Qué tiempo aquel 1938-02-24 (Milonga) – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores

Francisco Lomuto et Jorge Omar vous proposent la milonga du jour. Ce titre agréable à danser nous permet de nous intéresser à la mode masculine et au billard. Des souvenirs du bon vieux temps disparu (Qué tiempo aquel que no podremos ver más).

Cette milonga, une de plus, décrit un individu amateur de billard, sa tenue et sa façon de déambuler. C’est en somme un portrait qui peut se danser de façon amusante. Tous les instruments jouent en appuyant la rythmique, ce qui est bien dans le style de Lomuto, la plupart du temps inspiré du canyengue. Jorge Omar s’inscrit dans cette puissante présence du rythme, tout en en usant de sa diction parfaite pour mettre en valeur les syncopes de la partition. Quelques excursions du piano illuminent la musique C’est le seul instrument qui semble s’échapper de la machine pour proposer quelques fioritures qui allègent le résultat et offrent aux danseurs qui savent les saisir, des éléments ludiques.

Vous reprendrez bien un peu de homard Omar ?

s reprendrez bien un peu de homard Omar ?

Hier, j’évoquais, Nelly Omar, la muse d’Homero (encore Omar) et aujourd’hui, le chanteur en vedette est Jorge Omar. Seraient-ils de la même famille, frère et sœur, mari et femme ?

Que nenni. Mais ils sont d’autres points communs. Ils sont nés tous les deux en 1911, le 10 d’un mois, à Buenos Aires ou dans la province éponyme, sont chanteurs de tango et ont été au firmament dans les années 30-40. Mais leurs identités réelles lèvent les doutes :

  • Nilda Elvira Vattuone = Nelly Omar 1911-09-10
  • Juan Manuel Ormaechea = Jorge Omar 1911-03-10

Je vais donc me contenter de parler de Jorge, le chanteur héros du jour.

Sa carrière est essentiellement associée à Francisco Lomuto. Lorsqu’il a quitté cet orchestre, en 1943, il a repris une carrière de chanteur soliste, mais sans le succès qu’il méritait. Pour moi, il a donné un peu d’âme à l’orchestre de Lomuto avec sa diction parfaite et son expressivité.

Francisco Lomuto

Né en 1893, Francico Lomuto est un ancien du tango. Il fait partie d’une famille de musiciens. Son père, Víctor Lomuto était violoniste et sa mère Rosalía Narducci, pianiste. Parmi ses 9 frères et sœurs, plusieurs contribuèrent au tango.
Victor, qu’il ne faut pas confondre avec son père qui porte le même prénom était bandonéiste et a passé une partie importante de sa vie en France, notamment avec l’orchestre de Manuel Pizarro.
Héctor Antonio, pianiste (jazz) et compositeur. Il est l’auteur de rancheras, pasodobles et foxtrots, mais aussi du tango Yo seré como tú quieras et de la superbe valse El día que te fuiste.
Enrique, pianiste (tango), chef d’orchestre et compositeur. Parmi ses compositions, les très beaux tangos Bésame mi amor ou Éramos tres.
Oscar (Pascual Tomás) était pour sa part écrivain et journaliste et a écrit les paroles de quelques tangos comme Nunca más dont l’interprétation par Maure avec l’orchestre de D’Arienzo est une merveille.

Francisco himself

Pour revenir à Francisco, l’auteur de la musique et le chef d’orchestre du tango du jour, la milonga Qué tiempo aquel, il est un des éléments de ce qu’il est convenu d’appeler la Guardia Vieja (La vieille garde).
La rencontre de Francisco Lomuto et Jorge Omar a marqué un tournant dans le style de l’orchestre. Progressivement en 1935 et surtout en 1936, avec l’arrivée de Martín Darré en remplacement de Daniel Alvarez comme premier primer bandonéon et arrangeur, son style se modernise avec des chefs d’œuvres comme Nostalgias ou Otra vez.
Sur la fin de sa carrière, son style s’est encore adapté, notamment avec la participation d’Angel Vargas. On notera toutefois que la majorité de ses ultimes enregistrements concernent du jazz argentin. Encore un témoignage du déclin du tango de danse dans les années 50.
Mais dans l’ensemble, il restera fidèle à son esprit « vieille garde » comme en témoigne Callecita de mi novia enregistré le même jour que la milonga dont nous parlons aujourd’hui.

Nostalgias 1936-10-28 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Un titre superbe dans un style relativement différent du Lomuto habituel.
Callecita de mi novia 1938-02-24 — Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar. Le style très imprégné de canyengue persiste dans cet enregistrement.

Ce style au rythme très marqué plait beaucoup aux amateurs d’encuentro, sans doute moins aux danseurs qui aiment improviser. Il faut de tout pour faire un monde et un DJ avisé saura sortir en temps utile un bon Lomuto.

Extrait musical

Qué tiempo aquel 1938-02-24 – Orquesta Francisco Lomuto con Jorge Omar

Les paroles

Un « taco » va con sombrero
Requintado de ala corta,
Un gesto de “qué me importa”
Sobrador y pendenciero.

Pantalón “a la francesa”
A cuadritos de fragacha,
Que iba pidiéndole cancha
Al barro del arrabal.

Qué tiempo aquel que no podremos ver más
Que si se fue, no volverá,
Qué tiempo aquel de nuestra vieja ciudad
El del matón del arrabal,
Que la biaba del progreso,
Igual que a cinco de queso
Me lo han dejado,
Y hoy se pierde lentamente,
Como el sol en el poniente
Triste y derrotado.

Francisco Lomuto Letra: Celedonio Esteban Flores

Les paroles sont assez simples à comprendre. Il y a toutefois quelques éléments qui peuvent mériter une explication.
Taco : C’est à la fois la queue du billard et un bon joueur de billard. Rien à voir avec les talons dans le cas présent, si ce n’est le « tac », le son du talon au sol ou des boules qui s’entrechoquent.

Pantalón « a la francesa » : on retrouve ce pantalon à la française dans au moins trois milongas. Celle qui nous occupe aujourd’hui, mais aussi dans De antaño une milonga écrite par Luis Rubistein (Juan D’Arienzo avec Alberto Echagüe, 1939-09-27) et dans Pantalon « a la francesa » écrite par Luisa Rosa González sur une musique de Severo Vietri.
Vous n’avez sans doute pas entendu parler de Vietri. Je vous invite à consulter le blog du regretté Aldo Caseros pour mieux connaître ce bandonéoniste et compositeur.
Le pantalon à la française est un pantalon large (plus confortable avec les tissus rigides, sans élasthanne, de l’époque) et resserré à la cheville. C’est un peu le type bombacha campesina, le modèle moins exagéré que la bombacha des danseurs professionnels de malambo et qui se vend toujours comme vêtement de travail.
Beaucoup de danseurs de tango actuels adoptent ce type de pantalons amples avec cinq pinces, mais qui sont différents à la base.
Je n’ai en revanche pas d’explication pour les cuadritos de fragacha. Sans doute un motif de tissus quadrillé (espagnol ?) ou des pièces destinées à réparer les accrocs.
Que iba pidiéndole cancha/Al barro del arrabal. Marcher en se frayant un passage avec autorité, ici à la fange des faubourgs. On imagine bien le type marcher, chargé de son « importance ».
Que la biaba del progreso. Qui l’assomme avec le progrès. Biaba est pour moi au sens figuré, le tueur évoqué au vers précédent est également figuré.
Igual que a cinco de queso. L’expression usuelle est dejar chato como cinco de queso. C’est-à-dire qu’il laisse l’autre interdit, sans voix. Mon interprétation de ce passage est que le passage et le verbiage de cet individu devaient estomaquer les gens, les laisser comme « deux ronds de flan ».

Les enregistrements de Qué tiempo aquel

Il n’y en a pas d’autres à ma connaissance. C’est une milonga orpheline.
En revanche, Lomuto a enregistré quelques autres milongas comme :

  • Aquí me pongo a cantar 1945-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Alberto Rivera
  • No hay tierra como la mía 1939-08-08 – Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
  • Parque Patricios 1941-06-27 — Orquesta Francisco Lomuto con Fernando Díaz
  • Et des milongas candombe. Lomuto est un assez bon choix pour une tanda de milonga.

Autres titres enregistrés un 24 février

Il y plusieurs autres titres enregistrés un 24 février de Gloria de Canaro 1927-02-24, bien canyengue à Y te parece todavía 1959-02-24 — Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde. Ce sera pour des 24 février des années à venir, mais en attendant, écoutez ces deux titres, extrêmes qui témoignent de la richesse du tango, aux limites de son répertoire traditionnel.

Gloria 1927-02-24 — Orquesta Francisco Canaro
Y te parece todavía 1959-02-24 – Orquesta Héctor Varela con Armando Laborde
Un « taco » pensant au temps qui a disparu…

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.