ce soit de façon objective, comme el aguacero ou de façon figurĂ©e, comme Tormenta.
El aguacero de CĂĄtulo Castillo Letra : JosĂ© GonzĂĄlez Castillo (Juan de LeĂłn).
ChaparrĂłn 1946-08-26 (Milonga) Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto EchagĂŒe, nous en reparlerons le 26 aoĂ»t Ă  l’occasion de l’anniversaire de cet enregistrement.
Lluvia au moins une quarantaine de tangos parlent de pluie (lluvia), toujours au sens propre ou figuré.
Pour rester dans les aléas climatiques, le vent a aussi sa voix, par exemple dans les tangos suivants.
Cuando bronca el temporal de Gerardo HernĂĄn Matos RodrĂ­guez Letra : Ernesto Marsili, que nous avons Ă©voquĂ© Ă  propos de la version de Di Sarli de 1929. XXXX
Tormenta d’Enrique Santos DiscĂ©polo, mais il y a d’autres tangos incluant tormenta (Antonio Bonavena, P. Montanelli, JosĂ© De Cicco, JosĂ© Luis Padula) qui parlent de tormenta, au rĂ©el comme au figurĂ©.
Huracán, une incroyable composition de Donato d’une puissance titanesque.
Ventaval, plusieurs tangos de ce nom, comme Ventaval de Rodolfo Sciammarella par Mercedes Simone dans le film de 1939, qui se passe Ă  Paris (le titre a pour fond d’écran, le PanthĂ©on), mais qui est argentin, ou cruento vendaval de Miguel Martino et Jacinto AlĂ­ (MyL).

Les illustrations

Pour les illustrations, je suis parti de deux pistes. L’idĂ©e de tourbillon pour la premiĂšre, tourbillon que m’évoque le mot turbiĂłn, et la musique qui semble circuler d’un cĂŽtĂ© Ă  l’autre, rebondissant d’un instrument Ă  l’autre, d’un chanteur Ă  l’autre et l’idĂ©e de la femme perdue, inaccessible, qui s’en va.
En rĂ©sumĂ©, n’arrivant pas Ă  choisir, je vous propose les quatre images. N’hĂ©sitez pas Ă  indiquer en commentaire celle qui vous plaĂźt le plus, peut-ĂȘtre que je changerai la photo de couverture en fonction de vos avis.

L’image de couverture

Je souhaitais garder l’ambiguĂŻtĂ© entre l’averse, le tourbillon et la belle. J’ai hĂ©sitĂ© entre deux styles, un abstrait Ă  la Arcimboldo, ou les fleurs et nuages colorĂ©s remplacent les lĂ©gumes et un autre, plus « orageux ». J’ai finalement optĂ© pour la femme fleur tourbillonnante, mais comme j’aime bien les autres aussi, je vous prĂ©sente le lot.

Cliquez sur les images pour les agrandir.

Tengo miedo de encontrarla y de nuevo recordarla….
J’ai peur de la rencontrer et d’à nouveau me souvenir d’elle.

L’image de fin

En gĂ©nĂ©ral, je souhaite proposer une image d’un style diffĂ©rent pour l’image de fin. C’est donc la version orageuse qui clĂŽture l’article, mais j’aime bien aussi celle de la belle qui s’évapore dans les nuĂ©es tourbillonnantes.

Es tortura interminable el recuerdo de sus ojos y el arrullo de su voz. C’est une torture interminable, le souvenir de ses yeux et le roucoulement de sa voix.

Le regard de la belle qui s’éloigne au milieu des Ă©clairs, semblant tenir dans sa main la foudre, du coup de foudre qu’elle a volĂ© avant de rejoindre l’Olympe. Elle est devenue inaccessible, divine et cruelle.

Pitch & speed – Vitesse et tonalitĂ©

Certains puristes affirment que l’on doit passer les disques Ă  la vitesse exacte Ă  laquelle ils ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s, qu’ils ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s ainsi et que donc ce serait un sacrilĂšge de changer cela.
Je saisis cette affirmation pour apporter quelques éléments de réflexion.

Toutes les Ă©ditions ne sont pas Ă  la mĂȘme vitesse.

On peut trouver une Ă©dition ou la musique est plus rapide et aiguĂ« qu’une autre, ou au contraire plus grave et lente. À moins d’avoir l’oreille absolue, peu de danseurs se rendent compte de la diffĂ©rence.
Pour s’en convaincre, allez sur un site comme l’excellent https://tango-dj.at/database et comparez la durĂ©e des morceaux. Par exemple, Milonga de mis amores a des durĂ©es comprises entre 1:38 et 3:53.

Sur l’excellent site www.tango-dj.at, vous trouvez toutes les informations utiles pour gĂ©rer une grande partie de votre collection de musique. Pour ma part, c’est ma rĂ©fĂ©rence. Si j’ai une information diffĂ©rente, j’Ă©cris et Bernhardt adapte la notice pour ajouter l’information. C’est trĂšs agrĂ©able d’avoir un site qui accepte les remarques et en tient compte. Cela change des sites qui te rĂ©pondent que je me trompe et qui change ensuite l’information sans rien dire. C’est dĂ©sormais le seul site avec lequel je collabore rĂ©guliĂšrement. Sur cette photo, il manque des colonnes et de lignes que j’ai supprimĂ© pour me concentrer sur ce qui m’intĂ©ressait.

Pour un orchestre donnĂ©, par exemple, la version de Canaro enregistrĂ©e le 26 mai 1937 (matrice 9026) et bien que la source de ces diffĂ©rents enregistrements soit des exemplaires du mĂȘme disque (Odeon 5028 face A), on trouve des variations de 2:58 chez TangoTunes (9026 – 5028 A TangoTunes) Ă  3:05 chez Danza y Movimiento (DZ020234).
À l’écoute, la version de TangoTunes est clairement plus aiguĂ« et rapide. Cela correspond Ă  une diffĂ©rence de 4 %.

À l’écoute, la version de TangoTunes est clairement plus aiguĂ« et rapide. Cela correspond Ă  une diffĂ©rence de 4 %.

Dans les annĂ©es 40, les orchestres jouaient en vivo.

Ils pouvaient donc jouer avec les danseurs, accĂ©lĂ©rer ou ralentir. Aujourd’hui, le disque a figĂ© la vitesse. Les danseurs vont toujours Ă©couter le mĂȘme morceau Ă  la mĂȘme vitesse, avec les mĂȘmes « surprises ». Le DJ peut recrĂ©er des « effets », comme le font les orchestres live, en faisant une reprise, en augmentant les breaks, en modifiant la vitesse, en proposant des versions moins courantes du mĂȘme orchestre ou en proposant un orchestre dans un registre inhabituel (par exemple Troilo qui imite Calo).

On connait tous les prestations tardives de D’Arienzo. Plusieurs orchestres contemporains, imitent ses mouvements pour mettre de l’ambiance. Certains DJ battent la mesure, mais mĂȘme sans ces extrĂȘmes, le DJ a la possibilitĂ© d’influer trĂšs fortement sur l’ambiance.

Deux orchestres peuvent jouer le mĂȘme thĂšme avec des vitesses trĂšs diffĂ©rentes.

Des extrĂȘmes comme Milonga de mis amores par exemple qui peut ĂȘtre un canyengue ou une milonga selon les interprĂ©tations.

Milonga de mis amores 1937-05-26 — Franciso Canaro — 86 BPM — C’est plutît du canyengue, non ?
Milonga de mis amores — Hyperion Ensemble — 120 BPM — Ça dĂ©pote, non ?

Je considùre que le travail du DJ est de mettre de l’ambiance, pas de dire la messe.

Je m’arroge donc le droit de varier le rythme des morceaux, parfois la tonalitĂ© en fonction de l’effet que je veux obtenir. Je fais cela depuis plus de vingt ans, dĂšs que j’ai eu un magnĂ©tophone Ă  cassettes avec un variateur de vitesse. L’avantage de l’ordinateur est que je peux le faire en cours de morceau, sans changement de tonalitĂ©, ce qui rend l’opĂ©ration discrĂšte pour les danseurs.
J’ai rĂ©glĂ© mes logiciels pour limiter la variation Ă  10 % et je n’utilise de telles valeurs que pour accĂ©lĂ©rer le final d’une valse ou d’une milonga, par exemple afin de faire rire les danseurs, lorsqu’en fin de tanda ils ont rĂ©ussi Ă  tenir le rythme d’une tanda « infernale ».
Dans la pratique courante, je peux modifier la vitesse d’un morceau pour pouvoir le placer Ă  un moment diffĂ©rent dans une tanda.
Cela ne m’empĂȘche pas de toujours chercher de meilleures copies, mĂȘme si maintenant la majoritĂ© de ma musique a Ă©tĂ© numĂ©risĂ©e Ă  partir de disques Schellac.
Je pense qu’il faut distinguer l’aspect collectionneur, musicologue, de celui de DJ. On peut ĂȘtre les deux, je dirai mĂȘme qu’on devrait ĂȘtre les deux, mais pas au mĂȘme moment.

Le DJ est un Ă©lĂ©ment essentiel pour l’animation du bal. Faites-lui confiance, s’il le mĂ©rite 😉

Deja el mundo como estĂĄ 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con AndrĂ©s FalgĂĄs

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Le tango du jour, Deja el mundo como estĂĄ, (Laisse le monde comme il est) a Ă©tĂ© enregistrĂ© par Biagi avec la voix d’AndrĂ©s FalgĂĄs il y a exactement 84 ans. Il faut s’intĂ©resser aux paroles, relativement originales, pour comprendre pourquoi ne pas changer le Monde, n’oublions pas que si l’Argentine fut Ă©pargnĂ©e par la seconde guerre mondiale, tout n’y Ă©tait pas rose en 1940.

La Década Infame (la década infame)

La dĂ©cada infame se situe entre deux coups d’État qui ont secouĂ© l’Argentine (1930-1943). Entre les deux diffĂ©rentes Ă©lections truquĂ©es et les manipulations politiques douteuses.
Les causes de la dĂ©cada infame sont en grande partie issues du crash du 1929, la chute du commerce international ayant durement touchĂ© les possibilitĂ©s d’exportations de l’Argentine, engendrant un chĂŽmage massif. Le rĂŽle de l’Angleterre, sa mainmise sur l’économie argentine, n’est pas sans rappeler l’actualitĂ© de l’Argentine d’aujourd’hui, il suffit de remplacer Royaume-Uni par FMI ou USA pour avoir une idĂ©e du problĂšme. L’Argentine revit de façon cyclique le mĂȘme phĂ©nomĂšne en alternance Ă  chaque dĂ©cade.
En résumé, la situation sociale était plutÎt morose et la répression des mouvements populaires féroce durant toute la période. Il fallait bien se changer les idées avec le tango pour voir la vie en rose.

La DĂ©cada de Oro (L’Âge d’or)

À l’opposĂ© de la situation politique, la situation artistique Ă©tait bouillonnante.
L’Argentine Ă©tait tournĂ©e vers l’Europe et en littĂ©rature, le groupe de Florida avait pour modĂšle les Ă©crivains europĂ©ens. Ils Ă©taient plutĂŽt issus des hautes classes de la sociĂ©tĂ©, celles oĂč on parlait couramment le français et oĂč on Ă©tait attentif Ă  toutes les modes europĂ©ennes. Ces Ă©crivains soignaient la forme de leurs Ă©crits, sans doute plus que le contenu. On trouve parmi eux, Jorge Luis Borges.
Le bipartisme argentin fait que le principal groupe concurrent, celui de Boedo avait pour sa part des préoccupations plus sociales et avait tendance à passer la forme au second plan. Une de ses figures de proue était Roberto Emilio Arlt.

On retrouve la mĂȘme dichotomie en peinture, avec d’un cĂŽtĂ© le groupe de Paris, liĂ© au surrĂ©alisme, alors en vogue en France et de l’autre, des peintres plus prĂ©occupĂ©s des questions sociales dont le plus connu est sans doute Quinquela Martin, celui qui a donnĂ© Ă  la Boca l’image qui plaĂźt tant aux touristes en mettant de la couleur sur les tristes tĂŽles des maisons de l’époque. Je l’avais Ă©voquĂ© au sujet du tango « El Flete ».

 Je pense que vous m’avez vu venir, cette pĂ©riode est Ă©galement une dĂ©cada de oro pour la musique et notamment le tango. Le tango de cette Ă©poque fait le lien entre l’Europe et notamment la France, beaucoup de musiciens argentins s’étant installĂ©s ou ayant fait le voyage en Europe et notamment Ă  Paris avant de rentrer d’urgence en 1939 Ă  cause de la Seconde Guerre mondiale. Ceci fait qu’à Buenos Aires s’est retrouvĂ© tout ce qui comptait en matiĂšre de musique de tango. LĂ  encore, deux styles, l’orientation De Caro, plus intellectuelle et destinĂ©e au concert et l’orientation Canaro, D’Arienzo, plus tournĂ©s vers le bal.
Cette pĂ©riode est donc Ă  la fois tragique pour la population et extrĂȘmement riche pour la crĂ©ation artistique.
Je vais m’intĂ©resser, enfin, au tango du jour et voir pourquoi il ne faut pas changer le Monde.

Extrait musical

Deja el mundo como estĂĄ 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con AndrĂ©s FalgĂĄs y coro

Les changements chromatiques, du grave vers l’aigu Ă  chaque dĂ©but du couplet, font monter l’intensitĂ© dramatique. Inconsciemment on associe ces montĂ©es chromatiques Ă  une accĂ©lĂ©ration du rythme, comme si le disque tournait plus vite, ce qui n’est pas le cas, le tempo reste content sur toute la durĂ©e du morceau.

Les paroles

Hoy sos un hombre descontento y amargado
después que has derrochado tu bienestar.
Te has convertido en enemigo de la vida
porque ella te convida a trabajar.
Por eso mismo es que todo te molesta
y se oye tu protesta por los demĂĄs.
Con el tono llorĂłn de un agorero
decĂ­s que el mundo entero lo deben transformar.

Deja el mundo como estĂĄ,
que estĂĄ hecho a la medida… (aunque parezca mentira)
Deja el mundo como estĂĄ
vos debes cambiar de vida… (No has muerto viejo)
Le quieres poner rueditas…
ÂżDĂłnde lo quieres llevar?
SĂłlo vos lo ves cuadrado
y redondo los demĂĄs.
Deja el mundo como estĂĄ,
con sus malas y sus buenas,
con sus dichas y sus penas…
ÂĄDeja el mundo como estĂĄ!


Qué cosa buena has de encontrar a la deriva
o es que esperas de arriba tu porvenir.
SĂłlo se logran con trabajo y sacrificios
los grandes beneficios para vivir.
Al fin, tu queja es el clamor de un fracasado,
ya me tienes cansado de oĂ­rte gritar…
Que anda el mundo al revés y estå deshecho
y vos… ÂżCon quĂ© derecho lo pretendes cambiar?

Rodolfo Biagi Letra Rodolfo Sciammarella

Dans la version de Biagi, Falgás chante ce qui est en gras et le chƓur insiste en chantant la partie en rouge.
Dans la version de Canaro, ce qui est chantĂ© par FamĂĄ est la partie en gras et Canaro fait un dialogue en chantant ce qui est en bleu. Il n’y a pas de reprise de la fin du refrain, contrairement Ă  Biagi.
Pour sa part, dans la version de Donato, Lagos chante les mĂȘmes couplets que FalgĂĄs, mais sans la reprise de la fin du refrain.

Traduction libre :

Aujourd’hui, tu es un homme mĂ©content et amer aprĂšs avoir dilapidĂ© ton bien-ĂȘtre. Tu es devenu l’ennemi de la vie parce qu’elle t’invite Ă  travailler. C’est pourquoi tout te dĂ©range et que ta protestation est entendue par-dessus tout. Avec le ton pleurnichard du pessimiste, tu dis que le monde entier doit ĂȘtre transformĂ©.

Laisse le monde tel qu’il est, c’est du sur-mesure
 (crois-le ou pas)
Laisse le monde tel qu’il est, c’est toi qui dois changer de vie
 (Tu n’es pas mort, mon vieux)
Tu veux y mettre des roulettes
 OĂč veux-tu l’emporter ? Il n’y a que toi qui le vois carrĂ© et tous les autres le voient rond.
Laisse le monde tel qu’il est, avec ses mauvais et ses bons aspects, avec ses joies et ses peines
 Laisse le monde tel qu’il est !

Le passage suivant n’est pas chantĂ© dans aucune des trois versions, mais il est intĂ©ressant Ă  saisir :
Ce qu’il y a de bon Ă  se laisser aller Ă  la dĂ©rive, c’est que tu attends d’en haut ton avenir. Or, ce n’est qu’au prix d’un travail acharnĂ© et de sacrifices que l’on peut obtenir les grands avantages de la vie. Pour finir, ta plainte est la clameur d’un Ă©chec, lĂ , tu me fatigues de t’entendre crier
 Que le monde est sens dessus dessous et qu’il est dĂ©fait, et toi
 de quel droit prĂ©tends-tu le changer ?

Autres versions

Ce tango a rencontrĂ© l’air du temps et en quelques mois, il a Ă©tĂ© enregistrĂ© trois fois.
Par son auteur, Biagi, puis par Canaro et enfin Donato.
Il me semble intéressant de comparer les trois versions.
Les trois ont des caractĂšres communs, mais les versions de Canaro et de Donato sont plus traditionnelles. Elles ont le mĂȘme dynamisme et l’impression de marche haletante que dans la version de Biagi, mais ce dernier propose des enrichissements convaincants et un Ă©tagement des plans musicaux plus riches, plus variĂ©s que ceux de ses collĂšgues qui sont totalement dans la marche et moins dans la subtilitĂ©.

Deja el mundo como estĂĄ 1940-03-14 – Orquesta Rodolfo Biagi con AndrĂ©s FalgĂĄs y coro

Le rythme est d’environ 139 BPM et est rĂ©gulier tout au long de l’interprĂ©tation, mĂȘme si on a une impression d’accĂ©lĂ©ration suggĂ©rĂ©e par les montĂ©es chromatiques.          

Deja el mundo como está 1940-09-30 – Orquesta Francisco Canaro con Ernesto Famá y contracanto por Francisco Canaro

On note dans cette version, des variations de rythme (145 Ă  135). Les parties chantĂ©es sont plus lentes. Canaro a Ă©galement choisi de faire un dialogue oĂč il rĂ©pond Ă  FamĂĄ, jouant donc le rĂŽle de celui qui l’encourage Ă  travailler. La clarinette, le piano et les violons semblent aussi se lancer dans la discussion pour finalement « parler » en mĂȘme temps, comme le fait le chƓur dans la version de Biagi.

Deja el mundo como estĂĄ 1941-01-21 – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

C’est le tempo le plus lent des trois versions, avec environ 135 BPM sur la partie instrumentale et 133 sur la partie chantĂ©e. Les montĂ©es chromatiques sont prĂ©sentes, mais moins marquĂ©es que chez Biagi.

La fin du Monde

Pardonnez ce titre racoleur. Je veux juste vous parler de comment se terminent ces titres et comment els agencer dans une tanda.
La terminaison des trois versions. On a vu que dans la version de Biagi, il y a une accĂ©lĂ©ration simulĂ©e avec en apothĂ©ose la reprise finale du couplet par le chƓur. L’intensitĂ© est donc maximale Ă  la fin.
Dans la version de Canaro, le mélange des voix des instruments à la fin suggÚre également un apogée, un paroxysme.
Pour Donato, en revanche, rien de tel. Il y a juste la ligne mĂ©lodique du violon qui devient plus expressive et prĂ©sente, mais d’impression d’explosion finale, contrairement aux deux autres versions.
Cette caractĂ©ristique, avec le fait qu’elle est d’un tempo plus lent, me pousserait Ă  ne pas terminer une tanda avec ce titre, mais plutĂŽt de le mettre en dĂ©but de tanda. Les versions de Canaro et Biagi, avec leur apothĂ©ose finale, font en revanche de bons morceaux de fin de tanda.
Bien sĂ»r, ce qui compte est Ă©galement ce qu’on met avant dans le cas de Biagi et Canaro et aprĂšs dans celui de Donato.
Par exemple, in on termine une tanda de Donato par ce titre, cela veut dire que les prĂ©cĂ©dents sont sans doute moins dynamiques. La tanda sera donc plutĂŽt calme, voire peut-ĂȘtre un peu plate, mais cela peut convenir, par exemple aprĂšs des milongas, pour que les danseurs reprennent leur respiration. Comme toujours en la matiĂšre, il n’y a pas de rĂšgle qui rĂ©siste Ă  l’observation de la milonga. C’est l’ambiance du moment qui dĂ©cide.

Ce titre me fait penser Ă  la chanson de Ralph Zachary Richard reprise notamment par Julien Clerc et Alpha Blondy

VentarrĂłn 1933-03-13 Orquesta TĂ­pica Victor con Alberto GĂłmez (y Elvino Vardaro)

Pedro Maffia Letra : JosĂ© Horacio Staffolan

Le tango du jour a Ă©tĂ© enregistrĂ© il y a exactement 91 ans par Adolfo Carabelli Ă  la tĂȘte de l’Orquesta TĂ­pica Victor. Le chanteur d’estribillo est Alberto GĂłmez, mais un autre soliste fait de ce titre une merveille, le violoniste Elvino Vardaro.

Nous avons largement parlĂ© de la Victor et de ses orchestres. Carabelli est son premier chef d’orchestre. Alberto GĂłmez a enregistrĂ© deux fois ce titre en mars 1933. Le 6, comme chanteur de la version « chanson » et le 13, pour une version de danse. Il est intĂ©ressant de comparer les deux versions pour encore plus se familiariser entre les deux types de tangos que certains danseurs, voire DJ n’assimilent pas toujours.

Elvino Vardaro (Buenos Aires le 18 juin 1905 – ArgĂŒello 5 aoĂ»t 1971)

Elvino Vardaro. Enfant, dans les annĂ©es 40 et dans les annĂ©es 60. Sur la derniĂšre image, on remarque que son pouce droit a perdu une phalange, Ă  la suite d’un accident quand il avait cinq ans.

Le 10 de julio 1919, il donne son premier concert. Au programme de la musique classique. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il commence alors Ă  jouer au cinĂ©ma pour accompagner les films muets. Rodolfo Biagi puis Luis Visca l’y remarquent et finalement, Juan Maglio (Pacho) en 1922 vient le chercher au cinĂ©ma pour l’intĂ©grer dans on orchestre. Il a alors 17 ans.
Son professeur de violon, Doro Gorgatti lui aurait dit : « Quel dommage que vous jouiez des tangos, vous pourriez jouer trĂšs bien du violon ! ».
Une chance pour nous qu’il ait poursuivi dans sa voie.
Il travaille en effet avec diffĂ©rents orchestres et intĂšgrera les prestigieux orchestres de la Victor oĂč il fera merveille, comme vous pourrez l’entendre dans le tango du jour.
Il montera Ă  diverses reprises des orchestres de tailles diffĂ©rentes quintette, sextette, septuor et mĂȘme tĂ­pica, mais sans rĂ©el succĂšs et peu d’enregistrements. En revanche, il a participĂ© quasiment Ă  tous les orchestres, Canaro, Di Sali, do Reyes, Firpo, Fresedo, Maffia, Piazzolla, Pugliese et a terminĂ© sa carriĂšre dans l’orchestre symphonique de l’orchestre de Cordoba.
Sa virtuositĂ© a inspirĂ© Ă  Argentino GalvĂĄn une composition musicale « ViolinomanĂ­a Â», qu’il a heureusement enregistrĂ©e avec le Brighton Jazz Orquesta, un orchestre qu’il dirigeait dans les annĂ©es 1940. Ce n’est pas du tango, mais je le placerai en fin de cet article pour que vous puissiez juger de sa virtuositĂ©.
Je ne vous donne pas d’autre indication pour l’écoute du tango du jour. Si vous ne dĂ©tectez pas immĂ©diatement le violon de Vardaro, arrĂȘtez le tango, mettez-vous au reggaeton.

Extraits musicaux

En premier, je vous propose la version de danse. Elle a été enregistrée une semaine aprÚs la version en chanson.

Ventarrón 1933-03-13 — Orquesta Típica Victor con Alberto Gómez

Dans cette version, le deuxiĂšme soliste, c’est le violoniste Elvino Vardaro. Je vous laisse l’écouter et avoir la chair de poule en l’entendant. Fabuleux.

Ventarrón 1933-03-06 Alberto Gómez accompagné par un orchestre

Il n’est pas certain que l’orchestre soit la TĂ­pica Victor. C’est une version chantĂ©e et donc, l’important, c’est le chanteur, l’orchestre est au second plan.
Cette version n’est pas pour le bal et est Ă  mon avis musicalement moins intĂ©ressante. Je reste donc avec ma version chĂ©rie, celle du 13 mars que je propose de temps Ă  autre en milonga, notamment en Europe oĂč la TĂ­pica Victor a plutĂŽt la cote.

Les paroles

Por tu fama, por tu estampa,
sos el malevo mentado del hampa;
sos el mĂĄs taura entre todos los tauras,
sos el mismo VentarrĂłn.

¿Quién te iguala por tu rango
en las canyengues quebradas del tango,
en la conquista de los corazones,
si se da la ocasiĂłn?

Entre el malevaje,
Ventarrón a vos te llaman

VentarrĂłn, por tu coraje,
por tus hazañas todos te aclaman…

A pesar de todo,
VentarrĂłn dejĂł Pompeya
y se fue tras de la estrella
que su destino le señaló.

Muchos años han pasado
y sus guapezas y sus berretines
los fue dejando por los cafetines
como un castigo de Dios.

Solo y triste, casi enfermo,
con sus derrotas mordiéndole el alma,
volviĂł el malevo buscando su fama
que otro ya conquistĂł.

Ya no sos el mismo,
VentarrĂłn, de aquellos tiempos.
Sos cartĂłn para el amigo
y para el maula un pobre cristo.

Y al sentir un tango
compadrĂłn y retobado,
recordĂĄs aquel pasado,
las glorias guapas de VentarrĂłn.

Pedro Maffia Letra : JosĂ© Horacio Staffolan

Dans la version de danse du 13 mars, Gomez ne chante que deux couplets (en gras dans le texte). En revanche le violon chante tout le reste, c’est lui la vedette de ce tango.  
Dans la version chanson, Gomez chante la totalitĂ© des couplets, dans l’ordre indiquĂ©, sans reprise. De brefs moments instrumentaux donnent une petite respiration, mais la voix est quasiment toujours prĂ©sente et on peut avoir une impression de monotonie qui fait que ce tango ne pourrait pas porter de façon satisfaisante Ă  l’improvisation.
Il convient donc dans cette version de porter attention aux paroles. Heureusement, elles ne posent pas de problĂšme particulier.
En voici une traduction libre :
Par ta renommĂ©e, par ton image, tu es le mĂ©chant attitrĂ© du gang ; tu es le plus caĂŻd parmi tous les caĂŻds, tu es le VentarrĂłn mĂȘme (vent furieux).
Qui t’égale pour ton rang dans les brisĂ©es du tango canyengue (façon de danser du canyengue, inspirĂ©e de la posture du combat Ă  l’arme blanche), dans la conquĂȘte des cƓurs, si l’occasion s’en prĂ©sente ?
Dans l’assemblĂ©e des voyous, ils t’appellent VentarrĂłn
 VentarrĂłn, pour ton courage. Pour tes exploits tout le monde t’acclame

MalgrĂ© tout, VentarrĂłn a dĂ©laissĂ© Pompeya (quartier de Buenos Aires) et a suivi l’étoile que son destin lui a indiquĂ©e.
De nombreuses années ont passé et ses témérités et ses faussetés, il les a abandonnées pour les cafés, comme un chùtiment de Dieu.
Seul et triste, presque malade, avec ses dĂ©faites mordant son Ăąme, le bagarreur est revenu cherchant sa renommĂ©e qu’un autre a dĂ©jĂ  conquise.
Tu n’es plus le mĂȘme, VentarrĂłn, de cette Ă©poque. Tu es un cave pour l’ami (le footballeur Messi dirait bobo plutĂŽt que cave) et pour le lĂąche un pauvre hĂšre.
Et quand tu sens un tango amical et passé de mode, tu te souviens de ce passé, des gloires téméraires de Ventarrón.

LĂ  oĂč on revient Ă  mon violoniste adorĂ©

Je vous l’avais promis, on termine avec d’Elvino Vararo, le meilleur violoniste de tango du 20e siĂšcle.
Argentino GalvĂĄn a Ă©crit ViolinomanĂ­a en l’honneur de la virtuositĂ© d’Elvino Vararo. Celui-ci l’a enregistrĂ© Ă  la tĂȘte du Brighton Jazz Orquesta en 1941 Ă  Buenos Aires. Elvino dirigeait cet orchestre Ă  la radio « El Mundo » et pour des concerts dans diffĂ©rents lieux, cabarets,confiterias, bals


Violinomanía 1941 — Brighton Jazz Orquesta, direction et violon, Elvino Vararo (Argentino Galván)

Pour ĂȘtre complet, je devrais sans doute citer qu’il a enregistrĂ© le mĂȘme jour Frenesi, un morceau de « Rumba fox-trot », toujours avec le Brighton Jazz et les chanteurs Nito et Roland. C’est moins virtuose, mais reprĂ©sentatif d’un orchestre de Jazz Ă  l’ñge d’or du tango.

Frenesi 1941, Brighton Jazz Orquesta, direction et violon, Elvino Vararo, con Nito y Roland (Alberto Domingez)

Pour clore le chapitre en revenant au tango, mĂȘme si c’est du tango Ă  Ă©couter et pas Ă  danser, voici Pico de oro qu’Elvino a enregistrĂ© avec son orchestre en 1953.

Pico de oro 1953 – Elvino Vardaro y su Orquesta TĂ­pica (Juan Carlos CobiĂĄn Letra: Enrique CadĂ­camo).
De nombreuses années ont passé et ses témérités et ses faussetés, il les a abandonnées pour les cafés, comme un chùtiment de Dieu.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Antonio Polito Letra Enrique CadĂ­camo (Domingo Enrique CadĂ­camo)

Cette milonga, enregistrĂ©e il y a exactement 81 ans par D’Agostino et Vargas Ă©voque l’un des lieux de tango semi-clandestin les plus fameux des dĂ©buts du tango. Celui qui Ă©tait tenu par Laurentina Monserrat, Laura. Nous sommes Ă  la fin du XIXe, dĂ©but du XXe siĂšcle. Je vous propose de suivre le tango dans ses berceaux interlopes, Ă  la recherche de ses heures de gloire.

Au sujet de Sacale punta, j’ai Ă©voquĂ© les « maisons » de tango. Je prolonge ici l’enquĂȘte, plus au cƓur de ces premiers sites, qui n’étaient pas que des lieux de danse


Extrait musical

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

Les paroles

Milonga de aquel entonces
que trae un pasado envuelto…
De aquel 911
ya no te queda ni un vuelto…
Milonga que en lo de Laura
bailé con la Parda Flora

Milonga provocadora
que me dio cartel de taura

Ah… milonga ‘e lo de Laura


Milonga de mil recuerdos
milonga del tiempo viejo.
Qué triste cuando me acuerdo
si todo ha quedado lejos…
Milonga vieja y sentida
¿quién sabe qué se ha hecho de todo?
En la pista de la vida
ya estamos doblando el codo.
Ah… milonga ‘e lo de Laura


Amigos de antes, cuando chiquilĂ­n,
fui bailarĂ­n compadrito…
Saco negro, trensillao, y bien afrancesao
el pantalĂłn a cuadritos…
ÂĄQue baile solo el Morocho
 ! — me solía gritar
la barra «
 e los Balmaceda

Viejos tangos que empezĂł a cantar
la Pepita Avellaneda
ÂĄEso ya no vuelve mĂĄs!

Antonio Polito Letra Enrique CadĂ­camo (Domingo Enrique CadĂ­camo).

Une brĂšve et caricaturale histoire du tango

On lit beaucoup de bĂȘtises sur les prĂ©mices du tango, le mieux est donc de faire court pour limiter la liste de ces Ăąneries. Ce que l’on peut en dire de façon Ă  peu prĂšs certaine est qu’il n’est pas nĂ© dans les salons huppĂ©s de la bourgeoisie. Cependant, les jeunes hommes de la bonne sociĂ©tĂ©, les niños biens, allaient parfois s’encanailler dans les moins troubles des lieux de « divertissement » de l’époque.
Comme bien sĂ»r, les filles de bonne famille ne pouvaient pas dĂ©cemment se rendre dans les mĂȘmes lieux, la danse se faisait avec les femmes du lieu, des banlieusardes, des soubrettes, des grisettes et des prostituĂ©es, plus ou moins raffinĂ©es. On n’y dansait donc pas entre hommes, en tout cas pas de façon gĂ©nĂ©ralisĂ©e et souhaitĂ©e

Lorsque le tango est revenu couvert de gloire d’Europe et notamment de Paris, le tango s’est diffusĂ© dans les hautes sphĂšres. Il n’était plus nĂ©cessaire de frĂ©quenter ce type de lieu pour le pratiquer, les femmes de la bonne sociĂ©tĂ© pouvaient alors s’adonner Ă  cette danse qui s’est alors assagie. Les paroles outranciĂšres comme celles de Villodo ont Ă©tĂ© rĂ©Ă©crites, la danse s’est raffinĂ©e en adoptant une attitude plus droite, plus Ă©lĂ©gante, le tango Ă©tait prĂȘt Ă  entrer dans son Ăąge d’or. Par chance pour nous, c’est aussi plus ou moins l’époque oĂč l’enregistrement Ă©lectrique est apparu, ce qui nous permet de conserver des souvenirs sonores de bien meilleure qualitĂ© de cette Ă©poque. Enregistrement.

Allons au bordel

La maison que certains appellent pudiquement « école de danse » ou tout simplement Lo de Laura (ou du nom d’une autre tenanciĂšre) est tout simplement une maison de plaisirs. Cependant, il ne faut pas y voir nĂ©cessairement un lieu sordide, digne d’un roman de Zola.
En effet, la prostitution au XIXe siÚcle avait différents étages.

Les courtisanes

Tout en haut, la Courtisane. À Paris, la Paiva en Ă©tait sans doute le meilleur exemple. C’était une prostituĂ©e, plus ou moins occasionnelle qui a rĂ©ussi Ă  se faire remarquer et qui est devenu une femme entretenue, par un ou plusieurs riches hommes.
Avoir une maĂźtresse pour un homme trĂšs riche n’était pas mal vu Ă  l’époque, au contraire, c’est le contraire qui aurait Ă©tĂ© choquant. On aurait pensĂ© qu’il Ă©tait pingre ou ruinĂ©, ce qui n’aurait pas Ă©tĂ© bon pour les affaires.

L’hĂŽtel de la PaĂŻva, 25 avenue des Champs-ÉlysĂ©es Ă  Paris, France,

L’hĂŽtel de la PaĂŻva est le seul hĂŽtel particulier restant de l’époque oĂč on affirmait que c’était les Champs-ÉlysĂ©es Ă©taient la plus belle avenue du Monde. En effet, l’horrible avenue actuelle n’a plus rien Ă  voir avec le charme de tous ces hĂŽtels qui rivalisaient sur les « Champs ». MĂȘme ce survivant est mis Ă  mal, car dĂ©sormais masquĂ© par la devanture d’un bistrot.
Prendre un exemple en France n’est pas une erreur, c’est ce pays qui servait essentiellement de modĂšle pour les mƓurs de la haute sociĂ©tĂ© Ă  cette Ă©poque.

Cliquez ce lien pour en savoir un peu plus sur ce lieu et sa propriétaire.

Les cocotes

La cocote n’arrive pas au statut social des courtisanes. Elle est entretenue par divers « rĂ©guliers », mais aucun n’est suffisamment riche ou gĂ©nĂ©reux pour lui permettre de s’établir dans un somptueux hĂŽtel particulier.
Notons que les Ă©conomies qu’arrivent Ă  faire certaines leur permettent d’ouvrir des maisons, que ce soient des pensions (logements) ou des bordels. Elles continuent donc de travailler, elles-mĂȘmes ou font travailler d’autres femmes, contrairement aux Courtisanes, qui ne travaillent plus que pour le plaisir ou leur mĂ©cĂšne.

Les occasionnelles

L’occasionnelle est celle qui ayant du mal Ă  boucler son budget, se livre Ă  l’exercice moyennant finance. Elle peut ĂȘtre une lingĂšre, une fille de salle, une artiste de cabaret, ou toute autre profession qui ne garantit pas un revenu suffisamment rĂ©gulier et important pour vivre. Certaines auront un peu de chance dans leurs rencontres et iront rejoindre les cocotes, voire les courtisanes, mais d’autres feront cela Ă  temps plein et entreront alors dans les maisons closes.

Les maisons closes (prostibulos)

LĂ  encore il y a diffĂ©rents Ă©tages. Je ne rentrerai pas dans les dĂ©tails, car cela n’aurait pas trop d’intĂ©rĂȘt pour notre propos. Ce qu’il suffit de savoir est que pour pratiquer le tango dans les premiers temps, c’étaient des lieux oĂč on pouvait facilement trouver une partenaire, pour danser, ou plus si affinitĂ© (et finances). En gĂ©nĂ©ral, cela commençait avec un cafĂ©, cafĂ© qui reste toujours de mise dans la bouche des dragueurs des milongas portĂšgnes

Ces Ă©tablissements Ă©taient contrĂŽlĂ©s, notamment pour limiter la syphilis et gĂ©rĂ©s par une ancienne prostituĂ©e, un souteneur ou quelque entrepreneur entreprenant. D’ailleurs, de trĂšs nombreuses filles pauvres, notamment des Françaises, sont venues Ă  Buenos Aires avec les promesses d’un bel Argentin et se sont retrouvĂ©es dans ces Ă©tablissements avec des fortunes trĂšs diverses. Parmi elles, on pourrait citer de nombreuses « grisettes » comme Griseta, Malena, ManĂłn, Margot, MarĂ­a, MimĂ­, Mireya NinĂłn et Mademoiselle Ivonne qui devient Madame Ivonne. Cette derniĂšre toutefois Ă©tait une administratrice de pension, pas de bordel, elle a employĂ© diffĂ©remment ses Ă©conomies.
Les diffĂ©rentes « écoles de danse » Ă©taient donc des lieux oĂč la danse n’était pas la seule activitĂ©.

Les « Lo »

Parmi les lieux les plus rĂ©putĂ©s pour la danse, on pourrait citer Lo de Laura, qui fait l’objet de ce tango et que nous avons dĂ©jĂ  dĂ©crit Ă  propos de Sacale punta XXXX, Lo de Maria la Vasca (la Basque). On cite souvent Lo de Hansen qui Ă©tait un bar-restaurant crĂ©Ă© par un Allemand, Juan Hansen, en 1877, mais il est Ă  la fois douteux que ce fĂ»t un lieu de danse et un bordel. En revanche, Lo de Tancreli revendique les deux fonctions.

Lo de Hansen

Cet établissement était situé dans le parc 3 de febrero (Palermo) qui a été inauguré en 1875.
Pour ceux que ça intĂ©resse, le nom vient du 3 fĂ©vrier 1852, date de la bataille de Caseros entre les armĂ©es de Rosas et Urquiza et qui marque le dĂ©but de la pĂ©riode nommĂ©e « organizaciĂłn nacional » (organisation nationale
) de l’histoire politique mouvementĂ©e de l’Argentine.
Le 4 mai 1877, Juan Hansen sollicite auprĂšs de la commission du parc d’ouvrir un cafĂ©-restaurant dans une construction du parc (probablement antĂ©rieure Ă  la crĂ©ation du parc en 1875, car elle Ă©tait en mauvais Ă©tat. Il avait dĂ©jĂ  un Ă©tablissement depuis 1869, Ă©galement Ă  Palermo (en face de la gare). La commission accepte et Juan Hansen effectuera diffĂ©rents travaux comme l’ajout d’une terrasse sur le toit, le remplacement du plancher par un carrelage, l’agrandissement des fenĂȘtres existantes et la construction d’un salon supplĂ©mentaire.

Le cafĂ© de Hansen, ici nommĂ© « Restaurant del Parque 3 de Febrero » et la mention J Hansen sur la droite de la façade. À droite, une vue « intĂ©rieure ». On voit sur ces deux photos les amĂ©nagements proposĂ©s Ă  la commission : Le carrelage et la terrasse panoramique.

Le cafĂ© restaurant ouvre donc, mais se livrerait Ă  d’autres activitĂ©s, comme l’avancent « JosĂ© Sebastian TallĂłn dans El tango en su etapa de mĂșsica prohibida. Buenos Aires, Instituto Amigos del Libro Argentino, 1959 et repris par Enrique Horacio Puccia dans “el Buenos Aires de Ángel Villoldo”. »
« Hansen Ă  Palermo, Ă©tait un mĂ©lange de bordel somptueux et de restaurant. Un commerce de prĂ©curseurs, pourrait-on dire, avec en prime les bagarres frĂ©quentes, le cabaret tumultueux qui a prĂ©cĂ©dĂ© les actuels. Ce fut la cour de rĂ©crĂ©ation de bacancitos (petits chefs) et compadritos comme ils se dĂ©finissent eux-mĂȘmes. Et des bagarreurs et des gens ayant divers problĂšmes. »
Cependant, plus qu’un bordel, c’était une « Chupping house » comme disent Ă©lĂ©gamment les Argentins qui ne veulent pas parler de la chose et la dĂ©guisent par une expression anglaise qui pourrait se traduire par masturbation. Il semblerait que les bosquets avoisinants aient Ă©tĂ© propices Ă  ces activitĂ©s, notamment la nuit.
En effet, le cafĂ© de Hansen avait deux visages. Il Ă©tait ouvert en permanence. De jour, il accueillait les promeneurs qui venaient se rafraĂźchir et manger et de nuit, les fĂȘtards et fauteurs de trouble s’y retrouvaient.
Parmi eux, les amateurs de tango. Ceux-ci venaient Ă©couter, car il Ă©tait interdit de le danser, comme l’affirment notamment Amadeo Lastra et Miguel Angel Scenna.
Cependant, plusieurs tĂ©moignages indiquent que l’on dansait tout de mĂȘme au son de la musique dans les alentours de l’établissement. Dans ce sens, je vous propose le tĂ©moignage de FĂ©lix Lima :

« Se bailaba ? Estaba prohibido el bailongo, pero a retaguardia del caserĂłn de Hansen, en la zona de las glorietas tanguea base liso, tangos dormilones, de contrabando. Los mozos hacĂ­an la vista gorda. El tango estaba en pañales. A un no habĂ­a invadido los salones de la “haute”. Solamente lo bailaban las mujeres alegres »

« Est-ce qu’on y dansait ? Il Ă©tait interdit de faire du bailongo, mais Ă  l’arriĂšre de l’établissement d’Hansen, dans la zone des gloriettes, il se dansait des tangos tranquilles, des tangos lascifs (endormis), de contrebande. Les serveurs faisaient semblant de ne pas voir (vista gorda). Le tango avait encore des couches (Ă©tait bĂ©bĂ©). Il n’avait pas encore investi les salons de la « haute ». Seules les femmes lĂ©gĂšres (alegres) le dansaient.

El Esquinazo, un succĂšs Ă  tout rompre

C’est dans cet Ă©tablissement qu’a eu lieu l’incroyable succĂšs de El Esquinazo d’Ángel Gregorio Villoldo. Voici comment le raconte Pintin Castellanos dans Entre cartes y quebradas, candombes, milongas y tangos en su historia y comentarios. Montevideo, 1948.
Pintin parle du CafĂ© Tarana qui Ă©tait le nom de l’époque du CafĂ© de Hansen (qui Ă©tait mort le 3 avril 1891). Anselmo R. Tarana avait lorsqu’il en devint le propriĂ©taire le 8 mai 1903, adoptĂ© le nom « Restaurante Recreo Palermo. Antiguo Hansen ». Mais pour les clients, c’était Lo de Hansen ou Lo de Tarana. Signalons que Tarana avait cinq voitures, pour raccompagner les clients Ă  domicile, ce qui tĂ©moigne bien du succĂšs.
La composition de Villoldo a Ă©tĂ© un triomphe [
]. L’accueil du public fut tel que, soir aprĂšs soir, il se rendit au et le rythme diabolique du tango susmentionnĂ© commença Ă  rendre peu Ă  peu tout le monde fou. Pour avoir une idĂ©e de comment c’était jouĂ© Ă  l’époque, un enregistrement de 1909 sorti le 5 mars 1910.

El esquinazo 1910-03 05 — Estudiantina Centenario dirige par Vicente Abad (Ángel Gregorio Villoldo Letra Carlos Pesce ; A. Timarni [Antonio Polito])

Tout d’abord, et avec une certaine prudence, les clients ont accompagnĂ© la musique de « El Esquinazo » en tapant lĂ©gĂšrement avec leurs mains sur les tables.
Mais les jours passaient et l’engouement pour le tango diabolique ne cessait de croütre.
Les clients du CafĂ© Tarana ne se contentaient plus d’accompagner avec le talon et leurs mains. Les coups, en gardant le rythme, augmentĂšrent peu Ă  peu et furent rejoints par des tasses, des verres, des chaises, etc.
Mais cela ne s’est pas arrĂȘtĂ© lĂ  [
] Et il arriva une nuit, une nuit fatale, oĂč se produisit ce que le propriĂ©taire de l’établissement florissant ressentait depuis des jours. À l’annonce de l’exĂ©cution du tango dĂ©jĂ  consacrĂ© de Villoldo, une certaine nervositĂ© Ă©tait perceptible dans le public nombreux [
] l’orchestre a commencĂ© le rythme rythmique de « El Esquinazo » et tous les assistants ont continuĂ© Ă  suivre leur rythme avec tout ce qu’ils avaient sous la main : chaises, tables, verres, bouteilles, talons, etc. […]. Patiemment, le propriĂ©taire (Anselmo R Tarana) a attendu la fin du tango du dĂ©mon, mais le dernier accord a reçu une standing ovation de la part du public. La rĂ©pĂ©tition ne se fit pas attendre ; et c’est ainsi qu’il a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ© un, deux, trois, cinq, sept
 Finalement, de nombreuses fois et Ă  chaque interprĂ©tation, une salve d’applaudissements ; et d’autres choses cassĂ©es [
] Cette nuit inoubliable a coĂ»tĂ© au propriĂ©taire plusieurs centaines de pesos, irrĂ©couvrables. Mais le problĂšme le plus grave [
] n’était pas ce qui s’était passĂ©, mais ce qui allait continuer Ă  se produire dans les nuits suivantes.
AprĂšs mĂ»re rĂ©flexion, le malheureux « Paganini » des « assiettes brisĂ©es » prit une rĂ©solution hĂ©roĂŻque. Le lendemain, les clients du cafĂ© Tarana ont eu la dĂ©sagrĂ©able surprise de lire une pancarte qui, prĂšs de l’orchestre, disait : « Est strictement interdite l’exĂ©cution du tango el esquinazo ; La prudence est de mise Ă  cet Ă©gard. »

Lo de MarĂ­a la Vasca

Cette maison Ă©tait situĂ©e en la calle Europa, aujourd’hui, Carlos Calvo au n° 2721. Elle appartenait Ă  Carlos Kern (El Ingles) et sa femme, MarĂ­a Rangolla, une basque française) et une ancienne prostituĂ©e, devenue Courtisane la gĂ©rait.
C’est lĂ  que Rosendo MendizĂĄbal a lancĂ© « El Entrerriano », voir cela dans l’article sur Sacale punta.

El entrerriano 1910-03-05 Estudiantina Centenario dir. Vicente Abad (enregistré en 1909, sortie du disque le 5 mars 1910). Une sympathique version avec une jolie mandoline.
Extérieur et patio de la casa de Maria la Vasca.

Le mari de la Vasca, Carlos Kern dont l’autre surnom Ă©tait Matasiete (tue sept en rĂ©fĂ©rence Ă  son imposante stature) veillait Ă  ce que les dames de la maison soient respectĂ©es.
Un film un peu particulier sur cette maison : Origines prohibidos y prostibularios del tango — MarĂ­a Aldaz. Il y a beaucoup Ă  lire, plus qu’à regarder, c’est comme un immense gĂ©nĂ©rique, ou un livre Ă  dĂ©filement automatique, mais ce travail est intĂ©ressant si vous avez le courage de vous y plonger.

Origines prohibidos y prostibularios del tango par MarĂ­a Aldaz

La Parda Loreto

Le mari de la Vasca possĂ©dait un autre lieu, plus modeste qui Ă©tait situĂ© Ă  Chile au 1567 Ă  la Societad Patria e Lavoro. Cet immeuble n’existe plus. Sa danseuse la plus rĂ©putĂ©e Ă©tait « La Parda » Loreto.
Avec le paiement d’un supplĂ©ment, il Ă©tait possible de profiter d’une chambre avec une des belles du bal.
Cette « annexe » de Lo de la Vasca, n’était pas forcĂ©ment bien vue par Maria, qui Ă©tait Ă  juste titre jalouse de ce qui s’y passait avec son mari.

Lo de Laura

Lo de Laura est l’établissement en l’honneur duquel a Ă©tĂ© Ă©crite la milonga du jour.
Elle Ă©tait situĂ©e en Paraguay 2512. J’en ai parlĂ© Ă  propos de Sacale punta. XXXX
Cette maison Ă©tait beaucoup plus grande que celle de MarĂ­a la Vasca.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » Ă©tait situĂ©e en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite


Sa fréquentation était plus élitiste que celles des toutes les autres maisons.

Les maisons de tango dans les paroles de tangos

Voici quelques tangos qui parlent de ces maisons, comme Lo de Laura.

En lo de Laura 1943-03-12 — Antonio Polito Letra Enrique Cadícamo

Lo de Laura

C’est le tango du jour, voir donc ci-dessus, mais ne boudons pas le plaisir d’écouter de nouveau nos deux anges. Vargas et D’Agostino.

En lo de Laura 1943-03-12 — Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas

No aflojĂ©s (Pedro Maffia et SebastiĂĄn Piana Letra : Mario Battistella)

Lo de Laura et Lo de MarĂ­a la Vasca

 Â«â€‰Vos fuiste el rey del bailongo en lo de Laura y la Vasca… »

No aflojĂ©s 1940-11-13 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas (Pedro Maffia ; SebastiĂĄn Piana Letra: Mario Battistella)

Tiempos viejos (Francisco Canaro Letra:  Manuel Romero)

Lo de Laura et lo de Hansen

En 1926, Carlos Gardel enregistrait le bon vieux temps, celui des « maisons » de danse, ces bordels de luxe oĂč on dansait le tango et cherchait la compagnie des femmes. La musique est de Francisco Canaro et les paroles de Manuel Romero.

Tiempos viejos (Te acordĂĄs hermano) 1926 — Carlos Gardel avec les guitares de Guillermo Barbieri et JosĂ© Ricardo (Francisco Canaro Letra: Manuel Romero)

Canaro l’a enregistrĂ© Ă  de multiples reprises, mais seulement Ă  partir de 1927, notamment avec sa compagne officieuse, Ada FalcĂłn.

Tiempos viejos (Te acordĂĄs hermano) 1931-12-17 — Ada FalcĂłn con acomp. de Francisco Canaro. C’est une autre version « chanson ».

Je reviendrai Ă  l’occasion du tango du jour sur une version de danse de ce titre, notamment le 28 septembre avec la version enregistrĂ©e en 1937 par Francisco Canaro et Roberto Maida.

ÂżTe acordĂĄs, hermano ? ÂĄQuĂ© tiempos aquĂ©llos!
Eran otros hombres mĂĄs hombres los nuestros.
No se conocĂ­an cocĂł ni morfina,
los muchachos de antes no usaban gomina.

¿Te acordås, hermano? ¥Qué tiempos aquéllos!
ÂĄVeinticinco abriles que no volverĂĄn!
Veinticinco abriles, volver a tenerlos,
si cuando me acuerdo me pongo a llorar.

ÂżDĂłnde estĂĄn los muchachos de entonces?
Barra antigua de ayer ÂżdĂłnde estĂĄ?
Yo y vos solos quedamos, hermano,
yo y vos solos para recordar…
¿Dónde estån las mujeres aquéllas,
minas fieles, de gran corazĂłn,
que en los bailes de Laura peleaban
cada cual defendiendo su amor?

ÂżTe acordĂĄs, hermano, la rubia Mireya,
que quité en lo de Hansen al loco Cepeda?

Casi me suicido una noche por ella
y hoy es una pobre mendiga harapienta.
ÂżTe acordĂĄs, hermano, lo linda que era?
Se formaba rueda pa’ verla bailar…
Cuando por la calle la veo tan vieja
doy vuelta la cara y me pongo a llorar.

Francisco Canaro Letra: Manuel Romero

On note plusieurs Ă©lĂ©ments dans le texte, que j’ai mis en gras et que je traduis ici :
On ne connaissait pas la cocaĂŻne ni la morphine (pas de drogue autre que le tabac).
Les gars d’avant n’utilisaient pas de gomina (le film argentin d’Enrique Carreras ; Los muchachos de antes no usaban gomina sorti le 13 mars 1969 prĂ©tend reprĂ©senter cette Ă©poque et a choisi cette phrase de la chanson comme titre.
Tu te souviens, frĂ©rot, de la blonde Mireya, que j’ai piquĂ© Ă  Lo de Hansen au fou Cepeda ? Il a piquĂ© la copine française, Mireille, Ă  Cepeda, le poĂšte AndrĂ©s Cepeda [surnommĂ© le Loco ou le mauvais, il Ă©tait de plus anarchiste] et il a failli se suicider pour elle et aujourd’hui, elle est une mendiante.

La Vasca [Juan Calos BazĂĄn]

Lo de MarĂ­a la Vasca

Couverture de la partition pour piano de la Vasca de Juan Carlos Bazan.

On a la partition, mais pas d’enregistrement de ce tango.

El fueye de Arolas [Pedro Laurenz Letra : HĂ©ctor MarcĂł]

Lo de Hansen

Lo de Hansen est citĂ© dans « El fueye de Arolas » [Le bandonĂ©on d’Arolas] Ă©crit Ă  la mĂ©moire d’Arolas par HĂ©ctor Marcó en 1951, Ă  l’occasion du retour des restes d’Arolas de Paris Ă  Buenos Aires :
No ronda en las noches de Hansen al muelle [Il s’agit du quai de la Marne, Arolas Ă©tant mort Ă  Paris]. La mention de Lo de Hansen est donc trĂšs sommaire, mais ça prouve qu’en 1924, l’établissement rasĂ© en 1912 restait dans les mĂ©moires).
Pedro Laurenz le mettra en musique, mais il n’a probablement pas Ă©tĂ© enregistrĂ©.

La Pishuca — El baile en lo de Tranqueli

NotĂ© par Eduardo Barberis le 25 avril 1905 (compositeur anonyme).

Lo de Tranqueli, cet Ă©tablissement de bas Ă©tage Ă©tait situĂ© Ă  l’angle sud-est des rues SuĂĄrez y Necochea (La Boca). L’immeuble n’en a plus pour trĂšs longtemps, il est dĂ©saffectĂ©. À droite, la partition avec la retranscription des paroles qui sont assez difficiles Ă  comprendre.

Eduardo Barberis (qui a fait un travail ethnographique en rĂ©coltant ce tango) a essayĂ© de reproduire la façon de chanter ce qu’il entendait. Cela rend la partition moins comprĂ©hensible. Je vous propose une version probable et une traduction approximative Ă  la suite


Anoche en lo de Tranqueli
Bailé con la Boladora
Y estaba la parda Flora
Que en cuanto me vio estrilĂł,
Que una vez en los Corrales
En un cafetĂ­n que estaba,
Le tuve que dar la biaba
Porque se me reversĂł.

Premier couplet du tango qui en compte cinq, de la mĂȘme eau…

Hier soir Ă  lo de Tranqueli, j’ai dansĂ© avec la Boladora. Il y avait la Parda Flora (Uruguayenne mulĂątresse ayant travaillĂ© Ă  Lo de Laura et danseuse rĂ©putĂ©e). Quand elle m’a vu elle s’est mise en colĂšre, car aux Corrales dans un cafĂ© oĂč elle Ă©tait, j’avais dĂ» lui donner une branlĂ©e, car j’étais Ă  l’envers (retournĂ©, pas dans mon assiette).
Je propose de rapprocher la Parda Flora de Pepita Avellaneda, qui si elle n’est pas la mĂȘme a un parcours trĂšs similaire : Uruguay, Lo de Laura, Flores et la Boca.
Aux Corrales viejos a eu lieu le 22 juin 1880, le dernier combat des guerres civiles argentines. Les forces nationales y ont remporté la derniÚre manche contre les rebelles de la Province de Buenos Aires.

Los Corrales Viejos (situĂ© Ă  Parque Patricios). On voit qu’on n’est pas dans l’ambiance feutrĂ©e des salons parisiens, ni mĂȘme dans celle de Lo de Laura


Selon le poÚte Miguel A.Camino, le tango est né aux Corrales Viejos dans les années 80, les duels au couteau leur ont appris à danser, le 8 (ocho) et la sentada, la media luna et le pas en arriÚre.
Lo de Tranqueli fait partie des piringundines, les bordels oĂč on danse, mais de bas Ă©tages. Rien Ă  voir avec les Ă©tablissements de plus haute tenue comme Lo de Laura.
Fernando Assuncao, dans « El tango y sus circunstancias » mentionne cette uruguayenne fameuse qui gĂ©rait un bordel en Montevideo oĂč il y avait rĂ©guliĂšrement (pour ne pas dire tout le temps du grabuge). On lui attribue la phrase « ¥Que haiga relajo pero con orden! », que ce soit dĂ©tendu, mais avec de l’ordre !

En guise de conclusion, provisoire


Il est Ă©tonnant et intĂ©ressant de voir comment le tango s’est frayĂ© un chemin des faubourgs et de la prostitution de bas Ă©tage, jusqu’aux plus hautes classes de la sociĂ©tĂ©. Nous avons dĂ©veloppĂ© aujourd’hui la premiĂšre Ă©tape, celle oĂč le tango est interdit de danse dans les lieux publics et doit donc se cacher dans des Ă©tablissements dĂ©guisĂ©s sous le nom d’école de danse ou de bordels.
J’ai passĂ© sous silence la danse dans les conventillos (habitats populaires), mais on imagine que les fanatiques du tango devaient saisir toutes les occasions possibles, dans les gloriettes oĂč on pouvait entendre la musique de chez Hansen, jusqu’à la musique des manĂšges pour enfants (les calecitas).
Progressivement, il se trouve un chemin et va ĂȘtre dansĂ© dans de nouveaux lieux, comme ici au ThĂ©Ăątre de la rue de la rue Victoria.

El Teatro de la Victoria. On trouve en gĂ©nĂ©ral la photo de droite associĂ©e Ă  Lo de Laura. Il s’agit en fait d’une photographie rĂ©alisĂ©e en 1905 au Teatro de la Victoria qui Ă©tait situĂ© au 954 de la calle Victoria (actuelle Hipolito Irigoyen).

L’étape suivante se passe en Europe, nous aurons l’occasion d’y revenir.
À suivre


Danseurs en Lo de Laura — Reconstitution fantaisiste à tous points de vue.

Felicia 1966-03-11 – Orquesta Florindo Sassone

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

Felicia est un tango abondamment enregistrĂ©. La version d’aujourd’hui est un peu plus rare en milonga, car la sonoritĂ© particuliĂšre de Sassone n’est pas recherchĂ©e par tous les danseurs. Il a rĂ©alisĂ© cet enregistrement le 11 mars 1966, il y a 58 ans.

Florindo Sassone (12 janvier 1912 – 31 janvier 1982) Ă©tait violoniste. Il a commencĂ© Ă  monter son orchestre dans les annĂ©es 1930.
Le succĂšs a Ă©tĂ© particuliĂšrement long Ă  venir, mais il a progressivement crĂ©Ă© son propre style en s’inspirant de Fresedo et Di Sarli. D’ailleurs, comme nous l’avons vu avant-hier avec Pimienta de Fresedo, les correspondances musicales sont nettes au point que l’on peut confondre dans certains passages Fresedo et Sassone dans les annĂ©es 60. À Di Sarli, il a empruntĂ© des Ă©lĂ©ments de sa la ligne mĂ©lodique et du dialogue entre le piano et le chant des violons.
Il gĂšre son orchestre par bloc, sans mettre en valeur un instrument particulier avec des solos.
Pourtant, il a des musiciens de grand talent dans son orchestre :

  • Piano : Osvaldo Requena (puis Norberto Ramos)
  • BandonĂ©ons : Pastor Cores, Carlos Pazo, JesĂșs MĂ©ndez et Daniel Lomuto (puis Orlando Calautti et Oscar Carbone avec le premier bandonĂ©on Pasto Cores)
  • Violons : Roberto Guisado, Claudio GonzĂĄlez, Carlos Arnaiz, Domingo Mancuso, Juan Scafino et JosĂ© Amatriali (Eduardo Matarucco, Enrique Mario Francini, JosĂ© Amatriain, JosĂ© Votti, Mario Abramovich et Romano Di Paola autour de Carlos Arnaiz, Claudio GonzĂĄlez et Domingo Mancuso).
  • Contrebasse : Enrique Marcheto (puis Mario Monteleone et Victor Osvaldo Monteleone)

Autre Ă©lĂ©ment de son originalitĂ©, ses ponctuations qui terminent une bonne part de ses phrases musicales et des instruments plus rares en tango comme :

  • La harpe : Etelvina Cinicci
  • Le vibraphone et les percussions : Salvador MolĂ©

Écoutez le style trùs particulier de Sassone avec ce trùs court extrait de La canción de los pescadores de perlas (version de 1974).

Les dix premiĂšres secondes de la canciĂłn de los pescadores de perlas 1974. Remarquez la harpe et le vibraphone.

Extrait musical

Felicia 1966-03-11 — Orquesta Florindo Sassone.

Les paroles

Il s’agit ici d’un tango instrumental. Felicia peut ĂȘtre un prĂ©nom qui fait penser Ă  la joie (feliz en espagnol, fĂ©licitĂ© en français). Cependant, Carlos Mauricio Pacheco a crĂ©Ă© des paroles pour ce tango et elles sont loin de respirer l’allĂ©gresse. Il exprime la nostalgie pour sa terre natale (l’Uruguay) en regardant la mer. Il peut s’agir du Rio de la Plata qui est tellement large qu’il est difficile de ne pas le prendre pour une mer quand on le voit depuis Buenos Aires.

AllĂĄ en la casta apartada
donde cantan las espumas
el misterio de las brumas
y los secretos del mar,
yo miraba los caprichos
ondulantes de las olas
llorando mi pena a solas:
mi consuelo era el mirar.

Desde entonces en mi frente
como un insondable enigma
llevo patente el estigma
de este infinito pesar.
Desde entonces en mis ojos
estĂĄ la sombra grabada
de mi tarde desolada:
en mis ojos estĂĄ el mar.

Ya no tendré nunca aquellos
tintes suaves de mi aurora
aunque quizĂĄs se atesora
toda su luz en mis ojos.
Ya nunca veré mis playas
ni aspiraré de las lomas
los voluptuosos aromas
de mis flores uruguayas.

Enrique Saborido Letra Carlos Mauricio Pacheco

J’ai 65 versions diffĂ©rentes de ce titre et pas une n’est chantĂ©e. On se demande donc pourquoi il y a des paroles. C’est sans doute qu’elles ont Ă©tĂ© jugĂ©es un peu trop tristes et nostalgiques et pas en adĂ©quation avec la musique qui est plutĂŽt entraĂźnante dans la plupart des versions.

Le vibraphone et la harpe dans le tango

Sassone a utilisĂ© assez systĂ©matiquement la harpe et le vibraphone dans ses enregistrements des annĂ©es postĂ©rieures Ă  1960. C’est un peu sa signature, mais il n’est pas le seul. Je vous invite Ă  identifier ces instruments dans les titres suivants. Amis danseurs, imaginez comment mettre en valeur ces « dings » et « bloings ».

Vida mía 1934-07-11 — Tito Schipa con Orquesta Osvaldo Fresedo (Osvaldo Fresedo Letra: Emilio Augusto Oscar Fresedo).

Il peut s’agir d’un autre orchestre, mais on entend clairement le vibraphone dans ce titre et pas dans la version de danse chantĂ©e par Roberto Ray enregistrĂ©e moins d’un an avant, le 13 septembre 1939. Je prĂ©sente cette version pour illustrer mon propos, mais la voix criĂ©e de Schipa n’est pas des plus agrĂ©ables, contrairement Ă  la version formidable de Ray.

Orquesta Osvaldo Fresedo. À gauche, on voit bien le vibraphone. À droite, on voit bien la harpe. Le vibraphone est cachĂ© Ă  l’arriĂšre.
El vals soñador 1942-04-29 — Orquesta Miguel CalĂł con RaĂșl BerĂłn (Armando Pontier Letra Oscar Rubens). On entend par exemple le vibraphone Ă  6 et 22 secondes.

Nina 1955 — Florindo Sassone (compositeur Abraham).

Le vibraphone puis la harpe dĂ©butent ce thĂšme (Nina 1955 Florindo Sassone. Extrait de « 100 años de vibrĂĄfono y su desarrollo en el Tango » de Gerardo Verdun (vibraphoniste que je vous recommande si vous vous intĂ©ressez Ă  cet instrument).

Nina 1971 — Florindo Sassone (compositeur Abraham), le mĂȘme thĂšme enregistrĂ© en 1971.

Pour en savoir plus sur les instruments de musique du tango, vous pouvez consulter l’excellent site : Milongaophelia. Il manque quelques instruments comme la scie musicale, l’orgue Hammond, les ondes Martenot et Ă©ventuellement l’accordĂ©on, mais leur panorama est dĂ©jĂ  assez complet.
Comme danseur, vous pouvez vous entraĂźner Ă  les reconnaĂźtre et les choisir pour dynamiser votre improvisation en passant d’un instrument Ă  l’autre au fur et Ă  mesure de leurs jeux de rĂ©ponse.
Voici Florindo Sassone en reprĂ©sentation au Teatro ColĂłn Ă  Buenos Aires, le 21 juillet 1972. Vous pourrez entendre (difficilement, car le son n’est pas gĂ©nial) :

  • (00:00) Organito de la Tarde (Castillo CĂĄtulo (Ovidio CĂĄtulo Castillo GonzĂĄlez) Letra : JosĂ© GonzĂĄlez Castillo (Juan de LeĂłn). On retrouve l’inspiration de Di Sarli dans cette interprĂ©tation.
  • (02:26) Champagne tango (Manuel ArĂłztegui Letra: Pascual Contursi)
  • (05:45) La cumparsita (Gerardo Matos RodrĂ­guez Letra: Pascual Contursi)
  • (08:53) Re Fa si (Enrique Delfino). On y entend bien la harpe et le vibraphone.

Sur la vidéo on peut remarquer la harpe, le vibraphone, mais aussi les timbales, pas si courantes dans un orchestre de tango.

Et pour en terminer avec le tango du jour, un tango assez original, car il s’agit en fait d’un morceau de musique classique française, de Georges Bizet (Les pĂȘcheurs de perles) qui a donnĂ© lieu Ă  diffĂ©rentes versions par Sassone, donc celle que je vous offre ici, enregistrĂ©e en 1974. Vous y entendrez la harpe et le vibraphone, nos hĂ©ros du jour.

La canción de los pescadores de perlas 1974 — Orquesta Florindo Sassone.

Nous sommes à présent au bord de la mer, partageant les pensées de Carlos Mauricio Pacheco, songeant à son pays natal.

Carlos Mauricio Pacheco, pensant Ă  son Uruguay natal en regardant les vagues.

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Pimienta 1939-03-10 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Osvaldo Fresedo (compositeur)

Fresedo est un vieux de la vieille, mais dont le style a beaucoup Ă©voluĂ© au cours de sa longue carriĂšre de chef d’orchestre. Pimienta, est un des fleurons de la partie la plus intĂ©ressante de ses 70 ans de tango. Il en est le compositeur et ici l’interprĂšte.

Fresedo a commencĂ© Ă  jouer en public Ă  16 ans, en 1913. À partir de 1920, il a commencĂ© Ă  enregistrer, jusque dans les annĂ©es 1980, environ 1200 titres.

À plus de 90 %, ce sont des tangos. Moins de deux pour cent sont des valses ou des milongas. Le reste sont diffĂ©rents rythmes, pasodobles, scottishs, congas, fox-trots, chansons, rancheras, rumbas, shimmys et autres. En effet, comme beaucoup d’orchestres de tango, il jouait d’autres styles, car dans les bals de l’époque se dansaient de nombreux styles et pas seulement ceux issus du tango. Dans les programmes des Ă©vĂ©nements un peu plus consĂ©quents, il y avait en gĂ©nĂ©ral deux orchestres annoncĂ©s. Un de tango et un de « Jazz » (le reste). N’oublions pas qu’il a jouĂ© avec Dizzy Gillepsie.

S’il a enregistrĂ© avec diffĂ©rents chanteurs, dont Carlos Gardel et rĂ©alisĂ© de merveilleux enregistrements avec Roberto Ray et Ricardo Ruiz, la majoritĂ© de sa production de tango sont instrumentaux.

C’est le cas de notre tango du jour, Pimienta, enregistrĂ©e le 10 mars 1939 auprĂšs de la RCA Victor. Le numĂ©ro de matrice est 12706-1 et le disque est la rĂ©fĂ©rence 38682B.

Le mĂȘme jour, il a enregistrĂ© avec Ricardo Ruiz, un tango magnifique, mais que peu de DJ passent en milonga, bien qu’il soit parfaitement dansable. Je vous le propose aussi Ă  l’écoute

Extrait musical

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. L’impressionnant glissando qui est une caractĂ©ristique de plusieurs titres de Fresedo donne l’impression que quelque chose chute. Comme danseur, il est difficile de rĂ©sister Ă  l’envie de faire quelque chose pour marquer « l’atterrissage ».
Mi gitana 1939-03-10 – Orquesta Osvaldo Fresedo con Ricardo Ruiz – Juan JosĂ© Guichandut Letra : Enrique CadĂ­camo.

Autre versions de Pimienta par Osvaldo Fresedo

De 1939 à 1962, Fresedo a enregistré quatre fois Pimienta. Cela nous donne une idée de la progression de son style sur cette période.
Voici les quatre enregistrements par ordre chronologique :

Pimienta 1939-03-10 Osvaldo Fresedo. C’est l’enregistrement du jour. Un des grands titres pour les danseurs.
Pimienta 1945 Osvaldo Fresedo.

C’est un enregistrement public, Ă  la radio, dans le cadre de la Ronda Musical de las AmĂ©ricas. Osvaldo Fresedo dirige son Gran Orquesta Argentina avec le merveilleux Elvino Vardaro comme premier violon et Emilio Barbato au piano. J’ai coupĂ© le blabla au dĂ©but pour ne garder que la musique. La musique est relativement courte, seulement 1,45 minute, sans doute Ă  cause du format imposĂ© par la radio et du bavardage initial (50 secondes). La qualitĂ© sonore est mĂ©diocre comme la plupart des « grabaciones radiales » (enregistrement Ă  la radio), mais on peut remarquer un certain nombre de diffĂ©rences dans l’orchestration par rapport Ă  la version originale de 1939.

Pimienta 1959-01-23 — Osvaldo Fresedo.

Vingt ans aprĂšs la premiĂšre version, celle-ci est d’un style trĂšs diffĂ©rent. Plus « symphonique », plus enrichi, avec une orchestration complĂštement renouvelĂ©e. On retrouve tout de mĂȘme les chutes, mais il me semble que la danse n’y trouve pas son compte. C’est joli, mais je ne le propose pas en milonga, malgrĂ© quelques trouvailles intĂ©ressantes d’une meilleure superposition des plans et des chutes assez impressionnantes.

Pimienta 1962-10-04 — Osvaldo Fresedo.

Encore diffĂ©rent de la version de 1959, on trouve ici le « Fresedo-Sassone ». En effet, on trouve dans cette version les « glings » chers Ă  Sassone qui fait que l’on ne retrouve pas du tout l’esprit de Fresedo tel que le conçoivent les danseurs habituĂ©s Ă  ces titres des annĂ©es 30-40. MalgrĂ© des impacts intĂ©ressants, cette version est sans doute un peu monotone pour la danse.
En rĂ©sumĂ©, hormis pour l’illustration, je reste avec la merveilleuse version de 1939.

Qui est pimienta ?

La pimienta est le poivre. Je ne pense pas que Fresedo pensa Ă  faire l’apologie de cette Ă©pice quand il a Ă©crit le titre. N’ayant pas trouvĂ© d’information sur le sujet, j’ai cherchĂ© d’autres tangos parlant de pimienta. Il n’y en a pas dans ma discothĂšque, pourtant assez vaste. Il y a bien une milonga AzĂșcar, pimienta y sal d’HĂ©ctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; TitĂ­ Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) et avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar).

AzĂșcar, pimienta y sal 1973 – Orquesta HĂ©ctor Varela con Fernando Soler y Jorge FalcĂłn

Le sujet est une femme, au caractùre variable. Voici ce qu’en dit un des couplets, le dernier :

La quiero difĂ­cil como es,
con su mundo diferente.
Qué importa su mundo al revés,
sin que cambie fĂĄcilmente.
Tampoco lo que hablen de mi,
porque yo la quiero asĂ­.
AsĂ­, como es
rebelde y angelical.
ÂĄAsĂ­, como es,
azĂșcar, pimienta y sal!

HĂ©ctor Varela (Salustiano Paco Varela) ; TitĂ­ Rossi (Ernesto Ovidio Rossi) avec des paroles d’Abel Aznar (Abel Mariano Aznar)

Traduction :

Je l’aime difficile comme elle est, avec son monde diffĂ©rent.
Qu’importe son monde à l’envers, sans qu’il change facilement.
Ni ce qu’ils disent de moi, parce que je l’aime ainsi. Rebelle et angĂ©lique. Ainsi, comme elle est le sucre, le poivre et le sel
 !

J’ai donc imaginĂ© que Pimienta parlait d’une femme au caractĂšre bien marquĂ©. C’est ainsi que j’ai proposĂ© l’image de couverture, avec une femme, disons, presque en colĂšre


Pour terminer, je propose cette beautĂ© « angĂ©lique », mais avec une pointe de rĂ©bellion dans les yeux.

ÂżPimienta?

Sacale punta 1938-03-09 (Milonga tangueada) – Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Osvaldo Donato Letra Sandalio GĂłmez

Cette milonga du jour a Ă©tĂ© enregistrĂ©e le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e par Donato et est toujours un succĂšs dans les milongas. Cependant, son titre prĂȘte Ă  interprĂ©tations et je choisis ce prĂ©texte pour vous faire entrer dans le monde du tango du dĂ©but du 20e siĂšcle.

Edgardo Donato interprĂšte ici une milonga Ă©crite par son frĂšre, pianiste, Osvaldo. Deux chanteurs interviennent, Horacio Lagos et Randona (Armando Julio Piovani). Ils ne chantent que deux couplets, comme il est d’usage pour le tango de danse.

Le disque

Sacale punta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Victor 38397.

Sur l’étiquette on trouve plusieurs mentions. Le nom de l’orchestre, Edgardo Donato y sus Muchachos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Horacio Lagos. Randona n’est pas mentionnĂ©.
On trouve le nom des auteurs et compositeurs. L’auteur des paroles est en premier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe GuĂ­zar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pourrez Ă©couter cette valse en fin d’article.
Sur le disque, on peut remarquer sur l’étiquette l’encadrĂ© suivant


ExĂ©cution publique et radio-transmission rĂ©servĂ©es Ă  RCA Victor Argentina INC. Ce disque n’est donc pas autorisĂ© pour ĂȘtre jouĂ© en milonga 😉

Extrait musical

Sacale punta 1938-03-09 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Les paroles

Sacale punta a esta milonga
Que ya empezĂł.
SentĂ­ que esos fueyes que rezongan
De corazĂłn.
Y las pebetas se han venido
De « true Vuitton ». (De truco y flor)
El tango requiebra la vida (El tango es rey que da la vida)
Y en su nota desparrama,
Su amor.

Tango lindo de arrabal
Que yo,
No lo he visto desmayar
ÂĄ TriunfĂł!.
Tango lindo que al cantar
VolcĂł,
Su fe, su amor
Varón tenés que ser.

Nada hay que hacer cuando rezongan
El bandoneĂłn
Oreja a oreja las parejas
Bailan al son,
De un tango lleno de recuerdos
Que no cayĂł.
Si desde los tiempos de Laura
Se ha sentido primera agua
y brillĂł.

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez. Seuls les deux premiers couplets sont chantés dans cette version.

Pourquoi un crayon à la milonga ?

Les paroles de cette chanson parlent donc de la milonga, du point de vue de l’homme qui se prĂ©pare Ă  danser joue contre joue (oreille contre oreille) avec des jeunes femmes.
« Saca punta » se dit pour tailler les crayons, faire sortir, la pointe, la mine. Cela se dit couramment dans les Ă©coles.

Sacale punta. J’ai reprĂ©sentĂ© le crayon bien taillĂ© sur cette image, mais ce n’est qu’une petite partie de l’énigme.

Ici, Sandalio a Ă©crit « Sacale punta a esta milonga », sors-lui la pointe Ă  cette milonga

Pour ceux qui pourraient s’interroger, sur l’intĂ©rĂȘt d’apporter un crayon Ă  la milonga. Une petite investigation qui je l’espĂšre ne sera pas trop dĂ©cevante :

Les autres textes de Sandalio GĂłmez

Si on cherche une piste dans les autres textes Ă©crits par Sandalio GĂłmez on trouve :
Deux tangos : « Cumbrera » et « El mundo estĂĄ loco ». Le premier est un hommage Ă  Carlos Gardel et le second s’inscrit dans la tradition de « Cambalache » ou de « Al mundo le falta un tornillo », ces tangos qui parlent de la dĂ©gĂ©nĂ©rescence du Monde.
Deux milongas : « De punta a punta » et « Mis piernas » qui est une milonga qui incite Ă  se reposer, car les paroles commencent ainsi : « Sentate, cuerpo sentate, que las piernas no te dan mĂĄs » assois-toi corps, car les jambes n’en peuvent plus.
Un paso doble : « Embrujo » parle d’un « envoutement » amoureux.
Du grand classique et si ce n’était ce « Sacale punta », les paroles ne prĂȘteraient pas Ă  interprĂ©tation. On n’est pas en prĂ©sence de textes de Villoldo qu’il a souvent fallu remanier pour respecter les bonnes mƓurs.

D’autres musiques utilisant « Sacale punta »

Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale punta ». Par exemple, la milonga Ă©crite par JosĂ© Basso : « Sacale punta al lĂĄpiz » 1955-09-16 Ă©crite par JosĂ© Basso, mais qui n’a pas de paroles.

Sacale punta al lĂĄpiz 1955-09-16 – JosĂ© Basso (Musique JosĂ© Basso)

Si on reste en Argentine, on trouve plus rĂ©cemment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont souvent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milonga de Basso et qui est interprĂ©tĂ©e par Neni y su banda. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous donnerai pas les paroles, mais sachez que le possesseur du lĂĄpiz (crayon) se vante de pouvoir en faire quelque chose au lit.
Le groupe cubain Vieja Trova Santiaguera chante Ă©galement « Sacale punta al lĂĄpiz ». Ce son est avec des paroles relativement explicites, la muñequa (poupĂ©e) faisant rĂ©fĂ©rence au mĂȘme crayon que la cumbia susmentionnĂ©e.

SĂĄcale la punta al lĂĄpiz – Vieja Trova Santiaguera

Le chanteur portoricain de Salsa, Adalberto Santiago, chante dans une salsa du mĂȘme titre, « Sacale punta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa compagne qui l’a trompĂ©e. Comme la liste des reproches est longue, elle doit prĂ©parer la mine de son crayon pour pouvoir tout noter. On est donc ici, dans la lignĂ©e scolaire, du crayon dont on doit affuter la mine.

SĂĄcale punta 1982-12-31 – Adalberto Santiago

Dans l’esprit du crayon pour Ă©crire, on pourrait penser au carnet de bal pour inscrire les partenaires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le carnet et le crayon seront pour noter les coordonnĂ©es de la belle


Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?

Comme vous l’imaginez, les pistes prĂ©cĂ©dentes ne me satisfont pas. Je vais vous donner ma version, ou plutĂŽt mes versions, mais qui se rejoignent. Pour cela, interrogeons le lunfardo, l’argot portĂšgne.
En lunfardo se dit : « de punta en blanco » qui signifie Ă©lĂ©gant. Il est donc logique de penser que le narrateur souhaite sortir ses meilleurs vĂȘtements pour aller Ă  la milonga.
Toujours en lunfardo, « hacer punta » est aller de l’avant. On peut donc imaginer qu’il faut aller de l’avant pour aller Ă  la milonga.
Continuons avec le lunfardo : La punta est aussi un couteau, une arme blanche. Quand on connaĂźt la rĂ©putation des compadritos, on se dit qu’ils peuvent ĂȘtre prĂȘts Ă  sortir le couteau Ă  la moindre occasion Ă  la milonga.
Pour rĂ©sumer, il se prĂ©pare avec ses beaux habits, Ă©ventuellement avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prĂȘt pour aller Ă  la milonga qui a dĂ©jĂ  commencĂ©, pour danser joue contre joue et discuter ce qui se doit avec ceux qui se mettent en travers de sa route. On ne peut pas tout Ă  fait exclure un double sens Ă  la Villoldo, surtout si on se rĂ©fĂšre au fait que cette milonga se rĂ©fĂšre au dĂ©but du XXe siĂšcle, Ă©poque oĂč les paroles Ă©taient beaucoup plus « libres ».

Lo de Laura

En effet, le dernier couplet, qui n’est pas chantĂ© ici, parle du temps de Laura. Il s’agit de la casa de Laura (Laurentina Monserrat). Elle Ă©tait situĂ©e en Paraguay 2512. Cette milonga Ă©tait de bonne frĂ©quentation au dĂ©but du vingtiĂšme siĂšcle.

Lo de Laura (Laurentina Monserrat). Cette « maison » Ă©tait situĂ©e en Paraguay 2512. C’est maintenant une maison de retraite


Les danseurs pouvaient danser avec les « femmes » de la maison moyennant le paiement de quelques pesos. Je ne connais pas le prix pour cette maison, mais dans une maison comparable, Lo de Maria (La Vasca), le prix Ă©tait de 3 pesos de l’heure. Le mari de la propriĂ©taire, « El Ingles » (Carlos Kern) veillait Ă  ce que les protĂ©gĂ©es soient respectĂ©es. On est toujours Ă  l’époque du tango de prostibulo, mais avec classe.
Il indique que dĂšs l’époque de Laura, il Ă©tait de Primer agua c’est-Ă -dire qu’il Ă©tait dĂ©jĂ  trĂšs bon. Un peu comme dans la milonga « En lo de Laura » (musique d’Antonio Polito et paroles d’Enrique CadĂ­camo). En effet, dans cette milonga, CadĂ­camo a Ă©crit : « Milonga provocadora que me dio cartel de taura  », Milonga provocante qui me donna le titre de champion (en fait, plutĂŽt dans le sens de cador, caĂŻd, compadrito, courageux, qui se montre
).

En lo de Laura 1943-03-12 – Orquesta Ángel D’Agostino con Ángel Vargas – Antonio Polito Letra Enrique CadĂ­camo (Domingo Enrique CadĂ­camo)

Pour vous donner une idĂ©e de l’ambiance de Lo de Laura, vous pouvez regarder cet extrait du film argentin « La Parda Flora » de LeĂłn Klimovsky et qui est sorti le 11 juillet 1952. C’est bien sĂ»r une reconstitution, avec les limites que ce genre impose.

Reconstitution de l’ambiance en Lo de Laura. Extrait du film argentin « La Parda Flora » de LeĂłn Klimovsky sorti le 11 juillet 1952

Dans cette partie du film se joue “El Entrerriano” d’Anselmo Rosendo MendizĂĄbal. En effet, une tradition veut que MendizĂĄbal ait Ă©crit ce tango en Lo de Laura. Il Ă©tait en effet pianiste dans cet Ă©tablissement et c’est donc fort possible. Il intervenait aussi Ă  Lo de Maria la Vasca et certains affirment que cet dans ce dernier Ă©tablissement qu’il a inaugurĂ© le tango.
Notons que les deux affirmations ne sont pas contradictoires, mais je préfÚre lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose.
Il dĂ©crit cela dans une lettre envoyĂ©e en 1934 Ă  HĂ©ctor et Luis Bates et qui la publiĂšrent en 1936 dans « Las historias del tango: sus autores Â» :

“ExistĂ­a una casa de baile que era conocida por “MarĂ­a la Vasca”. AllĂ­ se bailaba todas y toda la noche, a tres pesos hora por persona. Encontraba en esos bailes a estudiantes, cuidadores y jockeys y en general, gente bien. El pianista oficial era Rosendo y allĂ­ fue donde por primera vez se tocĂł “El entrerriano”. [
] asĂ­ se bailĂł hasta las 6 a.m. Al retirarnos lo saludĂ© a Rosendo, de quien era amigo, y lo felicitĂ© por su tango inĂ©dito y sin nombre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a usted, pĂłngale nombre”. Le agradecĂ­ pero no aceptĂ©, y debo decir la verdad, no lo aceptĂ© porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al tener que retribuir la atenciĂłn. Pero le sugerĂ­ la idea que se lo dedicase a Segovia, un muchacho que paseaba con nosotros, amigo tambiĂ©n de Rosendo y admirador; asĂ­ fue; Segovia aceptĂł el ofrecimiento de Rosendo. Y se le puso “El entrerriano” porque Segovia era oriundo de Entre RĂ­os.”.

José Guidobono

Traduction :

Il y avait une maison de danse connue sous le nom de « MarĂ­a la Vasca ». On y dansait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par personne. À ces bals, j’ai croisĂ© des Ă©tudiants, des mĂ©decins et des jockeys [c’était une soirĂ©e spĂ©ciale du Z Club, club auquel Rosendo MendizĂĄbal a d’ailleurs dĂ©diĂ© un tango (Z Club)] et en gĂ©nĂ©ral, de bonnes personnes.
Le pianiste officiel Ă©tait Rosendo et c’est lĂ  que « El entrerriano » a Ă©tĂ© jouĂ© pour la premiĂšre fois. [
] c’est ainsi qu’on a dansĂ© jusqu’à 6 heures du matin.
En partant, j’ai saluĂ© Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai fĂ©licitĂ© pour son tango inĂ©dit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dĂ©dicacer, donne-lui un nom ». Je l’ai remerciĂ©, mais je n’ai pas acceptĂ©, et je dois dire la vĂ©ritĂ©, je ne l’ai pas acceptĂ© parce que cela allait me coĂ»ter au moins cent pesos, pour le remercier de l’attention. Mais j’ai suggĂ©rĂ© l’idĂ©e qu’il le dĂ©dicace Ă  Segovia, un garçon qui marchait avec nous, Ă©galement ami et admirateur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a acceptĂ© l’offre de Rosendo. Et il l’a intitulĂ© « El Entrerriano » parce que Segovia Ă©tait originaire d’Entre RĂ­os. [
] Rosendo a ainsi gagnĂ© cent mangos (pesos en lunfardo). »

La face A du disque Victor 38397

Sur la face A du mĂȘme disque Victor a gravĂ© une valse. Elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e le mĂȘme jour par Donato et Lagos, comme c’est souvent le cas.
Cette valse est sublime, je vous la propose donc ici :

QuĂ© será ? 1938-03-09 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos — Pepe GuĂ­zar (MyL)

Ne pas confondre cette valse avec une au titre qui ne diffùre que par deux lettres


QuiĂ©n será ? 1941-10-13 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos — Luis Rubistein (MyL)

Un clin d’Ɠil pour les DJ

Felix Picherna, un cĂ©lĂšbre DJ de l’époque des cassettes Philips, utilisait un crayon pour rembobiner ses cassettes. Il devait donc sacar la punta antes de la milonga.
J’en parle dans mon article sur les tandas.
Maintenant, vous ĂȘtes prĂȘts Ă  danser Ă  Lo de Laura ou dans votre milonga favorite.

Felix Pincherna utilisant un crayon pour rembobiner sa cassette de cortina. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04-9/

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto TĂ­pico con Elsa Moreno

Juan Antonio Collazo Letra : Roberto Fontaina ; VĂ­ctor Soliño

Un Niño bien est un jeune homme de bonne famille, Ă©lĂ©gant et un peu prĂ©cieux. Cependant, le tango du jour parle d’un autre Niño bien. Enrique Mora et Elsa Moreno vous invitent Ă  dĂ©couvrir le personnage avec une caricature lĂ©gĂšre et entraĂźnante. C’est aussi pour moi, l’occasion de vous faire souvenir d’un orchestre un peu oubliĂ©.

MĂȘme dans le monde du tango, il y a des personnes qui aiment paraĂźtre, qui ont la « nariz parada » (le nez relevĂ© par la fiertĂ©), qui souhaitent pĂ©ter plus haut que leur cul. Ce tango, dont les paroles qui sont de Roberto Fontaina et VĂ­ctor Soliño, parlent d’un de ces personnages de banlieue qui joue Ă  ĂȘtre de la haute (sociĂ©tĂ©).
Ce tango a été enregistré diverses reprises, en deux vagues.
La plus ancienne version est une version chantĂ©e par Alberto Vila, accompagnĂ© Ă  la guitare en 1927. L’annĂ©e suivante, la TĂ­pica Victor enregistre une version instrumentale et en 1930 Irusta le chante avec Lucio Demare (piano) et Samul Reznik (violon).
Puis le titre reste dans l’ombre, jusqu’en 1948. Nous Ă©couterons en fin d’article, certains des enregistrements de cette renaissance.

À propos de Niño bien

 Niño bien a donnĂ© son nom Ă  une milonga du jeudi Ă  Buenos Aires qui Ă©tait fameuse mais qui a malheureusement disparu, comme tant d’autres.

La Leonesa, le salon oĂč se dĂ©roulait la milonga Niño bien. Je pense que vous reconnaissez le DJ 😉

Cette milonga Ă©tait suffisamment fameuse pour que Brian Winter donne son nom Ă  un de ses livres (Bien aprĂšs minuit Ă  la Niño bien). Une autre milonga fameuse qui elle aussi a disparu, Thunderland est l’autre hĂ©roĂŻne parmi les milongas citĂ©es dans ce livre.

La captivante quĂȘte d’une AmĂ©ricaine dans les milongas portĂšgnes pour retrouver le bel Argentin dont elle est tombĂ©e amoureuse dans une milonga aux USA. Pour le retrouver, elle devra dĂ©couvrir tous les aspects du tango. Ce livre permet de se remĂ©morer des lieux qui n’existent plus, dont la fameuse milonga Niño Bien Ă©voquĂ©e ci-dessus. Je ne vous en dis pas plus pour ne pas vous gĂącher le plaisir de lire ce livre paru en 2008, mais qui place l’histoire en 1999.

Enrique Mora y su Cuarteto TĂ­pico con Elsa Moreno

Enrique (Fausta) Mora (8 fĂ©vrier 1915 – 14 juillet 2003) est sans doute injustement oubliĂ©, Il Ă©tait un brillant pianiste, chef d’orchestre et compositeur de tangos comme Este es tu tango, connu par les enregistrements de Ricardo Tanturi avec Roberto Videla ou Enrique Rodriguez avec Armando Moreno.
J’imagine que son oubli vient en particulier du fait qu’il n’a enregistrĂ© que dans les annĂ©es 50, un moment oĂč le tango de danse Ă©tait en rĂ©gression. Il n’a donc pas Ă©tĂ© rĂ©Ă©ditĂ© aussi rapidement que les monstres sacrĂ©s. Je suis donc content de lui redonner justice, comme j’avais ressorti de l’oubli Donato Racciatti il y a une vingtaine d’annĂ©es (en France). D’ailleurs, Ă  l’écoute, on retrouvera une similitude entre Mora, Racciatti et Firpo, jusqu’à la façon de chanter d’Elsa Moreno qui peut Ă©voquer Nina Miranda ou Olga Delgrossi, voire Tita Merello qui a aussi chantĂ© ce titre.
Elsa Moreno a enregistrĂ© une douzaine de titres avec le cuarteto d’Enrique Mora entre 1953 et 1956. Niño bien est le premier de la sĂ©rie.

Extrait musical

Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto TĂ­pico con Elsa Moreno

Les paroles

Niño bien, pretencioso y engrupido,
que tenés berretín de figurar;
niño bien que llevås dos apellidos
y que usĂĄs de escritorio el Petit Bar;
pelandrĂșn que la vas de distinguido
y siempre hablĂĄs de la estancia de papĂĄ,
mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero,
todos los dĂ­as sale a vender fainĂĄ.

Vos te creés que porque hablås de ti,
fumås tabaco inglés
paseĂĄs por SarandĂ­,
y te cortĂĄs las patillas a lo Rodolfo
sos un fifĂ­.
Porque usĂĄs la corbata carmĂ­n
y allĂĄ en el Chantecler
la vas de bailarĂ­n,
y te mandĂĄs la biaba de gomina,
te creés que sos un rana
y sos un pobre gil.

Niño bien, que naciste en el suburbio
de un bulín alumbrao a querosén,
que tenés pedigrée bastante turbio
y decĂ­s que sos de familia bien,
no manyĂĄs que estĂĄs mostrando la hilacha
y al caminar con aire triunfador
se ve bien claro que tenés mucha clase
para lucirte detrĂĄs de un mostrador.

Juan Antonio Collazo Letra: Roberto Fontaina; Víctor Soliño

La photo de couverture

Pour cette image, je ne suis pas parti de photos. Je vais vous expliquer la démarche, à la lueur des paroles du tango.

Siempre hablĂĄs de la estancia de papĂĄ, mientras tu viejo, pa’ ganarse el puchero, todos los dĂ­as sale a vender fainĂĄ. [Tu parles toujours du domaine de ton papa, cependant ton vieux, pour gagner la pitance, sort tous les jours pour vendre des fainĂĄs (Galettes Ă  base de farine de pois chiches)].

Au couplet suivant : « te cortĂĄs las patillas a lo Rodolfo, sos un fifĂ­. » Tu te tailles les pattes Ă  la Rudoph (Valentino), tu es un effĂ©minĂ©.

Pour l’image, je suis parti de l’idĂ©e d’avoir le Niño Bien au premier plan et Ă  l’arriĂšre-plan, son vieux pĂšre qui vend des fainĂĄs. Pour le le niño bien, j’ai choisi de partir de son modĂšle, Ă  savoir Rudolph Valentino, cet acteur de l’époque du cinĂ©ma muet qui Ă©tait considĂ©rĂ© comme particuliĂšrement beau. Pour le pĂšre, j’ai dĂ©cidĂ© de mettre en avant (ou plutĂŽt Ă  l’arriĂšre dans le cas prĂ©sent) un vĂ©ritable vendeur de fainĂĄs. Il s’agit ici de galettes de farine de pois chiches, cuites au four Ă  pizza, Ă  la poĂȘle, ou sur des installations plus sommaires, comme on peut le voir sur la photo.
Voici les images originales :

À gauche, Rudolph Valentino. Il y a un logo en bas Ă  droite, mais je n’ai pas identifiĂ© le studio (photo ou cinĂ©ma). À droite, le « pĂšre » est en fait Ricardo Ravadero, un vendeur ambulant de Buenos Aires dans les annĂ©es 20 sur cette photo).

D’autres enregistrements des annĂ©es 50 de ce tango

AprĂšs la premiĂšre vague des annĂ©es 20-30, la relance du titre vient de la sortie du film d’Homero Manzi e Ralph Pappier « Pobre mi madre querida », le 28 avril 1948. Hugo del Carril y chante le titre en se moquant d’un autre type, ce qui va se terminer en bagarre


Nino bien 1948-04-28 (sortie du film) — Hugo del Carril. Extrait du film « Pobre mi madre querida » de Homero Manzi y Ralph Pappier
Niño bien 1953-03-08 — Enrique Mora y su Cuarteto TĂ­pico con Elsa Moreno. C’est le tango du jour.
Niño bien 1953 — Orquesta Juan SĂĄnchez Gorio con Luis Mendoza. Date prĂ©cise non-disponible. La matrice est le numĂ©ro OPT 225-1 et le disque 6007A.
Niño bien 1955-03-22 — Orquesta Juan SĂĄnchez Gorio con Luis Mendoza. Avec de la rĂ©verbĂ©ration. On peut prĂ©fĂ©rer la version de 1953

Niño bien 1956-06-14 — Tita Merello accompagnĂ©e par Francisco Canaro. La gouaille incroyable de Tita Merello, fait de cette version un morceau d’anthologie. Pas garanti pour le bal, c’est d’ailleurs prĂ©sentĂ© comme une chanson, mais Ă  ne pas rater.
Le Niño Bien semble détonner dans le magasin et les clients le regardent avec un air étonné.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta Aníbal Troilo

AgustĂ­n Bardi (compositeur)

Peut-ĂȘtre vous ĂȘtes-vous demandĂ© pourquoi ce sublime tango s’appelait « Tinta Verde » (Encre verte). La version de ce tango du jour a Ă©tĂ© enregistrĂ©e par Anibal Troilo le 7 mars 1938, il y a exactement 86 ans, mais la musique a Ă©tĂ© Ă©crite par Bardi en 1914. Une histoire d’amitiĂ© comme il en existe tant en Argentine.

Jetez l’encre

AgustĂ­n Bardi (13 aoĂ»t 1884 – 21 avril 1941) a Ă©crit ce trĂšs beau tango en 1914. Il n’en existe pas Ă  ma connaissance de versions chantĂ©es, toutes les versions sont instrumentales. On n’a donc que l’écoute et le titre pour avoir une idĂ©e du thĂšme. Je me suis intĂ©ressĂ© Ă  d’autres tangos qui parlaient d’encre (tinta).
Tinta roja (SebastiĂĄn Piana Letra: CĂĄtulo Castillo). Il ne s’agit pas d’encre rouge, mais des jeux de couleurs, couleur du sang et du vin teintĂ© (les hispanophones disent vino tinto pour parler du vin rouge). Tinta roja (1942) a sans doute Ă©tĂ© Ă©crit en rĂ©ponse Ă  tinta verde qui avait toujours du succĂšs comme en tĂ©moignent les enregistrements de D’Arienzo 1935 et Troilo 1938, celui dont on parle aujourd’hui).
Tinta china (Antonio Polito Letra : HĂ©ctor Polito). Encre de Chine. Peut-ĂȘtre pour les mĂȘmes raisons, mais sans le mĂȘme succĂšs, ce tango Ă©crit en 1942 parle des personnes Ă  la peau noire. Tinta china se rĂ©fĂšre donc Ă  la couleur de la peau.
Tinta verde. J’ai gardĂ© le suspens, mais je vous rassure, c’est impossible de deviner pourquoi ce tango s’appelle Tinta verde (encre verte). Ce n’est pas une histoire de couleur de peau (pas de petits Martiens Ă  la peau verte), d’autant plus que la cĂ©lĂšbre Ă©mission d’Orson Welles mettant en scĂšne la Guerre des Mondes d’Herbert George Wells (le plus grand pionnier de la science-fiction) n’a Ă©tĂ© diffusĂ©e que le 30 octobre 1938 et ce tango Ă©crit en 1914.
Je lùve le suspens, il s’agit tout simplement de l’encre verte, celle que l’on peut mettre dans les stylos.

1 Je suis parti d’une photo de Octopus Fluids, le fabricant de l’excellente encre Barock 1910, la verte s’appelle jade. J’espĂšre que le collĂšgue photographe ne m’en voudra pas de cet emprunt, mais j’ai trouvĂ© sa photo si belle que je n’ai pas eu d’idĂ©e pour faire mieux. Voici le site d’Octopus Fluids pour ceux que ça intĂ©resse. https://www.octopus-fluids.de/en/writing-ink-fountain-pen-inks/barock-fountain-pen-inks

Vous allez me dire que je devrais avancer une preuve, car le tango Ă©tant instrumental, c’est difficile Ă  vĂ©rifier.
La preuve, la voici ; AgustĂ­n Bardi avait pour voisin et ami, Eduardo Arolas (24 fĂ©vrier 1892 – 29 septembre 1924). Ce dernier Ă©tait illustrateur en plus d’ĂȘtre bandonĂ©oniste, compositeur et chef d’orchestre. Il Ă©tait donc coutumier de l’usage des encres. Curieuse coĂŻncidence, Ă  la mĂȘme Ă©poque, AgustĂ­n Bardi travaillait pour une entreprise de transport, « La Cargadora » (la chargeuse, ou le chargeur). Dans cet Ă©tablissement, AgustĂ­n Ă©crivait les Ă©tiquettes des expĂ©ditions Ă  l’encre verte. Cela lui a donnĂ© d’écrire le tango pour son jeune ami (il avait 22 ans et AgustĂ­n 30), compagnon d’usage des encres.

Eduardo, qui Ă©tait donc Ă©galement illustrateur a rĂ©alisĂ© la couverture de la partition qui lui Ă©tait dĂ©diĂ©e, Ă  l’encre verte… La boucle est bouclĂ©e.

Extrait musical

Depuis 1914, il y a eu diverses versions du titre. Vous pourrez entendre la plupart en fin de cet article. Mais le tango du jour est l’excellente version de Troilo de 1938. Il l’a rĂ©enregistrĂ©, avec moins de bonheur Ă  mon sens en 1970.

Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta AnĂ­bal Troilo. C’est le tango du jour.

Je trouve amusant de proposer en rĂ©ponse, l’encre rouge, qui elle a des paroles chantĂ©es par Fiorentino. Nous en reparlerons sans doute en octobre


Tinta roja 1941-10-23 — Orquesta Aníbal Troilo con Francisco Fiorentino / Sebastián Piana Letra : Cátulo Castillo

Je vous laisse apprĂ©cier le contraste. Ces titres peuvent ĂȘtre compatibles, pour les DJ qui mĂ©langent les tangos chantĂ©s et instrumentaux.

D’autres enregistrements

Cette histoire d’amitiĂ©, trop vite interrompue par la mort d’Eduardo Arolas (en 1924, Ă  32 ans), a donnĂ© lieu Ă  de nombreuses et belles versions. AgustĂ­n Bardi aura le bonheur d’entendre les versions de D’Arienzo et Troilo, mais probablement pas l’intĂ©ressante interprĂ©tation de Demare. Ce dernier l’a enregistrĂ© plus d’un an aprĂšs la mort de Bardi, mais il se peut qu’il l’ait jouĂ© en sa prĂ©sence avant avril 1941.

Tinta verde 1916 — Quinteto Criollo Atlanta. Une version acoustique, mais plutĂŽt mĂ©lodique. Pas pour nos milongas, mais Ă  dĂ©couvrir, tout de mĂȘme.
Tinta verde 1927-10-17 — Osvaldo Fresedo. Une version un peu canyengue, moyennement intĂ©ressante, mĂȘme pour l’époque. À rĂ©server aux fans absolus de Fresedo et de la vieille garde.
Tinta verde 1929-10-03 — Orquesta Pedro Maffia. Une version tranquille qui aura une sƓur 30 ans plus tard.
Tinta verde 1935-08-12 — Orquesta Juan D’Arienzo. Un D’Arienzo typique de sa premiĂšre pĂ©riode, avant l’arrivĂ©e de Biagi dans l’orchestre.
Tinta verde 1938-03-07 — Orquesta AnĂ­bal Troilo. C’est le tango du jour.
Tinta verde 1942-12-09 — Orquesta Lucio Demare. J’aime bien l’entrĂ©e du piano au dĂ©but de cette version.
Tinta verde 1945-10-30 — Orquesta Carlos Di Sarli. Magnifique solo de violon.
Tinta verde 1954-01-26 — Orquesta Carlos Di Sarli. Une version lente et majestueuse, comme sait en produire El Señor del Tango.
Tinta verde 1957-06-19 — Orquesta Juan Cambareri. Une version un peu prĂ©cipitĂ©e. Amusante, quasiment dansable en milonga. Elle sera sans doute dĂ©routante pour les danseurs et donc Ă  Ă©viter, sauf occasion trĂšs particuliĂšre.
Tinta verde 1959 — Orquesta Pedro Maffia. 30 ans aprĂšs le premier enregistrement, Maffia joue avec une sonoritĂ© diffĂ©rente, mais un rythme proche.
Tinta verde 1966-12-23 — Orquesta Armando Pontier. Une version assez originale. Pas forcĂ©ment gĂ©niale Ă  danser, mais agrĂ©able Ă  Ă©couter.
Tinta verde 1967-11-14 Orquesta Juan D’Arienzo. Ce n’est clairement pas la meilleure version. Je ne proposerai pas en milonga, mĂȘme si cela reste dansable.
Tinta verde 1970-11-23 — Orquesta AnĂ­bal Troilo. Comme pour D’Arienzo, on s’éloigne un peu trop du tango de danse. C’est magnifique, mais sans doute insatisfaisant pour les meilleurs danseurs.

Il existe bien d’autres versions, les thĂšmes apprĂ©ciĂ©s par Troilo ou D’Arienzo ont beaucoup de succĂšs avec les orchestres contemporains. N’hĂ©sitez pas Ă  donner votre avis sur votre version prĂ©fĂ©rĂ©e en commentaire (il faut crĂ©er un compte pour Ă©viter les spams, mais ce n’est pas trĂšs contraignant).

Agustin Bardi (Ă  droite), a Ă©crit ce tango pour son ami, Eduardo Arolas, Ă  gauche.

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

Le tango du jour, LĂĄgrimas a Ă©tĂ© enregistrĂ© il y a exactement 85 ans par Donato et Lagos.
Maruja Pacheco Huergo, l’auteure des paroles a su trouver les mots pour parler de la dĂ©tresse de l’abandon. Je vous invite donc, au-delĂ  de ce thĂšme, Ă  dĂ©couvrir cette femme exceptionnelle, auteure de tangos sublimes comme
El adiĂłs.

Le tango du jour

L’association Donato et Lagos a donnĂ© un grand nombre de tangos magnifiques. Celui d’aujourd’hui, qui fĂȘte son anniversaire aujourd’hui, parle de tristesse, mais la musique dynamique de Donato se dĂ©marque de la plupart des tangos portant ce titre « Lagrimas » en abandonnant la tristesse gĂ©nĂ©ralement de mise.
On compatit aux larmes, mais on se laisse emporter dans la musique pour danser sur la piste ce tango entraĂźnant.
Notons que Donato a Ă©galement enregistrĂ© une valse de ce titre Ă©crite par Vicente Vilardi ; J. Pastene Letra : Juan De la Calle (Federico Saniez).
Je reviendrai sur ce point dans quelques jours, au sujet de LĂĄgrimas y sonrisas ; la tristesse et les valses.

L’orchestre de Donato

Edgardo Donato

Edgardo Donato Ă©tait violoniste et au dĂ©but de son orchestre, en 1930, il jouait en plus de diriger l’orchestre.
Dans l’orchestre on retrouve deux des ses huit frùres Osvaldo au piano et Ascanio au violoncelle.
Petit cadeau, la composition de son orchestre en 1930 et en 1936. Dans l’orchestre de 1936, on remarque trois chanteurs qui ont produit plusieurs titres ensemble, leurs voix se mariant parfaitement.

Instrumentistes Orchestre de 1930 Orchestre de 1936
Bandonéonistes José Roque Turturiello
Vicente Vilardi
Miguel Bonano
José Roque Turturiello
Vicente Vilardi
Eliseo Marchesse
José Budano
Violonistes Edgardo Donato
Armando Julio Piovani
Pascual Humberto MartĂ­nez
Armando Julio Piovani
Domingo Mirillo
José Pollicita
Pianiste Osvaldo Donato Osvaldo Donato
Violoncelliste Ascanio Donato Ascanio Donato
Contrebassiste José Campesi José Campesi
Accordéoniste   Washington Bertolini
(pseudo de Osvaldo Bertoni)
qui Ă©tait aussi pianiste.
Chanteurs Luis DĂ­az
Antonio RodrĂ­guez Lesende
Carlos VivĂĄn
Teófilo Ibåñez
Horacio Lagos
Lita Morales
Romeo Gavio
L’orchestre d’Edgardo Donato en 1930 et 1936. Remarquez la prĂ©sence de ses frĂšres Osvaldo (Piano) et Ascanio (violonceliste)

L’orchestre d’Edgardo Donato en 1933 (ce n’est pas la composition du 6 mars 1939, mais il y a les trois frĂšres Donato, Edgardo, Osvaldo et Ascanio.

Maruja Pacheco Huergo

Sous ses allures discrÚtes et modestes se cachait un génie. Maruja, Pacheco Huergo.

Maruja Pacheco Huergo de son véritable nom, María Esther Pacheco Huergo était une femme remarquable. Je vous propose donc quelques éléments sur Maruja (surnom hypocoristique de Maria).
Si on se limite Ă  sa production de tango, on pourrait citer El adiĂłs, Don Naides, Milonga del aguatero, SinfonĂ­a de arrabal, ou Vuelves et quelques autres dont elle est la compositrice et parfois aussi l’auteure, comme pour le tango du jour dont elle n’a Ă©crit que les paroles. Mais elle a Ă©crit aussi environ 600 titres dans tous les rythmes. C’était donc une compositrice particuliĂšrement prolifique.
Mais Maruja Ă©tait aussi pianiste, chanteuse, auteure et actrice, voire professeur de piano et de chant. Le meilleur est qu’elle a fait tous ces mĂ©tiers avec succĂšs. Elle Ă©tait l’épouse de Manuel FerradĂĄs Campos, lui-mĂȘme Ă©crivain de tangos et journaliste, mais avec nettement moins de rayonnement que son Ă©pouse.

Extrait musical

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos

Les paroles

Ansias de hundir en las sombras
la angustia infinita que quiero ocultar.
Ansias de llorar tu llanto,
pena de quererte tanto,
voy por un camino largo
llevando en mi alma buena
mi propio desencanto…
arrastrando en mi agonĂ­a
la cruz de mi resignaciĂłn.

LĂĄgrimas…
En la amargura de mi vida son,
bálsamo

Que cicatrizan mi dolor.
Benditas una y mil veces estas lĂĄgrimas,
sinceras, que brotaron
de mi pobre corazĂłn.

LĂĄgrimas…
Que enmudeciendo mis tristezas van,
lĂĄgrimas…
tibia llovizna de pesar.
Hoy llegan hasta el cĂĄliz de mi vida,
suavizando la nostalgia
de esta inmensa soledad.

Edgardo Donato Letra: Maruja Pacheco Huergo

D’autres enregistrements

LĂĄgrimas n’a Ă©tĂ© enregistrĂ© que par Donato. Avec Horacio Lagos en 1939 et Oscar Peralta en 1956.

Lágrimas 1939-03-06 — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos. Tango du jour.

C’est le tango du jour. J’ai eu la chance de le danser hier Ă  la milonga Nuevo Chique avec l’excellent DJ Dany Borelli. Je confirme que malgrĂ© les paroles, le plaisir de le danser est total.

LĂĄgrimas 1956-06-21 – Orquesta Edgardo Donato con Oscar Peralta

Cette derniĂšre version va sans doute surprendre les fans de Donato qui oublient trop souvent que beaucoup de chefs d’orchestres ont eu une carriĂšre trĂšs longue et que par consĂ©quent, ils ont Ă©voluĂ© pour rester dans l’air du temps. En 1956, on est plus en direction de l’Ă©coute que du tango de bal, par exemple.
Signalons que le mĂȘme jour, Donato et Lagos ont enregistrĂ© De punta a punta une milonga Ă©crite par Osvaldo Donato avec des paroles de Sandalio GĂłmez.

De punta a punta 1939-03-06 Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos / Osvaldo Donato Letra Sandalio GĂłmez

Des rires aux larmes et des larmes aux rires

Nous reviendrons prochainement sur ce thÚme (le 26 mars), mais en attendant, deux titres.

Risas y lágrimas 1927-04-08 (valse) — Roberto Firpo con Jazz Band / F. Caso (rires et larmes)

LĂĄgrimas y sonrisas 1950 Roberto Firpo (Hijo) y su Cuarteto (valse) / Pascual De Gullo Letra : Francisco Gullo (larmes et rires) oĂč Pascual De Gullo a merveilleusement jouĂ© des passages des modes mineurs Ă  majeurs pour moduler les variations d’émotion.

Nous terminons donc sur des rires, mais avec moi, vous le savez, le tango est une pensée heureuse qui se danse.

Ce tango a aussi été chanté avec sensibilité par deux hommes, Horacio Lagos et Oscar Peralta. Les hommes aussi peuvent pleurer les tristesses de la vie.

CornetĂ­n 1943-03-05 Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Le tango du jour, CornetĂ­n, Ă©voque le cornet autrefois utilisĂ© par les « conductors» del tranvĂ­a a motor de sangre (les chargĂ©s de clientĂšle des tramways Ă  moteur de sang, c’est-Ă -dire Ă  traction animale). Il a Ă©tĂ© enregistrĂ© il y a exactement 81 ans.

ÉlĂ©ments d’histoire du tranvĂ­a, le tramway de Buenos Aires)

Les premiers tramways Ă©taient donc Ă  traction animale. Vous aurez notĂ© que les Argentins disent Ă  moteur de sang pour ce qui est traction humaine et animale. Cela peut paraĂźtre Ă©trange, mais quand on pense au prix que payaient les chevaux qui tiraient les tranvĂ­as de Buenos Aires, l’expression est assez parlante.

TranvĂ­as a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)

En effet, Ă  Buenos Aires, les chevaux Ă©taient durement exploitĂ©s et avaient une durĂ©e d’utilisation d’environ deux ans avant d’ĂȘtre hors d’usage contre une dizaine d’annĂ©es en Europe, rĂ©gion oĂč le cheval coĂ»tait cher et Ă©tait donc un peu plus prĂ©servĂ©.
Nous avons dĂ©jĂ  vu les calesitas qui Ă©taient animĂ©es par un cheval, jusqu’à ce que ce soit interdit, tout comme, il n’y a que trĂšs peu d’annĂ©es, les cartoneros de Buenos Aires n’aient plus le droit d’utiliser des chevaux. L’ironie de l’histoire est que l’arrĂȘt de l’utilisation des chevaux a Ă©tĂ© Ă©dictĂ© pour Ă©viter la cruautĂ© envers les animaux, mais maintenant, ce sont des hommes qui tirent les charrettes de ce qu’ils ont rĂ©cupĂ©rĂ© dans les poubelles.
Dans la Province de Buenos Aires, le passage de la traction animale Ă  la traction Ă©lectrique s’est fait autour de 1915, sauf pour quelques compagnies rĂ©sistantes Ă  ce changement et qui ont continuĂ© jusqu’à la fin des annĂ©es 20.
Il faut aussi noter que la rĂ©ticence des passagers Ă  la traction Ă©lectrique, avec la peur d’ĂȘtre Ă©lectrocutĂ©, est aussi allĂ©e dans ce sens. Il faut dire que les Ă©tincelles et le tintement des roues de mĂ©tal sur les rails pouvaient paraĂźtre inquiĂ©tants. Je me souviens que quand j’étais gamin, j’aimais regarder le conducteur du mĂ©tro, fascinĂ© par les nuĂ©es d’étincelles qui explosaient dans son habitacle. Je me souviens Ă©galement d’un conducteur qui donnait des coups avec une batte en bois sur je ne sais quel Ă©quipement Ă©lectrique, situĂ© Ă  la gauche de la cabine. C’était le temps des voitures de mĂ©tro en bois, elles avaient leur charme.

Retour au cornetĂ­n

Celui qui tenait le cornetĂ­n, c’est le conductor. Attention, il n’est pas celui qui mĂšne l’attelage ou qui conduit les tramways Ă©lectriques, c’est celui qui s’occupe des passagers. Le nom peut effectivement porter Ă  confusion. Le conducteur, c’est le mayoral que l’on retrouve Ă©galement, hĂ©ros de diffĂ©rents tangos que je prĂ©senterai en fin d’article.
Le cornetĂ­n servait Ă  la communication entre le mayoral (Ă  l’avant) et le conductor Ă  l’arriĂšre). Le premier avait une cloche pour indiquer qu’il allait donner le dĂ©part et le second un cornet qui servait Ă  avertir le conducteur qu’il devait s’arrĂȘter Ă  la suite d’un problĂšme de passager. Le conducteur abusait parfois de son instrument pour prĂ©senter ses hommages Ă  de jolies passantes.
C’est l’histoire de ce tango.

Extrait musical

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino

Les paroles

TarĂ­, TarĂ­.
Lo apelan Roque Barullo
conductor del Nacional.

Con su tramway, sin cuarta ni cinchĂłn,
sabe cruzar el barrancĂłn de Cuyo (al sur).
El cornetĂ­n, colgado de un piolĂ­n,
y en el ojal un medallĂłn de yuyo.

TarĂ­, tarĂ­.
y el cuerno listo al arrullo
si hay percal en un zaguĂĄn.

CalĂĄ, que linda estĂĄ la moza,
calĂĄ, barriendo la vereda,
MirĂĄ, mirĂĄ que bien le queda,
mirĂĄ, la pollerita rosa.
FrenĂĄ, que va a subir la vieja,
frenĂĄ porque se queja,
si estĂĄ en movimiento.
CalĂĄ, calĂĄ que sopla el viento,
calĂĄ, calĂĄ calamidad.

TarĂ­, tarĂ­,
trota la yunta,
palomas chapaleando en el barrial.

TalĂĄn, tilĂ­n,
resuena el campanĂ­n
del mayoral
picando en son de broma
y el conductor
castiga sin parar
para pasar
sin papelĂłn la loma
TarĂ­, tarĂ­,
que a lo mejor se le asoma,
cualquier moza de un portal

Qué linda esta la moza,
barriendo la vereda,
mirĂĄ que bien le queda,
la pollerita rosa.
FrenĂĄ, que va a subir la vieja,
FrenĂĄ porque se queja
si estĂĄ en movimiento,
calĂĄ, calĂĄ que sopla el viento,
calĂĄ, calĂĄ calamidad.

TarĂ­, TarĂ­.
Conduce Roque Barullo
de la lĂ­nea Nacional.

Pedro Maffia Letra : Homero Manzi ; Cátulo Castillo

Parmi les détails amusants :

On notera le nom du conducteur du tranvĂ­a, Barullo, qui en lunfardo veut dire bagarreur. Encore un tango qui fait le portrait d’un compadrito d’opĂ©rette. Celui-ci fait ralentir letranvĂ­a pour faciliter la montĂ©e d’une ancienne ou d’une belle ou tout simplement admirer une serveuse sur le trottoir.

Le TarĂ­, TarĂ­, ou TarĂĄ, TarĂ­ est bien sur le son du cornetĂ­n.

“sabe cruzar el barrancĂłn de Cuyo” – El barrancĂłn de Cuyo est un ravin, comme si le tranvĂ­a allait s’y risquer. Cela a du parait re extravagant, car dans certaines versions, c’est tout simplement remplacĂ© par el sur (dans le mĂȘme sens que le Sur de la chanson de ce nom qui est d’ailleurs Ă©crite par le mĂȘme Homero Manzi. D’ailleurs la ligne nacionale pouvait s’adresser Ă  celle de Lacroze qui allait effectivement dans le sud.

Tangos sur le tranvĂ­a

Cornetín (le thÚme du jour de Pedro Maffia Letra : Homero Manzi; Cåtulo Castillo)

El cornetĂ­n (CornetĂ­n) 1942-12-29 — Orquesta Francisco Canaro con Carlos RoldĂĄn. C’est le premier de la sĂ©rie Ă  ĂȘtre enregistrĂ©.

Cornetín 1943-03-05 — Orquesta Carlos Di Sarli con Roberto Rufino. C’est le tango du jour.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cornetín 1943-04-05 — Libertad Lamarque con orquesta dirigida por Mario Maurano.

Cette chanson a Ă©tĂ© enregistrĂ©e un mois, jour pour jour, aprĂšs la version de Di Sarli. Cette version, plutĂŽt chanson est tout de mĂȘme dansĂ©e dans le film Eclipse de sol de Luis Saslavsky d’aprĂšs un scĂ©nario d’Homero Manzi tirĂ© de l’Ɠuvre d’Enrique GarcĂ­a Velloso. Le film est sorti le 1er juillet 1943.
Cet extrait nous permet de voir comment Ă©tait organisĂ© un tranvĂ­a a motor de sangre, avec son mayoral Ă  l’avant, conduisant les chevaux et son conductor, Ă  l’arriĂšre, armĂ© de son cornetĂ­n.

CornetĂ­n 1950-07-28 Nelly Omar con el conjunto de guitarras de Roberto Grela.

AprĂšs une courte intro sur un rythme Ă  trois temps, Nelly Omar chante sur un rythme d’habanera. Le rĂ©sultat est trĂšs sympa, l’équilibre entre la voix de Nelly et la guitare de Roberto Grela et ses fioritures est agrĂ©able.

  • Je vous dispense de la version de De Angelis de 1976


Autres titres parlant du tranvĂ­a

El cochero del tranvĂ­a 1908 Los Gobbi (Alfredo Gobbi y Flora Gobbi) – Ángel Gregorio Villoldo (MyL).

Le son est pĂ©nible Ă  Ă©couter, c’est un des tout premiers enregistrements et c’est plus un dialogue qu’une chanson. C’est pour l’intĂ©rĂȘt historique, je ne vous en voudrai par si vous ne l’écoutez pas en entier.

El cornetín del tranvía 1938-06-09 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar / Antonio Oscar Arona Letra : Armando Tagini. Une belle version de ce titre.
El mayoral 1946-04-24 (milonga candombe) — Orquesta Domingo Federico con Oscar Larroca.mp 3/JosĂ© VĂĄzquez Vigo Letra: JoaquĂ­n GĂłmez Bas.

Au début, les annonces du départ et le adios final, vraiment théùtral. Sans doute pas le meilleur de Larocca.

El mayoral del tranvĂ­a (milonga) 1946-04-26 Orquesta Alfredo De Angelis con Julio Martel / Francisco Laino; Carlos Mayel (MyL)
Milonga del mayoral 1953 – Orquesta AnĂ­bal Troilo con Jorge Casal y RaĂșl BerĂłn arrangements d’Astor Piazzolla/AnĂ­bal Troilo Letra: CĂĄtulo Castillo

Un tango qui est plus une nostalgie de l’époque des tranvĂ­as

En effet, les tranvĂ­as ont terminĂ© leur carriĂšre Ă  Buenos Aires en 1962, soit environ un siĂšcle aprĂšs le dĂ©but de l’aventure.

Tiempo de tranvĂ­as 1981-07-01 Orquesta Osvaldo Pugliese con Abel CĂłrdoba / RaĂșl Miguel Garello Letra : HĂ©ctor Negro.

Un truc qui peut plaire Ă  certains, mais qui n’a aucune chance de passer dans une de mes milongas. L’intro de 20 secondes, sifflĂ©e, est assez originale. On croirait du Morricone, mais dans le cas prĂ©sent, c’est un tranvĂ­a, pas un train qui passe.

Tiempo de tranvĂ­as 2012 — Nelson Pino accompagnement musical Quinteto NĂ©stor Vaz / RaĂșl Miguel Garello Letra : HĂ©ctor Negro.

Petits plus

« Los cocheros y mayorales ebrios, en servicio, serĂĄn castigados con una multa de cinco pesos moneda nacional, que se harĂĄ efectiva por medio de la empresa ». Les cochers et conducteurs (plus tard, on dira les

On appelle souvent les colectivos de Buenos Aires « Bondis ». Ce nom vient du nom brĂ©silien des tramways, « Bonde ». Sans doute une autre preuve de la nostalgie du tranvĂ­a perdu.

Quelques sources

Quelques sources

TranvĂ­as a motor de sangre en la Boca (Puente Puyrredon)
Un des premiers tramways Ă©lectriques Ă  avoir une grille pour sauver les piĂ©tons qui seraient percutĂ©s par le tramway. Cette grille pouvait se relever Ă  l’aide d’une chaĂźne dont l’extrĂ©mitĂ© est dans la cabine de conduite.
Motorman levant la rejilla 1948 (Document Archives générales de la nation Argentine)

5 Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.

Coches del Tranvía eléctrico de la calle Las Heras, doble pisos.
Reconstitution du tranvĂ­a du film “Eclipse de sol”, car il n’apparait pas en entier dans le film, car la scĂšne est trop petite.
À l’Ă©poque de notre tango (ici en 1938, donc 3 ans avant), c’est ce type de tramway qui circule. on comprend la nostalgie des temps anciens.
Trafic compliquĂ© sur la Plaza de Mayo en 1934. À l’arriĂšre-plan, les colonnes de la cathĂ©drale. Trois tranvĂ­as Ă©lectriques essayent de se frayer un passage. On remarque la grille destinĂ©e Ă  Ă©viter aux piĂ©tons de passer sous le tramway en cas de collision.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

Vicente Greco Letra : Pascual Contursi/Juan Sarcino/Jerónimo Gradito (trois versions des paroles)

Le tango du jour, el Flete a Ă©tĂ© enregistrĂ© il y a exactement 88 ans par Juan d’Arienzo. Je vous propose d’en voir un peu plus de ce tango qui est des premiers Ă  avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© de la collaboration avec Rodolfo Biagi.

Ceux qui parcourent les rues de Buenos Aires ont sans doute Ă©tĂ© surpris par l’abondance de ces camions antĂ©diluviens et porteurs de charges parfois extravagantes.

Des camions de « Fletes » dans une rue de Buenos Aires.

Sur leurs flancs, l’indication « Fletes ». Ce sont des vĂ©hicules destinĂ©s aux livraisons. Si vous avez un canapĂ© Ă  vous faire livrer, ou tout un dĂ©mĂ©nagement, vous ferez sans doute appel Ă  un de ces services de fletes.
El flete, c’est donc la charge, la livraison, le transport, le colis Le mot « flete » vient du français « Fret ». On pense aux merveilleuses toiles et splendides Ă©maux sur mĂ©tal de Quinquela Martin oĂč on voit les porteurs plier sous le poids des paquets qu’ils chargent et dĂ©chargent des bateaux dans le port de la Boca.

Quinquela Martin — Motivo de puerto. Émail sur fer (1946). 0,88×0,98 m. Au centre, on voit la traversĂ©e d’une passerelle. La musique m’évoque la marche de ces hommes.

Si vous allez Ă  la Boca le quartier qui doit tant Ă  Benito Quinquela Martin, n’oubliez pas de voir son joyau, le musĂ©e maison de ce peintre.

Ceux qui n’ont pas l’occasion de venir Ă  Buenos Aires pourront avoir une idĂ©e de ce musĂ©e en regardant cette vidĂ©o.

Anecdote : VĂ­ctor FernĂĄndez, directeur du MusĂ©e Benito Quinquela MartĂ­n est Ă©galement DJ de tango, ce qui limite ma culpabilitĂ© dans mon excursion dans ce superbe musĂ©e.

LĂ , oĂč on revient Ă  notre tango du jour, El Flete


Le tango du jour est instrumental, on pourrait donc penser que l’on Ă©voque le transport, le travail difficile de ceux qui l’effectuent, les vĂ©hicules lourdement chargĂ©s.
D’ailleurs, la musique encourage Ă  cette interprĂ©tation. Quelques pas rapides et un pas plus pesant, comme un homme qui porterait une lourde charge en descendant du bateau et qui ferait de temps Ă  autre une pause. Cette interprĂ©tation est pour moi renforcĂ©e par l’enregistrement par Firpo, surtout celui du 16 fĂ©vrier 1916.
C’est un enregistrement acoustique, donc, avec les limites que cela implique. Dans cet enregistrement, je retrouve les pas alternĂ©s compatible avec le travail d’un flete, mais si on se souvent que Firpo aimait les tangos descriptifs (oĂč la musique Ă©voque les Ă©lĂ©ments rĂ©els), cela renforce l’hypothĂšse que le tango est en lien avec cette activitĂ©. Vous pourrez l’écouter Ă  la fin de cet article.

Je te donne ma parole

Ou plutÎt, mes paroles. En effet, pas moins de trois versions des paroles existent pour ce tango, bien que celui-ci soit quasiment toujours enregistré sans le chant. Il convient donc de les interroger et cela va donner des surprises par rapport à notre interprétation primitive.

Les paroles originales de Contursi (1914)

Pascual Contursi a Ă©crit des paroles pour El Flete. Ce sont sans doute les paroles originales, celle d’une Ă©poque oĂč le tango n’avait pas encore trouvĂ© ses lettres de noblesse en France, Pays oĂč Contursi terminera sa carriĂšre.
Dans les paroles de Contursi, un peu confuses, car trĂšs chargĂ©es de sous-entendus et de lunfardo, on comprend que le climat de crainte qu’inspiraient certains malfrats n’encourageait pas les compadrons Ă  faire les fiers quand ils les croisaient. Ils dĂ©gonflaient la poitrine et faisaient profil bas pour Ă©viter de paraĂźtre celui qui a le plus d’oseille (flouze, argent), car celui-ci, ils l’envoyaient dans l’autre monde

Le dan flete pa’ la otra poblaciĂłn.

Les paroles renouvelées, de Gradito

En lunfardo, El Flete dĂ©signe un cheval lĂ©ger de monte, brillant et lĂ©ger. Rien Ă  voir avec les chevaux devant tirer les lourds chariots des fletes de l’époque.
Dans une des rares versions chantĂ©es dont on a l’enregistrement, Ernesto Fama chante le refrain des paroles de GerĂłnimo Gradito qui parlent d’un cheval de course, autre leitmotiv du tango.
Le cheval de couleur noisette, vainqueur de la course, permet d’attirer l’attention d’une jeune paysanne sur son lad, ce qui le rend amoureux.

Il existe Ă©galement des paroles Ă©crites par Juan Sarcino et qui font Ă©galement rĂ©fĂ©rence Ă  un cheval, mais Ă  ma connaissance, nous n’avons pas d’enregistrement de cette version et je ne les possĂšde pas. Si vous avez une version enregistrĂ©e et les paroles, je suis preneur.

Extrait musical

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo.

C’est notre tango du jour. Il est le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur gĂ©nial, Rodoflo Biagi. Cette version hĂ©rite du dynamisme de D’Arienzo et des facĂ©ties au piano de Biagi qui rĂ©pondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurĂ©ment un de plus plaisants Ă  danser dans les milongas de Buenos Aires, grĂące Ă  ces jeux de rĂ©ponses entre les instruments. À noter que les premiĂšres rĂ©Ă©ditions sur CD, toutes tirĂ©es d’une mĂȘme Ă©dition effectuĂ©e dans les annĂ©es 50 sur disque vinyle comportaient un dĂ©faut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigĂ©es.

Les paroles

Je propose ici les paroles par ordre chronologique. D’abord celles de Contursi, puis celles de Gradito. Elles nous content deux histoires trĂšs diffĂ©rentes, ce qui tĂ©moigne de la polysĂ©mie du mot Flete en espagnol argentin, mais aussi de l’évolution du tango qui des mauvais quartiers est passĂ© dans la sociĂ©tĂ© plus aisĂ©e, oĂč il Ă©tait plus facile de parler d’un lad amoureux et de son cheval que de dangereux assassins rodant pour dĂ©pouiller les frimeurs.

Version de 1916 – MĂșsica : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Se acabaron los pesados,
patoteros y mentaos
de coraje y decisiĂłn.
Se acabaron los malos
de taleros y de palos,
fariñeras y facón.
Se acabaron los de faca
y todos la van de araca
cuando llega la ocasiĂłn.
Porque al de mĂĄs copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra poblaciĂłn.

Esos taitas que tenĂ­an
la mujer de prepotencia,
la van de pura decencia
y no ganan pa’l bullĂłn.
Nadie se hace el pata ancha
ni su pecho ensancha
de puro compadrĂłn,
porque al de mĂĄs copete
lo catan y le dan flete
pa’ la otra poblaciĂłn.

Version de 1916 – MĂșsica : Vicente Greco — Letra : Pascual Contursi

Ici, on dĂ©crit un monde assez noir avec des hommes armĂ©s (taleros, palos, fariñeras, facĂłn). En fait, il s’agit de se moquer des compadritos qui jouent les durs et qui n’en mĂšnent pas large, il retrouvent une attitude dĂ©cente, ne gonflent plus la poitrine, car ici, celui qui a le plus de pĂ©pĂštes (argent),, ils le goĂ»tent (tĂątent pour trouver ses richesses) et lui donnent une expĂ©dition (Flete) dans l’autre monde (ils le tuent).
Cette version des paroles peut Ă©galement ĂȘtre compatible avec la musique, les alternances de la musique pouvant ĂȘtre les mouvements respectifs des assassins et de la victime.

Version de 1930 – MĂșsica : Vicente Greco — Letra : GerĂłnimo Gradito

On peut imaginer que ces paroles violentes ont incitĂ© Fama Ă  adopter des paroles plus lĂ©gĂšres Ă  une Ă©poque oĂč le tango Ă©tait en train d’entrer dans la bonne sociĂ©tĂ©.

Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor

ÂĄPorque es tu corazĂłn
difícil de empardar !
En las canchas no tenés rival,
y en una ocasiĂłn
que has de recordar
ganaste a un pangaré
y, al jinetearte, asĂ­
decĂ­a para mĂ­:

ÂĄZaino,
mi viejo amigo,
de punta a punta, ganale!
ÂĄFlete,
todo he jugado,
y en vos estĂĄ mi esperanza!
ÂĄZaino!
¡Solo en la cancha !
ÂĄCorrelo al galope,
que atrás lo dejás !
ÂĄFlete,
zaino de mi alma,
tuya es la carrera
que en ley la ganás !

Y al llegar vos triunfador
el pueblo te aplaudiĂł,
y una paisanita
flores te tiraba
que después se acercó
y tu cabeza palmeĂł.
Y ella, desde entonces,
ÂĄes mi Ășnico querer!


Parejero; zaino escarceador,
por tu pinta y color
y por tu sangre sos
todo un flete de mi flor

ÂĄPorque es tu corazĂłn
difícil de empardar !
En los pueblos no tenés rival
como yo pa’el amor,
y al correrla los dos
siempre tenemos que ser:
ÂĄYo todo un buen varĂłn
y un bravo flete vos !

Version de 1930 – MĂșsica : Vicente Greco — Letra : GerĂłnimo Gradito

Ici, il s’agit d’un lad qui tombe amoureux d’une jeune paysanne qui a envoyĂ© des fleurs au cheval dont il s’occupe et qui lui a caressĂ© la tĂȘte. Cependant, le lad ne peut pas s’empĂȘcher de faire le fanfaron, disant qu’il n’a pas de rival pour l’amour, tout comme « ChĂątaigne », son cheval, n’a pas de rival dans la course. Je suis un bon homme et toi un brave flete.

À mon avis, qui en vaut sans doute un autre, sans ĂȘtre une rĂ©fĂ©rence, ces paroles ne conviennent pas totalement Ă  la musique. On a du mal Ă  y voir la fiĂšvre de la course, l’exaltation du vainqueur et l’amour naissant. Je pense que c’est juste le fait que El Flete peut aussi bien considĂ©rer l’expĂ©dition que le cheval de course qui est Ă  l’origine de cette fusion.

Comme j’aime bien faire des hypothĂšses, je me dis que le cheval de course est en fait l’hĂ©ritier du cheval qui passait les messages et qui Ă©tait donc rapide. C’est un peu ce que sous-entend ce tango, Zaino est le messager de l’amour.

Quelques versions

À titre de comparaison, quelques versions de ce tango qui n’est vraiment cĂ©lĂšbre que sous la baguette de Juan d’Arienzo.

Les versions de Roberto Firpo. Il y a plusieurs versions, instrumentales et au piano. Je vous propose ma préférée, celle de 1916.

El Flete 1916-02-16 — Roberto Firpo.

MalgrĂ© les limites de l’enregistrement acoustique, la musique est agrĂ©able Ă  Ă©couter. Cela nous permet de rappeler qu’à cette Ă©poque, Firpo Ă©tait un chef d’orchestre de tout premier plan.

El flete 1928-03-07 Orquesta Francisco Canaro

Un des premiers enregistrements électriques du thÚme. Une version encore empreinte du canyengue et probablement bien adaptée aux paroles sombres de Contursi. On retrouvera Canaro 11 ans plus tard dans une versión bien différente.

El flete 1930-09-16 — Orquesta TĂ­pica Porteña dir. Adolfo Carabelli con Ernesto FamĂĄ.

C’est un bon Carabelli et le plus ancien enregistrement en ma possession avec une partie chantĂ©e. Les paroles, comme nous l’avons vu ci-dessus sont celles de Gradito. La musique est dĂ©sormais intermĂ©diaire entre le planplan du canyengue et les versions futures plus dynamiques.

El flete 1936-04-03 — Orquesta Juan D’Arienzo

C’est notre tango du jour. Le fruit de la collaboration relativement nouvelle de D’Arienzo avec son pianiste et arrangeur gĂ©nial, Rodoflo Biagi. Cette version hĂ©rite du dynamisme de D’Arienzo et des facĂ©ties au piano de Biagi qui rĂ©pondent aux cordes. C’est un morceau superbe et assurĂ©ment un de plus plaisants Ă  danser dans les milongas de Buenos Aires, grĂące Ă  ces jeux de rĂ©ponses entre les instruments.
À noter que les premiĂšres rĂ©Ă©ditions sur CD, toutes tirĂ©es d’une mĂȘme Ă©dition effectuĂ©e dans les annĂ©es 50 sur disque vinyle comportaient un dĂ©faut (saute du disque). Aujourd’hui, la plupart des versions qui circulent sont corrigĂ©es.

El Flete 1939-03-30

XXXX El Flete 1939-03-30 — Quinteto Don Pancho dir. Francisco Canaro. On retrouve Canaro dans une version avec un de ses quintettes, le Don Pancho (Pancho est un surnom pour le prĂ©nom Francisco, mais aussi quelqu’un qui fait l’andouille en lunfardo
). Contrairement Ă  la version de 1928, cette version est bien plus allĂšgre et d’une grande richesse musicale, notamment dans sa seconde partie. C’est un trĂšs beau Canaro, avec les interventions magnifiques de la flĂ»te de JosĂ© Ranieri Virdo (qui Ă©tait aussi trompettiste de Canaro, mais pas dans cet enregistrement).

Je ne citerai pas d’autres versions, car elles n’apportent rien Ă  notre propos. Voir, pour ceux que ça intĂ©resse,

  • HĂ©ctor Varela (1950 et 1952),
  • Donato Racciatti y sus Tangueros del 900 (1959), oĂč on retrouve la flĂ»te, ici avec des guitares, mais le rĂ©sultat est monotone.
  • Osvaldo Fresedo (1966), dans son style « Varela » 
  • La Tubatango (2006), une version amusante, joueuse comme une milonga et avec le retour de la flĂ»te farceuse.

Je vais terminer cet article avec la Tubatango, mais dans une reprĂ©sentation thĂ©Ăątrale le 18 octobre 2010 au Paraguay.

La Tubatango, El flete, représentation théùtrale le 18 octobre 2010 au Paraguay

Vous remarquerez l’apparition d’un riche ivrogne qui se fera jeter de scĂšne. La Tuba Tango s’est donc inspirĂ©e des paroles originales de Contursi, ce qui est logique, puisqu’ils ont adoptĂ© un style canyengue.

Sur scùne, ils expulsent l’ivrogne, ils le ne le tuent pas, mais je reste sur mes positions


Photomontage d’un jeune homme ayant fait le fier devant des malandrins et qui risque de le payer trĂšs cher. Mais que faisait-il dans cette galĂšre, dans le port de la Boca ? Dans le fond des dĂ©tails de la toile DĂ­a luminoso de « Benito Quinquela MartĂ­n.

Paciencia 1938-03-03 — Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Qui s’intĂ©resse un peu, mĂȘme de loin, au tango connaĂźt Paciencia, (Patience), de D’Arienzo et Gorrindo. Je vous propose de le dĂ©couvrir plus prĂ©cisĂ©ment, Ă  partir de la version de Canaro et Maida enregistrĂ©e il y a exactement 86 ans.

Le prĂ©texte Ă©tant le jour d’enregistrement, cela tombe sur cette version Canaro Maida, mais l’auteur en est D’Arienzo qui restera fidĂšle Ă  sa composition toute sa vie.
Je ferai donc la part belle à ses enregistrements en fin d’article.
La beautĂ© et l’originalitĂ© des paroles de Francisco Gorrindo avec son « Paciencia Â», ont fait beaucoup pour le succĂšs de ce thĂšme qui a donnĂ© lieu Ă  des versions chantĂ©es, des chansons et mĂȘme instrumentales, ce qui est toutefois un peu dommage đŸ˜‰

Extrait musical

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida

Il s’agit d’une version instrumentale avec estribillo rĂ©duit au minimum. Roberto Maida chante vraiment trĂšs peu. La clarinette de Vicente Merico est ici plus prĂ©sente que lui. On constate dans cette interprĂ©tation le goĂ»t de Canaro pour les instruments Ă  vent.

Les paroles

Dans cette version, les paroles sont rĂ©duites au minimum, je vous invite donc Ă  les savourer avec les autres enregistrements de ce titre, sous le chapitre « autres versions ».

Anoche, de nuevo te vieron mis ojos ;
anoche, de nuevo te tuve a mi lado.
¥Pa qué te habré visto si, después de todo,
fuimos dos extraños mirando el pasado!
Ni vos sos la misma, ni yo soy el mismo

ÂĄLos años! 
 ÂĄLa vida!
 ÂĄQuiĂ©n sabe lo quĂ©!

De una vez por todas mejor la franqueza:
yo y vos no podemos volver al ayer.

Paciencia

La vida es asĂ­.
Quisimos juntarnos por puro egoĂ­smo
y el mismo egoĂ­smo nos muestra distintos.
¿Para qué fingir?
Paciencia

La vida es asĂ­.
Ninguno es culpable, si es que hay una culpa.
Por eso, la mano que te di en silencio
no temblĂł al partir.

Haremos de cuenta que todo fue un sueño,
que fue una mentira habernos buscado;
asĂ­, buenamente, nos queda el consuelo
de seguir creyendo que no hemos cambiado.
Yo tengo un retrato de aquellos veinte años
cuando eras del barrio el sol familiar.
Quiero verte siempre linda como entonces:
lo que pasó anoche fue un sueño no mås.

Juan D’Arienzo Letra : Francisco Gorrindo

Traduction

Hier soir, à nouveau mes yeux t’ont vue,
hier soir, Ă  nouveau, je t’avais de nouveau Ă  mes cĂŽtĂ©s.
Pourquoi t’ai-je revue, si au final,
nous fĂ»mes deux Ă©trangers regardant le passé !
Ni toi es la mĂȘme, ni moi suis le mĂȘme,
Les annĂ©es, la vie, qui sait ce que c’est ?
Une fois pour toutes, la franchise vaut mieux ;
toi et moi ne pouvons pas revenir en arriĂšre (Ă  hier).

Patience

la vie est ainsi.

Nous voulions nous rejoindre par pur Ă©goĂŻsme
et le mĂȘme Ă©goĂŻsme nous rĂ©vĂšle, diffĂ©rents.
Pourquoi faire semblant ?

Patience

la vie est ainsi.
Personne n’est coupable, si tant est qu’il y ait une faute.
C’est pourquoi la main que je t’ai tendue en silence n’a pas tremblĂ© Ă  la sĂ©paration.

Nous ferons comme si tout ne fut qu’un rĂȘve,
que c’était un mensonge de nous ĂȘtre cherché ;
ainsi, heureusement, nous reste la consolation
de continuer de croire que nous n’avons pas changĂ©.
J’ai un portrait de ces vingt annĂ©es-lĂ ,
quand du quartier, tu Ă©tais le soleil familier,
je veux toujours te voir jolie comme alors.
Ce qui s’est passĂ© la nuit derniĂšre ne fut qu’un rĂȘve, rien de plus.

Maida ne chante que le refrain. Voir ci-dessous, d’autres versions oĂč les paroles sont plus complĂštes.
Le mĂȘme jour, Canaro enregistrait avec Maida, la Milonga del corazĂłn.

Milonga del corazĂłn 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. Une milonga qui est toujours un succĂšs, 86 ans aprĂšs son enregistrement.

Autres versions

Paciencia 1937-10-29 — Orquesta Juan D’Arienzo con Enrique Carbel. C’est le plus ancien enregistrement. On pourrait le prendre comme rĂ©fĂ©rence. Enrique Carbel chante le premier couplet et le refrain.
Paciencia 1938-01-14 — HĂ©ctor Palacios accompagnĂ© d’une guitare et d’une mandoline. Dans cet enregistrement, HĂ©ctor Palacios chante toutes les paroles. EnregistrĂ© en Uruguay.

HĂ©ctor Palacios est accompagnĂ© par une guitare et une mandoline. Le choix de la mandoline est particuliĂšrement intĂ©ressant, car cet instrument bien adaptĂ© Ă  la mĂ©lodie, contrairement Ă  la guitare qui est plus Ă  l’aide dans les accords est le second « chant » de ce thĂšme, comme une rĂ©ponse Ă  Magaldi. On se souvient que Gardel mentionne la mandoline pour indiquer la fin des illusions « EnfundĂĄ la mandolina, ya no estĂĄs pa’serenatas » ; Range (remettre au fourreau, comme une arme) la mandoline, ce n’est plus le temps des sĂ©rĂ©nades. Musique de Francisco PracĂĄnico et paroles d’Horacio J. M. ZubirĂ­a Mansill. J’imagine que Palacios a choisi cet instrument pour son aspect nostalgique et pour renforcer l’idĂ©e de l’illusion perdue de la reconstruction du couple.

Paciencia 1938-01-26 — Agustín Magaldi con orquesta.

Comme l’indique l’étiquette du disque, il s’agit Ă©galement d’une chanson. L’introduction trĂšs courte (10 secondes) elle prĂ©sente directement la partie chantĂ©e, sans le dĂ©but habituel. Magaldi chante l’intĂ©gralitĂ© des paroles. Le rythme est trĂšs lent, Magaldi assume le fait que c’est une chanson absolument pas adaptĂ©e Ă  la danse. On notera sa prononciation qui « mange le « d » dans certains mots comme la(d)o, pasa(d)o (Palacios et d’autres de l’époque, Ă©galement).

Paciencia 1938-03-03 – Orquesta Francisco Canaro con Roberto Maida. C’est la version du jour. On est un peu en manque de paroles avec cette version, car Maida ne chante que le refrain, aucun des couplets.
Paciencia 1938 — Orquesta Rafael Canaro con Luis Scalón.

Cette version est contemporaine de celle enregistrĂ©e par son frĂšre. Elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e en France. Son style bien que proche de celui de son frĂšre diffĂšre par des sonoritĂ©s diffĂ©rentes, l’absence de la clarinette et par le fait que ScalĂłn chante en plus du refrain le premier couplet (comme l’enregistra Carbel avec D’Arienzo, l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente.

Paciencia 1948 — Orquesta Típica Bachicha con Alberto Lerena.

Encore une version enregistrée en France. Lerena chante deux fois le refrain avec un trÚs joli trait de violon entre les deux. Le dernier couplet est passé sous silence.

Paciencia 1951-09-14 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto EchagĂŒe.

14 ans plus tard, D’Arienzo rĂ©enregistre ce titre avec EchagĂŒe. Dans cette version, EchagĂŒe chante presque tout, sauf la premiĂšre moitiĂ© du dernier couplet dont il n’utilise que « Yo tengo un retrato de aquellos veinte años [
] lo que pasĂł anoche fue un sueño no mĂĄs. Le rythme marquĂ© de D’Arienzo est typique de cette pĂ©riode et c’est Ă©galement une trĂšs belle version de danse, mĂȘme si j’ai personnellement un faible pour la version de 1937.

Paciencia 1951-10-26 — Orquesta HĂ©ctor Varela con Rodolfo Lesica. Dans un style tout diffĂ©rent de l’enregistrement lĂ©gĂšrement antĂ©rieur de D’Arienzo, la version de Varela et Desica est plus « dĂ©corative ». On notera toutefois que Lesica chante exactement la mĂȘme partie du texte qu’EchagĂŒe.
Paciencia 1959-03-02 — Roberto Rufino accompagnĂ© par Leo Lipesker. Dans cet enregistrement, Rufino nous livre une chanson, jolie, mais pas destinĂ©e Ă  la danse. Toutes les paroles sont chantĂ©es et le refrain, l’est, deux fois.
Paciencia 1961-08-10 — Orquesta Juan D’Arienzo con Horacio Palma.

Comme dans la version enregistrĂ©e avec EchagĂŒe, dix ans auparavant, les paroles sont presque complĂštes, il ne manque que la premiĂšre partie du dernier couplet. Une version Ă©nergique, typique d’El Rey del compas et Palma se plie Ă  cette cadence, ce qui en fait une version dansable, ce qui n’est pas toujours le cas avec ce chanteur qui pousse plutĂŽt du cĂŽtĂ© de la chanson.

Paciencia 1964 — Luis Tuebols et son Orchestre typique argentin. Encore une version enregistrĂ©e en France, mais cette fois, instrumentale, ce qui est dommage, mais qui me permet de montrer une autre facette de ce titre.
Paciencia 1970-12-16 — Orquesta Juan D’Arienzo con Alberto EchagĂŒe.

D’Arienzo et EchagĂŒe ont beaucoup interprĂ©tĂ© Ă  la fin des annĂ©es 60 et jusqu’à la mort de D’Arienzo Paciencia dans leurs concerts. Cette version de studio est de meilleure qualitĂ© pour l’écoute, mais il est toujours sympathique de voir D’Arienzo se dĂ©mener.

VidĂ©o enregistrĂ©e en Uruguay (Canal 4) en dĂ©cembre 1969 (et pas fĂ©vrier 1964 comme indiquĂ© dans cette vidĂ©o).

AprĂšs la mort de D’Arienzo, les solistas de D’Arienzo l’enregistrĂšrent Ă  diverses reprises, ainsi que des dizaines d’autres orchestres, Paciencia Ă©tant un des monuments du tango.

J’ai ici une pensĂ©e pour mon ami Ruben Guerra, qui chantait Paciencia et qui nous a quittĂ©s trop tĂŽt. Ici, Ă  la milonga d’El Puchu Ă  Obelisco Tango Ă  Buenos Aires, milonga que j’ai eu l’honneur de musicaliser en doublette avec mon ami Quique Camargo.

Ruben Guerra, Paciencia, milonga d’El Puchu Ă  Obelisco Tango Ă  Buenos Aires.18 aoĂ»t 2017.

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 – Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo

Carlos Gardel et José Razzano (paroles et musique)

Con los amigos (a mi madre) est un thĂšme Ă©crit par Carlos Gardel et JosĂ© Razzano. Mais la version que j’ai choisie pour le tango du jour a Ă©tĂ© enregistrĂ©e le 2 mars de 1943 par Tanturi et Castillo. La particularitĂ© est que la chanson originale s’est commuĂ©e en valse, mais ce n’est pas la seule surprise


On connaüt, un peu l’histoire de Carlos Gardel, je devrais dire les histoires pour ne pas fñcher mes amis Uruguayens et Argentins. Que Gardel soit enfant de France, ou de quelque qu’autre endroit, il a eu une relation particuliùre avec sa mùre.
Pas forcĂ©ment celle qu’elle espĂ©rait, dans la mesure oĂč il a fait les 400 coups et mĂȘme des coups plutĂŽt pendables.
On sait cependant que Gardel avait un bon cƓur et qu’il chĂ©rissait sa mĂšre, mĂȘme s’il ne l’a pas toujours entourĂ© de toute l’affection qu’elle aurait pu attendre.
Cette chanson doit sans doute ĂȘtre prise pour un regret, un remords, un hommage Ă  sa mĂšre qui a Ă©levĂ© seule ce chenapan de Gardel.

Extrait musical

Con los amigos (A mi madre) 1943-03-02 — Orquesta Ricardo Tanturi con Alberto Castillo (Valse)

Les paroles

Con los amigos que el oro me produjo
Pasaba con afĂĄn las horas yo
Y de mi bolsa el poderoso influjo
Todos gozaban de esplendente lujo
Pero mi madre, no

ÂĄPobre madre!, yo de ella me olvidaba
Cuando en los brasosdel vicio me dormĂ­
Un inmenso cortejo me rodeaba
Yo a nadie mi afecto le faltaba
Pero a mi madre, sĂ­

ÂĄHoy moribundo en lĂĄgrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabĂł
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
Pero mi madre, no

Y cerca ya del Ășltimo suspiro
Nadie se acuerda por mi mal, de mĂ­
La vista en torno de mi lecho giro
Y en mi triste en derredor a nadie miro
Pero a mi madre, sĂ­

ÂĄHoy moribundo en lĂĄgrimas deshecho!
Exclamo con dolor, todo acabĂł
Y al ver que gime mi angustiado pecho
Todos se alejan de mi pobre lecho
ÂĄPero mi madre, no!

Carlos Gardel et José Razzano (musique et paroles)

Je propose ici les deux premiers couplets et le dernier, pour vous donner une idée du thÚme de ce tango.
Avec les amis que l’or me procurait, moi, je trompais les heures, et de ma poche, le pouvoir influait. Tous jouissaient d’un luxe splendide, mais ma mùre, non !
Pauvre mùre ! Moi, je l’oubliais quand dans les bras (emprise, mais j’aime mieux le changement de parole de la version de Canaro) du vice je m’endormis.
Une immense cour m’entourait. Personne ne manquait de mon affection. Mais ma mùre, si.

[
]
Aujourd’hui, moribond, en larmes, dĂ©fait, je crie de douleur, tout est fini et Ă  voir ma poitrine oppressĂ©e gĂ©mir, tous quittent mon pauvre lit, mais ma mĂšre, non.
La morale de ce tango pourrait ĂȘtre que les amis faits par l’argent ne valent pas l’amour d’une mĂšre.

Autres versions

Tout d’abord, un exemple de la chanson originale par Carlos Gardel, celle qu’il chantait pour exprimer ses regrets à sa mùre.
Il existe plusieurs enregistrements, 1919,192 0, 1930, 1933. J’ai choisi celui-ci oĂč l’on ressent bien l’émotion dans la voix de Gardel.

A mi madre (Con los amigos) 1930-05-22 Carlos Gardel accompagné par Guillermo Barbieri, José María Aguilar, Domingo Riverol (guitares).

Version en chanson, avec de jolies guitares. Bien sĂ»r, pas pour la danse. D’ailleurs Gardel ne se danse pas, mĂȘme si on danse sur plusieurs de ses titres quand ils sont jouĂ©s par d’autres orchestres, comme celui de Tanturi ou celui de Canaro dans ce cas (voir ci-dessous).

Con los amigos (A mi madre) 1943-05-12 — Orquesta Francisco Canaro con Eduardo Adrián.
Gardel à Nice en 1931. Il est au centre avec Charlie Chaplin. Pensait-il à ce moment à sa mùre ?
Charlie Chaplin, c’est Charlot, Ă  ne pas confondre avec le chanteur Charlo 😉

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 – Carlos di Sarli (Sexteto)

Gerardo HernĂĄn Matos RodrĂ­guez Letra: Ernesto Marsili

Le tango du jour, Cuando bronca el temporal, a Ă©tĂ© enregistrĂ© par Di Sarli avec son sexteto, le premier mars 1929, il y a exactement 95 ans. Il a Ă©tĂ© Ă©crit par l’auteur de la Cumparsita.

Un temporal, c’est une tempĂȘte. Une bronca, c’est une colĂšre. Cependant, la tempĂȘte dont nous parlons aujourd’hui est autant dans les crĂąnes que dans la ville. Une fois de plus, les paroles d’un tango jouent sur les mots. Ernesto Marsili a fait le parallĂšle entre la tempĂȘte qui se dĂ©chaĂźne Ă  l’extĂ©rieur et les sentiments qui s’entrechoquent dans la tĂȘte de l’homme abandonnĂ©.

Il y a quelques semaines, en Argentine, il y a eu des tempĂȘtes violentes. On dĂ©plore des morts, notamment Ă  Mar del Plata, la ville natale d’Astor Piazzolla. À Buenos Aires, des centaines d’arbres ont Ă©tĂ© abattus et une fleur a perdu un de ses pĂ©tales.

Le ciel juste avant le début du temporal, à Buenos Aires.
Floralis GenĂ©rica despuĂ©s del temporal. Un des pĂ©tales est au sol. Trois mois aprĂšs, elle n’a toujours pas Ă©tĂ© rĂ©parĂ©e. En revanche, le parc a Ă©tĂ© rĂ©ouvert quelques semaines plus tard, lorsque les arbres dangereux ont Ă©tĂ© sĂ©curisĂ©s.

Extrait musical

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 — Carlos Di Sarli (Sexteto)

Extrait musical

Cuando bronca el temporal 1929-03-01 — Carlos Di Sarli (Sexteto)

On a un peu de mal Ă  imaginer la tempĂȘte ou les tempĂȘtes. Pour les danseurs qui ne connaissent pas le titre, comme cette version est instrumentale, ce n’est pas forcĂ©ment gĂȘnant.
Carlos Di Sarli nous propose un tango plan-plan, bien canyengue.
Je sais que certains adorent ce qu’il a enregistrĂ© Ă  l’époque de son sexteto, mais pour ma part, je prĂ©fĂšre ces annĂ©es 40 et 50 pour la richesse des arrangements et la qualitĂ© de l’interprĂ©tation.

Bien sĂ»r, comme DJ, je peux ĂȘtre amenĂ© Ă  passer du canyengue, justement, car certains aiment cela.

Les paroles

La version de Di Sarli avec son sexteto est instrumentale. Cependant, Ernesto Marsili a Ă©crit un texte qui fait le parallĂšle entre la tempĂȘte et les sentiments de l’homme abandonnĂ©. Peut-ĂȘtre temporairement. Elle est sortie se passer les nerfs (PaÂŽ sacarte el berretĂ­n).

Mina, mina desalmada
Que de puro empecinada,
Una noche ÂŽe tempestad
Te piantaste del bulín

Me dijiste: “Está lloviendo
voy a descolgar la ropa”,
Y rajaste hecha una sopa
PaÂŽ sacarte el berretĂ­n.

Desde entonces en la noche,
Con su estrépito infernal
Me despierta el temporal

Me parece que en el patio
Otra vez vuelvo a escuchar,
Tu nervioso taconear


Me parece que estĂĄs cerca
¥Pero qué vas a ser vos!,
Es el ruido de la lluvia
Que lo engrupe al corazĂłn,
Que lo engrupe al corazĂłn.

Cuando frĂ­a y despiadada
Como pilcha abandonada,
Me dejaste en la catrera
No pensaste en mi dolor.
Y olvidaste aquel cariño
Que te contentĂł, es perfecto,
De un rezongo, con un beso
De un desdén con una flor.

Olvidaste aquel cariño
Que yo no puedo olvidar,
Aunque lo quiero lograr

Ni los ecos de tus pasos
Cuando bronca el temporal,
Con su estrépito infernal


Me parece que estĂĄs cerca
¥Pero qué vas a ser vos!,
Es el ruido de la lluvia
Que lo engrupe al corazĂłn,
Que lo engrupe al corazĂłn.

Gerardo HernĂĄn Matos RodrĂ­guez Letra : Ernesto Marsili.

Bref rĂ©sumĂ© de l’intrigue

Les paroles, qui ne sont pas utilisĂ©es par Di Sarli, nous apprennent qu’elle est partie rentrer le linge Ă  cause de la pluie qui arrivait (assurĂ©ment un prĂ©texte), puis est allĂ©e passer sa colĂšre. Lui s’est endormi et l’orage l’a rĂ©veillĂ©. Le bruit des gouttes d’eau Ă©voquait les talons de la belle qui n’était toujours pas revenue. La fin n’est pas dite. Faut-il croire en son espoir de rĂ©unir le cƓur ? Pas sĂ»r.
Je vous propose Ă©galement une version chantĂ©e. La plus ancienne enregistrĂ©e dont je dispose dans ma collection (on peut toujours espĂ©rer trouver d’autres enregistrements. Le milieu de la recherche en tango est trĂšs actif) est celle de Francisco Lomuto. Elle est chantĂ©e par Charlo (Carlos JosĂ© PĂ©rez). Cette version est un eu antĂ©rieure Ă  celle du jour, elle est du 10 dĂ©cembre 1928.

Cuando bronca el temporal 1928-12-10 — Orquesta Francisco Lomuto con Charlo.

Seule la partie en rouge et gras des paroles est chantĂ©e par Charlo. Il se contente d’un couplet et du refrain. La musique est Ă©galement empreinte de canyengue. C’était dans l’air du temps. J’aime bien la prestation de Charlo, dans ce titre.

Desde entonces en la noche, con su estrĂ©pito infernal me despierta el temporal
 (Plus tard, dans la nuit, avec ses rugissements infernaux, l’orage me rĂ©veilla)